samedi 31 décembre 2005

De la supplique à Benoît XVI au Centre Saint-Paul - Entretien avec l'abbé Guillaume de Tanoüarn

Présent - samedi 31 décembre 2005
Propos recueillis par Jeanne Smits et Olivier Figueras 

Ordonné prêtre par Mgr Lefebvre, l’abbé Guillaume de Tanoüarn, sorti de la Fraternité Saint-Pie X, a créé à Paris le Centre culturel Saint-Paul (12, rue Saint-Joseph, Paris 2e – 01 40 26 41 78). Il vient d’adresser une supplique au Saint-Père pour la défense de la liturgie traditionnelle. Cette question des relations entre Rome et la Tradition nous a déjà conduits à interroger Mgr Fellay (Présent du 5 novembre 2005), et le cardinal Medina (Présent des 19 et 22 novembre 2005).
— Vous avez adressé, à l’occasion de votre journée réussie du 20 novembre, une supplique à Benoît XVI. Quel en est le sens ?
— J’adresse cette supplique à Benoît XVI en réponse à l’impatience, plus ou moins déguisée, souvent non déguisée, d’un certain nombre de catholiques qui trouvent que le Pape ne va pas assez vite dans le sens d’un retour de la Tradition. Je crois que Benoît XVI, contrairement à ce qu’on a dit au moment de son avènement, n’est pas seulement un pape spirituel, contemplatif, mais qu’il est aussi, et ses antécédents le montrent bien, un pape politique. J’ai voulu donc montrer à travers cette supplique que Benoît XVI ne pouvait pas ne pas faire ce qu’il avait si largement et si audacieusement écrit en tant que cardinal Ratzinger. En tant que cardinal Ratzinger, il a à plusieurs reprises pris la défense du rite traditionnel. En tant que Pape, il pourrait, et je crois que c’est une question de mois, prendre la défense du rite traditionnel dans les mêmes termes qu’il l’a fait lorsqu’il était le théologien de Jean-Paul II. Donc, ce que nous écrivons à Benoît XVI, c’est ce qu’il a lui-même écrit, et ce que nous lui demandons, c’est de répéter ce qu’il a déjà dit. C’est ça le sens de cette démarche.
— Vous êtes prêtre, originaire de la Fraternité Saint-Pie X de laquelle on vous a prié de sortir. Qu’est-ce qui, aujourd’hui fait que vous pensez pouvoir, plus spécialement, adresser cette supplique ?
— Je n’ai pas de contacts personnels avec Rome. J’ai simplement fait partie d’un petit groupe de prêtres qui ont demandé à Rome la levée des sanctions qui les frappaient, et Rome, de façon très magnanime, a répondu dans un rescriptum, c’est le terme juridique, dans une réponse écrite, en levant toutes les sanctions qui nous frappaient. Il me semble que ce recours à Rome s’imposait pour moi une fois mis hors de la Fraternité Saint-Pie X par le supérieur général Mgr Bernard Fellay, puisque c’était une manière de montrer que je n’entendais pas rester une sorte de cavalier seul ecclésiastique, mais que je voulais vraiment inscrire toute mon action pastorale dans le sens de l’Eglise, et dans l’amour de l’Eglise. Et donc dans l’acceptation d’un lien profond avec l’Eglise par l’intermédiaire de la dépendance hiérarchique.
— Et cela s’est fait très rapidement ? Et sans conditions ?
— Cela s’est fait très rapidement, moyennant une déclaration que j’ai signée, déclaration en quatre articles dont j’avais déjà signé les deux premiers pour pouvoir être ordonné prêtre à Ecône (je n’en parlerais donc pas ici), et dont les deux derniers articles concernent l’un le fait que je m’engage à avoir une attitude de critique constructive du concile Vatican II – c’est me semble-t-il ce que j’ai toujours fait, et que j’ai fait en particulier dans ce livre qui s’appelle Vatican II et l’Evangile. Le quatrième article me demande de « préparer les conditions d’une réception authentique du concile Vatican II ». C’est un langage un peu technique : il s’agit d’une lecture du Concile, qui n’est pas infaillible, mais qui est authentique parce qu’elle provient de l’autorité. Mais ce qui est étonnant, c’est ce verbe « préparer ». Rome nous dit aujourd’hui qu’il n’y a pas de réception authentique de Vatican II, et qu’il faut la préparer. Il me semble que c’est ce que j’ai toujours fait ; et que toutes les critiques que j’ai adressées au concile étaient destinées à préparer une future lecture de Vatican II.
— Dans l’inquiétude qui peut être celle d’un certain nombre de fidèles traditionalistes, qui ont une certaine peur des discussions avec Rome, vous avez créé le Centre Saint-Paul, mais vous n’êtes pas directement reconnu dans le cadre diocésain ?
— Je suis un prêtre catholique sur lequel ne pèse actuellement plus aucune sanction, mais j’ai créé non pas une paroisse, qui nécessiterait évidemment une autorisation ou même une incardination, mais un centre culturel, qui ne nécessite directement aucune forme de lien à la hiérarchie diocésaine. Dans ce centre culturel, il est évident que la liturgie est à l’honneur. Mais nous ne cherchons pas à revendiquer le titre de paroisse. Par ailleurs, dans ce centre culturel, nous organisons des cours, des conférences, qui sont ouverts à tous ceux qui veulent avoir une vision plus profonde de leur foi.
— L’accord que vous avez signé est ouvert, au fond, à tout prêtre fidèle à la Tradition. N’y a-t-il pas là déjà une préfiguration de ce qui pourrait être ?
— Ce que je crois, c’est que le fait que Rome nous ait donné si libéralement ce rescriptum marque bien que si les traditionalistes voulaient recevoir quelque chose du Pape, ils le recevraient ; et que si aujourd’hui ils ne reçoivent rien, c’est peut-être qu’ils ne veulent rien recevoir.
— Quel sens donnez-vous donc à « tradi-œcuménisme », que vous employez à l’occasion, et qui peut aller jusqu’à Campos ?
— Je l’emploie à l’occasion parce qu’on m’a beaucoup reproché de le cultiver. Et finalement je me suis identifié à ce qu’on m’a reproché d’être. Ce tradi-œcuménisme, au sens le plus noble du terme, est le regroupement de toutes les forces vives du catholicisme. Car les forces vives du catholicisme existent forcément, et elles vivent forcément autour de la Tradition. Et il me semble que ce serait une erreur de dire que qui que ce soit puisse prétendre être l’Eglise à lui tout seul. Nous avons besoin d’être avec tous ceux qui constituent l’Eglise, qui font vivre l’Eglise, et qui vivent de l’Eglise ; et donc avec tous ceux qui se réfèrent à la Tradition. Et notre rôle est de faire en sorte que cette référence à la Tradition dans l’Eglise latine soit de plus en plus facile.
— Avec, comme but premier, la défense de la liturgie traditionnelle…
— Avec comme but la défense des formes de la Tradition, forme liturgique, forme théologique, forme du catéchisme, car le catéchisme, Jean Madiran le répète assez, a mis longtemps à s’élaborer dans une forme donnée, et ce n’est pas un hasard s’il a aujourd’hui cette forme. Ce sont ces formes qu’il faut transmettre à l’Eglise d’aujourd’hui pour qu’elle en vive. Et finalement, dans notre génération, nous sommes les seuls à avoir reçu ces formes ; c’est donc à nous de les transmettre, nous ne pouvons pas les trahir une seule seconde.
— Finalement, ce tradi-œcuménisme pourrait regrouper des gens aussi divers que la Fraternité Saint-Pie X, les communautés Ecclesia Dei, Campos, voire les Petits Gris, la communauté Saint-Martin…
— Je ne cherche à regrouper personne, mais je vais même aller plus loin : le 1er décembre, j’ai organisé au Centre Saint-Paul un débat avec un orthodoxe bien connu sur la place de Paris, Jean-François Colosimo. L’idée était de se demander : catholiques-orthodoxes, la fracture est-elle irréductible ? Parce qu’au fond l’œcuménisme qu’on a fait à la suite du concile est un œcuménisme marqué par l’esprit des Lumières, et qui cherche à élaborer un plus petit commun dénominateur impossible, introuvable.

L’œcuménisme réel est un œcuménisme qui se fonde sur la richesse de la Tradition. Dans la mesure où nous pouvons considérer que nous avons, avec les orthodoxes, des points communs extraordinaires et inexplicables par l’histoire seule, car la rupture a déjà presque mille ans, il est important de manifester une fidélité commune à la Tradition, en espérant qu’un jour le Bon Dieu nous réunisse. Il ne faut pas oublier que l’unité des chrétiens n’est pas le fait des hommes, l’unité des chrétiens est surnaturelle. Le cardinal Journet l’avait expliqué dans un petit livre, le premier qu’il ait écrit sur l’union des chrétiens, et il se fondait sur des thomistes aussi sérieux que Billuard et Cajetan. L’unité des chrétiens provient de la grâce de Dieu. Elle est donc un fait divin, réalisée dans l’Eglise catholique, et pas un fait humain, que l’on obtiendrait à coup de marchandages. Ce que nous pouvons considérer, c’est que le grand facteur de l’unité est la Tradition. Non seulement la tradition comme idée, mais la tradition comme forme, la tradition comme liturgie, la tradition comme doctrine.
— Pour préciser simplement une espèce de paradoxe, quand on a déjà autant de mal à se mettre d’accord entre latins, comment peut-on prétendre à un accord y compris avec les orthodoxes sans tomber dans ce piège du mot œcuménisme qu’on nous ressort à tous les coins de rues ?
— Il me semble que c’est vraiment un des apports propres à Benoît XVI que de montrer qu’il n’y a d’unité possible que dans la vérité d’une part, et que cette vérité d’autre part on la trouve, non pas dans telle ou telle idée géniale de telle ou telle personne, mais on la trouve dans la tradition apostolique telle qu’elle vient jusqu’à nous. Dans la mesure où on adhère à cette tradition, on a une légitimité chrétienne, c’est aussi simple que cela. Par conséquent, je ne refuserai jamais aucune forme de dialogue. J’espère bien qu’un jour, au Centre Saint-Paul, des curés de Paris que je connais pourront venir parler, échanger, discuter ; j’espère bien aussi que le centre Saint-Paul puisse jouer son rôle de centre culturel chrétien, et être vraiment un ferment de tradition auprès de tous les esprits inquiets qui, parce qu’ils ont reçu la formation d’aujourd’hui, n’ont pas encore aperçu l’importance de ce facteur traditionnel et en restent finalement à leur petite liberté de conscience subjective. Il est clair qu’on n’arrivera jamais à l’unité des chrétiens sur la base de la liberté de conscience, avec ses choix aléatoires !
— Dans Valeurs pour un temps de crise, le Pape se présente comme le gardien de la mémoire de la vérité de l’Eglise. N’est-ce pas une idée qui est pleine d’espoir pour nous ?
— Je pense que vraiment Benoît XVI a l’intention d’être pape dans toute l’amplitude de ce terme, si anti-moderne que cela puisse paraître à nos contemporains ; et donc il a l’intention d’être le témoin de la vérité comme le Christ l’a été. Et quoi qu’il puisse lui en coûter. Il a évoqué les loups lors d’un de ses tout premiers discours, ça n’est pas pour rien. Je crois que le Pape fera là où il est tout ce qu’il peut faire, qu’il ne peut pas tout faire, et qu’il nous appartient, à nous, d’aider le Pape, et de faire ce que nous pouvons faire, avec la liberté qui nous est donnée, avec cette parole libre qui doit pouvoir décomplexer l’Eglise issue du concile, et lui faire retrouver la fierté de sa source divine.
— Pour changer un peu de sujet : vous avez été sorti de la Fraternité, à votre corps défendant, vous avez fondé le Centre Saint-Paul pour continuer le combat de la foi catholique. Celui-ci n’a donc pas été créé comme un ersatz de la position qui était la vôtre au sein de la Fraternité.
— J’avoue que, à travers le Centre Saint-Paul, j’ai créé quelque chose que j’avais toujours eu envie de faire dans la Fraternité, mais qu’elle ne m’a pas donné l’occasion de réaliser, et à partir du moment où elle m’a donné congé, eh bien j’ai pris ce congé comme un signe de Dieu.
— Vous aviez Pacte et Certitudes…
— … qui allaient déjà dans le sens où je vais actuellement. Mais vous n’êtes pas sans savoir que je viens de créer un mensuel, Objections. Le soustitre me semble suffisamment explicite : « La vraie Tradition est critique ». Le but de cette revue, au format magazine ? Faire entendre une parole entièrement libre sur l’Eglise et pour l’Eglise. Combien de journalistes déjà m’ont dit leur plaisir de pouvoir écrire, dans Objections, même sous pseudonymes, ce qu’ils pensaient devoir écrire mais que personne n’osait publier. L’Eglise meurt d’une trop grande licence donnée à la contestation sous toutes ses formes et d’une absence de liberté laissée à la foi véritable. Comme l’écrivait Pascal, dans une crise peut-être aussi grave que la nôtre : « Jamais les saints ne se sont tus. » L’Eglise meurt du silence qu’elle a fait trop souvent régner en son sein par voie d’autorité pure. L’Eglise meurt aussi des coteries qui voudraient bien se partager (odieusement !) les dépouilles de leur mère. Nous entendons, nous, réprouver l’esprit de chapelle, sous toutes ses formes. Et puis… chercher l’unité pour ellemême, cela ne sert à rien. Seule la vérité nous unit !
— Est-ce que vous n’êtes pas en train de changer de discours et, comme ils disent tous, de vous « rallier » ?
— Lorsque j’ai créé le Centre Saint-Paul, mon souci a été essentiellement de continuer le combat de la Fraternité Saint-Pie X, dont je crois que c’est le plus beau combat sous le ciel, le combat pour que soient restitués aux fidèles catholiques les formes spirituelles de la tradition catholique.
— Combat abandonné par la société que vous veniez de quitter ?
— Non ! je ne cherche pas à juger la Fraternité Saint-Pie X en elle-même. Il m’est arrivé de juger le supérieur de la Fraternité Saint-Pie X ; je crois qu’il était difficile de ne pas le faire étant donné les circonstances. Mais je ne jugerai jamais, je ne critiquerai jamais la Fraternité Saint-Pie X, parce qu’il me semble que, dans la liberté qui lui a été providentiellement donnée par les sacres de 1988, elle a essayé de rendre le beau témoignage à la vérité que l’on devait attendre de fidèles chrétiens.
— Quelle est l’activité fondamentale du Centre Saint-Paul ?
— L’activité la plus visible du Centre Saint-Paul est liturgique, parce que la liturgie porte en elle tout le génie du christianisme, et chaque messe basse manifeste, de manière géniale et divine, l’ordre dans lequel Dieu veut que nous vivions. Mais, au-delà de cette activité liturgique, nous proposons des cours et des conférences, que l’on ne trouve pas ailleurs, dans un esprit d’amitié catholique, que l’on trouve trop peu ailleurs. Voilà, je crois, l’idéal du Centre Saint-Paul : proposer aux catholiques leur culture, dont ils ont été séparés par le laïcisme de l’Etat d’une part, par la révolution culturelle conciliaire d’autre part, proposer donc aux catholiques leur culture, et la leur proposer dans une atmosphère qui est celle de l’amitié catholique, et d’une amitié qui est inconditionnelle parce qu’elle essaie d’être une image de la charité.
— Vous venez de publier L’évidence chrétienne. Qu’entendez-vous par là ?
— Ce titre s’est imposé à moi, parce qu’il m’a semblé que, au fond, aujourd’hui, si décrédibilisée que puisse paraître l’Eglise, la morale chrétienne reste la seule morale universelle actuellement disponible. La morale laïque a fait naufrage depuis Mai 68, et les hussards noirs de la République sont un souvenir nostalgique peut-être pour certains mais rien de plus. La morale musulmane comme la morale juive sont des morales communautaires. Il me semble que seul le christianisme propose, au-delà de la loi, une morale – universelle, parce qu’elle est divine, humaine, parce qu’elle a pour auteur le Créateur de la nature humaine.
— Votre espérance pour demain ?
— Le propre de l’espérance, en tant que c’est une vertu théologale, c’est qu’elle n’a pas d’objet connaissable. Une vertu morale a un objet qui est connaissable par l’homme, mais une vertu théologale a un objet qui est forcément divin. Nous ne connaissons ni le jour, ni l’heure. C’est Dieu, dans sa providence, qui dirige tout. Mais notre espérance ne peut pas nous être enlevée, parce qu’elle est la manifestation concrète de notre foi lorsque cette foi affronte le temps qui passe.

mardi 24 mai 2005

Mascaret/La Palombière: "A propos du Centre Saint Paul"

Repris du site du Mascaret, Bulletin Catholique Girondin

- M. l'abbé, sans vouloir vous offenser, quelle drôle d'idée avez-vous eu de créer un Centre Culturel Chrétien dans la capitale !

Je ne sais pas si, vu de Bordeaux, il s'agit d'une drôle d'idée, mais en tout cas, depuis l'ouverture, le moins que l'on puisse dire c'est que les Parisiens sont au rendez-vous. Malgré les vacances, nous avons eu le 1er mai, fête de Saint Joseph, une inauguration en fanfare, avec la communion donnée dans la rue par M. l'abbé Barthe, tellement les fidèles se pressaient à l'intérieur. Et l'on peut dire que le succès ne se dément pas, que ce soit à la messe ou aux conférences, avec sans cesse de nouvelles têtes aux diverses activités proposées...

- Pourquoi insister ainsi sur les « nouvelles têtes » comme vous dites ?


Parce que le but du Centre Saint Paul n'est pas de constituer une paroisse bis ter ou quater mais d'être un foyer ardent de vie chrétienne, un lieu où l'on vient se ressourcer, bref un Centre de passage. Nous avons bien sûr une petite communauté extrêmement soudée et chaleureuse, mais il ne s'agit pas de la laisser se refermer sur elle-même. Nous voulons accueillir quiconque se présente, qu'il vienne pour la première fois ou qu'il soit un visiteur occasionnel. La question qui se pose, c'est : comment évangéliser aujourd'hui ? Comment « passer sur l'autre rive » selon le mot de saint Paul dans les Actes des apôtres  ? Et la première chose que nous devons garder à l'esprit, c'est que l'apôtre n'évangélise pas pour lui-même : autre est celui qui sème autre le moissonneur dans le champ du Seigneur. Il me semble qu'un bon moyen de semer, c'est de diffuser la culture chrétienne, aujourd'hui largement mise sous le boisseau non seulement à cause des choix arbitraires opérés par l'enseignement laïque dans notre culture nationale, mais parce que ceux qui devraient être les champions de cette culture chrétienne sans complexes, ne la connaissent pas, n'en ont pas saisi la richesse ni le pouvoir d'attraction. Etre chrétien aujourd'hui, non seulement c'est nécessaire, d'une nécessité de salut, mais, c'est beau et noble ! Encore faut-il se donner la peine d'enraciner sa foi dans une culture, pour ne pas apparaître comme sans cesse sur la défensive ou dans une bulle de protection.

- M. l'abbé, je remarque que vous utilisez le mot “chrétien”. Est-ce pour ne pas employer le terme sans ambiguïté de “catholique” ?


Pas du tout ! Mais je reconnais que l'on m'a déjà posé la question lorsque j'ai parlé de Centre culturel chrétien. Au XVIIème siècle, Bossuet ne se gênait pas pour s'adresser à ses paroissiens en les appelant « chers chrétiens ». Se dire chrétien, christianus, c'est porter le nom du Christ. Il n'y en a pas de plus beau ! Puissions-nous être un peu ce que nous disons que nous sommes, puissions nous vivre en chrétiens et témoigner de ce nom, car « il n'y en a pas d'autre, au ciel et sur la terre, par lequel nous puissions être sauvés » ! 

- Pouvez-vous nous dire quels sont vos projets d'avenir ?
Il est un peu tôt pour dévoiler les batteries du Centre Saint Paul, les cours, les sessions, les groupes d'étude, l'observatoire chrétien de l'actualité etc Nous verrons cela à la rentrée. Je pense organiser dès le mois de juin une grande brocante de “livres autour d'un verre”, qui s'intitulera Livres en tête. Pour l'instant, nous avons un cycle de conférences spirituelles chaque dimanche après midi à l'occasion du mois de Marie. Si Dieu veut, au mois de juin, nous parlerons du Sacré Coeur. Outre ces Conférences spirituelles, nous proposons chaque mardi une Conférence sur des sujets plus ou moins brûlants, en toute liberté. Sur « Les défis de Benoît XVI », notre dernière conférence, M. l'abbé Aulagnier avait fait le plein, en communiquant à l'assistance un de ses enthousiasmes chaleureux dont il a le secret. Je voudrais souligner qu'avec toute sa fougue et sa jeunesse de coeur, l'abbé Aulagnier a accepté de devenir le chapelain de notre chapelle Saint Joseph, où il célèbre chaque dimanche deux messes, dont la grand messe. Son appui paternel et son amitié sacerdotale sont irremplaçables pour nous tous ! Personnellement, j'ai du mal aujourd'hui à séparer M. l'abbé Aulagnier de ce que vous appelez mes projets d'avenir...

Propos recueillis par Josiane Sauvêtre

lundi 2 mai 2005

"Le Centre Saint Paul" - par Yves Chiron - extrait d'Aletheia n°75 - 2 mai 2005

Hier 1er mai, en la fête de saint Joseph, l’abbé de Tanoüarn, exclu de la Fraternité Saint-Pie X en mars dernier, inaugurait le “ Centre Saint-Paul ”.

La messe a été célébrée, dignement et bellement, par l’abbé Aulagnier. Le sermon a été prononcé par l’abbé de Tanoüarn. L’abbé Barthe, autre exclu de la FSSPX[1], a aidé à distribuer la communion. L’abbé Guelfucci, qui fut mêlé à l’affaire de Bordeaux mais qui est toujours membre de la FSSPX – il est en fonction au prieuré de Tours – , assurait les confessions.

La chapelle, dédiée à Saint-Joseph, occupe le rez-de-chaussée du Centre Saint-Paul, dans le quartier du Sentier. Elle était pleine et plusieurs dizaines de fidèles ne purent y rentrer, tentant de suivre la messe depuis la rue.

Sans en faire la seule caractéristique du public nombreux qui se pressait à cette messe inaugurale, on dira qu’on y voyait plus de jeans que de mantilles.
Un “ foyer d’énergie spirituelle ”
Dans son sermon, l’abbé de Tanoüarn a présenté le Centre Saint-Paul. Il a parlé longuement, sans notes. Il n’est pas inutile, pour ceux qui s’interrogent sur les ambitions et les intentions de l’abbé de Tanoüarn, de rapporter l’essentiel de ses propos.

Il s’est défendu de vouloir créer une “ paroisse rivale ” (sous-entendu de Saint-Nicolas du Chardonnet), même si trois messes y seront dites chaque dimanche et jour de fête – à 9h, 11 h et 19 h. Le Centre Saint-Paul, a-t-il dit, sera “ plus et autre chose ” : un “ foyer d’énergie spirituelle ”. Dans une société déchristianisée, où “ nous, chrétiens, sommes en quelque sorte en terre étrangère ”, il y a “ nécessité de rayonner le christianisme ”. D’où le patronage de saint Paul, l’Apôtre des Gentils.

Mais, dans le même temps, la chapelle (aménagée en dix jours), a été dédiée à saint Joseph, parce qu’elle se trouve dans la rue Saint-Joseph, au numéro 12. L’abbé de Tanoüarn voit aussi un “ intersigne où la Providence se manifeste ” dans le fait que cet aménagement et cette inauguration se fassent aux premiers temps d’un nouveau Souverain Pontife, prénommé Joseph au baptême, devenu Benoît XVI.

Dans un beau parallèle spirituel, l’abbé de Tanoüarn a présenté la double vocation de la chapelle Saint-Joseph et du Centre Saint-Paul : saint Joseph, dans l’Histoire Sainte, est “ l’homme du dépôt ”, selon l’expression de Bossuet, “ il garde ce que Dieu a donné de plus précieux au monde : son Fils et la Mère de Jésus ” ; saint Paul, lui, “ diffuse, répand le dépôt ” de la Bonne Nouvelle. Double mission donc pour le Centre Saint-Paul : “ Pas de diffusion sans conservation, sinon nous serions dupes de nous-mêmes ”.

Ces belles et bonnes intentions spirituelles se concrétiseront par la prédication et l’enseignement. Outre les messes, il y a tous les dimanches de ce mois de mai, à 16 h 30, la prédication d’un Mois de Marie, par l’abbé de Tanoüarn. Il y aura aussi, tous les mardis de mai et de juin, à 20 h, des conférences. Au programme, le 3 mai, une conférence de l’abbé de Tanoüarn, consacrée à “ L’héritage spirituel de Jean-Paul II, ombres et lumière ” ; le 10 mai une conférence-débat entre l’abbé Aulagnier et Michel De Jaeghere sur “ Les défis de Benoît XVI ” ; le 17 mai, une autre conférence-débat entre l’abbé de Tanoüarn et un mystérieux interlocuteur pseudonyme (“ Petrus ”) : “ Le sédévacantisme, est-ce un débat tabou ? ”. Suivront, les mardis suivants, des conférences d’Aymeric Chauprade, d’Yves Amiot, de l’abbé Laguérie et de l’abbé Christophe Héry.
“ L’autre rive ”
L’abbé de Tanoüarn, en rassemblant autour de lui, en ce jour, plusieurs exclus d’hier ou d’avant-hier, n’entend pas lancer une sorte de “ Fraternité Saint-Paul ”, concurrente de la Fraternité Saint-Pie X et des autres fraternités qui se sont créées par scission. Pas une fois, dans son sermon, le nom de la FSSPX n’a été prononcé.

En même temps, sans y insister, il a exclu toute tentative de négociation d’un statut auprès des autorités ecclésiastiques diocésaines (et romaines ?) : “ pas de mesquines négociations juridiques ” a-t-il dit. 

Quand, dans la tranquille certitude de son sermon, l’abbé de Tanoüarn explique aux fidèles : “ nous ne sommes pas statiques, nous passons sur l’autre rive ”, que faut-il entendre ? La rive quittée est-elle celle où se trouve la Fraternité Saint-Pie X, d’où sont issus les quatre prêtres qui se trouvaient là hier ? Ou, “ l’autre rive ” est-elle celle de la réconciliation avec le Saint-Siège dont l’abbé Aulagnier est un ardent partisan depuis plusieurs années maintenant ?

Aux intéressés à répondre. Je ne me permettrai pas de préjuger des intentions des uns et des autres, intentions qui, d’ailleurs, ne sont peut-être pas convergentes.

Le Centre Saint-Paul deviendra, peut-être, un pôle supplémentaire de l’apostolat spirituel et intellectuel qui caractérise d’autres lieux attachés à la Tradition. On songe, par exemple, à la Fraternité Saint-Vincent Ferrier, qui existe depuis vingt-cinq ans maintenant, et à sa revue Sedes Sapientiæ [2].
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NOTES

[1] C’était en 1980, pour sédévacantisme.

[2] Dans le dernier numéro paru de la revue (Société Saint-Thomas d’Aquin, 53340 Chémeré-le-Roi), n° 91, 8 euros, on lit un long entretien avec le P. Louis-Marie de Blignières, Prieur et fondateur de la Fraternité. Une version, abrégée, de cet entretien avait déjà paru en janvier dernier dans L’homme nouveau. Le P. de Blignières s’explique, notamment, sur son changement de position, en 1987, sur la liberté religieuse et le sédévacantisme.

vendredi 15 avril 2005

Création du Centre Saint Paul - article dans Le Mascaret

Chacun sait que la Fraternité Saint Pie X traverse une crise grave depuis le 15 juillet 2004. Cette crise ne consiste pas seulement en “un éternuement à Bordeaux” comme certains ont souhaité le faire accroire. Les nombreux contacts que j'entretiens avec différents confrères me portent à penser que Bordeaux n'a été qu'un révélateur. Cette crise sera longue, elle durera au moins jusqu'à l'élection du nouveau supérieur en 2006. Elle est globale. Elle se manifeste comme une sorte de langueur, procédant d'une absence sentie de toute véritable finalité dans notre action ecclésiale. Au lieu de nous fixer sur de vrais combats, on nous a dressé les uns contre les autres et on a tenté de faire de nous des fonctionnaires du culte, des prêtres autocentrés, sans autre motivation que la régularité de leur service. Beaucoup de prêtres de la FSSPX souffrent en silence de cette situation, plusieurs prêtres déjà, parmi les plus audacieux, ont été exclus de notre société et l'hémorragie pourrait bien se poursuivre.C'est dans ce contexte douloureux pour nous tous que le 8 mars dernier, Mgr Bernard Fellay mettait fin arbitrairement à mes engagements dans la Fraternité Saint Pie X. Que faire alors ? Le prêtre n'est pas prêtre pour lui-même. Sa fonction est éminemment sociale. Il me fallait trouver une nouvelle manière de servir l'Eglise et de lutter pour que s'accentue toujours plus le mouvement de retour vers la Tradition, amorcé par la résistance de Mgr Lefebvre et qui, depuis, s'est poursuivi de mille manières dans la Catholicité.

Me rallier sans condition à un évêque diocésain ? Cela m'est apparu comme prématuré. Nous sommes fils de saint Pie X et nous devons rendre témoignage à la vérité, comme l'a fait ce grand pape. Un prêtre n'est pas un marchand, tâchant de caser son tapis de prière au meilleur prix ! La négociation intra-ecclésiastique ne me semble pas constituer un but en soi pour une vie sacerdotale. En revanche, notre combat pour les formes de la Tradition catholique, formes vitalisantes, formes revigorantes de la foi, est le plus beau combat qui soit sous le Ciel. J'entends bien le poursuivre, ce qui signifie que je dois garder une vraie liberté de critique du Concile et de ses oeuvres. L'élection de notre pape Benoît XVI permettra, d'ailleurs, je pense à cette critique constructive de sortir de l'underground où elle est tenue confinée depuis 40 ans et de se renforcer pour le plus grand bien de l'Eglise.

Dans cette perspective, que pouvais-je faire ?

Soutenu depuis le début par un groupe de laïcs généreux et compétents, j'ai décidé de créer un Centre culturel chrétien au coeur de Paris, le Centre Saint Paul. Providentiellement, nous avons trouvé un local ad hoc, au 12 de la rue Saint-Joseph. Et, puisque saint Joseph, patron de l'Eglise universelle et chef de la famille de Dieu nous a fait ce premier signe, il nous est apparu que le dimanche 1er mai, où nous le célébrons solennellement, était une belle date pour inaugurer ces locaux.
M. l'abbé Aulagnier m'annonce sa participation active à cette belle aventure. Il célèbrera donc, à 11 H, la grand messe d'inauguration. Un autre prêtre nous a d'ores et déjà promis son concours.

Je reviendrai très bientôt sur les objectifs que nous assignons à cette oeuvre, indissolublement liturgique et théologique, qui représente notre contribution au grand combat pour que “ la Tradition retrouve ses droits ” dans l'Eglise de Dieu.

Abbé G. de Tanoüarn

dimanche 6 mars 2005

Allocution de l’abbé de Tanoüarn - à l'issue de sa quatrième conférence de Carême - Paris

Je voudrais vous dire simplement que je n’ai aucune aigreur de ce qui s’est si mal passé ces derniers mois, je ne vais pas en refaire la genèse pour la n-et-unième fois, je crois que le passé est le passé. « Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas digne de moi », comme dit le Christ. J’étais en train de vous dire que du mal peut sortir un bien, par la charité. Je crois donc que ce qui arrive à la Fraternité aujourd’hui est un défi. Bien entendu d’abord pour moi, pour beaucoup, qui partagent mon infortune : l’abbé Laguérie, l’abbé Héry, l’abbé Aulagnier aussi (applaudissements), et je crois que ce mal est un défi pour toute la Tradition, et une sorte de mise en demeure d’avoir à montrer une véritable maturité dans les difficultés. Il me semble que nous commencions, si vous voulez, à être un peu comme ces juifs dont parle le prophète Jérémie, qui, alors que tout va mal, se contentaient de répéter « le Temple du Seigneur, le Temple du Seigneur, le Temple du Seigneur », c’est-à-dire : Nous avons Jérusalem, nous avons le Temple, rien ne peut nous arriver. Nous avons la Fraternité Saint Pie X nous sommes les meilleurs, nous sommes au-dessus de ce que souffre l’Eglise, rien ne peut nous atteindre. Eh bien je crois que ce qui nous atteint montre que nous ne sommes pas au-dessus de ce qui arrive à l’Eglise, que nous participons à notre manière à cet immense malaise que traverse le Corps mystique du Christ, que nous partageons les souffrances de ce Corps mystique. Il ne faut pas en faire tout un plat, c’est normal. Mais aussi que, eh bien, nous trouverons sûrement dans cette épreuve, une et plusieurs, je dirais mille et une opportunités pour rebondir. Car enfin, oui, allez, je le dis : il y a une vie après la Fraternité Saint Pie X. (applaudissements) Pour être plus précis, et pour éviter que cette parole soit éventuellement colportée et simplifiée, je dirais qu’il y a une vie après la Fraternité Saint Pie X mais qu’il n’y a pas de vie sans elle. Et que le service signalé qu’elle a rendu à l’Eglise de Dieu doit demeurer toujours dans nos mémoires, avec, pour moi en tout cas qui n’y suis plus, pour vous qui assistez – pour beaucoup d’entre vous- aux offices, avec un infini respect pour ce que cette Fraternité représente. Mais, je crois vraiment, que le monopole que la Fraternité avait de fait, va devoir aujourd’hui se transformer. Les hommes étant les hommes, les difficultés de gouvernement ayant été ce qu’elles ont été ces derniers mois, je crois qu’il y aura simplement une offre plus riche, je suis désolé d’utiliser peut-être un terme trop directement lié à notre vie quotidienne et économique, mais enfin, cet enrichissement de l’offre dans le monde de la Tradition ne peut être, me semble-t-il, à court terme, que bénéfique. Il ne s’agit donc pas de se lamenter, mais d’agir, et de savoir que si nous agissons avec force, Dieu confortera notre cœur. Viriliter agite et confortetur cor vestrum. La confiance en Dieu est vraiment ce qui doit nous faire entreprendre, pour la gloire de Sainte Eglise, et pour le salut d’un nombre toujours plus grand d’âmes, qui se sauveront pas la parole de Dieu transmise. (applaudissements)