jeudi 31 juillet 2008

Socrate en soutane [par Joël Prieur]


[par Joël Prieur] Voilà enfin disponible, pour la première fois en français, l’ensemble des enquêtes du célèbre Père Brown, le héros essentiellement banal imaginé par Gilbert Keith Chesterton prêtre sans charisme, détective sans pareil, qui perce le mystère du réel à force d’attention muette aux choses et aux gens. Cet été, payez-vous sans crainte cette petite promenade romanesque au cœur de la réalité ordinaire.
Le Père Brown cumule les handicaps : non seulement il est prêtre, roman catholic comme on dit au pays de Sherlock Holmes, mais il est myope et encombré, semble-t-il, de sa propre personne. Il fixe le monde de ses yeux écarquillés sans attirer l’attention de quiconque, se permettant simplement, d’une voix hésitante, de mettre sur la voie qu’il a découverte les experts qui, eux, voient clairement jusqu’au moindre indice, mais qui sont incapables de les identifier. La clé de l’énigme ? Ce Socrate en soutane la découvre en quelques pages, puisque, conformément au génie de son créateur Chesterton, il agit uniquement dans le cadre de courtes nouvelles, qui se succèdent, sans lien les unes avec les autres. Si l’on compte les trois récits, qui étaient restés inédits en français jusqu’à ce jour, on atteint le chiffre de 53 épisodes. 53 occasions de vérifier la logique sans faille du prêtre, 53 manières différentes de se plonger dans l’univers étrange et familier du romancier anglais.
En 1910, lorsqu’il invente ce personnage atypique, devenu sous sa plume une sorte d’archétype de la littérature universelle, Chesterton n’est pas catholique. Ce qu’il demande à son héros, c’est de lui montrer comment fonctionne un croyant. Nous sommes en plein scientisme. Bouvard et Pécuchet les deux cuistres savants de Flaubert ne sont pas loin. Le croyant est un être étrange, doué d’un étrange savoir. Chesterton, quant à lui, est simplement convaincu que la vie la plus ordinaire est bien trop romanesque pour que le scientifique ait le dernier mot à son sujet. Comment imaginer le vrai savoir et la vraie vie sans un minimum de poésie ? Les « hypothèses trop convaincantes pour l’être vraiment » se trouvent impitoyablement invalidées. Au lieu de regarder les choses de l’extérieur, dans la fausse objectivité qu’elles donnent à voir, le Père Brown, en bon prêtre qu’il est « essaie de se mettre dans la peau de l’assassin ». C’est là tout ce qu’il appelle son secret : un exercice spirituel.
Sans l’avoir cherché, sans l’avoir voulu, en 1922, le Père Brown est parvenu à convertir son créateur, Gilbert Keith Chesterton. Quant à Francis Lacassin, spécialiste du polar, auteur de cette édition, le moins que l’on puisse dire est qu’il est séduit, comme le montre sa très perçante postface. Alors, cet été, pourquoi pas vous ?


Joël Prieur

GK Chesterton, Les enquêtes du Père Brown, trad. nouvelles ou revues, éd. Plon Omnibus, 2008, 1216 pp. 28 euros

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire