mercredi 31 décembre 2008

Questions pour temps de Noël (II)

Jean-Vincent avait une deuxième question que je restitue de la manière suivante : le Christ étant appelé par Jean Paul II le nouvel Adam, peut-on dire que le salut est la restauration de l'humanité d'avant la chute ?

Si Jean Paul II appelle le Christ le nouvel Adam, c'est parce que l'expression se trouve dans la Première épître aux Corinthiens. Je crois qu'à elle seule elle répondra à votre question : "Le premier homme, Adam, a été fait âme vivante. le dernier Adam esprit qui fait la vie. Mais ce n'est pas le spirituel qui paraît d'abord. C'est le psychique puis le spirituel" (15, 45).

Ces appellations de "psychique" et de "spirituel" peuvent vous incommoder. Pour les comprendre, il faut faire un petit travail de vocabulaire : psychique remonte à psuché en grec, c'est l'âme comme forme du corps, pourvoyeuse de toutes les connaissances et de toutes les émotions. La théologie scolastique prendra l'habitude d'employer à ce propos le terme de "nature" ou de "naturel". Spirituel ne renvoie pas au grec noûs, l'esprit des philosophes, mais au grec pneuma, qui est incompréhensible si l'on ne remonte pas à l'hébreu rouah. Cet esprit ce n'est pas la fine pointe de l'âme ou une puissance naturelle dans l'homme, c'est le souffle de Dieu qui anime le coeur et l'esprit de l'homme. La théologie scolastique a pris l'habitude (n'en déplaise au cardinal de Lubac) d'employer pour désigner cette dimension ontologique divinement recréée dans l'être humain par le souffle de Dieu de parler de surnature ou de surnaturel. Je sais, ce n'est pas très poétique. mais cela a l'avantage d'être clair : on ne se sauve pas par ses propres forces, mais parce qu'un souffle surnaturel transporte notre existence de mammifère supérieur. L'évangile de saint Jean (chapitre 3) parle à ce sujet d'une nouvelle naissance : nous devenons des membres de la famille de Dieu si l'esprit de Dieu nous anime.

Note importante. Cet esprit ne nous est pas seulement extrinsèque. Il est créé en nous : "Crée en moi un coeur pur, Seigneur et innove dans mes viscères un souffle de droiture" dit le Psaume 50. Cet esprit vient de Dieu, mais il est en nous et il est nous. Les scolastiques occidentaux soutiennent avec la dernière énergie cette doctrine fondamentale de la grâce créée, face à certains Orientaux, qui lorsqu'il voit l'esprit pensent immédiatement à l'Esprit saint...

Et voilà je crois, cher Jean Vincent ce que l'on peut répondre à votre question : le Christ nouvel Adam restaure en quelque sorte la première création. Mais Dieu n'est pas restaurationniste ! Il innove. Il fait de nous des "créatures nouvelles. il faut comprendre cela de la manière la plus réaliste qui soit. La bonne nouvelle de l'Evangile ne nous laisse pas indemnes. Elle nous transforme profondément. Dieu en elle achève sa création, en rendant les mammifères supérieurs que nous sommes "participants de la nature divine" (I Petr. 1, 4). Participants ? Consortes, dans le latin de la Vulgate, est admirablement juste : c'est notre sort commun avec Dieu qui nous transforme en lui.

Le premier Adam, doués de toutes sortes de dons préternaturels qui le rendent parfait dans son humanité (en particulier le don de justice originelle c'est-à-dire la parfaite maîtrise de ses pulsions) ne pouvait pas imaginer un tel "sort commun" avec Dieu. Oh ! il parlait avec Dieu à la brise du soir comme un ami avec son ami, nous dit l'Ecriture. Mais il ne voyait pas Dieu. Et il ne vivait pas divinement.

Nous mêmes, il faut bien reconnaître que cette destinée surnaturelle (ou pneumatique dirait saint Paul) nous effraie un petit peu, et c'est par grâce, non dans un mouvement qui viendrait uniquement de nous mêmes, mais dans un élan de notre nature "pneumatisée" que nous désirons ainsi voir Dieu.

Le Christ, fils de Dieu venant sur la terre, a le premier reconnu le chemin. Il l'a fait en sens inverse, de Dieu à l'homme. Il nous assure que la voie est libre. Allons donc sans hésiter bien plus loin que le premier Adam, aussi loin que nous porte le désir nouveau que Dieu a mis en nous. Noël est ainsi vraiment la fête d'un désir sans limite et qui doit croître en nous au fur et à mesure que nous nous approchons du terme.

lundi 29 décembre 2008

Questions pour temps de Noël

Jean Vincent me pose magnifiquement deux questions que mon incompétence en informatique m'empêche de transporter ici (voyez les commentaires donnés au post : la foi, une évidence, ci-dessus). Antoine lui a offert de très belles réponses, mais je souhaitais prendre occasion des sujets qu'il aborde pour essayer d'approfondir notre théologie, en cette veille de Réveillon, tant il est vrai qu'il n'y a pas que la foie gras qui compte, même s'il a sa part.

Première question de Jean-Vincent : si la Vierge est immaculée dans sa conception, ne serait-elle pas immaculée dans sa maternité ?

Depuis les origines du christianisme, les chrétiens professent la doctrine de la virginité de la Vierge jusque dans l'enfantement et donc de la naissance miraculeuse de Jésus. L'abbé Belon, professeur de patrologie à Courtalain que je ne désespère pas d'attirer sur ce blog, vous donnerait certainement quantité de témoignages des Pères de l'Eglise sur ce sujet. Je dois dire que c'est le Père Ignace de La Potterie, jésuite, et c'est son livre Marie dans le mystère de l'alliance qui ouvre l'aperçu le plus spectaculaire sur ce sujet.

Pour cet éminent exégète, l'évangéliste Jean (celui auquel la Vierge a été confiée par le Christ du haut de la Croix cf. Jean 18) évoque d'une manière cryptée ce que les théologiens scolastiques appelleront plus tard "la virginité in partu" de Marie, sa virginité dans l'enfantement.

Trop fort ? Le raisonnement s'effectue en deux temps.

Premier temps : nous ne possédons pas actuellement dans la version la plus couramment utilisée le texte authentique de la fin du prologue de jean, mais une déformation gnostique de ce Prologue. (Les gnostiques étaient d'ailleurs coutumiers du fait). Nous lisons aujourd'hui : "Mais à tous ceux qui l'ont reçu, Il (le Verbe) a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, eux qui ne sont pas nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté d'un homme mais de Dieu".
En réalité Tertullien, à la fin de son De carne Christi attribue cette leçon du texte johannique à des marcionites. Pour lui le texte authentique est le suivant : "Mais à tous ceux qui l'ont reçu, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, LUI QUI N'EST PAS NE du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté d'un homme mais de Dieu". Les hommes que nous sommes sont tous nés de la volonté de la chair (il s'agit vraisemblablement d'une manière un peu misogyne de désigner la femme) et de la volonté d'un homme. Ce sont les gnostiques qui nient la réalité de cette volonté charnelle pour tous ceux qu'ils nomment les parfaits. Tertullien a donc raison de subodorer du marcionisme. Et Tertullien écrit entre 190 et 210. Son témoignage est bien antérieur aux manuscrits conservés de ce passage, qui datent du Vème siècle. Or il témoigne de l'existence de la leçon que nous avons reçu, mais aussi d'une autre leçon, objectivement meilleure, car tout à fait réaliste : le Christ n'est pas né de la volonté de la Vierge Marie (qui, souvenez vous, a tout fait pour décourager l'ange Gabriel). Il n'est pas non plus né de la volonté d'un homme puisque Joseph, père légal de l'enfant, a d'abord pensé à renvoyer sa fiancée en constatant l'événement.

La Bible de Jérusalem a donc adopté désormais cette version au singulier comme étant scientifiquement la plus probable. Fin de la première manche.

Deuxième temps : si l'on adopte la version au singulier, qui apparaît comme la plus ancienne dans la tradition du texte, il faut aller plus loin et essayer de comprendre l'expression : "Lui qui n'est pas né du sang". Soulignons pour compliquer l'analyse que le texte grec porte un pluriel, aimasi, scrupuleusement conservé par saint Jérôme, non ex sanguinibus (et non ex sanguine). Ce pluriel ne correspond à rien, ni en latin, ni en grec. Il ne signifie rien. En revanche, en hébreu, les sangs au pluriel, cela désigne toujours le sang menstruel. Le Christ n'est donc pas né "des sangs". Il est né, miraculeusement, en protégeant l'intégrité de sa mère. Les théologiens diront : préservée du péché originel, Marie ne devait donc pas accoucher dans la douleur.

Nous possédons, semble-t-il, dans ce fragment du prologue de l'Evangile de Jean une allusion claire à la virginité "in partu" de la Vierge Marie. Si certains trouvent cela "trop fort", qu'ils cherchent un autre sens à donner au pluriel de "sang" utilisé ici par Jean. Il n'existe à ma connaissance aucune autre explication de ce texte.

samedi 27 décembre 2008

Hommage à l'abbé de Tanoüarn

Non! non! je ne rends pas ici hommage à l'abbé de Tanoüarn, je ne fais partie d'aucun fan club et quand bien même, ce serait hors de propos. Non. Hommage (en quelque sorte) à l'abbé de Tanoüarn et à la cohérence de sa position... par un prêtre sédévacantiste, suite à l'article sur la légitimité de la messe. En gros, nous dit ce prêtre, soit l'on croit que Paul VI est pape et dans ce cas sa messe est légitime (et réciproquement), soit l'on croit qu'il n'est pas pape et l'affaire est réglée.

Voici la chose, diffusée par Virgo Maria, site à géométrie variable pour ce qui est du sérieux des textes.
“Globalement je crois que l’abbé de Tanoüarn dit plein de bonnes choses quant aux principes : il nettoie beaucoup de poussières accumulées depuis 40 ans dans les consciences des tradis. Notamment en disant qu’un rite du Pape est nécessairement légitime.

Finalement il ne reste que deux alternatives : se rallier, ou dire que Benoît XVI n’est pas Pape. La position de la FSSPX n’existe pas, elle est d’ailleurs un non-sens théologique, elle voudrait occuper un vide mais comment occuper “le vide” ?! Soit dit en passant, l’abbé de Tanoüarn bouscule aussi les ralliés qui ont gardé la mentalité de la FSSPX : ceux qui suivent l’IBP sans admettre la légitimité du NOM.

Mais ma critique de fond à ces lignes de l’Abbé de Tanoüarn, si elle ne touche les principes, touche leur application : le NOM. En réalité la critique fondamentale des tradi sur le NOM n’est pas qu’il est moins bon, mais aussi qu’il est mauvais, qu’il fait du mal (en soi, même si bien célébré), qu’il diminue en soi la foi. Et l’abbé de Tanoüarn l’admet lui-même : voir ses dernières lignes (”le rite de Paul VI transmet mal aux fidèles le Mysterium fidei dont il est chargé et que l’Eglise souffre chaque jour dans ses chairs exsangues, des équivoques de ce rite qui avait été pensé pour être le rite de tous les chrétiens, quelle que soit leur conception du sacrement et du sacrifice. Je suis convaincu que tant que l’Eglise ne redira pas clairement le caractère propitiatoire (ou simplement : réel) de son sacrifice, dans le monde a-religieux qui est le nôtre, la crise de la pratique religieuse continuera et le désert spirituel s’étendra”). Or le Pape ne peut rien donner de mauvais aux fidèles, c’est là l’affirmation la plus catholique qui soit (NDLR: Passage marqué en gras).

En réalité, contrairement à ce que dit l’abbé de Tanoüarn, on peut vraiment vraiment douter qu’un Pape puisse révolutionner toute la liturgie. C’est à dire qu’un Pape, chef de l’Eglise, reçoit pour mission de transmettre le dépôt révélé, de l’expliciter, de le préciser, de le défendre… jamais de le changer, de la travestir, de le nier. D’où la question : peut-on juger théologiquement une révolution liturgique comme celle de Paul VI (dans le fond, indépendamment des circonstances… même si les circonstances sont une aggravante et une résonance du fond) autrement que comme une atteinte au dépôt révélé ?

C’est à dire un vrai Pape peut-il changer toute la liturgie comme il l’a fait ? Si l’on considère que les protestants acceptent le NOM comme valable pour eux, si l’on se souvient des hérésies protestantes sur la Messe, et toutes les autres en matière de liturgie, si l’on pense à l’adage Lex Credendi, Lex Orandi, si l’on se souvient surtout que le Très Saint Sacrifice de la Messe est l’écrin le plus précieux de l’Eglise, le poumon du Corps mystique du Christ (poumon au sens où la grâce qui le fait vivre passe essentiellement par la célébration quotidienne de la Messe, et l’abbé de Tanoüarn l’a bien compris, ses lignes citées plus haut en témoigne) le doute laisse place à la certitude : un vrai Pape ne peut cautionner cette réforme liturgique.

Légitimité de Paul VI et légitimité de la réforme liturgique ne font qu’un : en voyant le NOM, je le refuse, et donc je comprends que Paul VI n’est pas Pape (ou au moins le doute me vient). Une fois certain de l’illégitimité de Paul VI (aussi par d’autres voies : liberté religieuse, œcuménisme, personalisme, etc.) alors toute la réforme liturgique perd toute légitimité à priori. N’est-ce pas là le cheminement du Père Guérard des Lauriers : du Bref Examen Critique à la thèse de Cassiciacum ?”

vendredi 26 décembre 2008

Sculpter l'émotion

Lendemain de fête : repos. Au programme, une exposition sur les Vierges à l'Enfant à la Cité de l'architecture et du patrimoine, Palais de Chaillot (anciennement : le Musée des Monuments Français). Rencontre inopinée (et peu loquace malgré mes bonnes intentions) avec toute l'équipe pastorale de Saint-Nicolas du Chardonnet, en visite guidée.

Je ne suis pas un spécialiste, mais ce qui est particulièrement touchant dans ces moulages, tellement précis qu'ils sont comme identiques aux originaux, c'est l'émotion des visages de Vierge, une émotion saisie par le ciseau du sculpteur, et qui reste palpable aujourd'hui sur le visage de la Vierge de Dampierre par exemple.

La statuaire grecque a produit des chefs d'oeuvre d'équilibre et de grâce. Elle n'a jamais su saisir cette émotion qui transparaît dans la sculpture médiévale, tout comme d'ailleurs et de tout autre manière dans la sculpture baroque du Bernin (Oh ! Le rapt de Proserpine ou Daphné transformée en laurier).

Cette émotion de la Vierge qui sait quel enfant elle porte, parce que son corps de Vierge le lui rappelle sans cesse, fait de Marie la première chrétienne, celle qui nous apprend ce que croire veut dire. Elle n'a pas besoin des anges portant la bonne nouvelle aux bergers. Elle est celle qui a cru, comme le lui dit Elisabeth sa cousine. Son exemple nous montre comment les fêtes de Noël sont par excellence les fêtes de l'émotion.

Le problème d'aujourd'hui c'est de croire que l'on rejoint l'émotion de Noël par la consommation, alors que la seule émotion vraie est celle qui vient de l'intérieur. Noël, fête de l'émotion, est une fête de l'âme.

Oh ! Cela n'empêche pas le foie gras. Ca le rend encore meilleur !

samedi 20 décembre 2008

La foi, une évidence ?

Elle est forte, oui trop forte celle là me dit en substance Serge, le séminariste polonais de notre convict romain. La foi une évidence ? Comment est-ce possible ?

Réfléchissons. La foi ne peut être qu'une évidence pour le martyr et peut-être plus encore, car son témoignage est quotidien et il dure longtemps, pour le missionnaire, ce géant de la foi qui au XIXème siècle, s'en allait de l'autre côté du monde, vers l'inconnu, sans espoir de retour. Le saint ? Le martyr ? La foi fait partie de sa vie au point qu'il préfère la mort à la tiédeur ou au reniement. Vous me direz : mais ce sont des êtres et des situations exceptionnelles, que nous ne connaissons pas dans notre petite vie ordinaire. Est-ce si sûr, que nous soyons condamnés à l'ordinaire, au banal ? Un chrétien peut-il se contenter d'une espérance banale ? D'un amour minimum ? D'une foi au rabais ? La demi-foi, ça n'existe pas ! La foi, surnaturelle dans sa source comme dans son terme, est nécessairement extraordinaire. Ou bien elle n'est pas. J'ai été très frappé par le mot de Martin Mosebach dans L'hérésie de l'informe (p. 34) : "La foi, c'est ce que nous faisons comme une évidence". Ce qui m'a frappé dans cette phrase, c'est que Mosebach dit "nous", comme si nous devions tous accéder à ce degré de foi qui nous fait entrer dans l'évidence... L'évidence, c'est sans doute ce que la foi possède d'extraordinaire (en théologie on préciserait : ce qu'elle possède de surnaturel)

Et pourtant Serge a raison de me résister sur ce coup-là. Je le lui ai dit du reste, non sans envie pour la liberté de sa remarque. Saint Thomas d'Aquin lui-même explique que croire et savoir sont deux actes différents et que la foi n'est pas un savoir. Que vais-je lui trouver d'évidence, s'il est vrai, comme l'expliqua naguère Descartes que toute évidence procède du savoir, dont elle constitue comme une sorte d'abrégé triomphant ? Parce que la foi n'est pas un savoir, elle a partie liée avec le doute. Le doute, loin d'empêcher la foi la signale un peu comme les querelles dénoncent les amoureux. Alors ? Que va-t-on chercher d'évidence en tout cela ?

Non seulement la foi n'est pas un savoir scientifique (scientia dit saint Thomas), mais la foi semble souvent défier les certitudes modestes qui forment la trame de notre vie quotidienne. Un exemple ? La sagesse de monsieur Prudhomme professe couramment que "l'argent ne fait pas le bonheur mais il y contribue". L'Evangile nous enseigne : "Heureux les pauvres car le Royaume des Cieux est à eux", "Il est plus difficile à un riche d'entrer dans le Royaume des Cieux qu'à un chameau de passer par le trou d'une aiguille" etc. Dieu ne mâche pas ses mots ! Il ne nous propose pas, en guise de credo, les certitudes au rabais que peut nous laisser le Journal de 20 H. Les augures, pensifs, en déduisent : la foi est devenue bien difficile à notre époque. Penses-tu, à notre époque ! Tertullien disait déjà au IIème siècle : "Je crois parce que c'est absurde (ineptum)". Chaque époque connaît sa difficulté de croire...

Mais alors d'où vient l'évidence ? Dans le beau livre plein d'humanité qu'elle a intitulé Le sourire de Dieu (éditions du Rocher 2008), Irina de Chikoff, qui, au Figaro déjà possédait le don de nous émouvoir, cite cette belle formule de Michel Serrault, qui peut nous aider à débroussailler un peu notre sujet : "La foi fait partie de mon existence. Si on ne l'a pas pour récupérer, pour transformer le sens de la vie, tout devient un peu dérisoire et même pathétique".

Comment ce qui fait partie de mon existence, comment ce qui transforme ma vie ne serait pas évident ?

Il y a deux sortes de vérité, ai-je répondu à Serge. Il y a la vérité scolastique, la vérité scientifique, dont la formule est "l'adéquation de l'esprit et de la chose". Cette vérité-là est immédiatement accessible à la conscience. Elle est l'objet d'un savoir, que ce savoir soit hautement spéculatif ou bassement pragmatique. Mais justement (c'était du reste l'objet de notre cours) : la foi ne relève pas de je ne sais quelle conscience religieuse. Ni non plus d'ailleurs, par ricochet de la liberté de cette conscience religieuse. Ce serait un délire, disait déjà le pape Grégoire XVI, d'imaginer que la foi relève de la conscience humaine. Elle vient forcément de bien plus haut et, à cause de cela, elle ne se laisse pas juger par la conscience.

Et puis il y a une autre vérité, celle qui nous transforme en elle, celle qui transforme notre vacuité en plénitude, ou, si ces mots vous semblent trop fort (n'en ayez pas peur !), celle qui permet de "transformer notre vie" (mais oui Michel Serrault), de transcender sa texture toute animale en la gonflant du souffle de Dieu, qui est l'esprit, tellement supérieur à la chair.

Je cite souvent une formule de Michel Foucault, qui indique que même un agnostique, un douteur professionnel, grand coupeur de cheveu en huit, même un sceptique patenté comme lui avait deviné que l'évidence de la foi provient, en nous, de l'intuition de la nécessité d'une vérité transformatrice. Citons cette formule magnifique, tirée du dernier volume de Dits et Ecrits (p. 535) : "Je sais que le savoir a le pouvoir de nous transformer, que la vérité n'est pas seulement une manière de déchiffrer le monde (...) mais que si je connais la vérité, alors je serai transformé et peut-être sauvé. Ou alors je mourrai, mais je crois de toute façon que c'est la même chose pour moi".

L'évidence de la foi n'est pas objectivable, comme le serait l'évidence scientifique. C'est une évidence transformatrice, une évidence qui se saisit dans l'action : "ce que nous faisons avec évidence" dit Mosebach. Non ce que nous pensons. ce que nous faisons. L'évidence de la foi est essentiellement opérative. Elle procède de l'autorité du Dieu qui, se donnant à nous, nous remet en marche. L'évidence de la foi n'est donné qu'à ceux que la théologie appelle très bien : viatores, ceux qui marchent. Du reste, comme le remarquait saint Paul, ceux qui ne marchent plus, cette foi, ils ne l'ont plus. Ils ont la vision de ce qu'a été leur marche. Vision de gloire. Vision d'horreur ?

Nous autres chrétiens, viateurs, nous sommes tous comme Diogène, obsédés par le mouvement, et nous prouvons la vérité en marchant.

Quant à ceux qui ne veulent pas de cette évidence ambulatoire ? ils marchent quand même, c'est la vie, mais alors, comme dit le Psaume, ils tournent en rond : in circuitu impii ambulant. Michel Serrault avait raison tout à l'heure de trouver ces rondes de l'impie (de l'homme sans foi)... "un peu dérisoire et même pathétique".

vendredi 19 décembre 2008

« Génération Benoit XVI, espérance de demain » - Entretien avec l’abbé Spinoza

Le metablog reprend ce texte cet article du n°6742 de Présent du samedi 20 décembre 2008

— Pourquoi cet ouvrage ?
Après de nombreuses années d’expériences comme enseignant et éducateur, je me suis rendu compte qu’il n’y avait plus d’ouvrages simples qui présentent à la fois une introduction générale à la vie spirituelle mais également une apologétique chrétienne pour les adolescents de notre époque. La principale difficulté que j’ai rencontrée était d’arriver à construire des questions-réponses autour d’un personnage fictif, Jean, qui symbolise le jeune chrétien du XXIe siècle. C’est donc un récit vivant avec une histoire suffisamment réaliste dans laquelle le lecteur est impliqué directement.
Jean est un adolescent de 14 ans. Il est catholique de tradition familiale, convaincu, mais maladroit par manque de formation.
Ainsi, il va voir en rêve successivement saint Augustin, saint Grégoire le Grand, saint François de Sales, et enfin saint Thomas d’Aquin.
— Cela signifie-t-il que ce livre ne s’adresse qu’aux garçons à partir de 13 ans ?
Non. A la suite des conseils donnés par mes différents correcteurs, j’ai élargi le public en incluant également les filles de cet âge. Plusieurs d’entre elles m’ont contacté par courriel pour me faire part de leur satisfaction. Il en est de même pour les garçons. Je m’adresse surtout aux adolescents de tradition chrétienne qui souvent, durant cette période de leur vie, se posent des questions existentielles qui demandent des réponses précises et simples.
— Mais pourquoi le proposer également aux parents ?
Je reprendrai une réponse communiquée par une de mes correctrices : « C’est une bonne lecture, qui rafraîchira la mémoire des parents, et ouvrira l’intelligence des jeunes en les amenant à réfléchir correctement sur des sujets accaparés par le relativisme intellectuel de notre temps : la vérité, la liberté et l’amour. » Les parents pourront ainsi appréhender avec leurs enfants des questions fondamentales comme celle de l’amour humain et du lien qu’il y a à établir avec l’amour divin, principe et fin de l’action humaine pour tout chrétien. Une chose est sûre : il est facile d’accès pour les adolescents bien que les sujets traités soient complexes.
— Vous mentionnez qu’il s’agit du tome 1, pourquoi ?
Tout simplement parce que, en moins d’un mois, la première édition est presque épuisée. Les parents et adolescents en sont contents et attendent davantage. Aussi, avec mon éditeur, Lionel Marcilleau, nous sommes convenus de créer la collection « Adolescents aujourd’hui, saints de demain » pour les 12-17 ans qui a pour fin de renforcer la foi des jeunes gens et de la mettre en œuvre. Dans la continuité du tome 1, il s’agira de donner aux adolescents des réponses pratiques adaptées à la psychologie de cet âge. Le tome II est prévu pour la rentrée 2009.
— Comment se procurer cet ouvrage ?
Le mieux est de l’acheter dans vos librairies catholiques ou de les commander directement à la Barque des Apôtres, la maison d’édition (internet) ou auprès de DPF. Il est en vente un peu partout même sur librairie catholique.com ou sur Amazone.fr. J’invite les parents et les grands-parents à l’offrir à leurs enfants et petits-enfants pour Noël.
Propos recueillis par François Franc
Article extrait du n° 6742 de Présent, du Samedi 20 décembre 2008

samedi 13 décembre 2008

Trois annonces suite à l'ouvrage "Génération Benoit XVI, Espérance de demain" de l'abbé Spinoza

L'abbé Spinoza nous signale trois annonces qui font suite à l'ouvrage "Génération Benoit XVI, Espérance de demain" aux éditions DFR que l'on peut se procurer auprès des librairies catholiques et sur Internet:
  • 5 janvier 2009: émission sur le Forum catholique
  • 14 janvier 2009: émission "le bistrot de la vie", radio-Notre Dame et RCF de 09h00 à 10h00 en direct
  • 22 février 2009: Le libre Journal des scouts avec Rémi Fontaine à 08h30. Thèmes abordés: - "Génération Benoit XVI" : finalité de l'ouvrage et originalité. - Une littérature spirituelle pour les adolescents "roman spirituel": nouveau genre?
Dans la lignée du premier ouvrage de l'abbé Spinoza, une collection éditée par DFR intitulée "adolescents aujourd'hui, saints de demain" a pour fin la formation spirituelle des adolescents garçons et filles en vue de leur sanctification. Le tome 1 "Génération Benoit XVI" propose une introduction générale et sera suivi en 2009 par un ouvrage dans la continuité littéraire du premier pour proposer aux jeunes le sens de la prière et son application dans le quotidien. (La seconde édition du tome 1 paraîtra en milieu de semaine prochaine puisque la première édition est presque épuisée)

Mais comment faire la fête ?

Je viens de signer la pétition Le dimanche, j'y tiens et j'ai reçu dûment confirmation de ma signature et du petit mot doux dont je l'ai accompagnée.

Le dimanche chrétien est-il en cause dans les réformes sarkozistes ? Sans doute ultimement.

Mais il faut bien reconnaître que pour la plupart des gens, le dimanche d'aujourd'hui est une plage de farniente, sur laquelle est posé le téléviseur de Vivement dimanche. Pas très passionnant !

C’est sans doute de cette morosité dominicale que les technocrates de l’UMP prennent argument. Ils veulent y porter remède en autorisant l’ouverture des Grandes surfaces. Autant dire : la consommation, encore et toujours plus, au secours du spleen. Le problème ?

Pour les gens qui ont les moyens, la satiété est devenu un état quasi-comateux. Selon l’expression consacrée et qui finalement dit bien ce qu’elle veut dire : on en a ras le bol. Eh bien ! Le bol continuera à déborder. L’obésité continuera à être un fléau. L’oisiveté dorée deviendra toujours d’avantage une sorte de cage dont il sera impossible de s’extraire.

Quant aux autres, déjà criblés de dette, dans le surendettement jusqu’au cou à cause de prêts-conso dont on ne leur avait pas expliqué le taux prohibitif des intérêts, ils continueront à cultiver leur insatisfaction et leur ressentiment, comme une névrose qui explosera un jour au l’autre en autodestruction ou en pulsions agressives.

Si nos dimanches étaient un peu plus festifs, on ne parlerait pas de les supprimer. Il faudrait que ces grandes manœuvres de la consommation à tout prix qui marquent le Parti majoritaire constituent pour tous l’occasion de créer un front du refus et de lancer une provocation à faire la fête.

Mais savons-nous encore faire la fête ? Il me semble que c’est la vraie question que pose la réforme du dimanche.

Qu’est-ce que la fête ? Dies festus, disent les Romains. Jour faste. Jour éclairé d’une lumière particulière. Jour de joie collective et pas jour de sinistrose collective. Pour nous, aujourd’hui, la fête, c’est la nuit, à la lumière artificielle des spots de la boîte la plus proche. Triste fête ! Défoulement plutôt. Défouloir à l’usage des frustrés de la vie ! Les Anciens connaissaient ces nuits blanches. Mais elle n’avaient rien à voir avec les « jours fastes », nimbés de la lumière des vraies fêtes.

Pour un chrétien, chaque dimanche devrait être un jour de fête. Le langage a gardé le souvenir de cet aspect festif. On parle encore de tenues endimanchées. Et lorsque Michel Drucker crée « Vivement dimanche », il perçoit, à travers le titre de son émission, cette vieille et sacrée impatience qui donnait aux communautés anciennes la joie de se réunir dans la même foi le jour du Seigneur.

Pourquoi, si souvent, nos messes sont-elles si tristes, comme si elles avaient pris la teinte de ce jour gris qu’est devenu partout le dimanche sans Dieu ? Pourquoi notre participation à la messe est-elle si terne ? Pourquoi faut-il tellement nous prier, ne serait-ce que pour répondre aux prières, pour chanter, pour marquer ce jour du caillou blanc qui est, dans l’Apocalypse, le signe de l’âme en fête, le symbole de la victoire sur la matière ? Alors qu’approche Noël, promu grande fête du foi gras et des huîtres, il faut nous redire qu’il n’y a pas de fête véritable qui ne commence (Apoc. 2, 17) à l’intérieur du cœur, dans le balbutiement d’une prière qui dise au Ciel et à la terre notre espérance d’homme debout, notre désir de triompher de la vanité ou de la vacuité du monde.

On ne décrète pas la joie en promulguant un jour chômé. La véritable joie, celle qui doit marquer nos dimanche, est une conquête. Dans le monde antique, le caillou blanc est donné aux athlètes victorieux. Alors que notre vie croupit dans le marécage de la banalité, nos dimanches, illuminés par la messe qui en est le cœur, doivent redevenir des jours fastes, où nous oublions un instant les pesanteurs de l’existence et où le temps qui nous est donné, au lieu d’être bêtement tué devant le poste de télévision, devrait être l’occasion d’ouvrir notre esprit et notre cœur, avec notre entourage, dans un échange non pas commercial mais vraiment enrichissant.

Si nous perdons le dimanche, c’est parce qu’en perdant la messe du dimanche, nous avons perdu l’esprit du dimanche.

Si nous gardons le dimanche, c’est parce que nous aurons su le rhabiller aux couleurs de la vraie vie.

Une contre-proposition utile pour y parvenir ? A l’heure où l’on va supprimer la publicité sur les chaînes publiques, je serais d’avis, pour permettre à nos dimanches de retrouver leurs couleurs, de supprimer la télévision le dimanche. Ce serait sans doute un grand pas vers la fête véritable, celle que l’on fait soi-même, sous le regard de Dieu.

mercredi 10 décembre 2008

Pilpoul sur la légitimité de la messe

Austremoine me fait l'honneur de revenir sur une vieille polémique, qu'avait accueillie le Forum Catholique il y a un an et demi : la messe dite de Paul VI est-elle un rite catholique légitime ? Il me reproche de le penser et de l'écrire.

Beaucoup de polémiques autour de cette légitimité ! Lorsqu'on aborde des questions brûlantes, en changeant un mot dans la tradition orale de la mouvance traditionnelle, on est immédiatement accusé de trahison. comme s'il y avait une sorte d'infaillibilité verbatim des analyses faites depuis 40 ans. Le recul du temps permet je l'espère de revenir sur ce sujet, sans soupçonner personne de se mettre trente deniers dans la poche.

Austremoine a choisi le site Christus imperat, et non as LPL, pour proposer une définition de la légitimité, qui lui permet de prouver sans coup férir que le NOM ne saurait être légitime. S'appuyant sur la définition d'un Dictionnaire des noms communs qu'il comprend mal, il veut nous imposer l'idée que légitime signifie juste : "On inclut donc ici une condition morale se rapportant à la vertu de justice. C'est cette notion qui définit principalement le concept de légitimité".

Cette équivalence entre la légitimité et la justice morale (ou encore, Maître T, entre la légitimité et le bien) n'a strictement aucun sens.

Je ne vais pas faire la chasse au dictionnaire ; l'usage en matière de langue me semble la règle suprême. Que dit l'usage ?

Voici deux exemples : il est évident qu'un mariage légitime (selon le droit humain ou ce droit de Dieu qu'est le droit sacramentel) n'est pas forcément un mariage juste (au sein duquel les deux époux trouvent leur juste place). Innombrable production littéraire sur la question. Deuxième exemple : il est évident qu'un régime légitime, c'est-à-dire conforme au droit fondamental, n'est pas forcément pour autant un bon régime ou un régime juste. Tout dépend des conditions dans lesquelles s'exerce ce pouvoir légitime.

Je voudrais prendre un troisième exemple où le mot "légitime" est pris en dehors de son registre (qui est celui du droit), dans un sens qui, ne lui étant pas propre, est indéniablement un sens figuré : "Après une matinée d'efforts, une bonne sieste est bien légitime". Pas l'ombre d'un droit, d'une loi ou d'une justice engagés dans cette expression. On veut simplement dire que dans de telles conditions une méridienne n'est pas reprochable.

Il est évident que dans un domaine aussi pointu que celui de la liturgie, je n'ai pas seulement songé à employer le mot "légitime" dans un sens figuré. J'étais au contraire en quête d'un terme propre qui désigne une dimension que la simple légalité formelle ne suffise pas à décrire.
J'ai beaucoup écrit sur ce sujet. Je ne me suis pas contenté de l'exemple de la loi sur l'avortement que cite mon contradicteur. Austremoine, dont les archives sont bien tenues, semble oublier l'essentiel de mon raisonnement.

Je disais que le droit positif ne suffit pas à embrasser le domaine des règlements liturgiques fondamentaux. Le pape ayant droit sur la liturgie (Justin Petipeu m'avait contesté ce point. Il semble être revenu aux positions de tout le monde sur cette question), il peut, comme souverain pontife, légitimement la modifier sans avoir, en droit, à consulter quelque corps électoral que ce soit. Ce droit n'est pas un droit humain mais un droit divin, lié au Munus sanctificandi et à la plenitudo potestatis qui est celle du pape en ce domaine. La promulgation d'une liturgie nouvelle relève de ce droit, qui introduit non une simple légalité moralement critiquable, mais une légitimité du rite, devenu de plein droit, malgré ses défauts, l'expression de la lex orandi dans l'Eglise catholique.

On me dit : vous ne pourrez plus critiquer ce rite. Vous serez obligé de le célébrer.

Non. La légitimité ne signifie pas la bonté. la légitimité d'un acte signifie sa conformité intrinsèque à un droit fondamental (et en ce sens, en ce sens seulement) à la Justice en tant qu'elle est la mise en oeuvre de ce droit.

Je vais prendre un autre exemple : il est légitime que des parents ne baptisent pas leurs enfants et personne n'a le droit de les y obliger. Cela ne signifie pas que cette abstention soit une bonne chose ou qu'elle puisse être exemptée de toutes critiques, évidemment.

Je crois que la légitimité, dans les trois exemples propres que j'ai donnés, n'implique aucune forme d'approbation. En revanche, elle exige, de celui qui doit la reconnaître, le respect. Un roi légitime, même mauvais, est respectable en tant que légitime etc. Ce que j'ai voulu montrer, c'est que la messe nouvelle, malgré ses défauts, en tant qu'elle est légitime, exige de notre part le respect (pas un respect approbateur, pas un respect affectueux, mais simplement un juste respect), parce que nous sommes catholiques et dans la mesure où nous le sommes.

Quelle est la différence entre légitimité et légalité ? La légalité concerne la loi humaine. Elle représente donc toujours au mieux un compromis entre le droit et le fait. Ce compromis peut susciter le plus parfait mépris, comme dans le cas de la loi autorisant l'avortement avant douze semaines (je ne parle pas d'un mépris pour les personnes en détresse mais d'un mépris pour les législateurs en quête de voix).

La légitimité concerne une loi ou un droit qui dépassent l'individu. Elle nous fait sortir, au moins momentanément, de toute appréciation subjective comme de tout jugement personnel pour requérir de notre part le respect d'un principe (en l'occurrence la plenitudo potestatis papae). Et peu importe que la loi ait été brutalement promulguée, n'en déplaise à notre cher abbé Aulagnier, si cette promulgation est légitime. Il ne faut pas confondre la portée d'une loi avec les conditions concrètes de son élaboration ou de sa mise en application !

Ce qui compte, lorsque se multiplient les observations les plus contradictoires et les plus déroutantes sur un sujet donné, c'est d'être capable de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain, de ne pas abandonner le principe parce que son application est difficile. C'est la situation de Job, qui maintient contre vents et marées, la légitimité de l'ordre divin qu'il ne comprend pas lui-même, malgré les leçons moralisatrices de ses amis...

Austremoine, permettez-moi enfin un message personnel, au-delà de ces distinctions sémantiques. Je crois que vous prenez un peu vos désirs pour des réalités, en m'imputant je ne sais quelle trahison qui n'existe que dans ce que vous voyez comme votre intérêt actuel. A moins que vous ne soyez déjà en train de justifier la non-réception d'un papier qui vaut un million.
Disons les choses de la manière la plus haute et la plus claire : l'accord que l'Institut du Bon Pasteur a signé avec Rome (et que vous voulez vous donner le droit de refuser de signer) ne nous empêche pas de penser et d'écrire que le rite de Paul VI transmet mal aux fidèles le Mysterium fidei dont il est chargé et que l'Eglise souffre chaque jour dans ses chairs exsangues, des équivoques de ce rite qui avait été pensé pour être le rite de tous les chrétiens, quelle que soit leur conception du sacrement et du sacrifice.

Je suis convaincu que tant que l'Eglise ne redira pas clairement le caractère propitiatoire (ou simplement : réel) de son sacrifice, dans le monde a-religieux qui est le nôtre, la crise de la pratique religieuse continuera et le désert spirituel s'étendra.

Une stratégie pour l'Eglise en France

Passionnante conférence de l'abbé Claude Barthe, ce 9 décembre au Centre Saint Paul. Pour la première fois, me semble-t-il, je perçois toute l'acuité et l'ampleur de son analyse. Je voudrais essayer d'en rendre compte.

A l'origine (dans les années 60) deux tendances : les "progressistes" et les "intégristes" (c'est-à-dire selon la terminologie d'Yves Congar lui-même dans un appendice célèbre de la 2ème éd. de Vraie ou fausse réforme dans l'Eglise "les catholiques de droite", excusez du peu !). Les catholiques de droite perdent la bataille. Restent deux forces en présence, autour de deux revues emblématiques : la gauche chrétienne, sûre de son Concile, s'est groupée autour de la revue Concilium. Un centre apparaît, d'abord un peu en marge, mais gagnant très vite des adhérents, déçus des excès post-conciliaires. Sa revue, c'est Communio, où trouvent refuge le Père de Lubac, von Balthasar et un certain Josef Ratzinger.

Il y a une version pastorale de la revue Communio, incarnée en France par les prêtres qui, à Montmartre, se sont groupés autour de Monseigneur Charles et dont le plus connu deviendra cardinal et incarnera ce que l'on va appeler la troisième voie : Jean Marie Lustiger, son mauvais caractère, ses intuitions fulgurantes, sa volonté de donner un visage conciliaire à la "droite" catholique (pour reprendre le mot de Congar). Jean Marie Lustiger, ami personnel de Jean Paul II, qui tentera de réaliser en France le programme du pape slave.

Cette troisième voie a le vent en poupe. Membre de la Congrégation des évêques à Rome, Jean Marie Lustiger pèse de tout son poids pour faire nommer ses poulains à la tête des diocèses français. Les résultats sont parfois contrastés : quel rapport entre Maurice de Germigny et Albert Rouet ? Le seul rapport pastoral entre les deux hommes, l'un évêque de Blois, l'autre archevêque de Poitiers, est qu'ils ont été poussés par le cardinal Lustiger. Logiquement, à la mort du cardinal, son successeur désigné, André Vingt-trois devient archevêque, cardinal et aussi patron des évêques français. La troisième voie semble à son maximum de rayonnement.

Las... Certains symptômes semblent indiquer que cette troisième voie marque le pas. Le "second souffle de Vatican II" comme disait Mgr Defois semble lui-même en quête du troisième. Particulièrement préoccupant est le nombre sans cesse en diminution des séminaristes, en France et particulièrement à Paris. Le cardinal Lustiger était parvenu à doubler ce nombre, en entretenant quelque 100 candidats au sacerdoce dans son diocèse. Aujourd'hui, le séminaire de Paris est revenu au niveau où il se trouvait au moment où le cardinal Marty a lâché les commandes. Et même - c'est symbolique - sans doute un peu en dessous. "La crise nous a rejoint" reconnaît désormais le cardinal Vingt-trois, adepte du parler vrai.

Qu'est-ce qui marche dans l'Eglise de France ? telle est sans doute la question que l'on doit se poser. De plus en plus nombreux sont les évêques qui s'intéressent à l'expérience de Toulon. Mgr Rey est aujourd'hui à la tête du plus important séminaire français, le séminaire de la Castille. Quelles sont les raisons de son succès ? comment caractériser ce qui pourrait bien être la voie de l'avenir, la quatrième voie ?

De deux manières : Mgr Rey n'entretient aucune animosité vis-à-vis des traditionalistes de son diocèse. il accueille même des séminaristes qui se forment dans le rite extraordinaire, ne leur demandant au fond qu'une chose : accepter de travailler, en plein respect, avec d'autres composantes de l'Eglise.

Mgr Rey, ancien de l'Emmanuel, jadis curé de la Trinité à Paris, croit aux communautés nouvelles. Il pense que l'Eglise a besoin de leur feu, que la société déchristianisé et a-religieuse dans laquelle nous vivons a besoin de missionnaires qui se sont réchauffés le coeur à des foyers ardents. Les communautés brésiliennes qu'il a accueillies dans son diocèse constituent le symbole de ce feu nouveau, qui donne un nouvel élan aux paroisses, une nouvelle souplesse aux vieux tissus de chrétienté.

En quoi cela nous concerne ? diront sans doute quelques traditionalistes inquiets du tour que prend mon analyse. Cela nous touche de très près.

Je crois que le péché de la troisième voie (ce qui aujourd'hui fait sa limite), c'est d'avoir misé uniquement sur une normalité paroissiale pour revivifier le tissu ecclésial. Normalité ? je veux dire : une liturgie standard. Une doctrine sûre mais jamais inquiétante ("Vouloir rassurer, c'est toujours contribuer au pire" écrit quelque part René Girard). Un catéchisme qui, comme l'explique l'affiche publicitaire, "ouvre des pistes" pour les jeunes. Une théologie qui hésite devant toutes formes de synthèse et pratique surtout le commentaire de texte, à l'image de ce que proposa jadis le Père de Lubac. Tout cela semble compatible avec le cadre paroissial dans sa diversité. Est-ce suffisant pour transmettre ? pour donner envie de transmettre ? pour faire des prêtres ?

Qu'est-ce que la "quatrième voie", incarné en ce moment par Mgr Rey ? Avant tout la prise de conscience de cette insuffisance et l'appel pour y pallier à la liberté des enfants de Dieu. De tous les enfants de Dieu, en particulier des traditionalistes. L'appel à jouer chacun avec ferveur sa partition dans la symphonie ecclésiale. Sans doute faut-il aujourd'hui cet élan symphonique des fidèles et cette confiance paternelle des évêques pour qu'un nouveau monde puisse naître sur nos ruines.

Surtout ne rien édulcorer. Donner. C'est pour l'Eglise.

dimanche 7 décembre 2008

(no comment) "le rite selon saint Paul VI"

Le Jour du Seigneur, retransmission télévisée de la messe, fête ses 60 ans. Le Nouvel Observateur pose quelques questions, par exemple sur la messe en latin. Réponse d'Emmanuel Bonnet qui sans être forcément coupable s'avoue "responsable de l'unité des programmes «messes télévisées»":
«les téléspectateurs, dans leur quasi-totalité, souhaitent suivre la messe selon le rite ordinaire - selon saint Paul VI -, celui qui a été établi par le concile Vatican II : face au peuple, et dans la langue du pays»
Voila qui règle la question du motu proprio. Mais le rite n'est pas tout. Le producteur de l'émission s'appelle Arnaud de Coral. Il est Dominicain, diplômé d'une grande école de gestion. Il s'interroge:
«Quelle est la valeur spirituelle, la validité sacramentelle de la messe quand elle est transmise par une image ?»
Il ajoute:
«Aujourd'hui, des personnes âgées ne pouvant se rendre à la messe se posent cette question. Dans beaucoup de maisons de retraite et d'hôpitaux, la communion est donc apportée au moment de l'eucharistie télévisée.»
Ouf.

Après le baptême d'Hector...

... ce matin, je réfléchissais à l'étrange beauté de ce prénom héroïque, qui évoque Achille, Patrocle son alter ego, la Guerre de Troie, la belle Hélène et tous ces héros qui sont "les saints" de la Grèce antique, Agamemnon, Ménélas, Ajax. Hector est dans l'autre camp, celui des perdants. Il n'en est que plus héroïque. Sa mort est annonciatrice de la défaite troyenne. Quoi de plus beau que de donner à un enfant un prénom héroïque ? Il suffit qu'il ait un saint patron en deuxième prénom pensais-je. Au pire son ange gardien fera l'affaire. Et lui se souviendra du héros chaque fois qu'on l'appellera par son nom. Etonnante logique des noms... ou des prénoms. Empire auquel il nous est bien difficile de résister. Empire auquel il est impossible de se soustraire.

Nous vivons des temps héroïques. Encroûtés dans la matière, nous devons mener pour l'esprit un combat héroïque et solitaire, que l'on pourrait dire perdu d'avance comme celui d'Hector. L'Eglise d'aujourd'hui doit fabriquer des saints ou mourir. Mais justement les saints sont les héros du christianisme.

Quant aux héros grecs, sont-ils si héroïques que cela ? Certes, ils possèdent en eux le "thumos" cet instinct victorieux, qui les met au dessus des autres mortels et leur interdit de "céder" (eikein en grec) à la faiblesse. Mais Patrocle meurt parce que stupidement Achille s'est retiré sous sa tente rêvant à Briséis la captive qu'Agamemnon a exigé pour lui seul... Hector meurt de la vengeance d'Achille. Et Ajax se suicide après avoir tué un troupeau de vache dans un accès de démence. Que valent ces héros ? Qu'est-ce donc que leur force vitale, si chère à Nietzsche et au premier Jünger ?

Il me semble que le courage chrétien est bien plus beau, parce qu'il naît non dans le thumos et dans les epithumiai, ces passions de l'âme qui sont tellement trompeuses, mais au profond de l'esprit, dans l'assurance dont il nous revêt. En ce sens, Paul fut un héros chrétien : "Nous avons trouvé en Dieu l'assurance de vous annoncer son Evangile au milieu de bien des combats" (I Thess. 2, 2). Sa vie est une aventure.

Serons-nous tous des saint Paul ? Assurément non!

Mais parce que nous sommes chrétiens, notre courage, n'en déplaise à Nietzsche, naît de l'esprit et non d'une obscure force vitale. Dans un volume de notes récemment publié Jules Barbey d'Aurevilly avait bien compris cette dimension (chrétienne finalement) du courage, né de l'esprit et non des profondeurs de l'instinct. Et parce que c'était avant tout un écrivain, la lâcheté l'intéressait encore plus que le courage. Il ne s'occupait lui ni d'Hector ni d'Achille, mais de ces médiocres que de toute sa hauteur il nommait ses contemporains.

Barbey écrit donc, non pas sur le courage, mais sur cette grande oubliée qu'est la lâcheté : "La lâcheté est le fond des esprits encore plus que le fond des caractères. On ne sait pas ce que la force de l'affirmation produit de trouble et de terreur autour d'elle. Toute la force du journalisme est venue de là : savoir affirmer".

La foi est comme l'inverse de toutes les intimidations, qu'elles soient médiatiques ou pas. Une affirmation tranquille et sans retour sur soi. C'est à la foi, et ce n'est pas pour rien, que Dieu promet le salut. A la foi intrépide, non à la Loi moutonnière. A Hector donc, et non au premier venu...

vendredi 5 décembre 2008

Emil Nolde, vous connaissez ?

Moi j'avoue que je ne connaissais pas. Mais l'exposition du Grand Palais vaut le détour. Difficile de caractériser ou de classer ce peintre. Expressionniste ? C'est trop tôt. Marqué par Van Gogh, né sur la frontière danoise et qui s'identifie à sa terre natale (Heimat) au point qu'il prend le nom du village où il est né (à l'état civil Emil s'appelle Janssen), cet Allemand est un "homme libre", resté à l'écart des écoles. Sa grande période de création et de combat esthétique s'étend sur les vingt premières années du Vingtième siècle.
Mais il meurt en 1956, bien après la Guerre, après l'expérience nazie à laquelle il n'est pas resté insensible, encensant Hitler "le génial homme d'action", alors même que son art était poursuivi, que son œuvre était traitée d'"art dégénéré". Le Régime finit d'ailleurs tout simplement par... lui interdire de peindre. Dans ces provinces du nord de l'Allemagne, en 1933, 1934, le Chancelier à moustaches a obtenu jusqu'à 75 % des voix...
Mystère de l'âme allemande, horreur de ce bellicisme que l'on peut bien qualifier de revanchard après 1918, et qui caractérise non seulement les résultats obtenus au Suffrage universel mais la vie culturelle elle-même, Outre Rhin. Il suffit d'évoquer l'oeuvre d'un Ernst Jünger à la même époque... dans La guerre, notre mère ou dans Le travailleur. Cette infernale exaltation de l'énergie brute ("Faire une débauche de nos forces, les gaspiller, faire jaillir tout le feu d'artifice en cent soleils et roues enflammées, brûler la force amassée avant le passage dans le désert de glace" écrit Jünger), voilà qui est typique de l'Allemagne de Weimar. On sait où cela va mener l'Europe et le monde. Nolde n'en est certainement pas là. La force qui l'habite est toute picturale. Mais, alors qu'il apparaît comme "gentiment de gauche" au début du siècle, après 1918 et le funeste Traité de Versailles, il évolue vers un nationalisme... forcément militaire, adhérant en septembre 1934 au NSDAP du Schleswig du Nord.
L'art de Nolde apparaît largement comme une sublimation picturale de ce culte de la force, si commun à son époque. Alors que les impressionistes français avaient quelque chose de presque féminin, lui, après Van Gogh et Gaughin, retrouve le culte de la violence picturale. La lumière chez lui n'a rien à voir avec les reflets dans l'eau que cherchait à capter la génération précédente. Elle a quelque chose de violent. De palpable. La peinture devient une sorte de vision maximale du réel, l'expression, pourquoi ne pas le dire, d'une sorte d'ardeur païenne à saisir la vie en même temps que d'une fougue chrétienne, qui pousse ce descendant de piétistes protestants, à se trouver, avec une sorte de passion rentrée, en dehors de ses toiles, dans la position de l'observateur qui scrute un au-delà du visible. le monde de la nuit l'a fasciné. Il sort beaucoup après la Grande Guerre. Non que comme les artistes de Montparnasse, à la même époque, il se croit obliger de sacrifier aux rites plus ou moins orgiaques du noctambule. Avec sa femme, Ada, il sort la nuit pour peindre. Juste pour peindre. Que peint-il ? Il peint... la nuit, dans une débauche de couleur, qui a quelque chose de repoussant et qui doit littéralement lui interdire, lui le peintre, de communier à ce qu'il représente.
C'est trop compliqué ? Faisons plus simple et allons droit au but (au but de ma visite, je veux dire). Nolde est un peintre religieux de premier ordre. On peut dire que sa peinture religieuse est même sans doute la partie la plus originale et la plus inspirée de son oeuvre. La plus violemment créatrice. Voyez son grand rétable de la Crucifixion. Rétable ? Il emploie le terme, car c'est un passionné du Moyen âge. Ce que l'on peut dire en tout cas c'est que l'ensemble de son oeuvre (même les toiles un peu répétitives ou "à la manière de" dans lesquelles il semble parfois se pasticher lui-même) se caractérise par l'intensité et la brutalité de la lumière. Mais dans son oeuvre religieuse, non pas d'ailleurs chaque fois mais souvent, il y a un mouvement des personnages que l'on ne trouve pas ailleurs chez lui. C'est un signe. Autre signe : il n'a jamais voulu se séparer de certaines grandes toiles religieuses, pour lesquelles on lui proposait pourtant des sommes coquettes. On a l'impression que là est son coeur caché, son élan secret.
Ces toiles, il faut bien le reconnaître, ont quelque chose d'halluciné. Mais elles touchent à une vérité profonde de la geste évangélique : Jésus et Judas. Le Christ et la pécheresse. Son invraisemblable et si douloureuse Pieta. On sent, cette fois, que Nolde n'est pas extérieur aux scènes qu'il voit. Il est ou il voudrait être dedans. Alors que, par ailleurs, ses personnages donnent trop souvent l'impression de sortir d'un film muet, avec des comportement saccadés et outrés de pantins désarticulés, alors que c'est la violence de la lumière venant battre leur visage qui compense souvent leur incapacité à se mouvoir naturellement (on est loin de l'art baroque!), alors que ses paysages ont parfois quelque chose d'écrasant à force d'être lumineux, dans les grandes toiles religieuses, il n'en va pas de même. Le mouvement vient du plus profond. Et le regard de l'amateur retrouve sa liberté.

On peut ne pas aimer l'art de Nolde. Mais on ne peut pas ne pas reconnaître qu'il nous fait voir des choses que nous n'aurions pas vues sans l'acuité de son regard et sans la brutalité incisive de son pinceau. On peut ne pas apprécier l'art chrétien de Nolde et penser, comme ses contemporains, que ce genre d'oeuvre n'a pas sa place dans une église. Mais on ne peut pas nier que pour lui, à un certain degré d'intensité, l'art et la religion s'identifie dans le service d'une même vérité, du côté de la lumière.

jeudi 4 décembre 2008

Courtalain et Pascal

Aujourd'hui, fête de saint François Xavier, baptiseur aux Indes, défricheur au Japon et jusqu'en Chine. Je donne cours de méthodologie au séminaire de Courtalain. Ah ! La méthodologie. Voilà un mot trop long pour être honnête, un mot rallongé. Il suffirait de parler de méthode.
Nous travaillons sur une brève pensée de Pascal : "La sagesse nous envoie à l'enfance".
Merveilleux Pascal. Sans crier gare, en cinq mots, il nous emmène dans tout ce que le christianisme a de plus choquant. Mais trêve de badinage. Nous sommes en méthodologie. Il faut traiter le sujet !
L'un de mes élèves, un séminariste qui n'a sans doute pas envie de se laisser choquer par Pascal, m'explique qu'il existe un rapport essentiel entre la sagesse et l'enfance, car l'enfance doit être attirée par la sagesse, "au sens noble du terme"... Oh ! Enfance moderne, désespérément en quête de matrice !
Il ne se rendait pas compte que Pascal, affirmant "La sagesse nous envoie à l'enfance", explique le contraire de ce qu'il imaginait lui, et que cette sentence pascalienne est tout simplement scandaleuse. Pour l'auteur des Pensées, c'est l'enfance qui doit être la matrice de la sagesse ! Pas de vraie sagesse qui ne soit passée à l'acide d'une véritable enfance !
La grande idée chrétienne, depuis saint Paul et le premier chapitre de la Première épitre aux Corinthiens, c'est que la sagesse humaine est une ineptie. Attention : Paul est bien trop avisé et bien trop philosophe pour dire : les sciences ou les savoirs de l'homme sont des inepties. Il dit simplement : la sagesse humaine est inepte, l'homme qui se prétend sage par lui-même est inepte. Aristote (peu suspect d'obscurantisme en son temps) disait la même chose dans les deux premiers chapitres de sa Métaphysique, expliquant que seul Dieu est sage et que l'homme ne peut être que l'ami de la sagesse, c'est-à-dire, au sens étymologique de ce terme le "philosophe"...
Les grands esprits, Aristote avec saint Paul, ont l'humilité de reconnaître qu'il n'existe pas véritablement de sagesse humaine, ou que la sagesse humaine est à peine digne de ce nom. Mais est-ce qu'ils ont compris, comme Pascal, lecteur de l'Evangile, que la sagesse réclame l'enfance, son absolutisme, la virginité de son regard sur les choses, son étonnement sur tout et son contraire.
Aristote n'était peut être pas très loin du compte : dans ces deux chapitres qui servent de préface à son Traité de Métaphysique, il estime que le commencement de la science, c'est l'étonnement. N'est-ce pas là l'attitude enfantine par excellence ? Comme nos savants auraient besoin de savoir s'émerveiller, comme Aristote. Leur science serait sans doute infiniment plus gouteuse et plus pertinente (ou plus impertinente) si ils avaient l'honnêteté de dire, comme Aristote, que leur volonté de savoir était née un jour non de je ne sais quelle frustration dont ils ne se seraient pas remis, mais de l'émerveillement qui les a saisi devant la beauté du monde.
Cet émerveillement nourrit aussi le séminariste qui, se formant loin des intégrismes idéologiques de tous bords, accepte de se plonger dans la Tradition, cette grande sagesse de l'Eglise avec sa riche diversité. Mon correspondant anonyme a raison de souligner, à l'issue du post sur l'humanisme, la profusion culturelle dans laquelle brille aujourd'hui la Parole de Dieu. Cette profusion, ce n'est qu'un écrin pour la foi qui est seule la "perle de grand prix" dont parle l'Evangile. Mais qui dira l'importance de l'écrin à l'heure où beaucoup, convertis par hasard, ont découvert cette perle par terre, abandonnée parmi tant d'objets trouvés et autres magots de brocante, comme un ornement passé de mode dont on ne voudrait plus se parer.
Remettre la foi dans son écrin de culture et de sagesse, quelle noble et terrible ambition pour le XXIème siècle !

mercredi 3 décembre 2008

(No comment) "Comme le veut la tradition..."

Dans L'Express (du Canada) nous apprenons que "comme le veut la tradition, le Village québécois d'antan (VQA), qui a accueilli pas moins de 100 000 visiteurs cette année, s'illuminera durant la saison hivernale" et que son marché de Noël se déroulera "dans les maisons centenaires de la rue principale du Village et permettra aux visiteurs de rencontrer de nombreux artisans et d'acquérir des produits originaux issus de différents lieux de production comme le Clos Saint-Denis, Les Délices de la nature" et quelques autres. Et comme c'est un village, et comme c'est d'antan, et comme c'est Noël: "Une messe en latin (avec chant grégorien) sera aussi célébrée à la chapelle du Village dans le cadre d'un Noël d'antan qui sera aussi proposé en forfait incluant un repas au relais d'antan, les 21 et 23 décembre." S'y prendre à l'avance: "Les personnes intéressées à cette activité devront toutefois réserver".
Le site du village précise: 39.95 dollars canadiens par personne , demi tarif jusqu'à 12 ans, viande de caribou au menu, avec soupe aux pois gourmande et pointe de pâté à la viande. Je me demande s'il y a du sirop d'érable.

lundi 1 décembre 2008

"Ne discréditons point l'humanisme"

me dit-un "lecteur potentiel" (c'est ainsi qu'il se définit) de notre nouvelle revue. Mais quel humanisme ? Toute la diffficulté de notre culture occidentale est dans l'équivocité de mots saturés de sens à force d'avoir trop servi.
Le "lecteur potentiel" (ainsi dois-je le nommer puisqu'il se pose lui aussi en "anonyme") prend un exemple qui me tient particulièrement à coeur : celui du XVIème siècle. Il a tout à fait raison de souligner que l'Eglise catholique à cette époque est du côté des humanistes et qu'elle a plutôt tendance à leur faciliter la vie. Erasme, le prince des humanistes, est un ancien moine, relevé de ses voeux par le pape, qui passera sa vie à lutter pour un christianisme vraiment évangélique, christianisme qui n'a rien à voir au demeurant avec l'esprit protestant qui souffle en Allemagne. Luther va prendre pour cible l'homme de Rotterdam et tenter, avec toute la vigueur de son verbe, de le convaincre d'erreur, au motif qu'il ose défendre la liberté. Dans son Traité du serf arbitre, qui porte bien son nom, Luther explique à l'humaniste que si l'on s'appuie sur certains texte de saint Augustin, il n'y a pas la moindre liberté. Dieu prédestine au bien ou au mal. Oui, "Dieu nous damne"!
Luther initie un courant foncièrement anti-humaniste. Il faut dire qu'en face de lui il a deux papes Médicis, Léon X (mort en 1521) et Clément VII (mort en 1534), qui eux poursuivent déjà cette politique qui fera le triomphe de la Contre-réforme après le Concile de Trente (à partir de 1545) et qui fait encore aujourd'hui la gloire de Rome : l'accord entre la foi et la culture.
Alors que "l'homo religiosus" est en pleine crise, c'est aujourd'hui plus que jamais la culture qui doit soutenir l'affirmation de la foi. A cet égard, l'intuition humaniste des papes de la Renaissance a été féconde. En notre période de déculturation, elle reste promise à un bel avenir, avec je dirais, une nuance de résistance nécessaire (c'est dans l'air comme dirait Yves Calvi). La culture baroque était un mode de vie. La culture d'aujourd'hui est forcément une manière de résister au conformisme athée qui nous entoure. Pas question pour autant de vivre arc-boutés ! Le réactionnaire est toujours en réaction contre quelque chose. Le chrétien est libre, comme dirait Erasme, libre par l'Evangile "cette force divine pour le salut de tous" (Rom. 1, 16).
Mais il y a bien d'autres humanismes que celui de Michel ange, de Raphaël ou de Mantegna (allez le voir au Louvre il est encore temps). Lorsqu'au lieu de se centrer sur la culture, l'humanisme apparaît comme une révolte contre toutes formes de transcendance qui ne soit pas la transcendance de l'homme, comment peut-on être humaniste ?
N'allons pas chercher les révolutionnaires, Marat, Lénine ou Dany le Rouge... Ceux-là, ils portent une révolte tellement viscérale qu'elle est inconciliable avec quoi que ce soit. Ils se sont enfermés avec les codes de leur propre révolte. Soit ils prennent le pouvoir et ça fait du sang partout, soit ils éructent, sans que personne ne les comprennent et ça finit toujours mal (pour Marat, c'était un peu des deux).
Mais il y a beaucoup d'autres manière de se révolter. Kant en prend acte lorsqu'il lance l'idée d'une révolution copernicienne en philosophie : ce n'est plus le sujet pensant qui doit se positionner par rapport au monde, c'est le monde qui tourne autour du sujet transcendantal. C'est encore une révolution direz-vous. Oui mais tellement bien mise en mots. Kant est une sorte de fleuve de papier que rien n'arrête, mais que l'on n'est pas obligé d'affronter. Un humaniste, lui aussi, un théoricien de l'autonomie du sujet, qui ne doit reconnaître, déclare-t-il, que la loi qu'il se donne à lui-même.
Aujourd'hui la phénoménologie, qui a tellement marqué notre nouvel académicien, Jean Luc Marion (élu par 11 voix sur 22 dans une Compagnie qui compte ordinairement 40 immortels), cette méthode qui sauve si bien les phénomènes qu'elle en a fait l'unique objet de sa visée, est encore et toujours à l'image d'un homme qui ne peut plus sortir de lui-même, qui ne connaît que lui, qui se dit le "là de l'être"... ou son berger. L'être est... là où est l'homme. Y a-t-il blasphème plus élaboré ?
Horrible humanisme qui ordonne l'être à l'homme, ou plutôt, soyons précis, à l'humanité de l'homme. Qu'importe, dans cette perspective, les personnes ! La phénoménologie ordinaire n'est pas personnaliste. L'homme lui-même doit se réduire à l'humanité de l'homme. Ou encore si vous voulez, à l'idée qu'il se fait de lui-même. On peut dire que le nazisme de Heidegger trouve là sa justification paradoxalement... humaniste.
Et Dieu dans tout ça ? Eh bien ! dit Marion courageusement (il le redit p. 414 de son dernier livre sur saint Augustin), Dieu sera sans l'être. S'il est un phénomène lui aussi (un objet dans le champ inévitable de la conscience), c'est un "phénomène saturé", qui obnubile toute jugement clair et dérègle toutes les pendules, tant il sature l'horizon de notre conscience. Que peut-on en dire de ce Dieu sans l'être ? Tout. Et son contraire.
Non cet humanisme là, heideggérien ou pas, ne me convient guère. Peut-être certains lecteurs vont-ils éclairer ma lanterne ? Me convaincre que je vois tout en noir, indûment. Je ne crois pas que Dieu puisse jamais sortir de la conscience de l'homme, je pense que toutes les tentatives philosophiques qui font dériver Dieu de la conscience, sont promises à l'échec et menacées par le démon de l'incroyance.
Cet humanisme-là, qui parle de l'homme comme du "là" de l'être, ne me semble au fond qu'un mensonge très adroitement ourdi, mais profondément inhabile à calmer les coeurs et à nourrir les âmes pour les faire grandir, pour les faire sortir du nanisme où elles végètent, faute au matérialisme ambiant
Alors l'humanisme ? S'il s'agit de cette philosophie qui fait dériver Dieu de la conscience qu'on en a (cette bonne vieille immanence vitale que condamna jadis saint Pie X dans Pascendi), je dirais d'abord que ce spiritualisme excessif n'est pas crédible.