mercredi 31 décembre 2008

Questions pour temps de Noël (II)

Jean-Vincent avait une deuxième question que je restitue de la manière suivante : le Christ étant appelé par Jean Paul II le nouvel Adam, peut-on dire que le salut est la restauration de l'humanité d'avant la chute ?

Si Jean Paul II appelle le Christ le nouvel Adam, c'est parce que l'expression se trouve dans la Première épître aux Corinthiens. Je crois qu'à elle seule elle répondra à votre question : "Le premier homme, Adam, a été fait âme vivante. le dernier Adam esprit qui fait la vie. Mais ce n'est pas le spirituel qui paraît d'abord. C'est le psychique puis le spirituel" (15, 45).

Ces appellations de "psychique" et de "spirituel" peuvent vous incommoder. Pour les comprendre, il faut faire un petit travail de vocabulaire : psychique remonte à psuché en grec, c'est l'âme comme forme du corps, pourvoyeuse de toutes les connaissances et de toutes les émotions. La théologie scolastique prendra l'habitude d'employer à ce propos le terme de "nature" ou de "naturel". Spirituel ne renvoie pas au grec noûs, l'esprit des philosophes, mais au grec pneuma, qui est incompréhensible si l'on ne remonte pas à l'hébreu rouah. Cet esprit ce n'est pas la fine pointe de l'âme ou une puissance naturelle dans l'homme, c'est le souffle de Dieu qui anime le coeur et l'esprit de l'homme. La théologie scolastique a pris l'habitude (n'en déplaise au cardinal de Lubac) d'employer pour désigner cette dimension ontologique divinement recréée dans l'être humain par le souffle de Dieu de parler de surnature ou de surnaturel. Je sais, ce n'est pas très poétique. mais cela a l'avantage d'être clair : on ne se sauve pas par ses propres forces, mais parce qu'un souffle surnaturel transporte notre existence de mammifère supérieur. L'évangile de saint Jean (chapitre 3) parle à ce sujet d'une nouvelle naissance : nous devenons des membres de la famille de Dieu si l'esprit de Dieu nous anime.

Note importante. Cet esprit ne nous est pas seulement extrinsèque. Il est créé en nous : "Crée en moi un coeur pur, Seigneur et innove dans mes viscères un souffle de droiture" dit le Psaume 50. Cet esprit vient de Dieu, mais il est en nous et il est nous. Les scolastiques occidentaux soutiennent avec la dernière énergie cette doctrine fondamentale de la grâce créée, face à certains Orientaux, qui lorsqu'il voit l'esprit pensent immédiatement à l'Esprit saint...

Et voilà je crois, cher Jean Vincent ce que l'on peut répondre à votre question : le Christ nouvel Adam restaure en quelque sorte la première création. Mais Dieu n'est pas restaurationniste ! Il innove. Il fait de nous des "créatures nouvelles. il faut comprendre cela de la manière la plus réaliste qui soit. La bonne nouvelle de l'Evangile ne nous laisse pas indemnes. Elle nous transforme profondément. Dieu en elle achève sa création, en rendant les mammifères supérieurs que nous sommes "participants de la nature divine" (I Petr. 1, 4). Participants ? Consortes, dans le latin de la Vulgate, est admirablement juste : c'est notre sort commun avec Dieu qui nous transforme en lui.

Le premier Adam, doués de toutes sortes de dons préternaturels qui le rendent parfait dans son humanité (en particulier le don de justice originelle c'est-à-dire la parfaite maîtrise de ses pulsions) ne pouvait pas imaginer un tel "sort commun" avec Dieu. Oh ! il parlait avec Dieu à la brise du soir comme un ami avec son ami, nous dit l'Ecriture. Mais il ne voyait pas Dieu. Et il ne vivait pas divinement.

Nous mêmes, il faut bien reconnaître que cette destinée surnaturelle (ou pneumatique dirait saint Paul) nous effraie un petit peu, et c'est par grâce, non dans un mouvement qui viendrait uniquement de nous mêmes, mais dans un élan de notre nature "pneumatisée" que nous désirons ainsi voir Dieu.

Le Christ, fils de Dieu venant sur la terre, a le premier reconnu le chemin. Il l'a fait en sens inverse, de Dieu à l'homme. Il nous assure que la voie est libre. Allons donc sans hésiter bien plus loin que le premier Adam, aussi loin que nous porte le désir nouveau que Dieu a mis en nous. Noël est ainsi vraiment la fête d'un désir sans limite et qui doit croître en nous au fur et à mesure que nous nous approchons du terme.

3 commentaires:

  1. Merci, M. l'Abbé, pour cette réponse développée ! Je voulais y revenir pour citer Saint Paul : "le Christ s'est fait homme pour que l'homme se fasse Dieu"... qui résume ainsi toute l'importance de la révolution opérée par l'incarnation. D'interlocuteurs privilégiés, nous passons au rang d'enfants de Dieu et de cohéritiers du Christ...

    A mon tour de vous soumettre une question : l'union hypostatique que le Christ réalise en se revêtant des deux natures et en ajoutant ainsi à sa nature divine notre nature humaine, a-t-elle qq chose à voir avec l'union des élus ressuscités avec Dieu dans l'éternité ?

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  2. Merci de cette excellente question, qui nous met au coeur de la théologie de l'Incarnation et aussi d'abord de notre destin personnel dans l'éternité. Je la garde pour... l'année prochaine !
    A très bientôt donc... après la trêve des confiseurs !

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  3. En évoquant, en conclusion, la voie libre ouverte par le Christ, vous donnez le plus solide fondement de l'Espérance.
    Vous avez formidablement répondu à mes questions. Entre autres aspects très éclairants, votre allusion à la doctrine scholastique de la grâce créée me paraît capitale. Merci, Monsieur l'Abbé.

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