mercredi 11 février 2009

Et maintenant l'apocalypse...

Quel est donc "cet être qui retient", dont parle Rilke, dans les vers cités par notre ami HP (voir post précédent) ?

Sa piété lui suggère que cet être est la Vierge Marie. Marie est effectivement le ministre de la miséricorde dans le gouvernement divin. Mais le texte allemand, cité par un lecteur en commentaire (Merci !), semble indiquer plutôt un personnage masculin.

Comment comprendre le Poète ?

Cette expression de Rilke est une citation de la Deuxième Epître aux Thessaloniciens (2, 7) : "Déjà le mystère d'iniquité est à l'oeuvre. Que seulement soit écarté celui qui retient, et alors se révèlera l'Impie, que le Seigneur détruit du souffle de sa bouche". Et un peu plus haut, on trouve déjà : "Ne vous souvient-il pas que quand j'étais parmi vous, je vous disais ces choses. Vous savez bien maintenant ce qui retient (l'homme de péché) et le contraint de ne se révéler qu'en son temps" (2, 5).

Ce passage a fait couler beaucoup d'encre. L'alternance du masculin (celui qui retient) et du neutre (ce qui retient) n'est pas pour rien dans la perplexité des interprètes.

Dans Le Nomos de la Terre, Carl Schmitt avance bravement que "ce qui retient", c'est... l'empire romain. Et il en profite pour justifier son pessimisme politique par... saint Paul. Si il n'y avait pas d'Empire, dit-il (s'il n'y avait pas de Führer pense-t-on), où serions nous ?

Il me semble évident pour saint Paul qui répète à l'envi qu'il n'a rien voulu savoir, au milieu de ses fidèles, que Jésus et Jésus crucifié que "celui qui retient" -"vous le savez maintenant" précise-t-il à ses correspondants fraîchement convertis - ce ne peut pas être l'empire romain ; c'est évidemment, ce ne peut être que le Messie que l'on appelle Christ en grec.

Mais, demanderez-vous peut-être, qu'est-ce qu'il retient ? Regardez le texte : c'est ce que saint Jérôme appelle "le mystère d'iniquité". Le mot latin iniquitas cache un vocable grec très éloquent : anomia, l'absence de loi. Le mystère de l'absence de loi est déjà à l'oeuvre dans l'humanité. Le mal poursuit sa terrifiante carrière, commencée dans les sifflement du Serpent au Jardin d'Eden, continuée par le meurtre du frère (tellement plus fréquent que le meurtre du père)... Anomia, l'absence de Loi : Dans la Genèse, ce mystère d'anomie culmine avec la Tour de Babel, cette grande illusion d'une humanité qui n'aurait plus besoin de dieu parce qu'elle serait devenu capable d'être à elle-même sa propre providence.

Le Christ est désigné comme "celui qui empêche" ou comme "ce qui empêche", au masculin et au neutre, car le Messie est souvent désigné aussi au neutre comme "le germe" ou "la semence" dans l'AT.

Le Christ est celui qui empêche l'humanité de se retourner contre elle-même, dans ce vertige de l'heautontimoroumenos, qu'avait chanté Baudelaire : "Je suis la plaie et le couteau et la victime et le bourreau". Lorsque le Christ disparaît, le Mystère de l'anomie prend sa place. Cette manifestation de l'Iniquité (de l'anomie) advient à chaque génération, comme semble nous prévenir le Christ dans une phrase célèbre qui a donné des sueurs froides aux exégètes : "cette génération ne passera pas que tout ne soit accompli". Le Christ n'évoquait pas la fin du monde, mais le déchaînement du mal, qui intervient à chaque génération. Il me semble que c'est ce déchaînement que pressentait le positiviste Jacques Bainville, avec sa fameuse formule : "Tout a toujours très mal été".

Et il me semble que dans cette répétition obsessionnel du Mystère d'iniquité, à l'oeuvre depuis le commencement, sont annoncées toutes les grandes catastrophes de l'histoire. C'est le drame de tous les spiritualistes optimistes, genre Leibniz : l'histoire humaine n'est pas cette sorte de pente douce qui conduirait sans heurt l'humanité vers une sorte d'apogée rationnelle. C'est plutôt une succession de catastrophes. Chaque génération connaît la sienne.

Face à la fatalité catastrophique, le Christ est celui qui retient. Dans sa Loi à lui, les pires maux deviennent des biens ("heureux ceux qui pleurent"), ce que saint Paul - encore lui - avait perçu, lorsqu'il écrivait aux Romains et la pitoyable impuissance de l'homme ("je ne fais pas le bien que j'aimerais faire etc.") et l'extraordinaire espérance qui nous soulève vers le Christ : "Tout coopère au bien pour ceux que Dieu aime, eux qui sont ses élus selon son libre dessein" (Rom. 8, 28).

Le spectacle du Mal à l'oeuvre dans le monde doit être un extraordinaire stimulant à cause de "Celui qui retient" : "Où le péché avait abondé, la grâce a surabondé" (Rom. 5, 20)... Les tornades de l'iniquité annoncent un printemps de paix dans la grâce.

Il me semble que les circonstances présentes, en ce qu'elles peuvent avoir de proprement sataniques ou apocalyptiques, supportent bien que l'on se rappelle se B.A BA de l'espérance chrétienne : de par Dieu, le mal n'existe que parce qu'il peut se transformer en bien...

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