jeudi 30 septembre 2010

Rentrée 2011: le catechisme va trinquer

Je vous annonce un net recul de la fréquentation du catéchisme, en France, à compter de la rentrée 2011. Non, je ne lis pas dans le marc de café! C’est tellement plus simple: La loi de 1885 prévoit «un jour par semaine, en outre du dimanche, afin de permettre aux parents de faire donner, s’ils le désirent, l’instruction religieuse». Typiquement, le catéchisme a donc lieu le mercredi, qui a succédé au jeudi au début des années 70. Pourquoi pas le samedi? La Croix explique que «mettre le caté le samedi matin pose le problème des départs en week-end, et des gardes alternées pour les familles monoparentales». J’ajoute que pour mettre ses enfants au catéchisme il faut se lever, chose que beaucoup de gens font moins rapidement le samedi qu’en semaine.

Mais il y a surtout plus triste: alors qu’un enfant sur quatre suit le catéchisme, il n’y en a qu’un sur trente qui assiste à la messe. Comme si le catéchisme représentait pour certaines familles un mode de garde intéressant (et gratuit), le mercredi, quand elles travaillent. Or le mercredi va sauter, en tout cas le mercredi matin, à l’école primaire. Ce n’est pour le moment annoncé que comme «une option», qui fera l’objet d’un «débat», ce qui signifie en clair que la décision est prise pour 2011, à l’extrême limite pour 2012. Le mercredi est le jour des activités non scolaires: foot, orthodontie, musique, catéchisme, danse, escrime. Puisqu'on supprime le matin (c’est la moitié du créneau), ces activités vont entrer en concurrence les unes avec les autres. Le catéchisme va trinquer, je vous l’annonce. Évidemment, les catholiques continueront à y envoyer leurs enfants, quel que soit le jour et l’heure. C’est pour les autres que c’est dommage, ceux pour qui le c'était le seul lien avec l’Eglise, leur dernière chance d’entendre parler de Jésus.

mardi 28 septembre 2010

[conf'] L'Église et l'immigration - par l’abbé G. de Tanoüarn

Mardi 28 septembre 2010 à 20H00 au Centre Saint Paul (12 rue Saint Joseph - 75002 Paris) - L'Église et l'immigration - par l’abbé G. de Tanoüarn - PAF 5€, tarif réduit à 2€ (étudiants, chômeurs, membres du clergé) - La conférence est suivie d’un verre de l’amitié.

dimanche 26 septembre 2010

Conférence aux Bernardins - "les dangers d'internet"

Je me suis rendu mardi à une intéressante conférence au Collège des Bernardins, trois intervenants y parlaient des dangers d’internet. Vaste sujet, que les 52 minutes d’exposé (suivie d'autant d'échanges) n’ont pas suffit à épuiser, à peine à esquisser, tant le sujet est vaste et multiforme. Les dangers sont aussi bien de se faire piquer son numéro de carte bancaire, de tomber sur des images… inappropriées, de se dissiper (le divertissement est à un clic de distance), de se prendre au jeu des réseaux sociaux quelle qu’en soit la forme. Il y a les addictions, les espions, les terroristes, les pédophiles, les publicitaires… rien de nouveau au fond si ce n’est qu’internet est une formidable contraction du temps et de l’espace. Face à cette complexité, des réponses tout aussi multiples – dont aucune ne semble évidente à mettre en place. Une coopération internationale ? mais sur quelle base ? des propos qui tombent sous le coup de la loi dans un pays sont légaux voir encouragés dans un autre pays (1). Le contrôle parental? plus d’un adulte doit faire appel à ses enfants pour l’installer. La discrète et bienveillance de ce que regardent vos petits? eux aussi savent ce que vous regardez. L’éducation? des millions d’ados téléchargent des centaines de millions de morceaux de musique, il faudra plus pour les convaincre de payer les «artistes» qu’une campagne ciblée «djeunz», qu'ils trouveront ringarde, par définition de l’adolescence. Des firewalls, des antivirus, et d’autres filtres? certes, mais c’est la course du voleur et du gendarme, chacun essaye d’avoir un coup d’avance. Ajoutez à tout cela que dans ce domaine, on est toujours à la fois le néophyte de quelqu’un et l’expert d’un autre. – Une conférence aussi ouverte que son sujet donc, le public est sans doute reparti avec plus de questions en tête qu’il n’en avait en venant, et c’est très bien ainsi.

Conférences des «Mardis des Bernardins» - 20 rue de Poissy, 75005 Paris – 5€
(1) Se pose aussi la question de la territorialité. On considère généralement que prévaut la loi du pays où le site est hébergé. Encore faut-il le connaitre. Si l'on prend ne serait-ce que le MétaBlog, qui est un site très identifiable et très revendiqué: Où sommes-nous hébergés? Sur les serveurs de Blogger. Qui sont situés… en plusieurs lieux. Quand vous lisez cette page, aussi bien, le texte vient du Texas et sa mise en page vient d’Europe, tandis que l’image vient d’Asie. Quand vous le relirez demain, si ça se trouve, ça aura changé.

Hip, cool, buzz… Vers la culture fric?

Article repris de Minute du 22 septembre 2010
Frédéric Martel publie chez Flammarion une « enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde ». Une occasion de mesurer les progrès de la mondialisation, non seulement en Europe mais dans le monde entier, et de découvrir les moyens dont dispose le Soft Power pour amuser l’univers en lui imposant une Culture dominante, celle que le marché aura plébiscitée, au nom du fric.

L’auteur de ce livre raconte l’entretien qu’il a eu avec Samuel Huntington, l’auteur à succès du best-seller mondial qui a lancé le concept de «choc des civilisations». Et il explique comment ce vieux monsieur distingué, pur produit des vieilles universités de la Côte Est, s’est tout simplement… endormi devant son interlocuteur avant la fin du repas. Le détail est cruel. Tout le monde sait que la vieillesse est un naufrage… Mais en l’occurrence, cet assoupissement, succédant assez naturellement à l’incompréhension, a valeur de symbole. Huntington imagine le monde d’il y a un demi-siècle et il y projette la situation actuelle pour prédire à son aise le fameux «clash» inévitable entre les grandes entités culturelles mondiales. Frédéric Martel fait l’inverse. Il se penche sur les grandes mutations des flux de «produits culturels» pour prédire une sorte d’harmonisation mondiale des contenus, avec, par exemple, l’Indien Bollywood en réponse à l’américain Hollywood. C’est exactement le scénario inverse, par rapport au choc annoncé: le mixage, le mélange, avec des dosages, respectueux de ce qui restera de l’identité de chacun.

«Des produits “universels”, formatés pour plaire à tout le monde»

Américanisation du monde? Pas seulement. Pas exclusivement. «La priorité des studios et des majors ne consiste pas seulement à imposer leur cinéma ou leur musique et à défendre un impérialisme culturel. Ce qu’ils veulent, c’est multiplier et élargir leur marché, ce qui est très différent. S’ils peuvent le faire avec des produits “américains”, tant mieux. Sinon, ils le font avec des produits “universels”, formatés pour plaire à tout le monde partout dans le monde, et n’ont pas de scrupule à en atténuer l’américanité. Et si cela ne suffit pas, ils n’hésitent pas non plus à financer et à réaliser des produits locaux, en les fabriquant à Hong Kong, à Mumbaï, à Rio ou à Paris.»

Ce nouveau conformisme est particulièrement pervers au sens où il ne s’agit pas d’une idéologie préfabriquée, fût-elle «soft», mais d’une perpétuelle adéquation de produits culturels manufacturés à la demande du moment. Dans cette nouvelle culture mondiale, il n’y a qu’un seul impératif, une seule géopolitique: le fric. Tel est le fond de la démonstration de Frédéric Martel. Elle fait mouche, lorsqu’on voit l’auteur sur toutes les chaînes de télé nous vanter les mérites de l’«entertainment» à l’américaine. Mais elle ne convainc pas lorsqu’il insiste sur le prodigieux retard européen dans le «mainstream» («le courant dominant») mondial.

Faut-il céder au chantage du marché mondial de la culture ou s’organiser en « contre-cultures » (un mot employé par Benoît XVI à Malte), résistant à l’unanimité consumériste? Poser la question, c’est y ré pondre. Et ne serait-ce pas le rôle, à nouveau pilote, de l’Europe que de développer cette contre-culture de la liberté, face au formatage mondialisé? L’avenir le dira. En tout cas, si la culture n’est qu’un produit parmi d’autres, ou un en semble de produits, alors l’homme lui-même, qui est forcément perfectionné par sa culture, va devenir une marchandise, dans un nouvel esclavage généralisé.

Ne nous croyons pas si démunis que cela dans la résistance spirituelle face à la marchandisation de l’esprit: le progrès des techniques de la communication a du bon. Il est de plus en plus facile d’éditer un livre. Cela devient un jeu d’enfant d’animer un blog sur Internet. Et pourquoi pas de réaliser, pour les diffuser via dailymotion ou youtube, ses propres clips, ses propres émissions?

Quoi qu’en pense Frédéric Martel, c’est la culture de masse qui est ringarde. Les contre-cultures, qui se multiplient, en particulier en Europe, semblent aujourd’hui, face au mainstream, porter déjà toutes les couleurs de l’avenir… Cela pourrait bien faire le jeu des extrêmes? Eh bien! Tant pis, notre liberté est à ce prix.

Joël Prieur


Frédéric Martel, Mainstream, Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde, éd. Flammarion, 469 pp. 27,50 euros port compris. Sur commande à : Minute, 15 rue d’Estrées, 75007 Paris

samedi 25 septembre 2010

[session] Session ennéagramme niveau 2 par un formateur agréé

Samedi 25 septembre 2010 à de 10H30 à 17H30 au Centre Saint Paul (12 rue Saint Joseph - 75002 Paris) - Session ennéagramme niveau 2 par un formateur agréé - Pour suivre cette session, il est requis de connaître la signification des neuf types psychiques qui composent l’ennéagramme. On peut se renseigner au préalable sur le site internet de l’Institut français de l’ennéagramme - Repas sur place. Inscription : 15 euros par personne.

vendredi 24 septembre 2010

Joyeux Anniversaire monsieur l'abbé !

Joyeux anniversaire, monsieur l'abbé de Tanoüarn, de la part de quelques personnes, MP, DM, RF, et les autres. Non pas anniversaire de naissance, mais anniversaire d'ordination. Les personnes qui veulent mettre un mot personnel à l'abbé de Tanoüarn peuvent le contacter par mail à gdetanouarn2@wanadoo.fr

Benoît XVI politique

Le voyage en Angleterre de notre pape s'est déroulé conformément à un processus désormais bien connu.

Trois phases : AVANT : les médias prédisent la catastrophe, soit en terme d'assistance (il n'y aura personne) soit en termes d'opposition (le pape va rencontrer des adversaires implacables). L'Angleterre n'est pas un pays catholique, comme chacun sait. Et c'est un pays travaillé en profondeur par la propagande irréligieuse issue, avant même les Lumières, de la diversité des sectes chrétiennes qui s'affrontent. Le consumérisme agressif ne trouve en face de lui comme force organisée que l'Église catholique. Il est naturel que le pape paraisse cristalliser les oppositions.

PENDANT : La douceur du pape, l'intelligence du pape, l'autorité tranquille de sa parole conquièrent tout le monde. Le voyage tourne au triomphe. Souvenez-vous, c'était le scénario africain ou, plus anciennement, turc. Et dans une moindre mesure, on retrouvait cela au Portugal. Cette fois la visite se déroule dans un grand pays de la Vieille Europe. Le scénario est le même qu'en Turquie, le même qu'en Afrique...

APRÈS : Il reste les textes. Puissants. Que l'on a entendu et que l'on garde sous le coude pour les méditer. Pour la première fois au Royaume Uni, un pape était reçu devant les deux Chambres le 17 septembre à Westminster Hall. Il en a pris occasion pour décrire les relations entre l'Église et l'État.

Il se fonde sur deux propositions apparemment antithétique : 1- L'Église catholique doit avoir un rôle public ou elle n'est plus l'Église 2- Mais la politique des États est en elle-même purement laïque. Il n'y a pas de politique spécifiquement chrétienne. C'est l'accès au Bien commun qui est la mesure de l'opportunité politique.

Rôle public de l'Église, laïcité de l'État et de son action. Cela ne vous dit rien ? Réfléchissez... Moi il me semble que cela a toujours été une perspective défendue par... l'Action Française. Il y a un très beau texte de Pierre Boutang dans Reprendre le pouvoir sur ce double principe.

Benoît XVI parle de "rôle correctif" de l'Église, parce que la foi, issue de la Parole de Dieu, peut, ici ou là, corriger la raison enfermée en elle-même et dans ses calculs. Le calcul rationnel, à court terme n'est pas infaillible, les plus grands politiques l'ont souvent expérimenté. Une vraie politique se laisse pénétrer des principes fondamentaux de la religion chrétienne, dans l'esprit du pape, avant tout le principe de fraternité: nous sommes tous frères parce que Dieu est notre Père et Jésus Christ notre Frère. Constatez que ce "principe de fraternité" est ici intrinsèquement religieux.

Avec cette idée, développée par le pape, de "correction" de la raison par les principes de la foi, on retrouve le thème du péché originel et le vieux thème chrétien selon lequel la raison ne suffit jamais, à elle toute seule, pour fixer et déterminer le bien humain.

mercredi 22 septembre 2010

Très belle soirée au Centre Saint Paul

Une assistance nombreuse, 60 personnes environ. Beaucoup de têtes nouvelles, dont un certain nombre venues par ce blog, que je salue. Puisque c'est moi qui ai pris le crachoir, je ne peux rien ajouter, mais j'étais ravi des questions et de la patience de l'assistance, qui... en redemandait.

L'enjeu ? La littérature comme démarche de vérité. Houellebecq n'a sans doute pas un style somptueux, comme le remarquait quelqu'un dans la salle. Mais il va au fond des choses. Oui ou non, la vie est-elle une maladie sexuellement transmissible sur fond de néant ? Oui ou non, la vie n'est-elle pas une dégradation permanente, ne menant à rien d'autre qu'à la vieillesse et à la mort ? L'un des zoïles de Houellebecq dit : ces questions sont banales. Sans doute. Encore faut il avoir le courage de les poser dans un monde ou résonne partout la bonne nouvelle... oui le nouvel évangile du sexe.

Comment sort-on du nihilisme ? Houellebecq n'est pas le premier à se poser la question. il est en revanche l'un des seuls qui évite les faux fuyant et assume la radicalité vraie de sa perspective.

Comment sort-on du nihilisme ? Notre auteur a plusieurs réponses, qui sont pour lui plusieurs natures. Il propose d'abord, avec son auteur fétiche Lovecraft, les livres et les films d'horreur. Ca rassure explique-t-il. Après, on a tendance à trouver que ce qu'on vit est... moins horrible.

Deuxième réponse : Auguste Comte, les Rahéliens ou les Elohimites : il faut créer une religion qui resocialise l'homme après l'échec du christianisme, une sorte de phalanstère sexuel où chacun est libre en principe mais finalement docile en pratique (c'est le tableau qu'il fait dans La possibilité d'une île de la secte des Elohimites). Dans cette perspective très "romantique" finalement (au sens de Muray, au sens d'une fusion cherchée entre sciences et spiritualité), tous chercheront docilement l'immortalité, que les progrès de la médecine ne manqueront pas de nous apporter sur un plateau.

Troisième réponse : H. critique la notion de réel et montre dans La possibilité d'une île, comment la vie "néo-humaine" devient virtuelle, en se délestant de la sexualité, du rire, de la souffrance. Allons-nous, dans une sorte d'euphorie pilulisée, gratuite et obligatoire, vers cette virtualisation ?

Quatrième réponse : le christianisme. il y a des textes solides pour étayer l'idée que Houellebecq est aussi crédible en chrétien qu'il ne l'est en rahélien.

Mais le propre du romancier, n'est-ce pas justement d'être plusieurs personnes en une seule ? Dans cette perspective le "romantisme" scientiste de Houellebecq devra se transformer en un profond sens du tragique... pour disposer au christianisme. On voit poindre quelques prémisses de cette évolution-conversion dans son dernier roman : la Carte et le territoire.

mardi 21 septembre 2010

[conf'] Le jansénisme paradoxal de Michel Houellebecq

Mardi 21 septembre 2010 à 20H00 au Centre Saint Paul (12 rue Saint Joseph - 75002 Paris) - Le jansénisme paradoxal de Michel Houellebecq - Une rentrée littéraire pas comme les autres par l’abbé G. de Tanoüarn - PAF 5€, tarif réduit à 2€ (étudiants, chômeurs, membres du clergé) - La conférence est suivie d’un verre de l’amitié.

Changement d'adresse (suite)

"Heureux ceux qui font la paix, car ils seront appelés fils de Dieu" (Matth. 5)

dimanche 19 septembre 2010

Le péché originel, les images et l'Infini

Nous avons beaucoup réfléchi au péché originel et à sa transmission, c'est-à-dire à la puissance du mal.

L'une de mes amis trouve que j'ai choisi la solution de facilité en prenant le thème ("intello") de la transmission du péché originel, sans mettre avant tout la question de son historicité. Quelques mots simplement sur cette question. Il est évident que ce texte sur les origines, c'est-à-dire sur ce qui nous échappe parce que comme dit Pascal, nous sommes "en un milieu", est un texte allégorique. Ce qui ne signifie pas un texte faux. Qu'est-ce qu'une allégorie ? Une approximation de quelque chose que - le plus souvent - il est très difficile de dire autrement. l'allégorie est une forme de l'analogie. Exemple dans l'Evangile : le Christ est le Bon Pasteur. Il faut comprendre : le Christ est aux fidèles ce que le berger est aux brebis. Cette analogie à quatre termes dans la tradition scolastique s'appelle l'analogie de proportionnalité.

Le texte de la Genèse est plein d'allégories. Exemple : le serpent. Comme dit Cajétan, dans son Commentaire, il est évident qu'un serpent "naturel" ne parle pas. L'apparence du Serpent nous renseigne sur le côté monstrueux, visqueux, froid du mal (voir Bernanos : l'enfer c'est le froid). Cette apparence nous montre aussi que le mal n'est pas seulement quelque chose, mais... quelqu'un. Qu'il a pris, avant la constitution du monde, une configuration personnelle.

On peut dire la même chose du fruit. Ce fruit, "agréable à voir et bon à manger", c'est avant tout celui qui permet de reconnaître l'arbre qui le porte. Il s'agit donc des oeuvres etc.

Peut-on décrypter le symbolisme du livre de la Genèse et remonter par rétroversion du figuré à l'original - c'est-à-dire à ce qui s'est passé à la manière dont cela s'est passé) ? Non. Ce travail est parfaitement vain à accomplir. Nous possédons pour comprendre cet événement du péché originel, qui a touché notre origine, un langage imagé, qui nous renvoie non à un original concret (de l'image à ce dont elle est l'image) mais plutôt à une signification abstraite, à une représentation conceptuelle sur l'état de l'humanité, qui est d'une extrême richesse et d'une extrême pertinence anthropologique, comme l'a dit et redit Pascal en termes inoubliables. Le récit de la Genèse contient la vérité de notre condition humaine, dans l'ensemble (le mal véritablement mauvais vient toujours de la liberté de l'homme qui choisit d'être comme Dieu) comme dans le détail (la pudeur n'est pas une vertu mais la conséquence de la chute). Aucun texte ne nous en dit plus sur nous mêmes que ces trois premiers chapitres au commencement du Livre.

Peut-on parvenir à la vérité à travers des signes ? Le rationalisme d'aujourd'hui refuse cette perspective analogique et imagine que ce que nous savons, nous le savons uniquement par un raisonnement formel - et en mettant de côté tous les signes, comme typiques d'un savoir populaire qui est un faux savoir. Je parle du rationalisme d'aujourd'hui. Mais à lire le De vera religione de saint Augustin (qui vient d'être réédité en français pour un prix très abordable - 19 euros - par les éditions Via romana : merci), le double jeu du rationalisme universel n'est pas nouveau : "Les philosophes, écrit l'évêque d'Hippone, se prêtaient avec le peuple à des actes religieux bien différents de ce qu'ils disaient à ce même peuple dans leurs enseignement particulier". La philosophie antique et la philosophie islamique ont toujours pratiqué la double vérité : une vérité pour les sages ; une vérité pour le peuple. Dans les enseignement ésotériques, les philosophes bannissent les signes. Ils ne sont pas capables d'en discerner la vérité.

Seul Socrate a expliqué qu'il fallait parfois "agripper à des traditions humaines comme à des planches qui formeraient un radeau" pour échapper au naufrage. Socrate... et le Pascal du pari, qui dit aux libertins : "Nous sommes tous embarqués". Contrairement à la vérité purement rationnelle et chiffrée, la vérité religieuse ne bannit pas les signes, mais les assume. Elle n'exclut rien (je parle là spécifiquement de la vérité catholique, c'est--à-dire universelle, à propos de laquelle Pascal a écrit ce génial : "Tout ce qui ne va pas à la charité est figure".

L'erreur du rationalisme c'est qu'il enferme la raison en elle-même : "solitude de la raison" disait Paul Alquié, qui en était un drôle pourtant de rationaliste. La beauté de la vérité religieuse, c'est que quoi qu'on en ait dit, elle n'exclut rien. Au contraire, elle offre le moyen de TOUT comprendre par des figures, ou plutôt de comprendre toutes choses comme étant des figures, non pas de la vérité, mais de ce qui la surplombe : la charité [encore Pascal : "La vérité sans la charité est une idole"]. La vérité religieuse n'est donc pas exclusive, mais inclusive. Attention : elle inclut tout "autre", non comme une réalité dans son économie (là on serait dans le grand bazar, dans le confusionnisme total - disons pour prendre un terme à la mode dans le mixage), mais comme une figure, comme un signe, positif ou négatif, de sa vérité à elle qui est la charité du Dieu personnel.

J'ai dit : TOUT comprendre. TOUT ? Donc aussi l'origine. L'origine nous est donnée en figure, parce que Dieu nous élevant à une science nouvelle de notre Destinée, en nous en dévoilant la fin, ne pouvait pas ne pas nous montrer le commencement. Mais il ne pouvait nous montrer le commencement dans sa réalité sans nous induire en erreur, alors même que nous ne sommes plus au commencement. Il nous a donc montré ce qu'il a pu nous montrer du commencement. Et ce trésor de science, de pertinence et de révélation, il l'a placé au commencement du Livre.

Pourquoi direz-vous, Dieu devait-il nous montrer quelque chose de notre commencement ? Ne pouvait-il pas, comme tous les philosophes libéraux, comme John Rawls, invoquer un nécessaire "voile d'ignorance" ? il aurait été plus crédible ! Cela lui aurait épargné d'avoir à utiliser le langage des signes.

Deux réponses : Dieu devait nous montrer ce commencement qu'il ne pouvait nous montrer que par signes, parce que "le commencement est plus que la moitié du tout" (Aristote). Il ne pouvait pas nous priver de "plus de la moitié" de la connaissance de nous-mêmes. Si nous nous ignorions nous-mêmes, où serait notre liberté ? Nous serions réduits aux impulsions qui nous traversent et incapables d'un choix.

Dieu pouvait-il s'épargner le langage des signes ? il nous aurait réduit à l'usage de la raison, c'est-à-dire à une connaissance analytique, une connaissance qui n'est un développement que parce qu'elle est l'analyse détaillée de ce qu'elle possède. Même Kant, l'homme des Lumières, n'a pas envisagé sans trembler d'abandonner l'homme à sa raison calculante, condamnée à refaire indéfiniment ses calculs sans jamais trouver la clé. Il a tenté de montrer que la Raison était capable de synthèse. Mais personne ne l'a cru. Hegel a invoqué l'histoire pour la faire, cette synthèse. Et l'on voit bien par la ruine des idéologies que cette synthèse [soi-disant rationnelle] était une foutaise.

Le langage des signes que j'appellerais aussi la connaissance analogique (connaissance par la ressemblance, c'est-à-dire l'approximation ou ce que Cajétan appelle "concept confus") est la seule qui puisse nous tirer hors de la répétition du Même : jusqu'à cet Autre, en dehors duquel il n'y a pas de salut.

Disant cela, j'espère avoir montré que les images dans la Bible (celles par exemple de notre origine) ne sont pas des pis aller, utilisés "pour le peuple" comme le disent dédaigneusement les rationalistes, Spinoza en tête, mais le moyen analogique de nous élever à une connaissance qui soit non une répétition de ce que nous sommes, mais la découverte d'une transformation possible : d'un salut.

Une seule certitude : le salut n'est pas en nous, mammifères supérieurs mais crevards. Il est dans le champ de l'Autre. Il ne nous est connu que par le prisme merveilleux de cette analogie qui nous transporterait jusqu'à l'Infini. Et Dieu lui-même, par respect pour nous, s'oblige à l'analogie, lorsqu'Il nous parle de l'Origine.

samedi 18 septembre 2010

Les moines de Tibhirine - Une vérité belle à voir et bonne à dire

Article repris de Minute du 15 septembre 2010

Xavier Beauvois,
qui nous avait habitués à des films sulfureux, revient, avec Des hommes et des dieux, sur le massacre des sept moines français de Tibhirine, dont les têtes, soigneusement découpées, ont été retrouvées sur la route de Médéa, le 30 mai 1996. Résultat sur nos écrans : un film magique. Et peut-être bientôt la vérité sur cette sinistre affaire.

On a du mal à comprendre en métropole que la guerre d’Algérie n’a jamais vrai ment pris fin, et qu’après avoir été une guerre d’indépendance, elle est devenue une guerre civile. Les années quatre-vingt-dix – marquées par le fameux attentat à Paris dans le RER à la station Saint-Michel (1995) – ont vu une recrudescence du conflit algéro-algérien. La région de Médéa, où est implanté depuis 1938 le monastère Notre-Dame de l’Atlas, était devenue un point névralgique dans l’affrontement entre les forces du GIA (islamiste) et l’armée algérienne. Il y avait eu deux alertes fin 1993: d’abord le 14 décembre, 12 ouvriers croates, qui travaillaient sur un chantier à 20 kilomètres de là, ont été séparés des ouvriers autochtones et froidement liquidés. Puis le 24 décembre, les troupes de l’émir Sayat Attias envahissent le monastère. Ils exigent des médicaments et de l’argent. Le père de Chergé, prieur, parvient à leur imposer le respect, en évoquant le passage du Coran où les moines chrétiens sont appelés amis de Dieu.

Par la seule force de l’esprit, sans armes, un moine tient en respect un seigneur de la guerre, au nom du Christ qu’il appelle le Prince de la Paix. Ce dénouement pour le moins inhabituel pour une razzia rend le monastère suspect à l’armée qui contrôle la région. Les militaires, après avoir proposé en vain leur protection, essaient désormais d’impressionner les moines ou de les prendre en faute: descente de la police, contrôle d’identité des patients du frère Luc, le médecin de la communauté, soupçonné de soigner les terroristes, ronde d’un hélicoptère menaçant, juste au-dessus du monastère.

Une montée dans la neige et le brouillard

« Et si ces pères étaient les soutiens occultes des islamistes? » semblent vouloir dire les représentants des forces de l’ordre, qui ont tenté à plu sieurs reprises de convaincre ces Occidentaux incontrôlables que leur place n’était pas dans un pays en pleine guerre civile. La communauté des religieux n’a jamais fait mystère de son mépris pour un gou vernement FLN notoirement corrompu. Elle a apporté son soutien, en sous-main, à deux réunions organisées à Rome en 1995 pour la démocratie en Algérie, avec des représentants du FIS, sous les auspices de la communauté chrétienne Sant Egidio. Le gouvernement Bouteflika, mis en minorité dans son propre pays, semble à l’hallali…

C’est dans ce contexte tendu et complexe qu’a lieu, dans la nuit du 26 au 27 mars, l’enlèvement de sept des neuf moines présents à Tibhirine. Ils seront séquestrés par de mystérieux ravisseurs pendant deux mois avant le terrible dénouement. Le film de Xavier Beauvois fait l’impasse sur leur mort, qu’il évoque de façon poétique, en une montée dans la neige et le brouillard qui a tout d’un chemin de croix. Le projet initial du cinéaste – montrer les sept têtes coupées – a été abandonné. Touchant à un des faits divers les plus horribles de ces dernières années, Beauvois, comme converti par son sujet, ne veut retenir que la grandeur spirituelle des moines, grandeur simple, sans héroïsme grandiloquent.

Le réalisateur raconte donc, par petites touches de vie très quotidienne, les trois années qui séparent le massacre des Croates de l’enlèvement des moines.

« Leur vie est déjà donnée »

Trois an nées durant lesquelles les moines, d’abord effrayés, prennent petit à petit conscience de ce que sera leur destin. Ils l’acceptent, parce que, religieux, « leur vie est déjà donnée » comme l’explique le prieur. Sans pathos inutile, Xavier Beauvois nous montre les nuits d’insomnie, les hésitations, les différences de perception de la situation entre les uns et les autres. Il nous explique pourquoi, à force de discussions fran ches, l’unité spirituelle se fait dans la communauté, il montre comment ces hommes fragiles de viennent des dieux en tutoyant leur destin (scène magnifique du dernier verre de vin bu ensemble, dans laquelle la symbolique eucharistique est évidente). Ce film est un grand moment d’émotion spirituelle. Oui, cela existe encore au cinéma!

Gageons aussi qu’alors que le juge Marc Trévidic vient d’être saisi de cette affaire par une plainte de l’une des familles, associée à l’ancien supérieur des moines, le père Armand Veilleux, Des hommes et des dieux contribuera à démêler ce sac de noeuds. Le « communiqué 44 » de Djamel Zitouni revendiquant la mort des moines au nom du GIA, le 21 mai 1996, prête à caution à cause de la personnalité trouble de ce chef (que l’on dit instrumentalisé par les services gouvernementaux du DRS et qui, comme par hasard, a disparu dans une embuscade le 16 juillet 1996).

Qui a tué les 7 moines? Interrogé en direct sur Canal+ en mars 2004, le président Bouteflika avait eu cette réponse étonnante: « Toute vérité n’est pas bonne à dire. » Eh bien ! C’est peut-être le général Rondot qui la dira. Pris dans les rais de l’affaire Clearstream, ses fameux carnets révèlent en tout cas qu’il en sait plus qu’il n’a bien voulu le reconnaître sur les auteurs du massacre des moines. Le 27 septembre prochain, il s’expliquera devant le juge Trévidic.

Joël Prieur

Houellebecq bis

Si vous tapez Houellebecq sur Google, vous apprenez immédiatement que son roman La carte et le territoire, en est à son deuxième retirage... Flammarion a fait une bonne affaire !

Mais le lecteur pénètre dans les nuances de son univers, comme jamais peut-être. Moins de sexe, plus d'amour ? C'est presque ça. Je préfèrerai juste le mot tendresse au mot amour : moins prétentieux. Il y a une tendresse de Houellebecq. Elle éclatait à la télévision l'autre lundi, chez Field (allez voir le podcast) sans qu'il fasse rien pour la dire.

Notez juste ce passage sur le Mécénat et le marché de l'art : j'ai griffonné quelques notes que je vous communique, même si ce n'est pas à la virgule près : "C'était déjà comme ça à la Renaissance. Le pape était le meilleur mécène. L'Eglise catholique était un peu hors concours. Ils se plantent jamais. Les princes ? Ils sont pas tellement mieux que les industriels. Je ne suis pas aristocratique de ce côté-là"...

Cette infaillibilité esthétique de l'Eglise (Paul VI et Bernard Buffet exceptés) saluée par Michel Houellebecq, qui s'amuse (ou s'amusait ?) à se déclarer athée...C'est surprenant, non ? Et le ton et le visage de Houellebecq disant cela... A ne pas rater.

Et puis, si vous le pouvez, chers amis Parisiens, n'hésitez pas à venir mardi prochain à 20 H 15 au Centre Saint Paul. Nous discuterons ensemble de Michel Houellebecq et de ce que j'ai appelé son jansénisme paradoxal. "la critique littéraire, j'aime beaucoup, parce que c'est très difficile" a-t-il dit à Field. Je crois surtout (et je tâcherai de le montrer) que le phénomène Houellebecq dépasse la critique littéraire.
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jeudi 16 septembre 2010

Passions politiques

Pourquoi ne pas vous le dire tout net ? Une fois n'est pas coutume, je suis un peu déçu de mes critiques sur le dernier post, concernant Jacques Julliard et Paul-Marie Coûteaux. Certains d'entre vous me prennent pour un gaulliste bon teint parce que je dis ce que je pense du livre de Paul Marie. Curieusement personne ne m'a encore traité de socialiste ou de nostalgique de la Deuxième gauche parce que j'ai aimé l'essai brillant de Jacques Julliard, Pour repartir du pied gauche. Dire que des livres vous ont intéressé, ce n'est pas forcément adhérer aux prises de position politiques de leurs auteurs, surtout quand ce sont des hommes de cette qualité. Personne ne se réduit à ses prises de position politique. Avec de telles limitations dans la vision, on finit par pendre (ou raccourcir) quiconque n'a pas les mêmes prises de position que vous. Ou bien on stigmatise le personnage pour le diaboliser. S'il y a une chose que je ne supporte pas, c'est la diabolisation, qui est un autre nom de la haine.

Ce que j'ai remarqué dans ces deux livres très différents, c'est qu'ils procédaient tous deux d'un même humanisme chrétien, mettant en avant les vertus de foi, d'espérance et de charité. Chez Jacques Julliard, c'est ce qu'il a appelé lui-même Le choix de Pascal (livre d'entretien avec Benoît Chantre qui porte ce titre audacieux). Chez Paul Marie Coûteaux, c'est le titre même de son dernier opus, une lettre à Régis Debray qui s'intitule : Espérer contre tout. Ces vertus ne sont pas les vertus théologales, que Dieu donne, mais elles en constituent la trace ou l'appel. Je réfléchis beaucoup en ce moment à la notion pascalienne du coeur, "organe de la foi" (Jean Laporte) et je crois qu'il existe dans l'ordre naturel des figures de ces réalisations surnaturelles, figures qui préfigurent ou qui copient l'élan surnaturel qui fait le chrétien.

Mon objet n'était pas de me prononcer sur tel ou tel homme politique, mais de souligner la rémanence des vieilles vertus chrétiennes, dans un ordre qui n'est plus celui de la foi, mais qui y ressemble un peu. Et je soulignais la grande différence entre cet appel à une foi politique et la cristallisation idéologique dans tel ou tel système. L'appel (celui de Julliard, celui de Coûteaux) est souple, léger et libre. Le système est pesant, jusqu'à vous enfermer sous son couvercle.

Je vous en prie, chers amis : soyons libres de coeur, non pas pour tout confondre (à Dieu ne plaise) mais au contraire pour opérer les distinctions nécessaires et salutaires, parce que simplement et objectivement vraies.

mardi 14 septembre 2010

[conf'] Voyage de Benoît XVI en Angleterre

Mardi 14 septembre 2010 à 20H00 au Centre Saint Paul (12 rue Saint Joseph - 75002 Paris) - Le voyage de Benoît XVI en Angleterre: Les prodiges de la cathophobie à l’anglaise par Daniel Hamiche - Pourquoi béatifier Newman par l’abbé G. de Tanoüarn : un théologien pour notre temps ? - PAF 5€, tarif réduit à 2€ (étudiants, chômeurs, membres du clergé) - La conférence est suivie d’un verre de l’amitié.

lundi 13 septembre 2010

Jacques Julliard, Paul-Marie Coûteaux et l'espérance

J'ai lu avec passion le petit brulôt que Paul Marie Coûteaux vient d'envoyer à son ami Régis Debray, coupable d'avoir rangé le Général au grenier des vieilles lunes. Cela s'intitule : De Gaulle, espérer contre tout (éd. Xénia) et c'est un hymne à la France et à l'espérance politique lorsqu'elle s'agrippe à ces réalités profondes de notre chrétienté occidentales que Jean Paul II appelait "les grandes institutrices des peuples". Je veux parler des nations.Il y a dans le petit livre de Paul Marie comme un "pari de Pascal" en faveur de la nation France. Il cite une belle phrase de De Gaulle après l'échec du referendum de 1969 : "Quels que soient les dangers, les crises, les drames que nous avons à traverser, par dessus tout et toujours nous savons où nous allons. Nous allons, même quand nous mourons, vers la Vie". Ce qui vaut pour la nation France, qui pour De Gaulle fut certainement un amour, une personne aimée (qu'il confondait du reste avec la sienne propre, tellement cet amour était viscéral) vaut pour chacune de nos vie. Cet élan, envers et contre tout, c'est sans doute ce que la France a apporté au christianisme et que l'on connaît dans le langage courant comme étant le pari de Pascal

C'est un autre pascalien qui vient de m'émouvoir, Jacques Julliard, qui dans un livre d'entretien avec Benoît Chantre naguère ne cacha pas qu'il avait fait "le choix de Pascal". Il vient de republier ses très intelligentes "20 thèses pour le renouveau de la gauche",parues dans Libé du 18 janvier dernier et aujourd'hui coéditées par Libé et Flammarion, et lui aussi se place sous le signe de l'espérance : "Telle est la fonction poétique et même politique de l'histoire. La principale catégorie historique dit Hegel n'est pas le souvenir. C'est l'espoir, l'attente, la promesse". Ce langage ressemble à celui des utopistes socialistes du XIXème siècle français. mais il signifie tout le contraire. Il ne s'agit pas de rêver encore et toujours à un nouveau phalanstère, à je ne sais quel retour du paradis sur la terre, quand on en aura extirpé la vermine capitaliste (souvent juive, notait Marx lui-même dans ses fameuses Réflexions). Non ! La politique du Bouc émissaire, c'est fini. L'espoir politique n'a rien à voir avec l'utopie et le goût de l'utopie mis à la mode par Jean Jacques Rousseau. Il est raisonnable, parce qu'il est nécessaire.

Et en effet (il me semble d'ailleurs que c'est un des sujets récurrent de la Lettre de Paul Marie Coûteaux), qui dira l'importance, l'impact des vertus chrétiennes de foi, d'espérance et de charité sur la vie humaine, sur la politique humaine, sur la pensée humaine ? Est-elle morale la vie sans - au minimum - une forme naturelle de foi en l'avenir que l'on peut appeler espérance et une manière élémentaire de respect de soi et de respect de l'autre qui sera la charité ?

Différence entre Paul-Marie Coûteaux et Jacques Julliard, tous deux pascaliens en politique, antiutopistes, personnalistes et chrétiens : Julliard croit dans les évolutions sociétales dont la "2ème gauche" s'est fait la championne au temps de la décolonisation et des luttes pour le droit des femmes. Il imagine que la solution viendra d'intellectuels, réfléchissant à la chose politique à travers ce que peut évoquer dans l'instant présent le destin changeant des personnes et des communautés. Bref, c'est un disciple d'Emmanuel Mounier. Il pense, de manière assez chevaleresque qu'un numéro spécial de la revue Esprit, regroupant dans son sommaire les meilleurs esprits du moment, peut changer la donne politique. Au fond, il refait le scénario rocardien et il imagine l'OPA d'un nouveau PSU à fonder sur une gauche en déshérence.

Paul-Marie Coûteau, lui, il croit en la politique. il pense que la rencontre de la France avec un homme peut changer sa vie de femme légère et la reconduire à elle-même. La constitution de la Vème République n'a-t-elle pas été pensée pour que cette idylle puisse avoir lieu ? Seulement voilà, il y a des désamours qui sont dévastateurs... Jusque là, de droite ou de gauche, à l'exception peut-être de Giscard, trop snob pour avoir compris ce jeu d'incarnation et d'identification qu'est la politique en France depuis les 40 rois qui en dix siècles l'édifièrent, on peut dire que le premier Français avait toujours cherché à honorer son rendez-vous avec la France. C'est par exemple ce que signifie la réélection de Mitterrand en 1988. Comme celle, un peu étonnante quand même, de Chirac en 2002, sans compter l'actuelle popularité insolente du grand Jacques, que rien ne semble pouvoir ternir.

Il me semble que le Politique d'abord de Coûteau vaut mieux que le Mental d'abord de Julliard (je fais observer au passage que les deux formules sont de Maurras, la première célèbre, la seconde dans Au signe de Flore). Si le Politique d'abord de Coûteaux est une question de rendez-vous honoré ou manqué, cela semble tout de même plus facile à réaliser que le saint-simonisme intellectuel de Julliard, avec son interminable analyse. Je n'ai jamais pu croire dans les intellectuels.

Mais au Royaume des idées, disons le quand même, que Julliard est brillant. Il faut le lire, il faut accepter de "repartir avec lui du pied gauche" l'espace d'un instant. Surtout quand il déclare tout de go : "J'ai acquis le droit de demander au parti socialiste un autodafé des oripeaux idéologiques de chacun : ou, en termes plus orthodoxes, une autocritique véritable à la lumière de 22 ans d'échec".

Julliard veut redonner une âme à la gauche, il a raison. Coûteaux veut-il autre chose à droite ? Ce qu'il cherche d'ailleurs, c'est encore plus profond, plus central (je n'ai pas dit centriste) c'est l'âme de la France : "Ce n'est pas De Gaulle que nous cherchons, mais nous-mêmes. - je veux dire une âme française, chose discrète, que voient seulement ceux qui voient dans l'invisible".

L'âme française ? Je crois que Julliard ne me contredirait pas si je dis qu'il faut la chercher du côté de Pascal et de son pari. "Nous sommes tous embarqués", mais il faut faire des choix et s'y tenir. Ne pas choisir ? C'est mourir. Voilà la poésie de l'âme française, selon moi : Descartes piquant des deux et sortant de la forêt parce qu'il galope toujours dans la même direction. Péguy chantant l'espérance quelques jours avant de mourir. D'une balle allemande.

samedi 11 septembre 2010

Ce que Houellebecq ne nous avait jamais dit

Article repris de Minute du 8 septembre 2010

Le personnage irrite. Il accumule les procès. Chacun prophétise sa mort artistique. Mais chaque livre de lui est un événement. Au fil du temps, Michel Houellebecq s’affirme comme un incontournable de notre littérature. Il marque son territoire.

J’en parlais encore dimanche soir avec un ami, qui me dit dédaigneusement: Houellebecq? Un géographe, un sociologue, mais pas un homme de lettres. Pas un romancier. Je ne sais pas ce que c’est qu’un homme de lettres. Mais je crois savoir ce que l’on peut attendre aujourd’hui d’un romancier. Le roman est cette forme littéraire, la plus souple qui soit, à travers laquelle, en racontant une histoire, on se met en quête de vérité. Le style? Balzac n’en avait pas plus que Houellebecq. La construction? Il n’y a dans ce domaine que des figures libres. La psychologie? Certains s’y attardent mais ce n’est pas l’objet du roman. La réalité? Elle peut être copiée, rêvée ou fantasmée. Peu importe! Le roman raconte une crise et propose un dénouement: voilà l’essentiel. Eh bien! La crise que conte Houellebecq, c’est à la fois celle de l’homme éternel, de l’homme toujours semblable à lui-même, toujours en proie à la vieillesse et à la mort, l’homme qui ne sait pas quoi faire de son désir quand il est là et qui ne sait à quel saint se vouer lorsqu’il s’affaiblit. Mais, dans La Carte et le Territoire, c’est aussi la crise de l’homme d’aujourd’hui, le migrant ou l’autochtone, qui cherche à habiter une terre, non seulement en la transformant profondément comme on l’a cru jusqu’au milieu des années 1970, mais en apprenant à la respecter, à découvrir son harmonie, à conclure avec elle une alliance féconde.

On a connu un Houellebecq pessimiste, faisant du sexe le signe avant-coureur de la pulsion de mort, dans Les Particules élémentaires ou dans Plateforme. On a découvert un Houellebecq résistant et répétant: « Il existe, au milieu du temps, la possibilité d’une île ». S’est-il converti? Le Houellebecq nouveau est étonnamment optimiste. Même en matière sexuelle: « Les gens ont besoin d’optimisme sexuel à un point incroyable », note-t-il quelque part sans se moquer. On a même l’impression ici ou là qu’il croit à l’amour désormais: « L’amour… L’amour, c’est rare, on ne vous l’avait jamais dit? » Non, Houellebecq ne nous l’avait jamais dit, lui qui s’amusait à choquer le bourgeois en faisant du chien le seul objet d’amour accessible à l’homme.
Houellebecq se raconte deux fois
Je ne veux pas dire que vous ne trouverez pas trace du Houellebecq éructant son mal-être, en en faisant pour l’humanité un destin unique. Mais quelque chose a changé avec La Carte et le Territoire. Ne serait-ce que parce que l’auteur nous annonce, à nous Français, un bonheur à portée de la main. Moi qui suis un incurable optimiste, je vous proposerai volontiers les trois prophéties qui constitueront ce bonheur entrevu comme possible. Première prophétie de Houellebecq: le dépeuple ment des campagnes aura une fin. Deuxième prophétie de Houellebecq: l’immigration aura une fin: celle du système des aides sociales. Troisième prophétie de Houellebecq: la France, riche de son agriculture et de ses terroirs, ne connaîtra jamais de crise et deviendra toujours davantage une destination pour le tourisme mondial.

Comment expliquer ce nouvel optimisme? La place me manque pour vous raconter ce livre, dans lequel Houellebecq se raconte deux fois, une première fois sous les traits de Jed Martin, photographe et pein tre dont les oeuvres vont atteindre une cote formidable, et qui s’en sert pour acheter un vaste domaine dans la Creuse, en nous rejouant La Possibilité d’une île. Il y a un deuxième personnage qui fait irrésistiblement penser à Houellebecq dans La Carte et le Territoire, c’est… Houellebecq lui-même.

L’auteur se met en scène. Il met en scène sa propre mort. Est-ce l’image d’une conversion? Peut-on dire que Houellebecq, avec ce dernier roman, est à la fois vivant, mort et ressuscité… Allez savoir. Sur ce point délicat, on en est réduit à la rumeur: « On avait appris [post mortem évidemment] et cela avait été une surprise pour tous, que l’auteur des Particules élémentaires, qui avait sa vie durant affiché un athéisme intransigeant, s’était fait très discrètement baptisé dans une église de Courtenay six mois auparavant. » Si non e vero
On a beaucoup accusé Michel Houellebecq de simplisme, voire de schématisme ou d’unilatéralisme. Dans ce livre il s’amuse à se montrer au lecteur sous différentes facettes, qui sont sans doute comme autant de destins possibles entre lesquels il se veut en état d’hésitation.

Joël Prieur


Michel Houellebecq, La Carte et le Territoire, éd. Flammarion, 430 pp., 27 eurosport compris. Commande à : Minute, 15 rue d’Estrées, 75007 Paris.

vendredi 10 septembre 2010

La transmission du péché originel et les femmes

Je ne voudrais pas que Julien et quelques autres imaginent que je me débine sur le péché originel. C'est plutôt qu'il y a trop à dire et que l'actualité commande toujours.

Dans le post précédent, j'ai essayé de montrer la différence entre "natura" et "conditio". Adam et Eve sont bien de même nature que nous. Impossible qu'il en soit autrement. Mais ils ne vivent pas la même condition. Leur proximité avec Dieu, la manière dont ils se sentent immédiatement en sa présence les protège de toute pensée morbide et de toute pulsion déplacée. Comme le remarque Cajétan, loin d'exténuer la nature, comme on a pu le constater dans certains pensionnat surnaturalistes, la grâce reçue avec profusion entretient la "vigor naturae", la viridité de la nature. Pour caractériser cette viridité de la nature, on emploie l'expression "dons preter-naturels". Vivant dans une sorte d'immédiateté de la grâce, Adam et Eve ne connaissent pas la mort ; ils n'éprouvent aucune souffrance ; ils ne peuvent se laisser aller à la passion sensuelle, qu'il maîtrisent parfaitement dans la joie qui naît de la proximité de Dieu.

Mais voilà qu'ayant péché contre Dieu en écoutant l'Ange déchu, l'Antique serpent comme dit l'Apocalypse, ils cherchent à se cacher de lui. Et en même temps ils ont honte d'eux-mêmes. "Ils virent qu'ils étaient nus" dit la Bible sobrement. Tout un programme ! Dans ce besoin de se cacher, avec la perte de l'innocence, il y a la perte de la fierté d'être soi et tous les problèmes psychologiques que vous pouvez imaginer. Ils découvrent le mal, la mort, la souffrance et l'injustice de la jouissance (l'égoïsme et la volonté de domination qu'elle engendre). Les dons preternaturels disparaissent avec la grâce de Dieu.

Et le péché originel se transmet à tous leurs descendants. les premiers chapitres de la Genèse sont une histoire du péché : "Toutes les pensées des coeurs des hommes étaient tournées vers le mal" dit la Genèse à la fin du chapitre 5, alors que le Déluge va bientôt résoudre (ou dissoudre) dans l'eau la puissance du mal.

Qu'est-ce que la transmission du péché originel ? C'est Adam Eve Caïn, Abel et tous les autres... sans Dieu. Laissés à eux-mêmes et à leur nature si contradictoire : "la chair milite contre l'esprit" dit saint Paul. Et cela ne fait pas suite à je ne sais quel virus que Dieu aurait inoculé à ses créatures pour les punir, comme on pourrait le lire dans les Institutions chrétiennes du Sieur Calvin par exemple. C'est l'état naturel de l'homme sans Dieu.

"Malheur à celui qui se confie dans l'homme" dit Jérémie au chapitre 17. L'homme laissé à lui-même est un monstre... Pascal le rappelait fortement : "Qu'il se vante je l'abaisse, qu'il s'abaisse je le vante et le contredit sans cesse jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il est un monstre incompréhensible".

Comme le dit saint Thomas à la fin de la première partie du Compendium theologiae, imaginons un suzerain et son vassal. Le vassal tient de son suzerain un certain nombre de fiefs. Il prend la grosse tête et se révolte contre son suzerain. Son suzerain vient remettre de l'ordre. Il prive son vassal de ses fiefs. Il est évident qu'il ne commet aucune injustice en ne rendant pas les fiefs à la descendance du vassal félon. L'image est intéressante. Elle constitue l'un des rares cas où il soit fait allusion dans le corpus thomasien à la situation sociale à cette époque, et en particulier à l'institution féodale.

Le péché originel, c'est un mal de peine pour tous les hommes, non pas en ce que leur humanité aurait changé : ils gardent la même nature qu'Adam et Eve. Mais ils perdent la condition privilégiée qui était celle de nos premiers parents et doivent faire face aux contradictions qui sont inhérentes à leur nature à la fois animale et rationnelle. Ils sont désormais, sans la lumière de Dieu, des monstres incompréhensibles comme dit Pascal.

Mais le péché originel ne devient un mal de faute qu'après le premier péché, c'est-à-dire, très tôt dans l'enfance, après le premier acte d'égoïsme ou d'égolâtrie. Parce que nous n'avons plus qu'une pâle intuition de Dieu, nous sommes toujours et très vite conduits à faire de nos personnes la fin ultime de notre propre vie : un bébé pleurant à toute heure, petit animal qui trop souvent il faut bien le dire n'est charmant que pour ses géniteurs émus de leur propre ouvrage, oui un bébé peut laisser voir dans son comportement le péché originel bien présent. Ce faisant, il est, quel que soit son âge, dans le mal de faute (une faute bien évidemment proportionnée à sa responsabilité, qui est infinitésimale). Il n'y a pas de châtiment du péché originel pour toute l'humanité, comme le souligne saint Thomas avec sa métaphore du Vassal et du Suzerain. "Naturalia manserunt integra". Les puissances naturelles sont intactes. Mais elles sont blessées, en ce sens que l'homme est désorienté, parce qu'il a été jeté en dehors de l'infini pour lequel il était fait, et qu'il ne saurait y prétendre à nouveau par lui-même.

Si comme Claude Tresmontant, on croit à la possibilité d'une évolution animale à l'origine de l'homme, on peut dire que Dieu a fait de deux primates nos premiers parents en leur infusant une âme immortelle de façon personnelle (voir saint Augustin : De genesi ad litteram : "le corps de l'homme se redresse lentement vers le ciel"). Il les a mis dans une situation optimale, paradisiaque, en un coin particulièrement protégé de la Planète Terre. Et eux n'ont rien compris. Forts de cette protection, ils en ont demandé encore plus (comme de banals syndiqués de Sud, fort de leurs masses manifestante, veulent ignorer le problème des retraites). Encore plus ? "Vous serez comme des dieux". Plus personne au-dessus de soi : le vertige assuré. Ayant perdu la protection particulière de Dieu, ils sont retombés dans la dure réalité terrestre, monstres incompréhensibles à leurs propres yeux, monstres dont la monstruosité est un cri vers le Ciel, un appel à la Miséricorde du Seigneur. Avant qu'ils ne sortent du Jardin, vêtus des peaux de bête que Dieu leur a donné pour remplacer les pauvres tuniques de feuilles qu'ils s'étaient confectionné dans leur angoisse de ne pas se voir en face, l'homme et la femme entendront la promesse du Seigneur. Contrairement à une idée reçue,la promesse de Dieu est extraordinairement philogyne : "Je mettrai une inimitié entre toi et la femme" dit Dieu au Serpent.

La femme ? Quelle femme ?

Le chapitre 12 de l'Apocalypse nous montre que cette Femme, c'est la mère du Messie "qui doit régir les nations avec une verge de fer" (12, 5). Mais si Marie est la femme annoncée, il y a, indiscutablement, une prédisposition annoncée de la femme en général à repousser le Serpent et son horrible propension à vouloir toujours plus pour être comme un dieu. L'homme étant incapable de dire non à sa femme, comme l'a prouvé le premier dialogue sous le pommier, habituellement c'est la femme qui dit non à l'homme, on le sait. La première femme qui a dit : non à un homme, sans le vouloir, a créé les premiers rudiments de ce que l'on appellera beaucoup plus tard la civilisation.

La civilisation ne naît pas avec le groupe humain quel qu'il soit qui s'organise. Caïn est sans doute, selon le texte sacré, "le premier constructeur de ville" (Gen. 4, 17), mais "il donne à la ville le nom de son propre fils" (ce qui marque son égoïsme). Résultat ? Quelques générations plus tard, Lamek se glorifie d'être encore plus violent que Caïn : "Caïn doit être vengé sept fois, mais Lamek soixante dix sept fois sept fois". La civilisation ne passe pas par Caïn. le groupe humain est plus engoncé dans le péché que l'homme seul (c'est la signification de la Tour de babel : l'orgueil humain est un péché collectif).

Alors ? Tout est-il perdu ? Faut-il mépriser la nature, avec Calvin ?

Le seul moment de grâce après le péché originel est le cri d'Eve, repris par toutes ses descendantes : "J'ai donné l'être à un homme grâce à Yahvé" (4, 1). La femme qui enfante (qui accepte d'enfanter) est toujours, en cela, l'ennemie de Satan : inimicitiam ponam. Elle participe à une immense analogie annoncée, dont la Princesse, princeps analogatarum, est la Vierge Mère.

L'humanité vit dans le péché certes, mais "non sans espoir pourtant" comme le note fugitivement saint Paul aux Romains (8). Cet espoir est d'abord, de façon basique, dans le cri d'Ève : "J'ai donné l'être à un homme grâce à Yahvé". Lorsque l'humanité ne veut plus se reproduire, elle montre qu'elle a renoncé à cette espérance.

jeudi 9 septembre 2010

Des hommes comme des dieux

Le film de Xavier Beauvois pourrait être le récit d’un fait divers et l’enquête sur les responsables du meurtre des sept moines de Tibhirine. En réalité, c’est beaucoup plus que cela : un voyage vers les limites supérieures de l’humain, en ce point mystérieux où l’homme, s’oubliant lui-même devient un dieu.

Faire un film sur l’assassinat des sept moines du monastère Notre Dame de l’Atlas à Tibhirine, cela paraissait une gageure. Voilà un sujet exclusivement religieux, sans aucun suspense parce que l’on sait tous comment l’histoire se termine et où la vie quotidienne selon le rythme monastique laisse peu de place à l’action… Que restait-il alors à Xavier Beauvois ? L’image et la lumière. Ce film - grand prix du jury du Festival de Cannes - est d’abord un hommage rendu à la puissance de l’image. Image des paysages ; images de la vie quotidienne au Maghreb ; mais d’abord image des visages. Le casting a été d’une étonnante justesse. Je ne veux pas dire que les neuf hommes choisis ont tous les neuf une tête de moine. Il était facile pour Beauvois de tomber dans le documentaire et de céder à la facilité de la caricature. Mais ce qu’il filme ce n’est pas un événement (sur lequel d’ailleurs on n’a pas encore fait toute la lumière puisque l’on ne connaît pas avec certitude les commanditaires du massacre), c’est une aventure intérieure. Le cinéaste, on le sent traque longuement la lumière intérieure qui habite chacun de ces hommes. Ce qu’il nous montre, c’est avant tout cette lumière, que chacun porte en soi et qu’il passe sa vie à chercher. Après une première alerte en 1993, on peut dire que pendant trois ans les moines sont chacun devant leur propre mort. Autrefois on imaginait les ascètes, comme saint Jérôme ou sainte Madeleine, toujours un crâne humain à portée de la main. Eux n’ont pas besoin du crâne d’un autre. Leur vie, ils le savent, ne tient qu’à un fil. Ils ne peuvent, au milieu des travaux et des jours, que s’efforcer de ressembler au visage que Dieu dans son éternité leur a donné une fois pour toutes. Cette formule peut paraître emphatique… En réalité, au jour le jour, nous assistons à une quête, où chacun traverse sa peur et accepte petit à petit son destin, jusqu’au dernier repas, sommet iconographique du film, où la certitude de la mort offerte habite les moines. La caméra s’attarde sur eux, comme pour rendre plus éclatante la lumière de leurs visages. La musique du Lac des cygnes résonne dans le réfectoire comme une apothéose. Le temps a suspendu son vol. Selon l’amphibologie du titre de ce film, ces hommes sont devenus des dieux, libres de leur destin. Ils ont chacun consenti à leur fragilité d’homme. Ils l’ont offerte ce soir-là en une sorte d’offertoire muet. En surmontant la peur, ils ont transsubstantié leur destin pour en faire un destin de fils de Dieu, à l’image du Christ.
 
Deux personnages sont particulièrement mis en valeur : le Père Christian et le frère Luc. Ces deux personnages, tout devrait les séparer. L’un est un intellectuel qui parle arabe et qui est dévoré de curiosité face à l’islam. Prieur de la petite communauté, c’est le rejeton d’une famille d’aristocrates. Il a spontanément le sens et le goût du commandement. Il en impose, même au GIA. On sent qu’il vit à une certaine distance des autres. Il pourrait passer pour un mystique. L’autre est un plébéien, celui qui, en tant que médecin, soignant jusqu’à 150 personnes par jour, indifféremment des gens du peuple ou des terroristes, possède une profonde connaissance du cœur humain. Il est tellement pris par son métier, qu’il n’a pas eu le temps de devenir prêtre. Il ne prie pas à la chapelle avec les autres. Son cabinet est ouvert à toute demande. Ce n’est pas l’islam qui l’intéresse, ce sont les gens, quels qu’ils soient. On apprend qu’il a soigné des nazis pendant la guerre. Si différents soient-ils, ces deux personnages, Lambert Wilson, littéralement habité et Michael Lonsdale, qui trouve certainement à plus de 80 ans l’un de ses rôles les plus forts au cinéma, ont l’un et l’autre, dès le début de cette histoire, la même opinion. Il faut rester quoi qu’il en coûte. « Partir, c’est mourir » dit le frère Luc. « Notre vie est déjà donnée » répète simplement le Père Christian.
 
Ces deux hommes, chacun à leur manière, sont les modèles de la Communauté. Ils sont devenus des dieux. C’est ce qui leur donne l’autorité, l’aura, l’ascendant qui émane d’eux. Rien à voir avec un rapport de force. Le vieux frère Luc trouve le moyen de rabrouer l’un de ses ravisseurs parce qu’ils s’empare de médicaments réservés aux enfants. Quant au Père Christian, en 1993, il obtient du chef de bande du GIA qu’il quitte le monastère avec ses hommes en armes. Le vieux seigneur de la guerre, barbe en avant, mitraillette au poing, partira sans coup férir quand le Père Prieur lui aura expliqué que le Christ est le Prince de la paix. Christian de Chergé l’aura vaincu sans armes.

C’est de cette autorité sans rapport de force que le spectateur gardera le souvenir – l’autorité de l’esprit qui fait les dieux. Curieux film que l’on présente comme donnant à voir « un christianisme gentil, humble et compréhensif », mais qui en même temps repose tout entier sur l’autorité tranquille de Luc et de Christian, deux géants antimodernes, qui ont eu la force, durant plusieurs années, de défier le terrorisme, l’islamisme et la prudence de ce monde, représentée par les responsables de l’administration et de la police locale. Ultime victoire des moines : personne n’ose revendiquer cet attentat sinistre, GIA et gouvernement algérien se renvoyant l’initiative des sept meurtres. Quant au film, il a été tourné au Maroc, l’Algérie refusant toujours de regarder en face ce monstrueux attentat.

mardi 7 septembre 2010

Méditation sur la Genèse

La tâche de la théologie n'est pas de rendre réel le possible, mais à l'inverse de rendre possible (ou pensable si vous voulez) le réel tel qu'il apparaît dans l'Ecriture portée jusqu'à nous par l'herméneutique de la Tradition. Comment Dieu a-t-il permis que le Péché originel - qui est d'abord le péché de deux personnes : Adam et Eve, le premier couple humain - puisse se transmettre à toute l'humanité ? Pour comprendre (pour rendre pensable) cela, il faut entrer dans des distinctions précises, qui nous font progresser dans la connaissance de l'homme.

Distinguons d'abord "nature" et "condition" (ou "statut"). Adam est un homo sapiens sapiens. Nous partageons la même nature. Mais nous ne vivons pas dans la même "condition". Cette nature ne s'actualise pas de la même manière. Notre essence est semblable à celle d'Adam. Notre existence n'est pas la même. Insignifiant ? Non s'il est vrai que "l'existence de la substance est la substance" comme dit Cajétan.

Prenons d'abord le Paradis terrestre : ce n'est pas la terre, mais un lieu particulier sur la terre, gardé par deux chérubins aux épées de feu. Pourquoi cette particularité ? Nous sommes dans un lieu où sont réunies de manière optimale les conditions de la liberté humaine, un lieu où la nature n'est pas cruelle et où, par l'expresse volonté de Dieu, le loup fraternise avec l'agneau.

Le statut, la condition, l'existence d'Adam au Jardin est toute différente de la nôtre. Pour exprimer cela, le Livre sacré dit qu'"Adam parlait avec Dieu comme un ami avec son ami dans la brise du soir". L'homme est créé dans un état de proximité incroyable avec Dieu, dans la présence de Dieu, dans la grâce de Dieu. Et pourtant, il peut encore se séparer de Dieu, il n'est pas OBLIGE de vivre en présence de Dieu. Cette liberté, qui est la sienne, est matérialisée par l'arbre de la connaissance du bien et du mal, un arbre qui n'est évidemment pas matériel puisque son fruit met celui qui le consomme "par delà le bien et le mal", en le rendant capable d'appeler le bien mal et le mal bien. "Tu ne mangeras pas du fruit de cet arbre, car si tu en manges tu mourras".

La mort est évidemment liée à la nature de l'homme, animal plus ou moins raisonnable. Il faut donc comprendre que Dieu a créé Adam et Eve dans le Jardin, en les préservant de l'idée et de la réalité vécue de la mort. L'homme et la femme vivaient pour Dieu et en Dieu était la vie. "En lui était la vie". Et puis il y a eu le péché. Comme le dit saint Paul : "Par un seul homme le péché est entré dans le monde et, par le péché, la mort, et ainsi la mort a passé en tous les hommes, moyennant le fait que tous ont péché..." (Rom 5, 12). Il faut comprendre, avec Karl Barth, "la mort en tant que crise". Il faut dire avec Cajétan : "La mort qui était naturelle devient un châtiment". Le péché et la mort ont désormais partie liée, la mort étant "le salaire du péché" (Rom 6, 23). La mort devient l'horizon de la vie humaine - et le péché comme la "matière spirituelle" de l'existence.

La théologie exprime la protection dont Adalm et Eve ont été les objets dans le Jardin en soulignant que Dieu leur avait fait le don de l'immortalité et de l'impassibilité. Ils ne sentaient ni la mort ni la souffrance puisqu'ils vivaient en Dieu. Ces dons sont appelés "preternaturels" pour souligner qu'ils ne relèvent pas de la nature de l'homme mais de la protection spéciale de Dieu.

Il y a deux autres dons préternaturels que l'on découvre dans le récit de la Genèse : le don de science infuse : Adam n'est pas créé avec une science infantile. Et c'est ainsi que le texte précise comment "il nomme les animaux". Ce don explique les théologiens n'a jamais concerné que le seul Adam en tant qu'il est l'origine de la lignée humaine. Il n'est donc pas transmissible.

Enfin Adam et Eve ont reçu le don de justice originelle, c'est-à-dire que leurs passions étaient soumises à leur volonté elle-même baignée dans la lumière de Dieu. Lorsqu'on vit dans la joie et dans l'élan que donne la présence de Dieu, le désir, sans disparaître, reste toujours soumis à la liberté, qui, en permanence, jouit de Dieu.

Le premier péché n'est donc pas un péché de sensualité. Il ne faut pas voir une parabole du désir sexuel dans le fruit de l'arbre - dans la pomme qu'Eve fait croquer à Adam. "Si vous mangez du fruit de l'arbre, vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal", et, par cette connaissance, au dessus du bien et du mal. Le péché d'Adam et Eve est un péché d'insatisfaction, un péché d'orgueil, à travers lequel ils se considèrent comme au dessus de leur condition. Ils sont tellement heureux qu'ils n'acceptent aucune limite à ce bonheur. Le premier péché est un péché contre Dieu.

Il en faudrait pas imaginer non plus qu'avant le péché, il n'y avait pas de sexualité ou que la sexualité serait essentiellement mauvaise. Partie intégrante de la nature humaine, la sexualité est créée par Dieu comme quelque chose de bon, qui n'est pas une conséquence du péché.

La conséquence du péché, c'est qu'Adam et Eve perdent la maîtrise qu'ils exerçaient sur l'instinct et ils ont honte désormais d'être dépassées par leurs impulsions : "Avant, et par les yeux du corps et par les yeux de l'esprit, ils se voyaient nus, écrit Cajétan, mais pas d'une nudité honteuse". "Les parties que l'on nomme honteuses sont rendues (redditae sunt) d'autant plus honteuses que non seulement elles mais leurs fonctions (en) sont rendues (redditae sunt à nouveau) à se dérouler dans le secret".

D'où vient cette honte, cette pudeur, qui est comme l'avertisseur du péché (car tout péché est honteux quand on y réfléchit) ? Elle vient de la disparition du don de justice originelle. Elle vient de l'absence de maîtrise qui fait commettre un acte bon en lui-même comme un mal et qui le rend mauvais. Max Scheler a sur cette question de la pudeur un petit livre définitif me semble-t-il que l'on ne peut que recommander.

(sur la transmission du péché originel : à suivre)

lundi 6 septembre 2010

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dimanche 5 septembre 2010

Laurent Gaudé: à quoi sert un ouragan

Article repris de Minute du 1er septembre 2010

Laurent Gaudé a eu le prix Goncourt pour Sous le soleil des Scorta en 2004. Tous les deux ans à peu près, il remet ça, avec un nouveau roman où le lyrisme est toujours au rendez-vous.

Nous sommes à la Nouvelle-Orléans. Un typhon arrive. Tout le monde va tout perdre et chacun se retrouvera avec ce qui résiste à l’ouragan, avec ce que l’on conserve envers et contre tout, avec ce que l’on emporte jusque dans la mort: sa fidélité. L’exergue, citation de cet admirable écrivain qu’est le Hongrois Sandor Maraï, indique clairement le propos du livre: « Lorsque tout est achevé, on répond avec l’ensemble de sa vie aux questions que le monde vous a posées. Les questions auxquelles il faut répondre sont: Qui es-tu? Qu’as-tu fait? A qui es-tu resté fidèle? » Dans l’éternel dilemme entre être et avoir, Laurent Gaudé choisit l’être.

Chacun des héros de ce livre représente une forme de fidélité, exacerbée par la tempête et par l’atmosphère de fin du monde, où l’eau des digues qui s’effondrent remplacerait le feu promis aux damnés. Il y a des fidélités épouvantables, celle des bandits échappés du bagne, qui, s’étant rendus à l’armurerie abandonnée, ont tout ce qu’il faut et tuent… pour tuer. Ne sont-ils pas fidèles à eux-mêmes ainsi? Il y a le révérend aumônier de la prison, qui est devenu complètement fou après avoir vu monter les alligators dans les rues de la ville et qui, désormais, veut tuer comme Dieu tue et participer à la purification de la vil le. Un cas clinique de fanatisme humanitaire! Il y a la vieille Négresse Joséphine, fidèle à sa négritude, envers et contre tous, « sac d’os » hors d’usage, qui ne peut pas s’empêcher de rester en vie: c’est comme ça. Et puis il y a les amants qui se retrouvent à la faveur de l’ouragan…

Mais ne déflorons pas cette jolie fable sur la condition humaine, ce petit traité de la nécessité des ouragans… Retenons simplement cette confidence dans un claque. « Une fille aux seins lourds » livre son secret à Keanu Burns, le héros théâtral de cette histoire de vérité: il y a, lui dit-elle, « quelque chose que tu ne peux pas imaginer, et ça me rend forte et belle, parce que tu ne pourras jamais l’atteindre ». Elle continue à parler et c’est comme une révélation pour lui, il est stupéfait et boit ses paroles, « “tu comprends, une chose à laquelle je suis fidèle et ça t’efface, ça efface chacun d’entre vous, et le whisky, et les clopes aussi, parce que c’est en moi et que je le tiens là“. Et elle tape sur son coeur et il se met à rire ».

La fidélité qu’évoque Laurent Gaudé est horrible quand elle est simplement une fidélité à soi et à son image; fidélité des bagnards, fi délité du révérend: les deux extrêmes se touchent dans la même folie. Mais les gens ordinaires, qui ne se prennent pas pour ce qu’ils ne sont pas, ont des fidélités qui les dépassent, fidélité cachée au fond du coeur, qui, les sortant d’eux-mêmes, d’une manière ou d’une autre les sauve.

Il faut reconnaître que pour un homme comme Laurent Gaudé, qui fait profession de n’avoir aucune religion, sa manière d’évoquer une moderne descente aux enfers dans son roman précédent, La Porte des enfers (2008), avait paru… pour le moins étrange. Cette fois, cette histoire d’ouragan et de simulation pour de vrai d’une fin du monde doit avoir quelque chose de franchement agaçant pour la bien-pensance matérialiste et consumériste. Mais qu’importe! N’hésitons pas à le suivre. Même s’il ne sait sans doute pas lui-même où il nous mène, son périple littéraire est certainement l’un des plus vrais que puisse nous offrir la littérature française actuelle.
Joël Prieur

Laurent Gaudé, Ouragan, éd. Actes sud, 192 pp., 23 euros port compris. Commande à : Minute, 15 rue d’Estrées, 75007 Paris.

vendredi 3 septembre 2010

Péché originel ?

Je m'attaque à forte partie. Vous vous souvenez de Pascal : "Le péché originel est folie devant les hommes, mais on le donne pour tel. Vous ne me devez donc pas reprocher le défaut de raison en cette doctrine, puisque je la donne pour être sans raison. Mais cette folie est plus sage que toute la sagesse des hommes. Car sans cela que dira-t-on qu'est l'homme ? Tout son état dépend de ce point imperceptible" (fr. 445).

Faut-il, avec Pascal, se résigner à l'impensable ? Une chose est de ne pas pouvoir prouver par la raison l'existence du péché originel. Nous ne le connaissons pas par la raison mais par l'Écriture. Rien d'absurde à cela : nous ne possédons pas la science des commencements.

Mais autre chose est de ne pas pouvoir comprendre la manière dont Dieu agit. Les métaphysiciens médiévaux (en particulier franciscains) s'en tiraient en mettant en Dieu une volonté capable en droit de décider même une chose contradictoire (ex de Duns Scot : un monde où une vallée soit en même temps une montagne). L'exemple vous paraît farfelu ? Ecoutez celui-là : "Dieu nous damne". La contradiction est insoutenable entre l'amour de Dieu et la damnation. On fait de l'Au-delà une gigantesque succursale des petits hôtels du Marquis de Sade. Dieu damne comme d'autres torturent. Eh bien il s'est trouvé des théologiens (occamiens) pour soutenir cela ! Et lorsque Luther l'affirme, il le doit à ses Maîtres franciscains. On sait que la doctrine catholique a toujours été non pas que Dieu damne, mais que l'âme, librement, se jugeant elle-même et jugeant Dieu se préfère à Dieu. Voilà la damnation : elle est volontaire. le jugement général ne fait qu'entériner ce premier jugement - particulier - de l'individu face à Dieu.

Je voudrais comprendre la transmission du péché originel, comme on peut essayer de comprendre la damnation. Le problème que pose le péché originel, c'est qu'il touche toute l'humanité alors que seul le premier couple est coupable. Comment justifier cela ? Faudrait-il dire que Dieu a inoculé le péché originel comme un virus dans toute l'espèce humaine pour se venger du premier péché ? La perspective est tellement absurde, contradictoire, que l'on doit l'exclure, à moins d'imaginer un Dieu à l'image de l'homme, qui jouisse de ses contradictions. Je crois vraiment que cette solution est impossible.

Comment expliquer le péché originel et sa transmission à toute l'humanité de manière non pas rationnelle (Pascal a raison l'esprit de géométrie ne démontrera jamais rien du fait du Péché originel), du moins raisonnable (conforme au coeur de l'homme qui est à l'image du coeur de Dieu) ? La suite très vite.

jeudi 2 septembre 2010

Intellectualisme ou pas ? L'exemple du péché originel

Il y a des mots qui déchaînent les passions. Le mot "intellectualisme" est de ceux-là à cause de son extraordinaire ambiguïté. Voilà un terme en "isme" fait pour stigmatiser. Et en même temps, parler d'antiintellectualisme paraît tout aussi péjoratif.

Je crois deux choses : que Vatican II a péché par intellectualisme : il suffit de lire le Journal du Père Congar pour s'en convaincre. Cet intellectualisme, typique des années 50 et de ce que l'on a appelé à l'époque "la nouvelle théologie" était essentiellement fondé sur l'érudition. Des gens comme Congar, Lubac et quelques autres savaient tout. Leurs articles, écrits dans un style platement universitaire, valaient essentiellement pour l'impressionnant appareil critique qui les accompagnait et leurs livres étaient souvent des recueils de ces articles. Michel de Certeau, qui a bien connu cette époque et qui a sacrifié à l'idole de l'Erudition plus souvent qu'à son tour, parle à ce sujet du "terrorisme qu'exerçait l'érudition sur la théologie". Quand on ne peut plus rien avancer sur un aspect central de la foi avant de pouvoir justifier s'être enfiler des kilomètres de littérature secondaire, cela devient très ennuyeux. Le problème c'est que l'Eglise n'avait pas tant besoin de ce luxe érudit que d'une nouvelle pensée de sa foi. Pensée ? On a eu Rahner et son concept d'autocommunication de Dieu et aujourd'hui si vous voulez on a non pas Sesboüe (bon scoliaste au demeurant) mais Theobald. Pour Theobald, c'est tout le dogme (et pas seulement Vatican II) qui doit être l'objet d'une herméneutique, qui n'est pas l'herméneutioque de la continuité mais l'herméneutique de la modernité. Dans l'héritage, dont on fait l'inventaire sans vergogne, est vrai ce qui est moderne. Et du coup il reste ? - Rien.

Quant aux tradis, j'en sais quelque chose, ils pèchent de manière symétrique, par antiintellectualisme. Ce qui compte, c'est répéter les vieux manuels, reprendre les vieux discours, refaire sans état d'âme les années 50. Cette démarche a pu avoir sa force salutaire à un moment où les années 70 avaient fait le désert partout. Mais, à l'épreuve du temps qui passe, des générations qui se succèdent et pour lesquelles les enjeux se déplacent, cette démarche est insuffisante. On va vers l'épuisement du "filon traditionaliste". Filon ? Clientèle si vous voulez.

Que faut-il faire alors ? L'inverse de ce qu'a fait Vatican II avec le succès que l'on sait. Vatican II a voulu brader les formes au profit du fond, qui méritait, soi disant, des formes renouvelées. On a détruit. Force est de constater que l'on n'a pas remplacé. Martin Mosebach décrit très bien cette "hérésie de l'informe" en quoi consiste l'Après-concile.

Je crois qu'une religion vraie, c'est-à-dire une religion adossée à l'Infini, a besoin de formes. Tout à l'heure je célébrais une messe de Requiem. Un garçon qui s'est tué accidentellement. Cela a quelque chose de scandaleux la mort. Mais devant elle, nous sommes désarmés. Si nous n'avons que nos mots à nous, nous ne pouvons que balbutier. Il nous faut les mots du Christ dans l'Evangile : "Celui qui vit et croit en moi, quand même il serait mort, vivra" : quelle promesse ! Voilà une première forme, intangible : l'Ecriture. Mais l'Ecriture agit ou elle n'est pas l'Ecriture et cette parole en action est sacramentelle. Devant le mystère, devant l'horreur de la mort, il nous faut la messe, cette action du Christ qu'entoure (plus ou moins maladroitement) la célébration du prêtre. La messe traditionnelle ? Pas forcément sans doute, mais la grande force de ce rite est de réduire les initiatives (malheureuses à 80 % dans ces cas là) du célébrant.. Beauté de la messe chantée ! Puissance de la forme liturgique ! Impuissance de ces formes sans forme qu'on nous inflige encore ici et là. Il y a aussi les formes de la foi telles que nous les enseignent le catéchisme. Quand on est paumé, quand on est dans l'épreuve, les formes, les définitions formelles du catéchisme (les dogmes clairement formulés) nous aident à dire notre foi.

Mais alors, me direz-vous, cette foi deviendra une foi formelle ? Un psittacisme ? (je précise qu'étymologiquement le psittacisme est la maladie du perroquet, psitax, qui répète sans comprendre).

Non pas ! Je crois que, gardant les formes avec une fidélité tranquille, on peut s'avancer avec assurance, avec une grande liberté d'esprit et de coeur, dans l'étude du fond. On peut et on doit essayer de puiser dans les trésors de la tradition catholique pour aider les gens à croire. - Comment aider les gens à croire si la foi est un don de Dieu ? Il me vient une anecdote gabonaise... J'avais emmené la voiture de la Mission en réparation. Elle était dans la petite cour du garage, capot ouvert. Et je vois un Africain penché sur le moteur - Qu'est-ce que tu fais ? Je regarde ce qui emmerde. Eh bien ! C'est la définition, point trop théologique, de ce que les théologiens appellent le removens prohibens. Il faut enlever l'obstacle. Il est de notre devoir de prêtres de tâcher de lever les obstacles pour que ceux qui doivent croire croient sereinement.

Julien a raison de me présenter le péché originel comme un obstacle. Comment expliquer sa transmission ? Et s'il ne s'est pas transmis comment comprendre le salut ? Là on n'est plus dans les formes à changer (comme le pensait le bienheureux Jean XXIII imprudemment). On est dans le fond à expliquer. Il faut se creuser les méninges. Impossible ? C'est ce que l'on m'apprenait en Dogme II à Ecône. A l'époque déjà, je m'étais permis de proposer ma petite idée sur le sujet. Le prof était surpris et sceptique... mais pas choqué. Il m'avait dit simplement : "Ne cherchez pas, c'est un mystère".

Moi, le mot "mystère" me fait l'effet inverse. Il me pousse à chercher. Je vous propose très vite cette petite recherche sur le sujet.