vendredi 31 décembre 2010

Bonne année ? Faites vos jeux !

Oui, bonne année. Fructueuse même, car notre premier devoir est de porter du fruit en tous temps, pour "racheter le temps" (dixit saint Paul) et le transformer en éternité.

Il y a mille et une manières de porter du fruit, mais cela commence toujours à genoux. C'est dans la prière que nous apprenons quelle est notre fécondité, une fécondité unique, qui ne ressemble à aucune autre, qui est notre chemin vers Dieu, notre manière de le louer, de l'honorer, de le servir.

Comme le dit Pascal - c'est peut-être la phrase la plus importante de son fameux pari : "Nous sommes tous embarqués". Il faut jouer... et gagner... Il y en a qui ne jouent pas : par exemple dans la parabole, celui qui va enterrer son talent. Manière de dire au Maître : "Je ne joue plus !" Au fond, si on le lit de près, cet Evangile des talents nous explique que c'est celui qui refuse de jouer qui est condamné.

- Mais, à vous entendre, mon Père, on a l'impression qu'il suffit de jouer pour gagner...

- Je crois que c'est effectivement ce que Pascal veut dire dans ce que l'on a appelé à tort "son effrayant pari". Il suffit de jouer pour gagner, mais il faut jouer ! Jouer le grand jeu de la vie. Pas un de ces minables divertissements qui nous font perdre à tous les coups... Nous sommes dans la société du divertissement - en anglais, on parle d'entertainment et il y a une industrie pour ça. Le paradoxe le plus terriblement pascalien, c'est que ce sont nos jeux (nos consoles de jeux) qui nous empêchent de jouer vraiment en perdant le temps au lieu de le racheter - oui : en nous distrayant de la vie.

Voici pour la nouvelle Année, une pensée de Pascal (Br. 171) qui, je crois fait réfléchir et fait comprendre ce qu'est le Pari. Je sais ce n'est pas "fun"... C'est intitulé Misère...

"La seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement, et cependant c'est la plus grande de nos misères. Car c'est celle qui nous empêche principalement de songer à nous, et qui nous fait perdre insensiblement"

L'emploi intransitif du mot "perdre" ici me fait penser que Pascal pense toujours à son Pari.

Mais ne croyez pas que son conseil est austère.

C'est lui aussi, Pascal, qui nous explique - ailleurs - que l'homme ne peut pas se passer de jouer : s'il ne joue plus, il s'ennuie. Le petit joueur vit dans le divertissement. Il a recours au service de l'industrie américaine de l'entertainment. Il perd son temps. Le grand joueur prend le temps au sérieux, il ne cherche pas à fuir, il se sait "embarqué". Il affronte le mystère de sa destinée personnelle. Si il ne triche pas, s'il ne se sert pas intempestivement de je ne sais quel "Joker !", il sort toujours gagnant d'avoir affronté ce mystère. C'est ce... grand jeu, sans Joker, que je vous souhaite à tous pour l'année nouvelle. Faites vos jeux ! Et Dieu misera sur vous.

Pour ceux que choquerait ma chute : "Dieu misera sur vous", ou pour ceux qui la trouveraient "racoleuse", je précise qu'en écrivant cela, je pense à... la grâce efficace. Dieu est un joueur. S'il mise, il n'échoue jamais. Il nous a fait à son image. Si nous acceptons de jouer nous ne pouvons pas perdre.

2011: les voeux du webmestre!

Bonne année, je vous souhaite une bonne, une excellente année 2011! voici pour vous. Et pour nous: 2010 a été un bon cru pour le MetaBlog. Notre audience varie selon l'actualité mais nous avons acquis une base stable. Pour certains d'entre vous le passage par ce blog est devenu une habitude. Pour 2011, je vous espère encore un peu plus nombreux. Il y a pour cela une moyen tout simple, c'est de s'inscrire pour recevoir nos mises à jour: Cliquez, entrez votre adresse, et validez.

Les adeptes de FaceBook peuvent rejoindre notre page - vous y êtes 50, ce n'est pas rien, mais enfin! le New Liturgical Movement compte 4.000 "amis". Sans viser ce nombre je me dis que nous avons une petite marge de progression. Merci à ceux qui nous ont rejoint, merci à ceux qui nous rejoindront. Merci surtout à ceux qui pourraient nous faire connaître à leurs 'amis' et nous faire entrer dans la vitalité propre à ce réseau. Les plus branchés nous retrouveront sur Twitter.

Argent, maintenant: Nous ne vous en parlons (presque) jamais, peut-être parce que financièrement ce blog est neutre: pas de pubs, pas de dépenses. Pas de rentrées, pas de sorties. Sachez cependant que le Centre Saint Paul (dont il est une émanation) a des frais, notamment de loyer. Sachez aussi que les dons donnent droit à reçu fiscal. Autrement dit (voir ici pour donner au Centre St Paul) quand vous donnez 30 euros, vous en récupérez 20 sur votre impôt sur le revenu... mais seulement si vous en payez. Merci à tous les donateurs de 2010, et de 2011.

Je finis par une demande plus personnelle, elle concerne l'abbé Berche. Son accident a eu lieu il y a près d'un an. Il continue de remonter (le chemin est encore long) et nous, continuons à prier pour lui!

jeudi 30 décembre 2010

La prophétesse Anne et le rôle des femmes dans le salut

Voilà un personnage dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle apparaît dans l'Evangile comme une sorte de météore. Nous sommes au Temple de Jérusalem. Selon la Loi de Moïse, 40 jours après la naissance de l'Enfant, ses parents, Marie et Joseph le présentent au Seigneur. Au Temple, deux personnages attendent le Messie, un homme, Siméon, et une femme, Anne. L'un et l'autre apparaissent comme prophètes. Siméon c'est dans ses paroles : je vous renvoie au fameux Nunc dimitis que l'on chante à Complies : "Maintenant vous pouvez laisser aller votre serviteur dans la paix, parce que mes yeux ont vu votre salutaire, que vous avez préparé à la face des peuples, lumière pour la révélation faite aux gentils et gloire de votre peuple Israël". Pour une prophétie c'en est une, et sans doute encore au moment où ce texte a été écrit et mis en circulation ! Quelle annonce ! D'après plusieurs exégètes, il se pourrait que ce Siméon-là soit un ancien Grand prêtre qui avait exercé le Souverain pontificat pendant de longues années et qui vieillissait à l'ombre du Temple. Il est connu des premiers lecteurs du texte, ce qui fait qu'on ne songe pas à le présenter, comme on présentera Anne tout à l'heure, et il y a justement, un peu avant les Grands Prêtres Anne et Caïphe, bien connus des lecteurs de l'Évangile, un Grand prêtre nommé Simon, qui pourrait être notre homme. Il fallait sans doute être un ancien Grand Prêtre pour avoir ce privilège de vieillir dans le sanctuaire. Face au Messie, Siméon incarne le Temple. Il passe la main : Nunc dimittis...

Venons en à Anne. On ne nous cite aucune de ses paroles, mais elle est appelée "prophétesse" par saint Luc. Elle a en quelque sorte le même statut que Siméon. Avec une première grande différence : elle est femme. Rappelons que le Temple de Jérusalem - je veux dire le sanctuaire, naos en grec, le Saint, est un espace.... réservé aux hommes. Anne se tenait, nous dit saint Luc, "aux abords du sanctuaire" où elle vivait "dans le jeûne et la prière", étant veuve depuis plus de soixante ans. Elle aussi, elle attendait. Et les signes de cette attente sont qu'elle n'a pas voulu connaître un autre homme après la mort de son mari (ce propos de chasteté la rapproche du propos de virginité de Marie elle-même, tel que nous le montre le texte de l'Annonciation) et qu'elle vivait au Temple dans le jeûne et la prière. Elle n'est pas d'une tribu sacerdotale ou lévitique comme Siméon l'était sans doute. On nous précise : "fille de Phanuel, de la tribu d'Aser" : une pure israélite (comme le Christ le dit dans l'Evangile de saint Jean - Jean I - à propos de Nathanaël). Elle fait partie de ces anawim, les pauvres de Yahvé dont parlent déjà les Psaumes, qui à force d'attendre le salut promis, ont compris que Dieu, sa force, sa puissance, sa providence (sa grâce efficace diront les jansénistes et les thomistes avant eux) n'était pas seulement une Loi, mais vraiment le Centre de l'existence de chaque personne. Dieu n'est pas seulement celui qui confère une Justice issue de l'observance extérieure de la Loi. Il est vraiment le coeur de notre coeur, auquel on sacrifie sa vie par la chasteté, la pauvreté le jeûne et la prière. En cet instant, me semble-t-il, Anne représente toutes les religieuses du monde, qui sont des prophétesses par leur vie.

L'Enfant survient, avec ses parents, déjà passablement étonnés ["dans l'admiration"] de l'accueil qu'ils ont reçu de la part de Siméon. Et voilà Anne qui se met à "louer Dieu" et à parler de cet Enfant à ceux qui l'attendaient comme leur délivrance. L'observation de la Loi ne remplissait pas son coeur. Ce qu'elle attendait, elle, c'est le Salut. Salut est justement le nom de cet enfant, nom qui lui a été donné au huitième jour de sa naissance, selon l'ordre de Dieu. Jacqueline Genot Bismuth, dans un livre déjà ancien intitulé justement Un homme nommé salut insiste sur le fait que l'on traduit trop souvent Jésus par "Dieu sauve". Le prénom Yehoshua signifie effectivement "Dieu sauve". Mais ce n'est pas le nom que Joseph a donné à cet enfant selon l'ordre de Dieu. Yeho- est une forme "lisible" du tétragamme sacré que les Juifs ne prononcent pas. Le Christ ne s'appelle pas Yehoshua ; il ne s'appelle pas "Dieu sauve". Selon l'ordre de Dieu, il se nomme Yeshua : salut.

Salut ? C'est le nom propre de cet enfant, qui le qualifie dans ce qu'il est d'unique. Mais ce nom, avant même de savoir que c'était celui d'un petit enfant, - à l'image de Marie elle-même - , Anne fille de Phanuel l'avait conçu dans son coeur, à travers cette vie de retrait du monde et de privation. Ayant depuis longtemps conçu ce nom, au plus profond d'elle-même, ayant compris que l'homme ne se sauve pas lui-même, fût-ce par l'observation d'une Loi, si sainte soit-elle, elle attendait la délivrance du peuple de Dieu, une délivrance dont son genre de vie fait comprendre qu'elle en a saisi depuis longtemps la nature spirituelle - et non politique. Il était juste qu'elle reconnaisse cet enfant nommé Salut comme étant Celui qui délivre justement.

Et nous dans tout ça ? Eh bien ! si nous, nous ne parvenons plus à reconnaître le Christ comme celui qui sauve, n'est-ce pas parce que l'idée même de salut donné par Dieu nous fait horreur ? Nous voulons nous sauver nous-mêmes. Nous nous prenons tous pour "Yeshua", nous ne voulons pas que notre salut vienne d'un autre que nous-mêmes. Et c'est pourtant l'essence du salut, une essence que l'on peut expérimenter avant même la venue du Christ, comme l'a fait Anne de la tribu d'Aser, que d'être un DON venu d'ailleurs. Notre salut, nous avons tendance à l'oublier, comme les Pharisiens du temps de Jésus, ne vient pas de notre justice, de nos performances, de ce que nous soyons meilleurs que les autres. il vient de la sincérité de notre attente et d'une grâce de Dieu qui est forcément efficace, puisqu'elle nous transforme.

Notre salut vient de ce que nous savons attendre cette transformation nécessaire d'un autre, et que sachant cela, nous reconnaissons Jésus, l'homme nommé salut, comme cet autre.

La force de Siméon, c'est de nous le DIRE dans son Nunc dimittis : "Mes yeux ont vu votre salutaire" traduit saint Jérôme : salutare tuum. Il a raison. Ce salut n'est pas une abstraction, c'est une personne. On peut donc dire aussi (si l'on suit Jacqueline Genot-Bismuth) : "Mes yeux ont vu votre salut", en nous souvenant qu'un homme a été nommé "salut" : Yeshua.

La force d'Anne, qui manifeste l'étrange accointance existant depuis le commencement entre Dieu et les femmes, c'est de VIVRE cette attente, de nous montrer par sa vie comment c'est non pas la Loi mais Dieu même qui est devenu le centre. Bref c'est d'avoir conçu le salut avant de le recevoir.

En évoquant Anne, je parle de la complicité des femmes avec Dieu, cette étrange accointance. Il en a toujours été ainsi ! Voyez bien sûr Genèse 3, 15 : "Je mettrai une inimitié entre toi et la femme" dit Dieu au Serpent diabolique. Voyez aussi Gen. 4, 1 : "Adam connut Ève sa femme : elle conçut et enfanta Caïn, et elle dit : "J'ai acquis un homme, grâce à Yahvé". L'associé d'Ève pour la vie, ce n'est pas Adam, c'est... Yahvé lui-même. Et Ève s'exprime ainsi après et malgré le péché originel, cet acte d'orgueil qui lui a valu... la porte du Paradis terrestre. Vitalement, elle n'a pas totalement rompu avec Dieu. La vie, dont les femmes sont porteuses, est toujours l'ambassadeur de Dieu !

Anne, attendant dans le jeûne et la prière la délivrance d'Israël, est bien une fille d'Eve. Elle a deviné le salut, avant qu'il n'arrive et sa vie, depuis son veuvage intervenu "sept ans après sa virginité", a été une longue matérialisation de ce pressentiment.

mardi 28 décembre 2010

"L'orgueil est-il un péché de faiblesse?" - Abbé de Tanoüarn

Chers amis, voici une vidéo sur un sujet facile, histoire de me faire la main. C’est mon ami Laurent le coupable! Il m’a proposé de réaliser une série de petits films à mettre sur Daily motion, comme il en circule beaucoup sur le web. Encore un moyen de transmettre? Et pourquoi pas? Il a suffi que j’en parle à des amis restaurateurs libanais. Et nous voilà dans un cadre solide, ce n’est pas le Caveau de la Huchette, mais enfin pas très loin… Laurent filme impeccablement. Et l’on peut multiplier les courtes mises au point de ce genre, quitte à aborder parfois l’actualité la plus brûlante. Bientôt une vidéothèque du Centre Saint Paul sur Internet? Il faudra que l’abbé Baumann, l’abbé Neri et les laïcs qui le souhaitent viennent compléter la collection...

lundi 27 décembre 2010

Dans les diocèses: «… la relève n’est pas là …»

La Croix s’entretient aujourd’hui avec Marie-Françoise Godard, l’assistante sociale que le diocèse de Rennes emploie, «pour apporter une aide aux prêtres âgés». Il s’agit de les accompagner «sur le plan matériel comme sur le plan de leur santé». Et ce n’est pas une mince affaire : Les «500 prêtres» de 2001, ne sont plus que «340» mais leur moyenne d’age est passée de 69 à 74 ans. Une des missions de l’assistante sociale est d’établir un «tableau de bord trimestriel avec le nombre de prêtres actuel et prévisionnel, la pyramide des âges», qui aide l’évêque dans ses nominations. Vues les circonstances, celles-ci «deviennent plus difficiles».

Autre difficulté, pour les prêtres : Retraités «à 60 ans» pour les caisses de prévoyance, ils restent en activité jusqu’à 75 ans et peuvent alors «demander à être déchargés de leurs fonctions: ils sont alors ‘retirés’». Demande qu'ils ont du mal à faire: «le sacerdoce, c’est toute leur vie». Et «ils voient bien que la relève n’est pas là». Quitter leurs ouailles? mais pour les confier à qui! Se pose aussi la question des moyens financiers: «Pendant leur séminaire, on leur a dit qu’ils seraient toujours pris en charge». L’assistante sociale prend en compte leurs désirs, mais doit «voir avec eux ce qui est possible».

Certains diocèses font appel à des bénévoles pour cet accompagnement des vieux prêtres. Mais le métier  ne s’improvise pas, et les évêques commencent à recourir à des assistantes sociales professionnelles: «En 2001, nous étions six… aujourd’hui, nous sommes 14». Inévitablement, «le thème des prêtres âgés sera débattu lors de la prochaine Assemblée plénière des évêques à Lourdes».

Voici donc ce que dit l’article. Il témoigne de ce que l’Eglise de France s’évapore. Force est de constater qu’à ce sujet, un ricanement imbécile s'élève parfois de nos rangs: Il y aurait d’un côté les «conciliaires» qui n’ordonneraient plus grand monde -- de l'autre côté nos séminaires traditionalistes, qui seraient pleins.  Eh bien... c’est une erreur d’optique.

Prenez un diocèse classique: 20 ou 30 ordinations annuelles dans les années cinquante, 2 ou 3 aujourd’hui. Auxquels s’ajoute un jeune formé dans une Fraternité et ordonné «pour la messe traditionnelle». Nous, traditionalistes, pouvons nous réjouir: ce nouveau prêtre c'est «1 sur 4» voire «1 sur 3»! Dans le même temps nous reprochons aux «conciliaires» d’avoir décroché de 90%. A y regarder de plus près... c'est aussi imbécile et injuste que si des «conciliaires» nous objectaient que le sacerdoce sous sa forme traditionnelle attire aujourd'hui  un seul jeune, c'est à dire 20 ou 30 fois moins que dans les années cinquante.

L’Eglise de France ordonne une petite centaine de prêtres chaque année. Pour maintenir le clergé à 25.000 (étiage des années 70) il faudrait 500 ordinations annuelles. Nos séminaires traditionalistes ne sauraient à eux seuls en fournir plus qu’une fraction, quelque bonnes que soient les perspectives.

La souffrance de l’Eglise de France est notre souffrance.

dimanche 26 décembre 2010

[Laurent Tollinier - Respublica Christiana] Noël, naissance et renaissance


Le mystère de Noël a quelque chose d’un clair-obscur formidable et métaphysique. Ténèbres et lumière dans leurs expressions radicales! Devant la lumière éclatante de gloire divine qui accompagnait le message de l’ange, les bergers de la campagne de Bethléem semblent avoir perçu, avec leur faculté intacte d’émerveillement, la portée hors du commun de ce contraste lumineux : au cœur de la nuit la plus longue de l’année, en plein solstice d'hiver, le jaillissement de la « Lumière du monde», le Christ. Mais aujourd’hui, qu’évoque un tel contraste pour notre temps qui ne sait plus vraiment voir les symboles ? Certes, les scintillements qui animent nos villes à longueur de boulevards, les soirs de ce temps de Noël, manifestent encore un certain symbolisme et témoignent confusément de son origine, mais c’est en définitive sous un mode platement festif. Les guirlandes clignotent plus pour le consommateur affairé que pour l’homme face à son destin.

C’est pourtant à ce dernier que s’adressent le Créateur et les signes révèlant Ses actes. Au moment où naît Son Fils dans une modeste étable, cette opposition entre la lumière par excellence et la nuit la plus dense renvoie au « Fiat lux » de la Création. Tout commence et tout recommence par une lumière absolue surgie dans la nuit. Oui, la Nativité apparaît comme le second acte de cette Création. Dans un monde assombri par le péché et avec pour horizon certain la mort, « salaire du péché » (Rom 6, 23), elle constitue un nouveau départ.

En effet, l’avènement du Sauveur est une victoire sur la mort, excusez du peu. Cette naissance divine est riche d’une promesse inédite. Rompre le cycle fatal de l’alternance vie/mort dans l’existence de l’humanité. Mettre fin au mécanisme millénaire de la Chute, qui fait de la mort un mode de régulation du vivant. En suivant librement le Christ, l’homme retrouve son destin, à rebours de tout « être pour la mort ». L’Histoire prend un autre sens. Aussi, bonne nouvelle entre toutes, c'est bel et bien la renaissance de l’humanité urbi et orbi qui a débuté en cette vallée de la Mer Morte, dans la petite ville de Bethléem.

Laurent Tollinier

jeudi 23 décembre 2010

Tu es mon Fils...

Très belle conférence mardi dernier au CSP. Et très peu d'auditeurs pour l'entendre : le happy few, que n'avaient découragé ni les vacances, ni la neige, ni la... difficulté du sujet. Sylvie Chabert d'Hyères venait évoquer ses trouvailles exégétiques. Spécialiste de ce que l'on nomme le Texte Occidental, contenu dans le Codex de Bèze, gardé jalousement jusqu'au XVIème siècle par l'Eglise de Lyon, elle voulait évoquer non la naissance du Christ mais son baptême par jean Baptiste, qui marque le commencement de sa vie publique.

Nous allons célébrer le baptême du Christ le 13 janvier prochain dans la liturgie extraordinaire. J'avoue que cet épisode présent dans les quatre évangiles m'a toujours fasciné. Mais j'ai encore aujourdhui du mal à comprendre son sens profond. Je me souviens d'un article du Père Spicq dans la Revue Biblique. J'avais sauté dessus, espérant des éclairages inédits. Le développement du Père Spicq n'est pas sans intérêt, mais le moins que l'on puisse dire est qu'il n'emporte pas la conviction... Il est... oui... poussif.

Eh bien ! Poussive, cette conférence ne l'était pas. Mais c'est en se ralliant à une variante proposée par le Codex de Bèze (Vème siècle) que l'on comprend la portée absolue de cette scène qui est le commencement de la prédication chrétienne.

Dans la version ordinairement retenue, pour les Paroles du Pères, manifestant son Fils, on a : "Celui ci est mon Fils bien aimé, en qui j'ai mis mes complaisances". La même formule que dans le récit de la transfiguration (Lc 9). "Fils bien aimé" : la formule renvoie au sacrifice d'isaac "fils bien aimé" d'Abraham. Elle contribue à manifester l'atmosphère sacrificielle de l'épisode de la Transfiguration. Pour endurcir ses trois apôtres contre le spectacle de sa souffrance et de sa mort, le Christ leur manifeste sa divinité et sa supériorité sur Moïse et sur Elie, sur la Loi et les prophètes. Rien de tel au moment du Baptême...

Encore que... S'il n'est pas question du Sacrifice, il est question de génération, c'est-à-dire (comme toujours au fond dans l'Evangile) de vie et de mort. Dans le Codex de Bèze, la Voix du Père reprend la Parole du Psaume 2 : "Tu es mon Fils, aujourd'hui je t'ai engendré". Le sens peut paraître proche à une lecture superficielle. Comme toujours, les variantes du Codex de Bèze sont apparemment peu de chose. Mais cette variante pousse tout de même à la réflexion.

De quelle génération s'agit-il ? De la génération du Fils dans la Trinité ? Non. Il n'y aurait pas lieu d'écrire "aujourd'hui, je t'ai engendré". Le processus n'est pas éternel, mais temporel. De plus, la présence du Saint Esprit ne s'expliquerait pas, s'il était question uniquement de la génération du Fils dans l'éternité.

De quelle génération s'agit-il ? De la génération de l'homme Jésus, premier né d'une multitude de frères et désigné par le Père, dans l'Esprit Saint comme l'Aîné de toute l'humanité, comme le premier homme qui accomplisse pleinement son destin, comme le premier homme-Dieu ou plutôt comme l'Homme-Dieu qui divinise tous ceux qui seront baptisés en lui. Au fond, le baptême du Christ, c'est... son incarnation, du Père et de l'Esprit Saint, qui est rendue visible par le geste de Jean-Baptiste, appelant la voix céleste et la colombe.

Jean-Baptiste, lui qui se définit couramment comme n'étant pas digne de dénouer la courroie de la chaussure de cet homme-là, n'en est pas le véritable baptiseur. Son baptême à lui, Jean, est un baptême de pénitence et de conversion. Rien à voir avec ce qui se passe dans l'eau du Jourdain en ce moment : la manifestation d'une naissance. "Tu es mon Fils, aujourd'hui je t'ai engendré". Ce qui est né de la Vierge Marie (quod natum est ex te sanctum), est né saint, est né baptisé. Le baptême dans le Jourdain est la visibilisation de l'Incarnation comme mystère trinitaire.

Jean avait été appelé le baptiseur. Tant que le baptême est la pure manifestation extérieure d'une pénitence intérieure, ce nom n'est pas usurpé. Baptiser signifie "laver". Se faire baptiser par jean, c'est subir un... lavement spirituel. Mais dans la scène du baptême du Christ, il s'agit de bien autre chose. Alors "s'accomplit toute justice", c'est-à-dire toute sainteté. Ce qui était caché à Bethléem à tout autre qu'aux bergers (ces marginaux qui gardent leurs troupeaux hors de la Ville) ou aux Mages (ces étrangers vraisemblablement zoroastriens que personne n'attendait) devient manifeste à ceux qui seront les futurs disciples du Christ. Le baptême du Christ, c'est le Bethléem des apôtres, la manifestation visible de l'Incarnation du Verbe, né saint de la Vierge Marie... Et le véritable baptiseur n'est pas celui qu'on pense. On imagine que c'est Jean. Mais Jean tient la place de Dieu pour que la Justice se manifeste en plénitude, pour que, en Jésus (et en tous ceux qui seront baptisés après lui et en lui) soit signifié à tous l'accomplissement divin de l'humanité de l'homme : "Tu es mon Fils, aujourd'hui je t'ai engendré". Cet accomplissement ne peut être qu'un don gratuit de Dieu. En cela, Dieu est le baptiseur.

Et cela est vrai jusqu'à aujourd'hui. Le baptême chrétien n'est pas une simple cérémonie manifestant l'attachement au Christ. C'est un rite qui transforme celui qui le reçoit (un sacrement), en lui permettant d'envisager un autre destin, celui de fils ou de fille de Dieu : Tu es mon fils, tu es ma fille aujourd'hui je t'ai engendré(e). Il n'y a pas d'âge pour recevoir ce don sublime de la vie éternelle, où se reproduit, en quelque sorte à l'envers, l'Incarnation du Christ. Mais ce don est forcément offert à une liberté. Pour les petits enfants, cette liberté humaine qui reçoit le don de Dieu, c'est celle des parents, qui donnent ainsi la vie une deuxième fois à leur enfant, comme l'explique Cajétan. Plus tard, au fur et à mesure de son développement, c'est la liberté de chacun ou de chacune qui, en quelque sorte, proportionne le don de Dieu.

Le baptême du Christ est ainsi la manifestation de son Incarnation de Spiritu sancto, "de l'Esprit saint". C'est la manifestation de sa sainteté proprement divine (il est celui en qui s'accomplit toute justice) et du destin éternel qu'une telle sainteté (que cette sainteté proprement divine) mérite ou conquiert sur le néant.

J'ai interprété un peu librement les éléments que nous a apporté avec tant de précision, de compétence et de prudence Sylvie Chabert... Je ne suis pas sûr qu'elle théologise ainsi la scène. Mais je ne crois pas être infidèle, ce disant, au mouvement de sa pensée.

mercredi 22 décembre 2010

Le soir de Noël ?

Beaucoup de gens sont seuls dans nos grandes villes. A l'origine de cette solitude ? L'individualisme qui fait éclater les couples, qui divise les familles en portant la bonne nouvelle fallacieuse du "Tout à l'ego". Le monde matérialiste dans lequel nous évoluons nous ment en nous présentant le bonheur comme quelque chose d'absolument personnel, comme quelque chose qui est en soi-même et que l'on obtient en sachant "s'occuper de soi". En réalité, depuis 2000 ans l'Evangile nous répète la bonne nouvelle du bonheur : elle est toute différente. On n'est heureux que lorsque l'on parvient à ne pas vivre pour soi. "Il y a plus de joie à donner qu'à recevoir". Cette phrase du Christ que nous rapporte saint Paul dans les Actes des apôtres pourrait être la devise du chrétien. Elle se vérifie particulièrement le soir de Noël.

C'est dans cet esprit que nous essayons de vivre les fêtes au Centre Saint Paul. Depuis plusieurs années, après la veillée de prière et de chants à 23 H, après la messe de Minuit (à Minuit), nous proposons - gratuitement bien sûr - un Réveillon "aux huîtres", qui se poursuit tard dans la nuit. J'ai pensé d'abord ce faisant aux convertis venant de l'islam et qui pourraient se retrouver seuls un soir de Noël, en méditant sur l'indifférence de la communauté chrétienne qu'ils ont adopté. Mais je me suis rendu compte que nous profitions tous de ce moment. Après avoir partagé la grâce de Noël, quoi de plus naturel que de se retrouver autour d'un petit verre de champagne ? "Spirituel et spiritueux" ? Nous ne sommes pas jansénistes au mauvais sens du terme. N'hésitez pas, vous qui lisez ce Blog depuis longtemps, à vous joindre à nous ce soir-là, pour partager ce DON de Dieu : la joie.

mardi 21 décembre 2010

«Tu es mon Fils, aujourd’hui je t’ai engendré », Lectures de Noël autour du Psaume 2 - par Sylvie Chabert d’Hyère

Mardi 21 Décembre 2010 à 20H00 :«Tu es mon Fils, aujourd’hui je t’ai engendré », Lectures de Noël autour du Psaume 2 - par Sylvie Chabert d’Hyère - PAF 5€, tarif réduit à 2€ (étudiants, chômeurs, membres du clergé) - La conférence est suivie d’un verre de l’amitié.

lundi 20 décembre 2010

Jacqueline de Romilly : le Styx ou le Christ

Jacqueline de Romilly, éminente helléniste, qui a si bien divulgué son savoir et que l'Académie avait su distinguer en lui offrant le fauteuil de Marguerite Yourcenar, nous a quitté à l'âge de 97 ans. Elle s'était définitivement convertie au christianisme en 2008 (on pense à la conversion très tardive et tout aussi sincère de Ernst Junger). Grâce à Emmanuel Delhoumme, j'ai découvert les circonstances de cette adhésion tardive. Jacqueline de Romilly, née Jacqueline David, avait été baptisée en 1940 dans des circonstances que l'on peut deviner. Et... elle en était resté là. C'est le Père Mansour Labacky, rencontré par hasard lors d'une vente de livres, qui lui a permis d'aller plus loin. Voici l'entretien qu'ils eurent au dégotté - et ses suites :

"Madame, je vais vous poser une question embarrassante : où en êtes vous de votre foi ? Excusez-moi pour cette question. Je sais qu'un prêtre français n'agirait pas de la sorte, mais je suis Libanais. Elle m'a répondu : "Mon Père, je suis au seuil - N'y a-t-il pas moyen de franchir ce seuil ? - Cela va être difficile. Je me suis fait baptiser en 1940... Et puis c'est tout. Plus tard, elle m'a téléphoné pour me dire : "Père, pouvez-vous passer chez moi ? Je voudrais que vous me parliez un peu du christianisme". Nos échanges étaient très libres et pleins d'humour. Elle s'est confessée. Le jour de sa première communion, son regard était celui d'une enfant de dix ans.
Elle m'a appelé plus tard pour me dire : "Père, vous êtes chargé de mon âme maintenant. Or vous savez que je ne suis pas confirmée". Nous avons poursuivi ce cheminement ensemble. Il m'est arrivé à plusieurs reprises de lui donner la communion. Après sa confirmation, elle disait volontiers : "Je suis maronite maintenant".

Le Père Labaky est un merveilleux conteur. Mais ce qu'il nous conte, c'est la réalité nue : l'histoire d'une âme. La conversion de l'académicienne ? Ce n'était pas une question de raisons ou de raisonnement. Simplement une question de temps. La grâce, cette impulsion mystérieuse qui nous fait remonter jusqu'à Dieu et à son éternité, est un mouvement profondément temporel. Saint paul parlait à ce propos du Kairos : c'est maintenant le temps favorable ! C'est maintenant le jour du salut. J'ai rencontré tout à l'heure un jeune homme se demandant s'il ne devait pas recevoir le baptême et je lui ai fait la même réflexion, avec une image un peu plus martiale : "Vous avez une fenêtre de tir, il faut en profiter". C'est maintenant ! Dieu ne repasse pas forcément les plats quand il se voit dédaigné. Mais il faut aussi savoir attendre ce "maintenant". Jacqueline de Romilly l'a attendu quatre-vingt quinze ans. Ernt Jünger un peu plus. Mais pour d'autre le "Maintenant" intervient plus tôt, à 25 ans ou à 50 ans, et parfois par surprise. "C'est à une heure où vous n'y pensez pas que le Fils de l'homme viendra" : il ne faut pas manquer ce rendez-vous avec la grâce de Dieu qui ne se représentera pas forcément de sitôt.

Jacqueline de Romilly, avec sa merveilleuse culture grecque, aurait pu descendre devant le Styx, ce fleuve infernal où le passeur Charron fait payer trop cher le passage. Mais elle a rencontré le Christ, cet homme nommé "Salut" ("Jésus"). Et cette rencontre, à entendre le Père Labaky, lorsqu'elle a eu lieu pour la première fois dans l'eucharistie, a fait rajeunir son regard de... 85 ans.
On l'imagine dans l'aujourd'hui de cette rencontre avec le Christ, perçant le Ciel de Dieu de ses yeux très bleus dans la même éternelle première fois.

samedi 18 décembre 2010

Bonnes fêtes de fin d’année ?

Partout le même refrain: «Bonnes Fêtes de fin d'année». J’ai beau chercher, je ne vois pas quelles sont ces «fêtes» au pluriel qui marqueraient la fin de l’année. Le 31 décembre c’est le nouvel an qui est fêté. Reste Noël? Mais pourquoi mon patron ou le maire de ma commune (ou mon concierge ou les pompiers) ne me souhaitent-ils pas «Joyeux Noël», alors? Je ne demande pas à mon Premier Ministre de me souhaiter de Saintes Pâques ou une bonne fête de la Trinité, mais enfin… Noël, quoi!? il pourrait faire un effort, à Noël, pour me souhaiter «Noël», et pas la fin de l’année.

Je me dis que peut-être ces gens ont des pudeurs (nous vivons des temps très pudiques), qu’il leur est important de marquer-le-coup-mais-pas-trop, que «fêtes de fin d’année» signifie «fête que nous ne saurions mentionner mais que nous ne voulons non plus ignorer tout à fait», bref, que cet emberlificotement relève de la veulerie plus que de la laïcitude?

mardi 14 décembre 2010

[conf'] «Le nouveau livre d’entretiens du Pape Benoît XVI : La lumière du Monde» - par l’Abbé Guillaume de Tanoüarn

Mardi 14 Décembre 2010 à 20H00: «Le nouveau livre d’entretiens du Pape Benoît XVI : La lumière du Monde» à paraître le 24 Novembre 2010 - par l’Abbé Guillaume de Tanoüarn - PAF 5€, tarif réduit à 2€ (étudiants, chômeurs, membres du clergé) - La conférence est suivie d’un verre de l’amitié.

lundi 13 décembre 2010

Le turbot de Domitien

A titre informatif, tout d'abord, suite à un petit bug dans la transmission des conférences, bug dont je suis responsable, je voudrais annoncer moi-même la conférence que je donne aujourd'hui 14 décembre, au Centre Saint Paul à 20 H, sur Lumière du monde, le livre d'entretiens de Benoît XVI. Ce livre marque-t-il un tournant dans le pontificat ? Le mot est sans doute un peu fort. Mais le texte est clair : Benoît XVI semble avoir tourné la page sur la liturgie (alors que l'année de l'eucharistie n'est pas terminée) comme sur la critique du Concile. C'est le même Ratzinger qui parle, et souvent de façon très personnelle ; il n'a pas changé, non, mais il nous parle d'autre chose. rendez-vous demain pour essayer de comprendre la nouvelle dynamique de son pontificat.

J'avais peu de temps hier pour relater une discussion qui, je pense, peut aussi vous intéresser. A la Journée du Livre de Renaissance catholique, je suis tombé sur Gianfranco Stroppini, avec lequel, je faisais, tout récemment une émission sur Virgile. Cet italien possède à fond l'ars bene loquendi. C'est un bonheur de l'écouter. Pourtant cette fois, il m'a emmené dans des sentiers périlleux. Pour lui, la décadence de l'Empire romain n'est pas due au christianisme, mais à la Paix romaine et à l'idéologie augustéene qui en a entouré la "prédication" citoyenne. Cet immense peuple en paix depuis trois siècles, n'avaient plus les moyens de se défendre, contre des "Barbares" qui n'étaient pourtant pas forcément effrayants et qui, d'ailleurs, avaient fini par constituer ses propres armées, grâce à ce que l'on aurait pu appeler judicieusement à l'époque une immigration choisie. Au nom du devoir d'état, les chrétiens se sont bien battus sous les Aigles de Rome. C'était le plus souvent des officiers courageux, lucides et dévoués à un Empire officiellement devenu chrétien sous Théodose. Thèse de Gianfranco : le pacifisme romain ne vient pas du christianisme mais... d'une société de consommation qui s'affirme et qui va mourir de sa prospérité.

Je n'avais jamais vu la chose sous cet angle. Il m'a paru intéressant

Et justement tout à l'heure, je tombe vraiment par hasard sur un fragment des Satires de Juvénal (le terrible Juvénal !), qui me semble aller tout à fait dans le sens de Stroppini. Je ne résiste pas à vous le citer. il s'agit de Crispus, un sénateur blanchi sous le harnois. Je crois qu'il a beaucoup de sosies aujourd'hui dans la haute fonction publique. Juste une différence : à l'époque le tyran était une personne ; aujourd'hui, c'est l'Opinion publique, génératrice d'une idéocratie parfaitement monolithique, au sein de laquelle on est invité à se poser tous ensemble les mêmes problèmes en même temps, en ayant à l'esprit les mêmes solutions.

Voici ce texte tiré de la 4ème Satire. Je me permettrai quelques entorses par rapport à la traduction reçue : "Même Crispus vint aussi, aimable vieillesse, dont l'agréable faconde évoquait les moeurs. Son génie était dans sa mansuétude. Durant ces fléaux pestilentiels, pour celui qui dirige les mers, les terres et les peuples, quel compagnon aurait été plus utile s'il lui avait été permis de condamner la cruauté et de mettre en valeur un conseil honnête ? Mais quoi de plus enclin à la violence qu'un tyran qui vous prête son oreille ? Qu'un de ses amis lui parle de la pluie, du beau temps ou des nuages, et déjà sa vie est en jeu. Lui, Crispus, il n'avait jamais nagé face au torrent. Il n'était pas citoyen à proférer librement les mots qui lui venaient à l'esprit ou à consacrer sa vie au vrai. Ainsi vit-il beaucoup d'hivers et 80 solstices. Dans l'enceinte de l'assemblée, grâce à ces armes-là, il était en sécurité". Une note nous avertit que l'on nous parle de Vibius Crispus, consul pour la troisième fois en 83 : un cumulard. Ses "armes" ? La conciliation, le respect de l'avis dominant et l'évaluation constante des risques personnels. L'emploi du mot "armes" ne manque pas de sel. Ce que décrit Juvénal, dans cette quatrième Satire, c'est un mental de pacifiste.

Mais le plus drôle n'est pas ce portrait, si plausible pourtant, j'allais dire si actuel mutatis mutandis. Le plus drôle c'est la raison pour laquelle "Même Crispus vint aussi". On devine l'importance du personnage. Eh bien ! Il vient au Conseil pour une histoire de poisson : un turbot d'une taille exceptionnelle. Le pécheur avait voulu en faire don à l'Empereur, note perfidement Juvénal, puisque de toute façon "tout ce qu'il y a de rare et de remarquable dans l'Océan appartient au fisc". Au moins trouvait-il là une occason de se mettre en valeur lui-même. Mais pourquoi convoquer les conseillers du Prince pour cette vétille ? Il y a une circonstance dont vous saisirez tout de suite combien elle est agravante. Juvénal encore : "Il n'y avait point de plat à la mesure du poisson". Commentaire de Victor Hugo quelque part : "Ainsi le sénat romain délibèrera sur le turbot de Domitien". Alors que la crise menace, on nous amuse, nous aussi, - et on amuse nos ministres - avec toutes sortes de turbots de Domitien. Ce sont les petits côtés de la paix romaine. Mais aussi les colifichets médiatiques de la Pax americana.

Quant au pacifisme, il ne vient pas du christianisme. Tout juste trouve-t-il une justification aujourd'hui dans un christianisme dévoyé, qui en arrive à ce degré de myopie qu'il confond la molesse et la douceur. Mais, on le voit bien dans ce texte qui nous raconte le Premier siècle comme si nous y étions, la source du pacifisme, hier et aujourd'hui, c'est la société d'abondance qui signifie toujours statistiquement un déclin du courage.

dimanche 12 décembre 2010

La Sainte Russie fait salle comble

Le Frère Thierry avait organisé son affaire au petit poil : chorale orthodoxe, conférences et petits fours au Centre Saint Paul, avec un public varié mais passionné. Superbe chorale, m'a-t-on dit. J'ai assisté à une très belle communication de M. Marchadier sur les Récits d'un pèlerin russe. Il évoqua la ressemblance avec Ignace de Loyola, au moment où son exposé m'y faisait penser. Inigo (son nom basque) était une sorte de pèlerin russe avant la lettre. Il a d'ailleurs fait le voyage à Jérusalem, après deux ou trois ans de "conversion" terribles. A ce propos je vous recommande le très beau livre qui vient de sortir dans la collection blanche Gallimard sur Inigo : le siège de Pampelune et les premières années de la conversion : "J'ai longtemps détesté Ignace de Loyola" nous dit l'auteur. il nous le fait aimer. Procurez-vous ce livre, ou, à défaut, le Récit du pèlerin [ce pèlerin là n'est pas russe mais basque], passionnante autobiographie d'Ignace de loyola, si loin de l'image qu'auront les jésuites plus tard [en particulier dans la pensée russe].

J'avais eu l'imprudence d'accepter moi même un topo sur Nicolas Berdiaev, ami de Maritain et de Mounier, assidu au salon catho-décalé de Raïssa Maritain : il venait de Clamart (où il résidait) à Meudon, la maison des Maritain, pedibus cum jambis, seul avec ses pensées à l'aller et embauchant un commensal comme oreille attentive pour le retour... On dit qu'Emmanuel Mounier l'accompagnait fréquemment. Est-ce durant ces promenades, qu'en péripatéticiens, ils auraient mis au point le personnalisme ? Berdiaev participe au premier numéro de la revue Esprit, foindée par Emmanuel Mounier, avec - déjà - l'idée : que faut-il retenir du communisme ? Il fera scandale en 1945, en acclamant Staline, le petit père des peuples. Mais en 1918 il écrit le livre le plus antirévolutionnaire qui soit : De l'inégalité, rédigé dans l'esprit de Joseph de Maistre qu'il cite d'ailleurs à plusieurs reprises. On se souvient que Maistre fut ambassadeur de Savoie à Saint-Pétersbourg pendant au moins dix ans... Ce qui est bien avec les Russes, c'est qu'ils ne sont jamais là où on les attend ! Berdiaev en est un exemple frappant.

J'ai beaucoup bouffé du Berdiaev, ces derniers jours et vous fais part de ma science neuve : ce qui m'a passionné chez lui, au-delà de ses zig-zags distrayants, c'est son personnalisme "métaphysique", dont il disait que c'était un personnalisme "aristocratique" (cet aristocrate russe avait une grand mère Choiseul). Pour lui, l'individu devient une personne quand il est mis en face de l'Infini et qu'il participe de sa faculté créatrice. Ceux qui sont devenus des personnes - qui ont expérimenté l'Infini d'une façon ou d'une autre, qui ont perçu quelle volonté nouvelle devait animer leur existence face à ces nouveaux horizons, ceux là sont appelés au Royaume de Dieu. Le Royaume de Dieu est composé de personnes [Marcel De Corte qui lui a peut être emprunté l'idée, dit que l'Eglise est la seule société de personnes]. La re-création qui caractérise le baptême signifie le passage de l'individu (simple partie d'un tout humain) à la personne (mystère inconnaissable que seul l'amour peut apercevoir).

Je trouve Berdiaev tout à fait caractéristique (au-delà de ses excès) de l'identité chrétienne de l'Orient et de l'Occident. Il essaie de montrer ce qu'il appelle la dimension "ontologique" du Royaume de Dieu. Le Royaume de Dieu n'est pas le récit d'une belle histoire à laquelle on croit ou à laquelle on ne croit pas (comme tu veux, tu choisis). C'est une modification de l'être même de chaque personne, c'est ce qui permet aux personnes de se saisir de leur responsabilité personnelle devant l'Infini créateur. Le christianisme est une histoire de métamorphose : dans le Christ, dans la foi au Christ, nous sommes transformés en hommes-dieux. Dans le Christ nous devenons éternels. Ego dixi : dii estis. Le voulons-nous ? - Il suffit de le vouloir !

[Rémi Lélian - Respublica Christiana] L'Homme-Grizzly ou l'idéologie de la nature

Timothy Treadwell, c'est cet homme plus connu aux USA sous le nom de Grizzly Man, et auquel Werner Herzog a consacré un film du même nom en 2005. Doux dingue qui entreprit de vivre en la compagnie des ours du grand nord américain, treize étés durant, Timothy Treadwell voua la plus grande partie de sa vie à défendre ces bêtes féroces, en lesquelles il croyait trouver une espèce de rédemption du monde, un ordre pur opposé à celui d'une civilisation moderne devenue folle. Hélas, lors de son dernier séjour, à l'été 2003, un de ses amis plantigrades, affamé, décida qu'il en ferait bien son diner et le dévora, lui et sa femme. La nature avait repris ses droits, et le prédateur la vie de ce pauvre illuminé qui, plus que l'amitié des bêtes, cherchait en réalité à mourir sous leurs griffes, sacrifié au grand dieu Pan et à son holocauste païen.

Que nous apprend cette histoire ? Quel sens donner à la vie et à la mort de l'Homme-Grizzly dans un monde qui, à mesure qu'il s'éloigne de la nature, semble la fantasmer de plus en plus, jusqu'à y apercevoir un Éden immanent, un paradis perdu quoique néanmoins accessible en hélicoptère et, quand même un évêque lui accorde récemment une justice autonome, capable de rendre seule ses comptes ? Cette histoire nous enseigne que la nature est une idole comme une autre, et que sa principale caractéristique, en tant que telle, est de tromper Celui qui lui concède cette part d'absolu qu'elle ne réclame pourtant pas. Que son ontologie est celle du meurtre et de l'imperfection, au sens transcendant du terme. A fortiori pour nous catholiques, qui ne pouvons entendre évoquées les notions de Justice et d'Ordre autrement qu'au travers de cette charité mystérieuse, dont le Seigneur nous dit qu'elle est la véritable fin de l'Incarnation. L'ours dévore ses petits, les maladies saccagent indifféremment la vie des innocents et celle des autres. C'est ainsi que fonctionne la nature, et le logiciel qui la meut est moins celui de l'équilibre, que celui de la barbarie égalisatrice dévorant le faible afin de nourrir le fort... La nature est libertarienne...

Vigny disait, il y a près de deux siècles déjà, que l'homme redevient singe. Il nous semble, au regard de la malheureuse expérience de Timothy Treadwell, que cette phrase est éminemment vraie, à ceci près qu'il est désormais un singe en costume. Le monde moderne dans lequel nous vivons, contrairement à ce que voudraient nous faire accroire les José Bové et autres tenants écologiques de la décroissance, c'est le monde barbare de la nature, et si les forêts disparaissent et qu'ici, de la jungle équatoriale nous ne connaissons rien d'autre qu’un cliché de carte postale, il n'empêche que ses lois impavides sont les nôtres. Sa lettre nous échappe, cependant que son esprit violent nous vivifie jusqu'où néant, où il ne manquera pas de nous emmener, irrémédiablement.

La société libérale, notamment, c'est l'image de la nature qui fournit aux animaux seuls capables de s'adapter la possibilité de la survie, qui fortifie les plus forts et éradique les faibles. Qu'il y ait aujourd'hui une idéologie de la nature, des défenseurs de son économie, dans un univers qui a intégré la contradiction comme une condition de son achèvement, ce n'est pas la preuve d'une opposition au monde moderne, mais, à l'inverse, celle de la parfaite adéquation de cette idéologie avec celui-ci. Car ce qui agite la psyché des capitalistes, plus encore que les profits et l'enrichissement personnel, c'est à n'en pas douter la volonté inconsciente du vide et de la mort, recueillis au sein d'un ordre naturel qui les justifie ! « Périssent les faibles et les ratés », disait Nietzsche. « A chacun son dû », annonçait le portail de Buchenwald. Autant de phrases dont notre psychologie contemporaine ne rougirait pas et qui, plutôt que de nous inquiéter, nous rassurent puisqu'elles nous murmurent que tout va bien, que le monde fonctionne, et que chaque chose trouve sa place ici-bas, fusse dans la mort.

Timothy Treadwell ne voulait pas vivre avec les ours ; il désirait mourir grâce à eux, afin de retrouver cette loi naturelle du fort et du faible, que le Christ est venu abolir ! Et le système fou de Wall Street, comme la fascination d'une nature justicière et suffisante, l'imite en cela qu'il ne souhaite pas aux hommes une vie meilleure, plus juste, mais qu'il leur garantit la certitude inconsciente de la mort. Certitude qui aujourd'hui vaut toujours mieux que la foi en un « après » duquel on ignore tout, et que seule la promesse de Celui qui, sur le Golgotha, a souffert et est mort pour nos péchés, vient contrarier.

Rémi Lélian

jeudi 9 décembre 2010

Le Motu proprio est pour qui ?

J'aurais aimé vous parler de la Vierge Marie, aujourd'hui, de sa conception immaculée, de cette grâce que par un dessein divin unique depuis Adam et depuis Ève, elle possède en quelque sorte par nature, de la force de sa personnalité, de la beauté - j'allais dire : virile - de son obéissance, objections faites, j'aurais voulu expliquer la manière dont, dans le Magnificat, au nom de cette plénitude de grâce, elle anticipe sur l'enseignement de son Fils et nous donne - par sa foi ["heureuse es tu car tu as cru", lui dit Elisabeth] - une première esquisse des Béatitudes. Marie domine le destin de l'humanité et, d'une certaine façon, comme Eve autrefois, elle le conditionne. Elle n'est pas plus ou autre chose que son Fils, mais elle est Lui. Sans elle, pas de Christ, sans sa liberté devant l'ange Gabriel, pas de salut, car le Christ est, dans son sein, ce petit d'homme nommé "Salut".

J'aurais aimé vous parler aussi de ce "salut", qui est... le nom et l'acte de Jésus. Jacqueline Genot Bismuth, il y a maintenant quelque 20 ans, insistait beaucoup sur le fait que le nom de Jésus, correctement vocalisé en hébreu, ne signifie pas "Dieu sauve" comme on nous le dit souvent mais "salut". Et cela me fait penser à cette conférence mardi soir, que je n'ai pas annoncée ici (Mea culpa), où Jean-Marie Elie a témoigné de son parcours de conversion. Juif ultra-orthodoxe, il est maintenant un serviteur de Jésus. Mais, dans ses enseignements, il insiste avec un réalisme à vous couper le souffle sur sa divinité. Son nom, dit-il, est : Je suis. Il rejoint, par les voies du langage (en particulier l'hébreu), mon cher Cajétan, expliquant au moyen d'une théorie de la personne extrêmement sophistiquée, cette chose très simple : Dans le Christ, c'est Dieu qui dit JE. Et j'ajouterai, pour montrer l'importance de Marie, nouvelle Eve, que en Marie comblée de grâce, comme le furent Adam et Eve avant elle, c'est l'humanité tout entière, l'humanité sauvée, l'humanité graciée qui dit JE. Pour qu'il y ait SALUT, il fallait que les deux JE se rencontrent. Voilà pourquoi, comme nous l'a d'ailleurs expliqué jean Marie Elie (qui reviendra au Centre Saint Paul), la dévotion à Marie n'est pas facultative. Elle n'est pas un expédient pour une humanité privée de Dieu. Elle participe de la figure même de notre salut. Comment ? En disant, à la place d'Eve : "Je suis la servante du Seigneur".

Je me suis laissé emporter, c'était de bon gré d'ailleurs, pour essayer encore de dire le Mystère chrétien dans sa bouleversante nouveauté, mais je voudrais vous communiquer très simplement une petite trouvaille, faite, à relecture dans le livre de Benoît XVI, Lumière du monde.

C'est à propos du Motu proprio. il en parle très peu. Mais ce qu'il dit laisse penser que pour lui le Motu proprio n'est pas tant un acte de tolérance envers les tradis qu'un acte de réparation envers l'Église tout entière et à l'attention de l'Église tout entière, blessée dans sa continuité, c'est-à-dire à la fois dans sa cohérence et dans sa cohésion. Je cite : "Concrètement la liturgie rénovée de Vatican II est la forme variable selon laquelle l'Église célèbre aujourd'hui. Si j'ai voulu rendre plus accessible la forme précédente, c'est surtout pour préserver la cohérence [plutôt que "cohésion" dans la traduction proposée] interne de l'histoire de l'Eglise. Nous ne pouvons pas dire : avant tout allait de travers ; maintenant tout va bien. Je veux dire que dans une communauté où la prière et l'eucharistie sont ce qui compte le plus, ce qui était autrefois le saint des saints ne peut pas être totalement erroné. C'est une question de réconciliation interne avec notre propre passé, de continuité interne de la foi et de la prière d el'Eglise".

Voilà tout ce qui est dit sur la liturgie traditionnelle. C'est peu. Le pape semble avoir aujourd'hui d'autres chats à fouetter. Mais c'est beaucoup dans ce que cela indique. Le motu proprio ne visait donc pas dabord les traditionalistes, mais d'abord ous ceux qui ont à se réconcilier avec le passé de l'Eglise. J'avais compris ça à première lecture dans la longue et lyrique préface de Summorum pontificum. Je l'avais dit le 7 juillet 2007 sur RCF, au grand du dam du Plateau, qui insistait sur la "tolérance" de Benoît XVI. Cette fois c'est clair. Parce qu'il a moins de place à consacrer à la liturgie, le pape va à l'essentiel et pour lui, l'essentiel du Motu proprio c'est la réconciliation (le mot est de lui) de tous les catholiques avec leur passé.

L'essentiel ? Je pense à ses prêtres qui ne connaissent ni le latin ni la messe traditionnelle et qui, au fond d'un monastère, à l'occasion d'une retraite, apprennent ce rite qu'on avait voulu leur cacher et enrichissent leur célébration ordinaire de cet extraordinaire qui leur avait été... dérobé. Quelle humilité ont ces hommes de Dieu ! et combien, nous qui revendiquons l'étiquette de traditionaliste, comme d'autres se disaient pharisiens, nous devrions en prendre de la graine, avec un immense amour, pour cette Église blessée qui se relève lentement.

mardi 7 décembre 2010

[conf'] «Comment je me suis converti au Christ et à son Eglise» par Jean-Marie Elie

Mardi 7 Décembre 2010 à 20H00 :«Comment je me suis converti au Christ et à son Eglise» par Jean-Marie Elie - PAF 5€, tarif réduit à 2€ (étudiants, chômeurs, membres du clergé) - La conférence est suivie d’un verre de l’amitié.

lundi 6 décembre 2010

Imre Kertesz ? Qu'allait-il faire à cette galère ?

Connaissez vous Imre Kertesz ? Non? Il faut que vous vous plongiez dans son œuvre. Déporté à Auschwitz, il avait quinze ans. Il se fait passer pour plus âgé de façon à pouvoir revendiquer un travail (et ne pas partir en fumée tout de suite). Son "roman", Être sans destin, est l'un des témoignages les plus VRAIS sur la solution finale dans ses "formalités" concrètes. On ne sort pas indemne d'un tel livre !

Imre Kertesz a récemment publié chez Acte sud L'holocauste comme culture où il affirme deux choses : la "religion" contemporaine de la Shoah est une déformation, non seulement de l'histoire mais du sens de l'histoire, du sens véritable de la Shoah, transformée en "Shoah business". Et deuxièmement : la shoah ne peut être contée que par un travail littéraire. Seule la littérature peut dire la vérité sur ce qui reste comme l'archétype du mal moderne.

Et voilà maintenant traduit en français - en attendant un roman sur lequel il travaille et qu'il faudra lire attentivement - son JOURNAL DE GALERE, un extraordinaire diaire dans lequel il consigne non pas sa vie (qu'est-ce que l'existence en ses mille parcelles éclatées?) mais plutôt les réflexions qui le traversent, à travers lesquelles on arrive à ce qu'il faut bien appeler sa vie... intérieure.

Page 53, je saisis cet éclat, qui, venant d'un juif officiellement athée, et obsédé par Dieu, me semble admirable : "Mon humilité et mon orgueil sont deux infinis".

Admirable? Oui, il est admirable qu'un athée reconnaisse, sans périphrase, que sa vie intérieure se place sous le signe de l'infini. Combien de cathos se contentent du code de la route ! Combien de gens "bien" se contentent d'être des gens "bien" et oublient que l'essentiel de cette vie, c'est d'aller vers l'autre vie, c'est de se préparer au contact avec l'infini.

Imre Kertesz dit cela avec une grande économie de moyen, en quelques mots. et il dit plus encore. Il dit que ce qu'il découvre en lui d'infini, c'est son orgueil, sa révolte, sa volonté d'être à lui-même sa propre fin. Et d'une. Le péché n'est pas seulement une erreur de casting. Ce que les vieux prédicateurs appelaient "l'endurcissement", c'est la puissance infinie de la volonté humaine quand elle dit NON à Dieu. Ce NON n'est pas forcément explicite. Ce peut être simplement un OUI... infini à toutes les foutaises, à toutes les tocades de l'Individu, autopromu roi du Monde, roi de son monde. Quelque chose qui commence par un gigantesque : "je vous emmerde!". Voilà le péché: l'infinité de l'orgueil.

Quel est le remède? Les commandements de Dieu? Bien sûr, mais pas comme on les apprend trop souvent au catéchisme (je parle du catéchisme old fashion, que je n'ai pas eu mais que j'ai donné). On oppose pas à l'infini de l'orgueil un simple code de la route. Ca ne fait pas le poids. C'est toute la lucidité de Kertesz que d'opposer à l'infini de l'orgueil ce qu'il appelle lui-même l'humilité comme infini.

Mais comment l'humilité peut-elle être infinie ? S'agit-il de se voir soi-même infiniment petit pour ne pas se désirer infiniment grand ? On risque la fausse modestie (cet horrible pharisaïsme) à tous les tournants ! Quel sens peut avoir cette "humilité infinie" ? Il n'y en a qu'un seul de plausible : le sentiment qui saisit notre coeur devant Dieu. Face à l'Infini, nous sommes néant. C'est ce que l'on appelle l'adoration. Adorer Dieu, cela signifie ouvrir à l'infini le spectre de l'analogie et comprendre que devant l'Être, nous ne sommes, nous-mêmes, par nous-mêmes, que du non-être. Rien de faux dans ce constat. Aucune enflure. Juste le risque de se mesurer à l'Infini. Risque que peu de gens acceptent de prendre, tant le résultat, tant le résultat est patent, tant la proportion est sans proportion. Il ne s'agit pas de VOULOIR ETRE d'une humilité infinie : quel orgueil ce serait. Il s'agit simplement de prendre l'Infini comme mesure de sa propre finitude. Le compte est vite fait.

Ce que ne dit pas Kertezs, mais qui va de soi : entre l'orgueil infini, que nous ressentons souvent et que nous observons, ne serait-ce que lorsque nous nous prétendons seul maître et seule fin de notre existence [en permanence quoi !] et l'humilité infinie, que nous éprouvons lorsque nous nous mesurons à Dieu, il faut faire un choix.

Kertesz n'emploie pas le terme de "choix". Mais immédiatement, il explique que, pour ceux qui ont choisi, il y a une issue. Laquelle ? Je lui laisse... le choix, au moins, de ses termes. Que reste-t-il à celui qui a essayé de choisir la vérité de l'humilité sans (trop) céder aux mensonges de l'orgueil ? "La vie privée, ce triomphe plein de défaites, d'où monte finalement une sorte d'hymne timide vers le ciel". Cette phrase nominale, jetée là, en plein dilemme par Imre Kertesz, ne me semble pas seulement admirablement laissée au papier. Elle est un témoignage vécu. Elle transcrit cette vérité de nos vie que, sans la foi, seule la littérature est capable de produire.

"La vraie vie c'est la littérature" disait Proust, l'esthète. Je dirais au contraire : seule la littérature nous parle de la vraie vie, celle qui, du plus profond de nos coeurs, tend, d'une manière ou d'une autre, orgueil ou humilité, à l'infini.

jeudi 2 décembre 2010

Un cardinal contre la culture de notre temps

Article repris de Monde et Vie n°834 - novembre 2010


Mgr Velasio de Paolis, futur cardinal, souligne qu’il entend bien respecter le charisme profondément traditionnel des Légionnaires du Christ, en guerre contre « la culture infectée de relativisme » qui est la nôtre aujourd’hui.

« Je ne voudrais mentionner qu'un seul aspect. La culture actuelle est sécularisée, infectée d'immanentisme et de relativisme. Une telle mentalité caractérise la culture de notre temps ainsi que les personnes qui, aujourd'hui, créent l'opinion ou se considèrent détentrices de la culture. C'est une question de culture et donc, une question de position dominante, c'est-à-dire de personnes dans les mains desquelles repose la conduite de la société. Nous sommes dans une société où ne se trouvent plus de personnes d'épaisseur culturelle chrétienne et plus particulièrement catholique. En même temps, nous savons que la foi ne peut pas être uniquement transmise au niveau privé. La société d'aujourd'hui, pour être christianisée, a besoin de personnes qui puissent assumer la responsabilité de la société de demain, qui se forment dans les écoles et dans les universités, de prêtres et de personnes consacrées, de laïcs engagés, bien formés, d'apôtres de la nouvelle évangélisation.

Le passé doit nous servir de guide pour nous insérer dans le présent. L'Eglise a façonné le passé, elle a participé à une vision chrétienne de la vie grâce aux monastères, aux universités, aux études et à la culture. L'Eglise le réaffirme quand elle parle de nouvelle évangélisation et lance un nouveau dicastère pour la nouvelle évangélisation. Je pense que la Congrégation des Légionnaires du Christ trouve précisément dans ce domaine, sa place de service envers l'Eglise. Et ceci laisse espérer le meilleur pour le futur. »

Claire Thomas

mercredi 1 décembre 2010

Une après-midi sur la Sainte Russie

Tous ceux qui fréquentent notre Centre, autrement que virtuellement et par la magie d'Internet, connaissent le tropisme oriental de Frère Thierry, notre bibliothécaire. Il nous a mitonné une deuxième réunion russe, avec des interventions de haute tenue (Je ne parle pas de la mienne : sur Berdiaev, dont je fréquente avec plaisir le personnalisme aristocratique, si semblable et si différent d'autres personnalismes de la même époque, celui de Maritain ou celui de Mounier par exemple, je parlerai avant tout en amateur... En Occidental résolu). N'hésitez pas à vous inscrire sans tarder au Centre Saint Paul : 01 40 26 41 78.

La question russe est fondamentale et décisive, à la fois du point de vue géopolitique (surtout en ce moment où l'Empire matérialiste américain craque de toutes parts) et du point de vue oécuménique où, sans avoir à attendre des résultats institutionnels rapides, il est vrai que le pape est de plus en plus considéré par tous les chrétiens mais en particulier par les Russes, comme le Primus. Il est clair que le Patriarche Cyrille pèse infiniment plus lourd (sans vouloir rentrer dans aucune dialectique) que le Patriarche Bartolomeos, isolé dans son Phanar.

Il y a un peu plus d'un siècle on parlait d'amitié franco-russe. L'amitié des chrétiens russes est plus que jamais d'actualité !
 
Le Cercle de l'Aréopage est heureux de vous convier à la deuxième journée de conférence franco-russe: "LA SAINTE RUSSIE", le samedi 11 décembre 2010, de 14H00 à 19H00 au Centre Saint Paul, 12, rue Saint Joseph, 75002 Paris -- Au programme : Concert spirituel: chants vieux slaves sur le thème "La Mère de Dieu". Chorale dirigée par V. Soloviev -- Père Diaz: spiritualité de la liturgie byzantine -- Père Jean-Paul: Comment la spiritualité liturgique byzantine éclaire celle d'Occident -- Pr. Mikhaylov (Université Saint Tukhon, Moscou): le mystère de l'Eucharistie selon les théologiens de l'Ecole de Paris -- Abbé Guillaume de Tanoüarn: Nicolas Berdiaev ou l'identité spirituelle de l'Orient et de l'Occident -- Les conférences seront suivies d'un verre de l'amitié/buffet - Participation: 15 euros (réduction pour les chômeurs et étudiants) - Réservation souhaitée auprès de cercle.areopage@gmail.com