mardi 22 mars 2011

Treizième billet de carême Mercredi de la deuxième semaine

"Je suis venu non pour être servi, mais pour servir et donner ma vie en rançon pour la multitude" Matth. 20, 28  

Dans ce verset, le Christ résume toute sa mission divine, et sa vocation d'être humain. Il est vraiment le Rédempteur - l'Ancien Testament dit le Goel - qui, à lui seul, dans une sorte de prouesse magnifique, rachète tout l'Israël de Dieu de ses péchés. Comment s'effectue ce rachat ? Par le service, c'est-à-dire par l'amour. Saint Paul aux Ephésiens (5,21) définit ainsi la vie chrétienne : "Soyez au service les uns des autres". Evidemment quand le service est d'un seul côté, quand l'un sert l'autre, sans que ce dernier lui rende la pareille, cela peut être fatigant, lassant, amère. le Christ a vécu cette solitude dans le service des hommes, l'incompréhension de ses apôtres, qui ne savent rien lui rendre pour tout ce qu'il leur donne, qu'une sorte de naïf attachement non exempt de calcul intéressé. La scène du lavement des pieds (Jean 13) au cours de laquelle Pierre refuse que le Christ lui lave les pieds est caractéristique de cette incompréhension sans mauvaise volonté. Pierre refuse que le Christ manifeste par un signe ce qu'il fait réellement au cours de sa mission sur la terre. Et c'est déjà pourtant le chef des apôtres. c'est dire !

Mais le service n'est pas toujours amer. Il peut être mutuel. Ce service mutuel, dans la vie familiale ou professionnelle, c'est l'idéal concret que propose le christianisme... et lui seul. C'est le secret du progrès social et culturel. C'est la porte ouverte au vrai "développement humain". Mais c'est aussi de cette manière que nous pouvons appréhender la figure la moins menteuse, la plus exacte de ce que nous appelons le bonheur.

La qualité de notre service ne provient pas de notre aptitude à mémoriser des gestes dans une économie efficace de nos mouvements. La qualité de notre service ne vient pas de la répétition des actes bons que nous pouvons poser. Elle vient de notre coeur. Elle vient de ce qu'ayant accès à notre coeur, le Christ s'imite en nous. "Le Christ est le vrai peintre de lui-même" écrit le cardinal de Bérulle. Nous pardonnons comme il a pardonné ; nous servons comme il a servi ["Mari aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Eglise et s'est livré pour elle" à la mort]. Mais c'est lui qui nous indique à chacun la mesure. A chacun une mesure différente. Car c'est lui qui donne la grâce.

Et comme il a mérité pour nous le salut en mourant sur la Croix, à notre tour nous méritons aussi, à sa suite, et par sa grâce, "hosties vivantes unies à l'unique hostie" (Rom. 12, 1). Nous offrons au Père chaque jour un peu de "ce qui manque à la passion du Christ" (Col. 1, 24). Nous pouvons - en Lui - mériter notre salut par la souffrance.

Cette perspective fait peur à notre temps. Le pape dans son dernier livre, insiste sur le fait qu'elle est difficile à comprendre, mais qu'il nous faut garder cette doctrine de l'expiation ou de la satisfaction vicaire comme un trésor de notre foi et de notre vie chrétienne.

Soulignons tout d'abord qu'elle est parfaitement bien attestée, cette doctrine du sacrifice propitiatoire, non seulement dans l'Ancien Testament (c'est le sens de la fête de Kippour dans le Lévitique) mais aussi, avec beaucoup de précision, dans le Nouveau Testament : dans la Première à Timothée, par exemple, saint Paul parle du "Médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même, qui s'est livré en rançon pour tous". Et saint Jean évoque"Jésus Christ le Juste, victime de propitiation pour nos péchés" (I Jo, 2, 2).

On remarquera cette épithète "le Juste". Pour les juifs, le Juste, c'est celui qui obéit à la Loi de Moïse et respecte à la lettre ses prescritions. Pour la nouvelle économie chrétienne, la justice c'est la capacité qui est en nous par le Christ, de plaire au Père et de gagner des mérites devant lui. Nous ne pouvons plaire à Dieu si nous n'agissons pas dans le Christ. C'est par la geste du Christ, offrant sa vie en rançon pour nos péchés que nous pouvons quelque chose aux yeux du Père. Nous sommes ses Fils dans le Fils. Malheur à nous si nous n'avons pas l'esprit du Christ dans nos actions.

Qu'est-ce que la rédemption ?

Dans l'allégorie du Bon Pasteur (Jo. 10), le Christ prend l'exemple du berger attentif qui "met sa vie en jeu" pour sauver ses brebis du loup. Il en vient même à donner sa vie, il en vient à mourir mais attention, d'une manière peu ordinaire : "J'ai le pouvoir de déposer ma vie et le pouvoir de la reprendre". Faisant cela, le Christ nous donne l'exemple du service et du don de soi, d'où vient tout mérite. "Il nous a acheté cher" (I Cor. 6, 20. Cf. 7, 23).

Le Christ était-il obligé de nous payer si cher ? "Une seule goutte de son sang aurait suffi à racheter le monde de tout crime" dit saint Thomas d'Aquin dans une des strophes du chant Adoro te. La souffrance jusqu'à la mort dont il nous a laissé le témoignage n'était pas une obligation ni pour lui ni pour notre salut. Il a voulu nous laisser "un exemple" comme le dit d'ailleurs aussi l'Evangile d'aujourd'hui, pour que, comme il a mérité, nous méritions nous aussi. ce faisant, nous transformons le mal en un moyen de salut par amour...

Pourquoi ne veut-on plus entendre parler de sacrifice ? On peut penser que les sacrifices étant désagréables par nature, il faut en éviter la perspective.

Mais cette explication est encore trop superficielle. La vraie raison de la détestation du sacrifice ? C'est la détestation de toute forme de responsabilité personnelle. Par son sacrifice, le Christ nous a mérité, il nous a "acheté" un grand prix, il a payé, il a misé sur nous. A notre tour de miser... A notre tour de payer, pour devenir enfin un peu responsable de ce salut qui nous est donné. En nous rachetant, et en nous rachetant si cher, le Christ fait de nous tous des rédempteurs. Une telle perspective est exaltante ? Sans doute, mais accablante aussi : petites natures s'abstenir. Le salut est toujours une forme d'exploit. Ce n'est pas pour rien que saint Paul compare cet exploit à celui du sportif dans les Jeux du stade.

Il y a je crois une deuxième raison qui nous fait détester la perspective du sacrifice. Saint Paul en a deviné sans doute quelque chose lorsqu'il écrit : "Si un seul est mort pour tous, alors tous sont morts" dit saint Paul avec une logique irréfragable (II Cor. 5, 14).

- Pouvons nous admettre que "tous sont morts" ? pouvons-nous admettre que toute la vie chrétienne est un processus de résurrection ? Pouvons nous admettre, nous qui nous croyons vivants, que nous sommes en fait des morts vivants et qu'il nous faut chacun "racheter le temps" comme dit saint Paul énigmatique. - Nous acheter une conduite ? - Non, ce serait trop simple. Nous acheter une destinée, cette destinée éternelle, qui n'est pas "naturellement" en nous...

Et voilà la rédemption : un pari où il faut seulement mais vraiment miser pour gagner. Un investissement dans lequel il faut accepter de perdre d'abord pour gagner ensuite. Ce que nous nous achetons ? Ce n'est pas une conduite, c'est une liberté, c'est un pouvoir, "le pouvoir de devenir enfant de Dieu" comme dit saint Jean.

- Mais ce pouvoir, Dieu nous ne le donne-t-il pas gratuitement ? - Certes Dieu donne gratuitement, mais il donne toujours à une liberté. Je dirai même : c'est d'abord cette liberté et cette capacité de mériter qu'il nous donne.

Résolution concrète : faire feu de tous bois, au cours de la journée, pour apprendre à servir, pour nous mettre au service, même et surtout si nous avons un poste de commandement : c'est un poste de responsabilité et de service.

Formulons les choses autrement : il faut faire feu de tous bois pour acheter notre destinée à l'exemple du Christ "qui nous a payé cher".

Dans le Carême, on pense toujours aux pénitence ; on pense parfois à la prière, à la méditation, à la lecture pieuse. Mais n'oublions pas les oeuvres. "Faisons le bien sans nous lasser". C'est par "les belles oeuvres" dont parle Paul à Timothée que nous nous achetons un destin éternel.

1 commentaire:

  1. Gardez la longueur Mr. l'abbé, cela nous permet de mieux approfondir!
    Merci pour ces billets.

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