dimanche 27 mars 2011

Lettre du dimanche : troisième dimanche de carême

Troisième dimanche de Carême : Luc 11, 14-27

L’Evangile d’aujourd’hui est très curieux, l’un des plus difficile de toute l’année liturgique. L’un des plus sévère aussi. Il est fait de plusieurs petites paraboles qui se suivent ; ces paraboles qui ne paient pas de mine suscitent l’admiration d’une femme dans la foule, qui s’écrie à l’attention du Messie : «heureux le sein qui t’a porté et les mamelles qui t’ont allaité».

Pourquoi cette admiration d’une femme anonyme ?

Parce que Jésus dévoile, pour la première fois avec cette netteté, quelque chose du mystère du Mal, il n’hésite pas à montrer cette terrible puissance du mal non seulement dans le monde, mais dans chacune de nos vie.

En évoquant «l’homme fort armé», qui doit être plus fort que son agresseur, Jésus souligne que le bien est toujours un combat. Il n’y a pas de moment dans la vie où nous puissions baisser les armes. Cette précaution face à la vie, cette intelligence de la vie, cette hardiesse dans la défense de nos choix, voilà des attitudes intérieures qui ne doivent jamais nous quitter. «Quand un homme fort et bien armé garde son palais, ses biens sont en sûreté. Mais qu’un plus fort que lui survienne et le batte, il lui enlève l’armure en qui il mettait sa confiance et distribue ses dépouilles»

Il faut prendre la vie comme elle vient, nous dit-on d’une voix faussement sage, faussement apaisée. On connaît cette expression. Cette maxime mène à toutes les lâchetés et à toutes les compromissions. Un adolescent qui prend la vie comme elle vient, parce qu’il refuse de ressembler à l’homme fort en armes de la parabole… il est bon pour perdre des années, s’il parvient un jour à se remettre de cette imprudence.

Les philosophes habituellement ont défini le mal comme une absence de bien. Pour Platon par exemple, le bien est tellement évident que seul l’ignorance peut nous empêcher d’agir bien. La morale laïque des instituteurs au début du XXème siècle était aussi celle-là : il suffit d’enseigner la morale pour transmettre l’envie de faire le bien. Morale trop purement philosophique, que le Christ vient bouleverser.
Qu’enseigne-t-il ? D’abord que le bien n’est pas facile à faire, quoi qu’en aient pensé les philosophes grecs (cf. Aristote : « le bien c’est ce que toutes choses désirent », première ligne de l’Ethique à Nicomaque). Il y a une sorte d’analogie du struggle for life dans l’ordre spirituel : sortez armés !

A l’origine de tout Mal, on trouve ce mouvement de la liberté de l’esprit qui dit : NON à l’ordre établi par Dieu. D’où vient le mal ? Non pas de la conformité ou de la non conformité définie en fonction d’un catalogue de péchés qui serait « tout fait ». Le mal, c’est simplement le CHOIX que fait l’homme ou que fait l’ange de vivre pour lui-même. Au lieu de servir (Dieu), se servir (soi), être son propre Dieu. Chacun dans la vie a le choix de ce qu’il met au-dessus de tout : son ego ou bien le service de ce qui est plus grand que lui : sa famille, sa patrie, son Dieu. Amour de soi, amour de Dieu, telle est la ligne de fracture fondamentale entre le bien et le mal.

Tel est le choix à l’origine de la vie morale. Encore est-il souvent fragile. D’où la tentation, qui parfois nous obsède. D’où le rôle de l’esprit mauvais qui peut assiéger ou investir notre esprit, en suggérant un infini de liberté ou de licence, face à l’Infini divin.

Dans une deuxième parabole de ce même évangile, le Christ insiste sur le rôle du diable, de Satan, l’adversaire, celui pour lequel tout aurait pu être facile mais qui s’est révolté contre Dieu. Le diable n’est pas un «Dieu du Mal» ou un Principe du Mal face à Dieu qui serait seulement le principe du Bien. C’est un esprit, créé bon et qui se sert de sa liberté contre Dieu.

Imaginons, nous propose le Christ, quelqu’un qui a l’impression de s’être converti et de «faire le bien». Il a mis Satan dehors. Il est content de ses progrès. Et il se relâche. Cet homme-là, qui a connu l’élan du Bien, la joie du Bien et qui s’en détourne, s’il n’y prend pas garde, il peut, par sa faiblesse, donner abri non pas à un démon dit le Christ, mais à sept démons ! «Lorsque l’esprit impur est sorti d’un homme, il erre par les lieux arides pour trouver du repos. N’en trouvant pas, il se dit : Je vais retourner dans ma maison dont je suis sorti. A son arrivée, il la trouve balayée et ornée. Alors il s’en va prendre sept autres démons plus méchants que lui, ils reviennent et s’y installent et l’état final de cet homme est pire que le premier »… Se détourner du Bien, alors qu’on sait où il se trouve, c’est évidemment plus grave que d’ignorer ce qu’est le Bien et de passer à côté sans rien en connaître. On trouve cette formule terrible dans la IIème épître de Pierre : Mieux valait pour eux n’avoir jamais connu la voie de la Justice que de ‘avoir connue pour se détourner du saint Commandement, qui leur avait été transmis. Il leur est arrivé ce que dit le proverbe, bien vrai en cela : Le chien est retourné à son propre vomissement et « A peine lavée, la truie se roule dans le bourbier» (2 Petr. 2, 22-23).

«L’état final de cet homme est pire qu’avant»… Eternelle histoire de ceux qui se convertissent mal.

Premier schéma possible : la graine tombe sur le chemin, elle pousse mais elle n’a pas de racine et au temps de la tentation, celui qui s’était tourné vers Dieu, sans prendre les moyens de sa conversion, est littéralement «retourné» par l’Ennemi.

Deuxième schéma possible : Les «justes» entre guillemets sont parfois pires que les pécheurs, à cause de leur superficialité même, de leur manque de sérieux, cela revient souvent dans l’Evangile. Rien de pire au fond que ceux qui font «mal» le bien, qui sont trop légers dans leurs actes bons.

Troisième schéma possible : le proverbe latin le suggère «corruptio optimi pessima», la corruption du meilleur est la pire des choses. Il y a celui qui, se croyant bon, fait le mal en toute bonne conscience. Voyez ce prêtre qui corrompt un enfant pour «lui apprendre sa sexualité» et qui durant son procès se défend en jugeant comme bon ce qu’il a fait.

Et puis, il y a aussi celui qui, sachant où est le bien, commet délibérément le mal en étant seulement davantage coupable.

2 commentaires:

  1. Comment expliquer alors que le concile nous ait désarmé en refusant de condamner quoique ce soit et en nous faisant prendre le monde comme un bien auquel s'ouvrir, dans toutes ses dimensions , même les pires ( communisme)?
    Comment expliquez-vous que de longues années d'"éducation religieuse" en grands lycées parisiens ne nous aient rien donné pour combattre Kant,Hegel et les autres?
    Que , semble-t-il " conserver dans le giron" de la foi ou " convertir çà bas prix" soient pendant tant d'années restées les objectifs majeurs?
    Pourquoi cette absence de confiance dans la Grâce? pourquoi cette crainte libérale de donner des avertissements sévères?
    Vous parlez de "famille, patrie ,Dieu" ..mais l'Eglise nous a fait repousser cela , dans sa révolution? Et aujourd'hui encore, elle ne parle que de "couples" de " pays"(et encore) et de ..jésus ...
    Et le prêtre dont vous parlez, il avait peut-être trop lu Marc Oraison, autre prêtre?


    Le" coeur net" ce n'est pas pour ce soir !
    Supplions...

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  2. - "Il y a celui qui, se croyant bon, fait le mal en toute bonne conscience. Voyez ce prêtre qui corrompt un enfant pour «lui apprendre sa sexualité» et qui durant son procès se défend en jugeant comme bon ce qu’il a fait."
    Eh bien non, le gros problème c'est que ce prêtre-là ne se croit pas bon du tout . Il sait très bien qu'il n'est pas bon. Il cherche le moyen tout simplement d'ARRIVER A SES FINS. C'est un prédateur. Et si à son procès il se défend en ayant l'air de juger "bon" ce qu'il a fait, il ment. Son urgence à ce moment-là, c'est de se défendre, d'échapper, se débattre.
    C'est un pervers. C'est une construction psychique qui n'a pas intégré la morale ou plutôt, sa morale à lui c'est de se servir de ce qui l'entoure pour sa survie et la satisfaction de ses désirs à tout prix. Ce n'est pas qu'il a "toute bonne conscience", car le bon et le mauvais, dans le sens commun, n'existent pas pour lui , car le bon, pour lui, c'est ce qui va lui servir. Il est dans l'objectif tendu, vital, pressé, parfois urgent, de la satisfaction de son désir. Il projette sur l'autre son désir, l'autre est un objet servant à son désir.
    Quand on aura compris à fond les mécanismes de la perversité, on aura une image, un reflet de ce qu'est en réalité le MAL.
    Voici maintenant une image pour nous montrer dans quelle situation se trouve cet être véritablement aux abois qu'est le pervers, le manipulateur. Ce type obsédé par l'angoisse de l'anéantissement, de NE PAS ÊTRE (voyez comme il occupe le terrain la plupart du temps, cet animateur sympathique, ce beau parleur, ce séducteur...) et donc toujours dans la survie:
    Un désespéré qui, pour ne pas se noyer, être anéanti, s'appuie sur un autre et ainsi l'enfonce pour surnager, c'est cela un pervers.
    Ceci dit, il SAIT qu'il enfonce l'autre. Il sait qu'il l'anéantit.

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