lundi 21 novembre 2011

Philippe Ramos : le choix de Jeanne

Ma critique très bienveillante du film de Philippe Ramos Jeanne captive n'a pas fait que des heureux. Je ne sais pas, du reste, ce que pense du film un spécialiste comme Philippe d'Hugues et ce qu'il en dira au cours de sa conférence demain mardi à 20H15, au Centre Saint Paul. Je n'aurai aucune autorité à faire valoir face à son avis, alors.. je n'attends pas pour donner ma version, celle d'un profane en matière cinématographique, mais qui croit au sacré par toutes ses fibres.

Il paraît que qui aime bien châtie bien. Je me suis répété ce vieux proverbe, lorsqu'Oxbridge m'a dit : "Je ne suis d'accord avec rien de ce que vous écrivez". Dans le même ordre d'idée, j'ai reçu par mail une véritable volée de bois vert de la part de Dominique M. qui avait eu l'imprudence d'aller voir le film après avoir lu mon texte sur metablog. Voici ce que ça donne :
"...Très mauvaise critique de Jeanne captive. Je viens d'aller voir le film, c'est une catastrophe : Brouillon, mal joué, ennuyeux... et historiquement faux est-ce la peine de le dire. On flirte avec le grotesque de la première à la dernière scène.

Quant à Jeanne, pendant toute la première partie du film elle fait l'effet d'une véritable tête à claque, gamine insupportable et capricieuse, murée dans un silence arrogant et qui, parce qu'elle n'entend plus ses voix, casse la vaisselle. On croit avoir touché le fond. Hélas... quand ses voix se manifestent à nouveau : yeux hagards, rictus hystérique, on se surprend à supplier le ciel que les voix se taisent pour toujours".
Bien envoyé, non ?

Dominique a sans doute raison sur le fond, certaine outrance en moins. Il est vrai que l'on ne s'attache pas à la Jeanne de Philippe Ramos (Clémence Poésy). Ses moues d'enfant boudeur semblent en dessous du sujet. Mais il faut le reconnaître d'un autre côté : ce n'est pas commode de représenter Jeanne d'Arc quand on est agnostique. Pas commode quand on est agnostique de respecter le surnaturel. Encore moins d'essayer d'en exprimer quelque chose. "Parce qu'elle n'entend plus ses voix, Jeanne casse la vaisselle". C'est vrai qu'on ne l'imagine pas ainsi d'après les témoins de son temps. Mais Jeanne qui casse la vaisselle, c'est Jeanne abandonnée par ses voix, après son saut périlleux de la Tour de Beaurevoir. D'une certaine façon, ça se comprend dans la perspective - toute spirituelle - de Ramos.

Oui, j'ai trouvé tout de même dans ce film deux atouts maîtres qui ont balayé mes réticences.

Présentant Jeanne déjà captive, Ramos ne nous entraîne pas sur les champs de bataille comme Rivette l'a fait avec Sandrine Bonnaire. Il se concentre, dans le silence du cachot - Jeanne étant chargé de chaînes - sur la vie spirituelle de notre héroïne. Je pensais à Epictète, vendu sur le marché aux esclaves et disant aux riches Romains qui avaient projet de l'acheter : "Je suis plus libre, moi qui suis dans les fers, que vous qui êtes des hommes libres". Platon aussi a connu le marché aux esclaves après sa folle tentative de Syracuse, en faveur de son ami Denys le Tyran. Jeanne c'est le cul de basse fosse, la prison, les chaînes. Quelle contenance! Chez les philosophes on en reste à des mots ou à une expérience. Mais je pense aussi à celle qui est l'une des voix de Jeanne, sainte Catherine d'Alexandrie, qui convertit au Christ l'Aréopage de philosophes chargés de la condamner, et termine sa vie suppliciée. Pourquoi ces références philosophico-hagiographiques? Parce que choisir la séquence "cachot", dans la vie de Jeanne, sans même parler du Procès, c'est tenter de représenter la liberté emprisonnée et le pouvoir de l'esprit. Ce que nous montre Ramos, c'est que Jeanne n'est pas une philosophe, qui trouverait en elle-même sa force. Elle a besoin de ses voix pour être capable de faire face et de se battre. Elle n'est pas seulement dans le spirituel, comme les philosophes, elle est dans le surnaturel.

Chez Ramos, il y a impasse sur le Procès (comment refaire ce qui a été si bien fait par Bresson?). Dans son film, en revanche, il n'hésite pas à ajouter des épisodes imaginaires ou à surinterpréter de façon partielle et simplificatrice les événements de la vie de Jeanne (en particulier ce qu'il dit de sa relapse : ce n'est pas vraiment Jeanne qui se ressaisit, elle est contrainte, par les Anglais qui la gardent, à porter des vêtements d'homme ou à rester nue). Il perçoit, chez Jeanne, une volonté de disparaître aux yeux des hommes, mission accomplie. C'est son interprétation.

Cette interprétation, elle n'est pas absurde, surtout si l'on regarde ce qui s'est passé après le sacre de Reims et la manière dont ni le roi ni les hommes de guerre (à part ceux avec lesquels elle a vraiment guerroyé) ne la soutiennent ni ne la supportent. Au fond, après Reims, Jeanne n'a plus qu'à disparaître et elle le sait puisqu'elle s'est donnée à elle même "moins d'un an". Pour Régine Pernoud, notons-le, Jeanne aurait été trahie par son propre camp. Le chef de la Place de Compiègne, Guillaume de Flavy, fait lever le Pont Levis, empêchant la Pucelle de revenir à l'intérieur des remparts: cela ressemble effectivement à une trahison, la trahison d'un homme qui en avait assez de recevoir des leçons de la part d'une jeune fille qui ne se contentait pas d'avoir la langue bien pendue mais accumulait les faits d'armes. Jeanne l'avait compris au moment du sacre, alors que son étoile semblait à son zénith : "Elle disait qu'elle ne craignait rien si ce n'est la trahison" déclare un certain Gérardin d'Epinal, pays de Jeanne qui s'est déplacé à Reims, qui a discuté avec elle et qui témoignera au procès de réhabilitation.

Cette interprétation n'est pas absurde, mais elle ne s'impose pas. Le robuste optimisme dont Jeanne fait montre en toutes circonstances, cette espèce de santé viscérale, envers et contre tout, contre tous, qui est la sienne, tout cela milite contre la volonté de disparaître que Philippe Ramos croit pouvoir diagnostiquer.

Pourquoi Ramos nous présente une fille si peu robuste, au mépris de la vérité historique ? Il se concentre sur la vie spirituelle de Jeanne et - deuxième atout - cette vie spirituelle, il la présente comme vraiment surnaturelle. Jeanne sans ses voix n'est rien qu'une petite fille boudeuse. Voilà ce qu'il a voulu montrer. Jeanne sans l'aide divine n'est pas Jeanne. Pas mal pour un agnostique.

D'après la réalité historique, pourtant, Jeannette est avant tout une fille saine et sans la moindre trace d'hystérie. Les enquêteurs qui cherchent à faire son procès à charge ne trouvent rien contre elle dans son village... Pas une calomnie à son encontre. De retour à Rouen, il se font engueuler par Pierre Cauchon, l'évêque juge. Là encore donc le film de Ramos tombe à faux.

Ce qui m'a intéressé, cependant, c'est la recherche de langages cinématographiques pour exprimer le surnaturel. On peut rester sceptique sur le croisement des deux moines qui se passent le témoin (Matthieu Amalric brillant dans le rôle du moine déjanté et fidèle à Jeanne). On peut trouver que le couple édénique, qui semble naître des cendres de Jeanne répandues dans la Seine, à la fin du film, a quelque chose d'un peu forcé, trop sur-réel, trop moderne. Mais Jeanne est toujours vivante comme disait Jean Anouilh. Il s'agit pour Ramos de montrer qu'au delà de tous les collabos qui ont oublié leur âme pour servir l'envahisseur anglais (on disait à l'époque : "les Français reniés"), il y a dans la geste de Jeanne une vertu purificatrice et rédemptice, qui s'adresse à la jeunesse, vierge de compromission et qui, à travers elle, renaît à elle-même - et, on peut le penser, Ramos ne le dit pas - renaîtra à la France et à Dieu, dans une vraie cure de jouvence.

- La mise en scène "fait" new age dans cette dernière partie du film... m'objecte-t-on aussi. Mais pourquoi Terence Malick pourrait se permettre cette iconographie New age et Philippe Ramos non ? Le problème est de trouver des langages iconographiques exprimant le surnaturel. J'avais été frappé par la manière dont, dans The tree of life, Malick y était parvenu. L'essai de Philippe Ramos est encore balbutiant, mais il est de bon augure.

Philippe Ramos a entrepris de filmer l'essentiel, ce qui est invisible pour les yeux mais qui devient visible, grâce au réalisateur, pour l'oeil de la caméra... Il veut saisir la vie intérieure, et la saisir d'emblée dans sa double dimension humaine (parfois trop humaine : c'est le sens du début du film) et surnaturelle. C'est je crois ce qui explique chez lui le choix de Jeanne. A-t-on le droit de se faire la main sur une telle icône? C'est une vraie question.

3 commentaires:

  1. Cher monsieur l'abbé, entièrement d'accord avec Dominique M. pour ne rien trouver de spirituel dans ce film : là où vous voyez l'effort d'un agnostique pour approcher la vie spirituelle, je ne vois que la passion de rapetisser qui caractérise notre époque (comment expliquer autrement le pied de nez qu'il a voulu faire à la virginité de Jeanne d'Arc en nous exhibant la vision de son sexe ?). "Jeanne sans ses voix n'est rien qu'une petite fille boudeuse", écrivez-vous : je croyais avoir compris pourtant que la grâce ne s'opposait pas à la nature, qu'elle la couronnait : où est cette nécessaire collaboration dans l'opposition basique que vous dessinez ?
    Quant à Malick, je ne vois pas bien le besoin de le mêler à cette affaire : dans le film de Ramos, ce n'est pas la mise en scène, contrairement à ce que vous écrivez, qui est new age, c'est la philosophie. La philosophie de Malick, elle, est profondément chrétienne, vous l'avez ici superbement montré (au cas où vous n'auriez pas compris que mon "Je ne suis d'accord avec rien de ce que vous écrivez" n'était qu'une boutade). Et sa mise en scène d'une toute autre ampleur et d'un tout autre génie que les pauvres images de Philippe Ramos, qui lui, c'est sûr, n'a jamais entendu la moindre voix...

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  2. Ce film ne raconte pas l'histoire de Jeanne d e Doremy à Rouen, il est un regard sur sa solitude. Je pense au titre du roman, la solitude du coureur de fond.
    La mission, la vocation de Jeanne n'est pas abordée directement, mais son rayonnement et sa fidélité à sa mission dans la solitude à travers son désarroi entre en résonance avec nous et notre époque;
    Jeanne a , pourrait-on dire « creusé sa vocation au " hosannah de s a solitude « de ses voix qui s'effacent pour réapparaitre. en sens, le film est très moderne et je comprends qu'elle émeut le réalisateur agnostique.
    La scène finale, rêve d’une innocence édénique consommée avec l'onction de l'eau purifiée par une vierge sacrifiée peut dérouter, elle n'est pas choquante. Elle est la première approche, incomplète, certes, mais quelles approche du mystère de Jeanne par quelqu'un qui se veut agnostique, m ais qui cherche désespérément le fil, qui le relie à l’infini.
    Oui, espérons que Ramos Ira plus loin. Il nous touche déjà avec cette approché hésitante.

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  3. Pour info, le film fait un flop monumental dans les salles : seulement 3 500 spectateurs en première semaine, dont 2 000 à Paris. Moyenne catastrophique de 150 spectateurs par salle. Echec mérité : http://www.valeursactuelles.com/culture/guide-cinéma-et-dvd/quotle-stratègequot-de-bennett-miller-et-autres-sorties-16-novembre20111

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