mercredi 21 mars 2012

Il y a rêve et rêve... - Mercredi de la quatrième semaine

"Entre ces rêveries, il y avait une différence : il [Ignace lui-même] prenait grand plaisir dans les rêves mondains, mais quand il les rejetait au moment de la lassitude, il restait aride et mécontent. Tandis que lorsqu'il rêvait d'aller nu-pieds à Jérusalem, de se nourrir d'herbes, de se livrer à toutes les rigueurs de pénitence que dans ses lectures il avait vues pratiquées par les saints, non seulement il trouvait de la consolation dans ces pensées, mais encore, lorsqu'il les abandonnait il en restait content et joyeux".
Saint Ignace de Loyola, Autobiographie, in Exercices spirituels, collection Arléa 2002 p. 27.
Cette autobiographie incluse dans le Testament du fondateur des jésuites a une grande fraicheur. Elle nous montre dans le jeune Inigo, capitaine malchanceux (et téméraire) au siège de Pampelune un véritable fol en Christ. Dans Inigo (Gallimard 2010), François Sureau nous raconte magnifiquement la conversion d'Ignace. C'est bien de conversion qu'il s'agit  Jeune capitaine fringant, peu économe du sang des hommes lorsqu'il s'agit de son honneur, aimant aussi à bousculer les chambrières sans doute fascinées par son panache, Inigo manque mourir emporté par un boulet français, qui lui laisse ses deux jambes, mais l'une au moins est en piteux état. il est obligé d'en rabattre. Il passe des heures couché, en attendant que les os se solidifient. il sera d'ailleurs obligé de recasser sa jambe pour la faire remettre... droite. Il a le temps de réfléchir. Il s'examine et cherche où le mènent ses pensées contradictoires. Soit il rêve au monde et à son lustre, soit (excusez du peu) il rêve à la sainteté. Nous sommes en 1530. Le Moyen âge n'est pas loin. Il se voit en pèlerin médiéval, allant jusqu'à Jérusalem. Il ira d'ailleurs... Plus tard.

Il s'exerce à suivre ses rêves et à constater où ils le mènent : les rêves de gloire s'éteignent vite, il n'en garde rien. Les rêves de sainteté l'entraînent dans leur lumière et lui procurent une joie qui l'étonne et qui dure. D'où viennent de telles différences ? On reconnaît dans ces premières notations et dans cette première introspection ce que seront les règles pour le discernement des esprits. Que veux-tu vraiment ? Qu'est-ce qui te cause une joie vraiment particulière et qui ne se change pas en amertume ? - Les consolations spirituelles et elles seules. Mais cela n'est pas forcément facile à discerner.

On retrouvera dans les règles pour le discerneùment des esprits une systématisation de ces remarques. Les deux premières règles peuvent suffire à marquer la tendance dans un premier temps : pour les âmes qui s'enferment dans le péché, le trouble de conscience vient de Dieu. Pour les âmes '"qui vont de bien en mieux" au contraire, toute proposition conditionnelle qui trouble (Et si... ? Mais peut-être que... etc.) vient du démon. Bref : il faut marcher sans état d'âme, en remerciant Dieu des consolations qu'Il nous envoie et qui nous permettent de presser encore le pas !

3 commentaires:

  1. Oui, mais...

    C'est la seconde fois, au cours de ce carême, que vous nous présentez des saints au tempérament bien trempé: une sainte Thérèse très narcissique, ravie d'occuper le centre de l'attention, peu économe du besoin d'affection et de reconnaissance de ceux qui l'environnent; ici, un Saint Ignace jeune, fringant, flamboyant, "peu économe du sang des hommes" quand il s'agit de son honneur, et qui va être progressivement conduit à une sainteté qui sera aux antipodes, exactement, de l'exemple qu'il nous fait voir ici.

    Les phénomènes de conversion que vous nous présentez sont ceux de pécheur qui ne se contrôlent plus et qui deviennent des saints de vitrail à la vie soudain rangée, disciplinée, spectaculaire, mais tout aussi inhumaine. Même Saint Joseph n'échappe pas à la règle: sa vie devient un "exercice d'admiration", il fait "le tombeau de Marie"!

    Non, non, la vie chrétienne ne consiste pas à faire "le tombeau de Dieu", du Christ ou de sa mère. Elle n'est pas le passage d'un extrême à l'autre, ou bien ceux qui prennent la religion en grippe ont raison de lui reprocher de favoriser un constant état d'instabilité, un déséquilibre complaisant à son trouble, qui ne revient du péché que pour mieux y revenir encore plus fort, à bout de refoulements. La vie chrétienne ainsi décrite, ainsi pensée, s'oppose au don de "sagesse", le premier des sept dons du Saint-esprit.

    Chrétien cherche d'urgence une sainteté nouvelle! Ce disant, il reprend le cri de simonne weil. Comment l'entrevoyait-elle déjà? Le Père Liebermann, fondateur des spiritins, n'était pas étranger à ce genre de questions.

    Quelle sainteté nouvelle entrevoir? La sainteté grâciée de ceux qui ne savent pas qu'ils le sont, de ceux dont le christ a fait d'autres christ pour nous, de ceux qui ont cette transparence sur le visage qui les rend rayonnants de la face de dieu. Oh, je sais bien, on ne décrète pas de devenir soudain un transparent de dieu, mais on peut essayer d'imiter les dispositions de ceux qui Le rayonnent. Car la sainteté, comme affaire et engagement de volonté, si elle n'est qu'accessoirement un exercice d'admiration, est toujours, en revanche, un exercice d'imitation, mais d'imitation sans rivalité, d'imitation humble, vertueuse, iconique.

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    1. Julien, il y a autant de saintetés que de saints. Tout est question de tempéraments : qu'ils soient grâciés ne supprime pas leur nature. Ils ne deviennent pas transparents mais peuvent par exemple garder leur sale caractère, comme le Père Brottier, autre Spiritain.
      Il ne s'agit nullement d'imitation ni même d'effacement mais bien d'authenticité !
      C'est cela qui est beau, c'est cela qui est la gloire de Dieu : tant de formes, tant de saintetés diverses, colorées, variées, autant que de dons, de talents, de caractères, de personnalités !

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  2. Oui mais…cela soulève plusieurs questions.
    Tout d’abord, il me semble que la sainteté ne naît pas d’un désir humain mais est une réponse à un Appel. Cela change tout ! Le Saint ne veut pas sa « volonté propre ». St Ignace dit justement : « car il faut que chacun sache qu’il avancera dans les choses spirituelles à proportion qu’il se dépouillera de son amour-propre, de sa volonté propre, et de son propre intérêt »
    Il y a effectivement beaucoup de saints qui furent appelés dans leur état de grands pécheurs ou, tout au moins de grands « inconscients » de l’amour de Dieu. Ceux-là font même partie des plus grands : St Paul, Augustin, Le très humble St François d’Assise etc… Ils sont devenus des fous de Dieu ! La démesure peut-être, mais n’aime t’on pas seulement dans la démesure ? « Je vomirai les tièdes » dit le Christ ! Avoir été pécheur diminue plus sûrement aussi la tendance à l’orgueil, oblige à l’humilité, à comprendre son prochain et enfin à ne pas juger.
    Enfin, il est vrai que la religion en général ne doit pas être le lieu du « refoulé » Il ne doit pas être un « ersatz » à tous nos manques affectifs. Cela devrait n’être que le lieu de la paix intérieure. La réponse à cette problématique, c’est de ne pas avoir peur de vivre ! Il faut avoir le courage de vivre ce que l’on a à vivre. Précisément, que nous montre l’exemple de St augustin ? Si Augustin n’avait pas recherché d’une manière totale et sans compromis, à la fois la Vérité, le Beau et le Bien serait-il devenu Saint Augustin ? Il n’a pas eu peur de mener sa recherche dans la vie elle-même. Il a du passer par les idéologies de son époque, il a aimé les beaux corps avant de rechercher la beauté de l’âme en Dieu. Tous ces chemins de traverse l’ont amené au Christ. Totalement. Passionnément.
    Pour Simone Weil, la distinction entre vrai ou faux sentiment religieux, c’est cela aussi : Faire la différence entre réel et imaginaire. Dieu est le « nécessaire ». C’est le seul critère. Les sensations sont du domaine du rêve. C’est pourquoi elle soupçonne le sentiment intérieur et aussi certaines souffrances d’être du domaine de l’imaginaire. On peut avoir de mauvais penchants et les transposer sur un objectif élevé. On peut aussi avoir des pouvoirs supra naturels et croire qu’ils viennent de Dieu.
    « la chair est dangereuse pour autant qu’elle se refuse à aimer Dieu, mais aussi pour autant qu’elle se mêle indiscrètement de l’aimer »
    C’est pourquoi nous avons tous à passer par l’expérience de Job. C’est dans le fumier et les ulcères (physiques ou moraux) que nous pourrons nous détacher des valeurs mensongères.
    "Il faut marcher sans état d'âme..." écrit l'abbé. Cela résume bien.
    Benoîte.

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