lundi 30 septembre 2013

Le Centre Saint Paul se met en quatre

C'est la rentrée; au Centre Saint-Paul, il faut redessiner le dispositif et proposer du nouveau. Non pas par goût de la nouveauté, mais pour essayer de rejoindre les besoins des fidèles et les attentes de ceux qui cherchent obscurément à le devenir.

Nous proposons donc toujours cinq messes le dimanche (9H00, 10H00, 11H00, 12H30 et 19H00) et trois chaque jour (8H00, 12H30, 19H00), puisque nous sommes trois prêtres.

Le lundi, nous offrons à tous les débutants qui le souhaitent un vrai cours de latin. C'est à 19H30. Pour vous inscrire, il suffit de m'appeler (comme pour tous renseignements) au 06.15.10.75.82. Premier cours le 7 octobre.

Nous organisons des conférences d'actualité religieuse ou culturelle chaque mardi, avec cette année un fil rouge sur la mondialisation. Le 1er octobre je vous parlerai de la Rentrée littéraire sous le signe de la puissance du mal. Le 8 octobre, Jean-Claude Antakli viendra parler de Guerre et miracle en Syrie, en évoquant un miracle très récent. Le 15 octobre, comme chaque troisième mardi du mois nous organiserons une Table ronde sur la mondialisation. Premier thème : universalité catholique et mondialisme. Les conférences sont à 20H15.

Le mercredi, nous proposons quatre cycles de formation, revenant chacun une fois par mois. On peut donc s'inscrire à l'un ou à l'autre. Premier cycle, dont j'assume la responsabilité : la foi au jour le jour. Deuxième cycle : le mariage et la famille, sous la direction de l'abbé Baumann. Troisième cycle : Connaître la Bible sous l'égide de l'abbé Billot. Quatrième cycle : Maîtres et auteurs spirituels, où se succèderont des invités sous la direction de l'abbé Baumann.

Premier thème abordé dès le 2 octobre, fête des anges gardiens : le discernement spirituel, une école de vie. J'essaierai de montrer que la foi est cette liberté souveraine de l'amour qui pénètre toute la vie, en induisant une nouvelle perception des priorités quotidiennes.

Le jeudi, nous avons une heure sainte devant le Saint Sacrement

Le vendredi : nous proposons à l'instigation de l'abbé Billot, un cours de catéchisme pour adultes.

Le samedi sont organisés diverses sessions ou colloques.

Le dimanche à 18H00, précédant la messe du soir, l'abbé Baumann donnera un cours (trois fois une heure) sur la liturgie traditionnelle : comment la suivre et mieux la connaître ? Premier cours le 13 octobre. 

D'autres cours sont donnés, de grec, d'orgue, d'art de l'icône etc.

Le Centre Saint Paul n'est pas une paroisse mais un service culturel chrétien. Chacun est donc libre d'y venir, même s'il ne fréquente pas habituellement les offices et quelle que soit sa foi ou sa non-foi. Ces diverses activités sont gratuites, moyennant une adhésion de 20 euros, qui ouvre droit à toutes les activités. Pour ceux qui ne voudraient pas adhérer, les conférences sont ouvertes pour cinq euros (2 euros pour les chômeurs et les étudiants)

dimanche 29 septembre 2013

Demain Jeanne d'Arc

Chers amis, je veux partager avec vous ma joie : demain nous allons inaugurer à Domrémy la statue La vocation de Jeanne de Boris Lejeune. Certains d'entre vous ont donné pour que cette statue voit le jour : qu'ils en soient remerciés. Cette statue renouvelle complètement l'iconographoie johannique : au lieu d'une guerrière engoncée dans son armure, c'est une jeune fille qui s'élance et qui nous fait signe de la suivre. Non pas de la suivre pour elle-même, parce qu'elle serait la plus belle, mais de la suivre pour les combats de Dieu.

Comment peut-on parler de combats de Dieu ? demanderont certains d'entre vous. Les deux mots jurent. Ils sont incompatibles. Dieu ? C'est la paix... pense-t-on depuis les philosophes grecs : "Là tout n'est qu'ordre et beauté, luxe calme et volupté"... En sommes-nous si sûrs ? La raison nous rassure... Mais la foi ? "Je ne suis pas venu apporter la paix mais le glaive" avons nous lu ce matin dans l'extraordinaire rite que je célèbre avec joie. Dieu parfois nous sépare de ceux qui veulent vivre sans lui. Mais surtout Dieu nous sépare de nous-mêmes, comme par "le glaive de l'Esprit qui est la Parole de Dieu". Au lieu de nous laisser crever dans nos préjugés, dans notre moitrinerie, il nous aide à prendre toujours une distance par rapport à nous même (ce que nous montre très bien le pape François, insistant sur le discernement). Mais cette distance - il faut le dire - est vécue à un moment ou à un autre comme une coupure. Elle peut faire mal.

Jeanne n'a pu obéir à Dieu et extorquer à Baudricourt un cheval et une escorte qu'à partir du moment où elle a cessé de s'écouter elle-même. C'est pour cela qu'elle a eu besoin de ses voix : pour ne plus avoir à s'écouter elle-même. Sa raison lui disait bien qu'une jeune fille de 17 ans, dans le contexte de l'armée française, ça ne pouvait être qu'une fille à soldats. Son père le lui disait aussi. Elle a préféré ses voix et elle a délivré la France. Elle a appris à la France à être française. Tout ça ? Oui en vertu de la séparation qu'elle a su établir entre sa vie au souffle de l'Esprit et elle-même, ses légitimes aspirations, sa prudence, ce que lui disait le monde ce que lui criait son père.

Pour Charles Péguy (dans L'Argent suite) c'est ce qui fait de Jeanne quelque chose comme la mesure de la France. La France est française lorsqu'elle aspire à plus grand qu'elle-même. La France st française lorsqu'elle est conduite au combat par Jeanne d'Arc : "C'est dire que plus une bataille militaire est belle, militairement belle, plus elle est apparentée aux batailles de Jeanne d'Arc [qui sont des batailles "de vocation"]. Celui qui défend la France est toujours celui qui défend le Royaume de France. Celui qui ne rend pas une place peut être tant Républicain qu'il voudra et tant laïque qu'il voudra. J'accorde même qu'il soit libre penseur. Il n'en sera pas moins petit cousin de Jeanne d'Arc. Et celui qui rend une place ne sera jamais qu'un salaud, quand même il serait marguillier de sa paroisse (et quand même il aurait toutes les vertus)". Qui a été plus éloquent sur la France, notre bien commun à nous Français, non pas un sujet qui divise et idéologise, mais un amour qui rassemble. Cet amour qui rassemble tous les Français au delà de leurs appartenances idéologiques faisait dire à Péguy : "Valmy et Jemmapes sont les droites filiales de Patay [grande victoire de Jeanne sur Bedford]"

Mais je ne résiste pas à vous donner la suite du texte, même si il a moins de rapport avec ce qui nous occupe. Je crois quand même qu'il concerne aussi Jeanne, parce qu'il peut s'appliquer à chacun d'entre nous : "Et puis on s'en fout de ses vertus [les vertus de celui qui garde une Place]. Ce qu'on demande à l'homme de guerre ce n'est pas des vertus. Et ce que Jeanne demandait à ses hommes, ce n'était pas des vertus, c'était une vie chrétienne. Et c'est infiniment autre chose. La morale a été inventée par les malingres et la vie chrétienne a été inventée par Jésus-Christ" (qui n'était certes pas une petite nature : il suffit de regarder son image sur le Suaire).

Ce que Péguy a tant aimé en Jeanne ? Je me le suis souvent demandé. Pourquoi Jeanne ? Parce qu'elle manifestait dans sa geste la prégnance de Dieu, l'immanence du surnaturel sur notre terre ? Sans doute. Mais il y a une autre raison, une pensée de derrière. Laquelle ? Je crois que sa pensée de derrière sur Jeanne, c'est exactement ce qu'il est en train de nous dire là : Jeanne d'Arc n'était pas une grande observante de la morale bourgeoise, sinon elle ne serait pas allée aux armées avec ses dix-sept ans et son sourire : trop dangereux ! Elle aurait obéi à son père. Pourquoi a-t-elle désobéi ? Parce que l'Esprit l'a comme séparée d'elle-même d'une manière irrévocable. Sa vocation en elle a été plus forte que la précaution morale. C'est ce qui touche au coeur Péguy, c'est là qu'il se sent une fraternité d'âme avec la petite inflexible de Domrémy : lui non plus n'a jamais été un prudent. Il l'a payé assez cher sur le front en 14. Cette imprudence, c'était sa manière de dire à tous qu'il préférait sa vocation au courage, à la grandeur et au renoncement, plutôt que la morale de l'arrière et des planqués.

vendredi 27 septembre 2013

Le mystère du mal

A lire vos commentaires, je vois que certains ne comprennent pas l'article de mon camarade et néanmoins ami Joël Prieur. La question des serial killers est fondamentale, elle pose le Mal comme un mystère redoutable, un mystère d'endurcissement continuel, au-delà de toutes les motivations normales. Elle pose le problème non dicible de la puissance du mal. Puissance diabolique ? Pas seulement : puissance trop humaine.

Le serial killer sexuel qu'est Fourniret, d'après tous les témoignages, n'est au fond qu'un "peine à jouir". Ses crimes sont mentaux ou cérébraux d'abord et non pulsionnels ou fondamentalement sexuels. Il instrumentalise et scénarise le sexe, mais c'est une fantastique impression de puissance qui le fait tuer ses victimes dans les circonstances atroces que l'on sait, après avoir voulu les salir par tous les moyens. Le sexe est ici un moyen ou un lieu de son orgueil. Souvenez-vous que durant son procès, la seule fois où Fourniret sort de ses gonds, c'est lorsqu'il aperçoit la jeune chrétienne qui disait son chapelet dans sa voiture du tueur, dont les liens se sont défaits et qui a pu lui échapper. Il ne supporte pas... son échec ! Le coup est trop dur pour son mental de taré. De la même façon, lorsque l'on tue 69 ou 77 personnes, après une préméditation de 9 ans et en ayant consulté tous les cas de serial killers existant pour "faire mieux qu'eux" (en quoi Breivik a réussi d'ailleurs), même si on est possédé par la pire des idéologies, le crime est d'abord une monstrueuse transgression personnelle qui implique un extravagant culte du Moi. On peut fantasmer sur les vikings armés de hache et qui de temps en temps tueraient tout le monde pour se refaire une santé, on peut mettre en cause les brumes du nord ou les idéologies mortifères (et qui le sont en réalité, il ne s'agit pas de le nier, comme la brume est brumeuse) : le problème de fond n'est pas là. Le problème vient d'un sentiment de toute puissance qui envahit la personne. Ce n'est pas de la haine d'ailleurs. C'est simplement du mépris. Un mépris incommensurable, alimenté par l'idéologie.

Dans l'Ancien Testament, le mal est constamment présenté ainsi : "Dieu endurcit le coeur de Pharaon" (Cf. Exode 4, 31, 7, 3 etc.). Cet endurcissement d'ailleurs n'est pas le fait de Dieu, qui n'a que patience pour le pécheur, mais il marque que le péché, d'abord simple faiblesse, devient vite, dans une logique subjective qui nous échappe, rébellion et révolte. Comme dit saint Jean, le péché (amartia) c'est l'iniquité (anomia) (I Jean 3, 4). La faiblesse initiale (amartia) rencontre, finit par rencontrer l'ivresse de la transgression (anomia), et voilà l'endurcissement [sur l'importance de l'endurcissement comme concept biblique voir l'article de Xavier Léon Dufour dans le dictionnaire biblique. Une autre formule de Jean marque le caractère comme infinie de la logique pécheresse, logique de transgression et de révolte : "Celui qui commet e péché est du diable, car le diable est pécheur dès le commencement". Oh ! évidemment soi on lit ces textes dans une perspective d'actualisation, on peut très bien les considérer comme négligeables. Mais si on les lit comme inspirés par l'Esprit saint, si on les scrute, ils ont un sens caché, qu'il ne faut pas se cacher. Et ce sens, c'est que l'on ne joue pas impunément avec le péché. Je ne dis pas que nous devenons tous des serial killers. Mais je dis que si nous n'y prenons pas garde, nous allons toujours beaucoup plus loin dans le mal que nous ne l'aurions voulu. "Celui qui commet le péché est esclave du péché" dit Jésus en saint Jean. Celui qui pense que le péché, "c'est pas grave", risque, à son corps défendant (disons à son coeur défendant) de se laisser entraîner beaucoup plus loin qu'il l'aurait voulu, un péché en amenant un autre, en quelque sorte.

Cette puissance du mal, nous avons... du mal à l'admettre parce qu'elle n'est pas rationnelle. Mais nos choix moraux sont ils réductibles à la raison raisonnante ? Descartes ne le pensait pas. Il semble en effet que le choix du bien relève  d'une intelligence plus profonde que la raison, non pas l'intelligence qui démontre par des principes supérieurs (y en a-t-il, des principes supérieurs au bien ? ) mais l'intelligence qui médite et qui prie, l'intelligence habitée par "cette lumière qui éclaire tout homme venant dans le monde". C'est cette intelligence là qui, si elle ne s'ouvre pas au bien, s'endurcit dans le mal, d'une manière parfois simplement effrayante, en prenant le Moi pour sa lumière personnelle et son dieu.

mercredi 25 septembre 2013

Anders Breivik : après le sang

Mon alter ego Joël Prieur a pensé que ce texte, publié dans Minute la semaine dernière, vous intéresserait. Nous en reparlerons mardi 1er octobre au Centre Saint Paul  à 20 H 15, durant ma conférence sur la Rentrée littéraire.
L'ïle d'Utopya: rien ni personne
n'y arrive jamais (normalement).
Nous sommes le 22 juillet 2011 en Norvège : deux actions ont lieu le même jour. Deux faits divers mais tragiques : l’explosion d’une bombe de 1100 kg au cœur de la Ville d’Oslo. Huit morts mais on n’a pas encore fini, aujourd’hui, de relever les ruines produites par l’explosion ; puis une fusillade dans l’île d’Utoya, où avait lieu la traditionnelle Université d’été des jeunes travaillistes : 69 morts. C’est le plus important massacre opéré par un seul homme. Son nom ? Anders Breivik.

Richard Millet avait écrit un contestable Eloge littéraire d’Anders Breivik… Ce n’est pas cette perspective qu’épouse Laurent Obertone dans Utoya. Il ne s’agit pas d’un éloge, même littéraire. Le brillant auteur de La France orange mécanique, cherchant à explorer les conséquences sociales du multiculturalisme cultivé en France, a sans doute découvert dans ce jeune Norvégien de 32 ans qui a tué en une journée 77 personnes l’un des cas clinique de la destruction psychique qu’opère notre société désarticulée sur ceux qui croyaient en ses valeurs. Avec cette plume qu’on lui connaît, il ne nous fait grâce de rien : ni des arguments racialistes de Breivik se prétendant chevalier du Temple et défenseur de l’Occident blanc, ni de la mégalomanie du personnage, de sa farouche volonté de puissance, de son fantasme – devenir celui dont tout le monde parle - et de l’isolement psychologique dans lequel il l’enferme. Vous prenez toute cette enquête dans la figure. Sans trier. Elle commence ainsi : « Quand je pose le pied sur le quai, l’île s’empare de moi… » Et vous vous demandez : qui parle ? L’auteur ? Le tueur ? Vous mettez quelques minutes à comprendre qu’Utoya de Laurent Obertone se présente comme un journal tenu par Breivik. Notre auteur a compulsé les premiers interrogatoires, ceux dans lesquels Breivik se souvient de tout et raconte chaque meurtre, à sa manière, brève et directe, ne nous épargnant ni « le panache de cervelle jaune et rouge » qui jaillit après un tir à la tête, ni « la paresse, la résignation et la minable estime de soi » des victimes désignées. On est dans la tête du tueur, on vit à son rythme, au gré de ses obsessions. On l’entend répéter : « Tuer, ça donne du pouvoir ». Quand il réalise qu’il en est à 69 morts sur l’île, il se salue lui-même : il est le commandeur des Templiers. Plus question de prendre le moindre risque. Commandeur, il doit le rester. Les policiers sont sur l’Ile. Il faut se rendre sans casse. Pacifiquement. Parce qu'il faut vivre après tous ces morts pour jouir du pouvoir qu’ils vous confèrent dans l’imagination de ceux qui vous regardent. Surtout ne pas céder à l’emballement de la mort, et comme tant d’autres à la place d’Anders, à la fascination du suicide.

Dans cette enquête, on apprend que Breivik est un pur produit de la société qu’il dénonce, mais qui l’a fabriqué. Il est fils de travaillistes, ses parents ont divorcé, il vit très mal le départ de son père ; entretient une relation qui a dû être fusionnelle avec sa mère, chez qui il habitait encore un an avant le drame, à 30 ans passés ; considère les femmes avec suspicion et mépris ; passe parfois seize heures par jours dans des jeux de rôle sur Internet ; est un geek assumé ; possède une dizaine d’adresses Internet et plusieurs compte en banque ; a fait beaucoup d’argent ; a (presque) tout perdu en Bourse ; se passionne pour son apparence physique ; fait du body-buiding sans exclure le dopage aux stéroïdes ; se glorifie d’un QI très supérieur à la moyenne, cultive un antichristianisme très ordinaire et ne veut à aucun prix passer pour un raciste, raison pour laquelle il tue des Blancs, lui qui dénonce l’islamisation de la Norvège… Laurent Obertone nous donne tout cela au fur et à mesure de l’enquête dans laquelle on découvre qu’Anders Breivik n’est pas d’abord ce qu’il prétend être : le produit d’une idéologie mortifère, « d’extrême droite », mais plutôt, comme en témoigne le spécialiste Stéphane Bourgoin dans sa préface, un serial killer peut être un peu plus intelligent et surtout encore plus moitrinaire que les autres. Il aura porté neuf ans son dessein assassin. Neuf ans de préméditation dont le principal sujet est : comment devenir quelqu’un. Et la réponse : en en supprimant quelques uns ; au dessus de 50, l’acte aura forcément une notoriété planétaire remarque-t-il en lui-même. Oh ! Il n’a pas de haine pour les autres, non, aussi surprenant que cela puisse paraître, mais seulement un mépris vertical pour ce qui n’est pas lui, ce mépris pour « la viande » que l’on retrouve chez les grands prédateurs sexuels comme Michel Fourniret par exemple et qui a pu naître au cours d’une de ces interminables partis de World of Warcraft : le vrai monde n’est-il pas totalement virtuel ?

Le héros de ce livre a été reconnu absolument normal par tout le corps médical d’une seule voix. D’où vient sa folie meurtrière ? Sa terrible préméditation ? Sa fantastique désinvolture ? Son sourire lorsqu’il tue ? Quand on ferme le livre d’Obertone, après une lecture qui est difficile par moment, on réalise que Anders Breivik est peut-être le symptôme le plus accablant du grand nihilisme contemporain. C’est la raison pour laquelle, dans la « Correctitude » ambiante, il vaut mieux ne plus jamais parler de lui, continuer à dire que c’est un terroriste d’extrême droite, mais ne pas chercher à le connaître, pour ne pas reconnaître dans cette figurine de mode l’horrible visage du Néant qui triomphe partout.

Joël Prieur

Laurent Obertone, Utoya, éd. Ring 2013, 430 pp. 20 euros

lundi 23 septembre 2013

Un débat sur le projet du pape

"E se voi vedete che una volta l'ho perso, per favore, ditemelo, ditemelo, e se non potete dirlo privatamente, ditelo pubblicamente, ma ditelo: ''Guarda, convertiti!'."
Ainsi s'exprimait François le 16 septembre dernier à Saint-Jean de Latran : "Si vous voyez qu'une fois j'ai perdu l'humilité, dites le moi et si vous ne pouvez pas me le dire en privé, dites le moi en public... Dans l'avion qui le ramenait de Rio, il invitait aussi à discuter avec lui.

S'il est vrai qu'enfin François nous dit tout, dans l'entretien de 30 pages qu'il a donné aux revues jésuites du monde, il nous faut recevoir sa pensée avec la plus extrême attention et ne pas hésiter à en débattre.

Comme dit l'un d'entre vous sur Metablog (et Sam Gamegie sur le Forum catholique), le pape François semble rejeter les tradis aux marges de l'Eglise. Mais il ne cesse de nous inviter à aller aux marges. Alors ? Qu'en conclure ?

C'est dans cette perspective et en portant ces questions, que je donnerai mardi à 20 H 15 la première conférence au Centre Saint Paul (12 rue Saint-Joseph, 75 002. Métro Bourse ou Grands Boulevards) sur la nouvelle pastorale du pape François et sur les principes qui l'animent. Je serais heureux, comme sur ce blog, de discuter avec vous de l'avenir de notre Eglise. Mais cette fois de vive voix!

samedi 21 septembre 2013

L'abbé de Tanouarn dans La Croix: «En parlant de “vieille messe”, le pape semble nous condamner au musée»

Propos recueillis par Céline Hoyeau pour le journal La Croix - 20 septembre 2013
« Les traditionalistes peuvent avoir des raisons d’être inquiets puisque, dans ce long entretien, le pape François taxe d’idéologie toute crispation restaurationniste. Il émet par ailleurs un jugement, très implicite certes, mais guère valorisant, de Benoît XVI, lorsqu’il dit que le choix de son prédécesseur d’accorder aux traditionalistes le motu proprio fut “un choix prudentiel, lié à quelques personnes de son entourage”…
Son allusion claire au discours du pape émérite du 21 décembre 2005 sur l’herméneutique de rupture et l’herméneutique de continuité n’est guère plus encourageante : il y a dans ce texte, me semble-t-il, une véritable prise de position du pape François, pour qui le concile Vatican II induit une nouvelle épistémologie du christianisme, fondée sur l’actualisation.
La question est de savoir maintenant si les traditionalistes sont restaurationnistes ou non. Le pape peut leur donner une leçon opportune. À eux de prouver qu’ils sont fils de leur temps et participent à l’élan de la nouvelle évangélisation. Se montrer restaurationniste serait suicidaire. En revanche, si les traditionalistes ne sont pas partie prenante de la révolution chrétienne que le pape veut instiller, je pense qu’elle manquera de structures, de formes. En parlant de vetus ordo, de “vieille messe”, le pape semble nous condamner au musée : c’est à nous de faire la preuve de notre jeunesse.»

vendredi 20 septembre 2013

François : enfin il nous dit tout !

"Un jésuite parle aux jésuites..." C'est ainsi sans doute qu'il faut lire le texte de la longue entrevue donnée par le pape aux revues jésuites (en France la revue Etudes). Ce 19 septembre, un jésuite vêtu de blanc, qui se qualifie lui-même de "fourbe et ingénu" nous dit le fond de son coeur quant à l'avenir de l'Eglise. Parler avec le coeur, en prenant des risques (en prenant le risque de se décrire comme fourbe et ingénu), ce n'est pas banal quand on est pape. Cela mérite donc de notre part à nous, qui sommes les fils de ce pape dans le Seigneur, une particulière attention.

Que nous apprend ce long entretien, pétri de références ignaciennes ?

D'abord je crois il nous apprend que le pape a choisi son homme. Son modèle avoué, sa référence revendiquée, c'est celui qu'il veut canoniser, même s'il n'a pas fait les trois miracles requis par le droit : Jean XXIII. Il choisit Jean XXIII plutôt que Jean-Paul II, qui s'est tant dépensé. Pourquoi ? Il nous le dit. Parce que Jean XXIII a changé peu de choses, mais que ces quelques changements ont introduit un mouvement nouveau dans l'Eglise. Le pape actuel est en train de chercher quelles sont ces choses qu'il lui faut changer pour rechristianiser les catholiques. Il n'est pas sûr qu'il ait trouvé...

Il a été élu d'abord par le cardinal Kasper, auquel il rend d'ailleurs un hommage appuyé dans une de ses premières interventions publiques. Le programme de ce groupe d'influence, c'est la synodalité : il s'agit de faire en sorte que la Curie romaine redevienne ce qu'elle doit être, un pur instrument "au service du pape et des évêques" et qu'un autre organisme, synodal -comprenez représentatif d'une Opinion mondiale dans l'Eglise- serve de principal conseil et de légitimation démophile au pape de Rome. Dans son entretien, le pape reprend le thème de la synodalité. Il fait signe à ceux qui l'ont élu, en les assurant qu'il n'a pas perdu le fil de ce qu'il avait promis, mais que, en même temps, plutôt que des grands changements, il fallait avant tout promouvoir "le changement intérieur des personnes". "Ma première décision est toujours trop hâtive". Bref, pour l'instant, la Commission de huit cardinaux nommés par le pape et qui constitue une sorte d'ébauche de l'avenir a... de beaux jours devant elle. A moins de signes importants, le pape ne changera rien tout de suite. 

Je crois que dans ce coeur à coeur jésuite, le pape nous dit tout ce qu'il pense de son prédécesseur, Benoît XVI. Il a beaucoup d'affection pour lui, beaucoup d'admiration pour la manière dont il a démissionné, ne se sentant pas de taille à affronter les nouveaux problèmes du monde (tout cela est dit) ; mais il semble avoir peu de considération pour son oeuvre théologique, en particulier dans le domaine liturgique (domaine dans lequel Benoît XVI  publié plusieurs ouvrages de référence depuis Un chant nouveau pour le Seigneur). Selon lui, c'est poussé par son entourage que le pape allemand a rétabli le droit du Vetus ordo."Je crois que le choix de Benoît XVI fut prudentiel, lié à l'aide de personnes qui l'entouraient" : pauvre petit pape timide! Il a eu bien du mérite quand même, semble nous dire le nouveau pape.

Son jugement sur la théorie de l'herméneutique de continuité, grand apport de Benoît XVI pourtant, n'est pas plus encourageant : "Il y a eu des lignes de continuité et de discontinuité. Pourtant une chose est claire : la manière de lire l'Evangile en l'actualisant qui fut propre au concile est absolument irréversible". Pour François, manifestement, la discontinuité est un fait, elle n'est pas gênante. Pas plus que la continuité ne constitue par soi une référence. Il cite à ce sujet le Commonitorium de saint Vincent de Lérins, mais le cite à moitié, en insistant sur le progrès constant du dépôt de la foi et en oubliant la vérité contraire : les phrases fortes du Moine de Lérins sur la tradition : quod ubique, quod semper, quod ab omnibus, ce qui est tenu partout toujours et par tous. L'herméneutique de continuité a pour fonction de rendre nouvelles les choses anciennes. Mais pour François les choses anciennes sont définitivement... anciennes ! L'expression même de Vetus ordo utilisée par lui est tout un programme : c'est "le vieil ordre". No future ! Alors quelle est sa référence ? "L'actualisation". Voilà le mot d'ordre, irréversible. Je crois que personne, à ce niveau de la Vie de l'Eglise, n'avait été aussi loin : il faut actualiser le christianisme.

Qu'entend-il par là ? Il faut que le christianisme redevienne une parole vivante pour ne pas devenir irrémédiablement une langue morte, avec ses codes précis et déphasés.

On remarquera dans quel sens précis il emploie le mot "idéologie", comme étant... tout ce qu'il rejette dans un certain vécu ecclésial. "Ce qui est gênant, explique le pape François, c'est le risque d'idéologisation du Vetus ordo, son instrumentalisation". Je ne suis pas sûr que le mot "instrumentalisation" ne vienne pas du jésuite italien qui a réalisé l'entretien. C'est une manière d'expliquer le mot "idéologie", qui est courante aujourd'hui, marxiste : une pensée idéologique est une pensée qui instrumentalise de vieux poncifs (comme Dieu par exemple) pour les mettre au service de la lutte des classes. Pour Dieu : l'instrumentaliser, en faire l'opium du peuple.

Ce n'est pas dans ce sens que le pape a employé le terme idéologie dans la suite de son texte. Lisez donc cette longue citation jusqu'au bout :
"Si le chrétien est légaliste ou veut que tout soit clair et sûr, alors il ne trouvera rien. La tradition et la mémoire du passé doivent nous aider à avoir le courage d'ouvrir de nouveaux espaces à Dieu. Celui qui aujourd'hui ne cherche que des solutions disciplinaires, quoi tend de manière exagérée à la "sûreté doctrinale", qui cherche obstinément à récupérer le passé perdu, celui là a une vision statique et non évolutive. De cette manière la foi devient une idéologie parmi d'autres". 
Ce qu'il dit ici de "l'idéologie" chrétienne rejoint ce qu'il a déjà dit dans d'autres textes d'un "pélagianisme" tout à fait néo. Seraient pélagiens ceux qui se fient trop dans les moyens stables (les recettes) de la religion et qui oublient "le risque de la foi", dit le pape. Il n'a pas forcément tort mais il emploie le mot pélagien dans un contexte très particulier, au sein d'une dialectique foi religion plutôt que dans la perspective classique du couple grâce et liberté. De même ci, il faut être précis : le pape n'emploie pas le mot "idéologie" au sens marxiste d'instrumentalisation, mais dans un sens que j'appellerais volontiers "bergsonien" : est idéologique toute foi qui serait seulement traditionnelle et pas actuelle. "Chercher Dieu dans le passé ou dans le futur est une tentation.(...) Le Dieu concret est aujourd'hui".

Dans cette perspective, tout restaurationnisme est "idéologique" et donc à fuir pour l'Eglise. Je dirais même : pour François, seul le restaurationnisme est idéologique. Ceux qui présentent des solutions toutes faites, expérimentées de longue date, n'ont rien compris à l'impératif d'actualisation qui est dans le concile Vatican II. Ils figent l'actuel dans l'éternel au lieu d'insérer l'éternel dans l'actuel. Comme dit ce grand jésuite qu'est le Père de Caussade (le pape ne le cite pas, mais il déclare préférer "les jésuites mystiques" aux jésuites ascétiques. Caussade doit donc être dans ses papiers) : "L'instant est l'ambassadeur de la grâce divine". Pour le pape, ce qui est (o combien !) valable dans l'itinéraire spirituel d'un individu, doit aussi être valable pour l'Eglise tout entière, qui comme il aime à le dire est "en chemin". On comprend les nombreuses exhortations à l'audace (aux évêques brésilien à Aparecida par exemple) : tout est possible, tout est réalisable sauf la restauration, qui ne saurait être qu'idéologique. Voilà pourquoi le pape (premier pape religieux depuis le camaldule Grégoire XVI) en appelle aux prophètes aux religieux qui sont des prophètes, aux jeunes qui ne doivent pas hésiter à "mettre le bazar" comme il leur a dit à Copacabana.

Ajoutons même si ce n'est pas dit en propres termes que, comme il n'aime pas ceux qui revendiquent un modèle dans le passé, le pape ne semble pas non plus attiré par les bonimenteurs du futur : "Chercher Dieu dans le futur (comme le fit Teilhard de Chardin) est une tentation". Les grandes réformes apparaissent comme des tentations... si elles ne sont pas longuement préparées.

Mais comment, dans ce cadre nouveau défini par l'impératif de l'actualisation, l'Eglise pourra-t-elle demeurer elle-même? Comment pourra-t-on être sûr -malgré les risques d'erreur que comportent de telles règles, le pape les reconnaît volontiers- que Rome reste dans Rome ?

Dans le texte publié par les jésuites, il n'est pas question du rôle normatif de la Tradition. C'est le peuple de Dieu qui est la norme.

"Nous devons cheminer unis dans nos différences, il n'y a pas d'autres solutions" dit le pape à propos de l'oecuménisme. L'orthodromie remplace ici l'orthodoxie. Et l'infaillibilité est celle de "l'ensemble du peuple de Dieu qui est infaillible dans le croire". Se séparer de cet ensemble du peuple de Dieu, c'est donc, pour le pape se séparer de Dieu : "L'image de l'Eglise qui me plaît est celle du peuple saint et fidèle (...) Le peuple est sujet". "Quand le dialogue entre les gens, les évêques et le pape va dans cette direction, il est loyal, alors il est assisté par le Saint Esprit". Je précise que "cette direction" c'est, dans le texte, celle de l'Eglise sujet et du peuple saint, fidèle et infaillible.

Cette ecclésiologie, qui reprend certains éléments de l'ecclésiologie traditionnelle, les isole de telle sorte que le visage de l'Eglise qui nous est donné paraît plus comme un visage rêvé ou fantasmé. Rien sur la crise profonde de la foi chez les fidèles eux-mêmes, qui nécessite plus que jamais peut-être, Jean-Paul II l'avait compris, des interventions du pape et des évêques. Juste une remarque sur les trop nombreux procès en hétérodoxie qui arrivent à Rome et qui devraient être traités dans les diocèses, pour plus d'efficacité et de compréhension.

Tenant ce langage pourtant, le pape revient sur lui-même. En bon jésuite, après avoir proposé l'image de "l'Eglise qui lui plaît", il fait immédiatement son examen de conscience : "Il faut rester bien attentif et ne pas penser que cette infaillibilité de tous les fidèles, dont je suis en train de parler à la lumière du Concile, soit une forme de populisme. Non : c'est l'expérience de notre Sainte Mère l'Eglise hiérarchique comme dit saint Ignace". Il a dû en coûter à ce péroniste de toujours, qui, provincial des jésuites recasa autant qu'il pouvait les camarades militants après la mort de Peron en 1976, de reconnaître qu'il ne pouvait pas être populiste, étant pape.

Il me semble que cette fois François nous a tout dit. Que fera-t-il ?

Je suis d'accord avec l'abbé Barthe pour penser qu'il fera peu de choses pour l'instant - sauf, dirais-je à l'abbé Barthe, contre le restaurationnisme : cela semble clair depuis qu'il a obligé les Franciscains de l'Immaculée à tous célébrer le Novus Ordo. Le pape a-t-il tort de s'en prendre aux restaurationistes ? Il a tort de les prendre pour les seuls idéologues de la chrétienté à une époque où, sous l'égide de Vatican II mal lu, disons 60 % des évêques sont dans ce discours cristallisé et immobile que François appelle idéologie. Il a tort d'en faire (une fois de plus) les boucs émissaires. Mais il a raison de souligner que la restauration ne mène à rien. La fidélité des chrétiens aux formes de la Tradition catholique est une fidélité toujours nouvelle, dans un contexte nihiliste qui est, lui en tout cas, absolument nouveau et dont les traditionalistes ont souvent pris la mesure avant les autres chrétiens (Jean Madiran est un exemple de cette lucidité).

Les contradictions entre la pensée et le réel, entre l'Eglise qu'il aime et l'Eglise qui est sont trop nombreuses pour que François agisse autant qu'il aimerait le faire. Reste qu'il voudra faire avancer le Vaisseau Eglise par quelques gestes forts. Comme Jean XXIII. Pour l'instant le pape essaie des mots (sur les homosexuels), des signes (sa 4L), mais attention : il est à la recherche de ces gestes qui changent tout, moyennant un investissement purement symbolique. Pourquoi symbolique ? C'est que l'Eglise d'aujourd'hui n'a pas les moyens de se payer un Vatican III, il le sait.

Que feront les traditionalistes ? Montrer qu'ils sont là où on les attend : des restaurationnistes ? Ce serait suicidaire. Dans cette Eglise populaire, leur place dans les vieilles chrétientés est considérables. Ils sont partout et ils sont porteurs de la radicalité chrétienne. La Tradition liturgique, qui est le langage que l'Epouse tient à son Epoux divin, doit continuer à être parlée aujourd'hui : elle manquerait au coeur de l'Eglise orante de façon dramatique. La tradition théologique dans sa plus grande amplitude, comme l'a souhaité Vatican II contient les réponses que le monde attend des chrétiens. Loin d'être des restaurationnistes nostalgiques d'un ordre disparu, qui n'avait d'ailleurs pas que des qualités, les traditionalistes aujourd'hui sont nécessaires à la Révolution chrétienne. C'était le 18 juin dernier, pour nous Français cette date est pleine de sel : le pape décrétait la Révolution chrétienne.Mais qu'est-ce que la Révolution chrétienne ? Si ce n'est pas un mot de plus, si ce n'est pas un machin qui fait flop, dans un premier temps, nous explique François, c'est le retour de chacun à sa rencontre avec le Christ, à l'authenticité de sa vie intérieure. Dans un second temps, c'est le retour de chacun à la radicalité de l'Evangile et à sa Transmission immarcescible. Si le pape François est aujourd'hui tellement populaire, c'est que, volens nolens, de tout son coeur de jésuite, il porte le retour à cette Tradition véritable.

mardi 17 septembre 2013

Mgr Parolin et le célibat des prêtres

Cela commence très fort pour le nouveau jeune Secrétaire d'Etat choisi par le pape François, Mgr Pietro Parolin. On vante ses capacités de diplomates. Ici et là, sur Internet, on l'appelle déjà Pierre le Romain, selon le nom énigmatique que Malachie dans sa célèbre prophétie donne au pape successeur de Benoît XVI (dont la devise toute de paix est rappelons-le La gloire de l'Olivier). Et voilà qu'un journalistes argentin l'a poussé dans ses retranchements à propos du célibat des prêtres. Il n'en a pas fallu d'avantage pour que tous les médias du monde, comme aux ordres, répètent que l'équipe François Parolin était en faveur de la suppression de l'obligation du célibat des prêtres. Voilà de quoi aguerrir rapidement et durcir le cuir de notre futur Secrétaire d'Etat.

Et voilà une occasion de parler ou de reparler du célibat des prêtres. Effectivement cette question est libre : l'Eglise romaine ordonne déjà des gens mariés, au Liban par exemple. Mais qu'aurions-nous à y gagner en Occident ? Notre vieille Institution ecclésiale a très bien compris que le mariage des prêtres (avec l'introduction d'une pièce rapportée dans l'apostolat quotidien) poserait plus de problèmes qu'il n'en résoudrait. Non seulement des problèmes quotidiens : ça encore, ça se règle. Mais des problèmes graves. L'Eglise en effet a un enseignement extrêmement strict sur le mariage : il n'est pas facile d'observer les règles édictées par Notre Seigneur. Souvenez-vous saint Pierre, lorsque Jésus insiste sur l'interdiction du divorce (ou de la répudiation) : "Si telle est la condition de l'homme par rapport à la femme, mieux vaut ne pas se marier". Mais comment garantir que les "couples sacerdotaux" soient irréprochables, alors même que l'homme ne rapportera à la maison qu'un très petit budget mensuel ? Alors que l'institution du mariage est en pleine crise, comment imaginer que le mariage des prêtres se passera sans le divorce des prêtres ? Voilà, à mon avis la question immédiate, non pas la plus profonde (on peut la résoudre en prenant toutes sortes de garanties sur les personnes), mais néanmoins la plus concrète et la plus impérieuse. Autant à une époque socialement homogène, dans des civilisations où le mariage va de soi, on peut prendre ce risque ecclésial du mariage des prêtres, autant à notre époque où le mariage est en crise, cela ne semble pas très prudent - hic et nunc - d'introduire le mariage dans le sacerdoce.

Mais il y a je crois une raison plus intime de défendre le célibat des prêtres comme une grâce. Par le Christ, nous sommes délivrés de la loi et de sa pesanteur. Se marier pour un prêtre, c'est rentrer dans la voie commune, c'est risquer de concevoir sa vie selon les normes communes en cherchant une rentabilité et des investissements qui permettent de constituer un pécule familial qui devienne un capital. Et c'est manquer le grand saut qui caractérise aujourd'hui toute vocation religieuse : je me remets au Seigneur, je n'ai que lui, je ne vis que pour lui dans une radicalité qui doit devenir quotidienne. "Je suis dans la main de Dieu, va-t-il serrer ?" (Bernanos). Le célibat donne une sensation j'allais dire presque physique d'abandon au Seigneur et de liberté spirituelle totale. Qu'avons nous d'autre à notre disposition pour dire à notre Dieu que notre amour n'est pas seulement verbal, pour prier avec notre vie et pas seulement avec des mots ? On est tellement facilement dupe de sa propre rhétorique... Le célibat dans une chasteté toujours recherchée - une chasteté "aimée" comme dit saint Benoît - c'est la consécration de son énergie à une expérience intérieure qui est surnaturelle. C'est une ouverture aux bonheurs de l'Esprit, qui ne s'éprouvent que dans le renoncement au quotidien.

jeudi 12 septembre 2013

Gustave Thibon et ses critères

"Critères : est un bien pour l'homme tout ce qui creuse l'homme, même au risque de le briser ; l'effort, le danger, la responsabilité, le sacrifice, l'amour, la douleur, et jusqu'aux plaisirs, jusqu'aux péchés, à condition qu'ils soit vécu à fond, assumés sans réserve comme une nourriture ou comme un poison et non dégustés comme des épices ; et corrélativement est un mal pour l'homme tout ce qui contribue à l'aplatir : l'excès de sécurité, la facilité, la distraction, l'automatisme - en bref, tout ce qui, dans l'immédiat et pour le plus grand nombre, offre le plus d'attrait..." (Gustave Thibon, Parodies et mirages ou la décadence d'un monde chrétien, notes inédites 1935-1978, éd. du Rocher 2011).

J'aime beaucoup le caractère abrupt de cette note et ce commencement : "Critères..." Nous cherchons des critères. Nous voulons les trouver dans la loi, mais la loi écrite est une rationalisation du bien qui ne suscite pas l'amour. Une représentation, une simplification conceptuelle ne suscite pas l'amour, sauf chez quelques malades de légalisme, et ce sera un amour maladif. L'amour intégriste ? Or le critère... Je veux dire le critère du salut... C'est justement de susciter l'amour... Le vrai : celui qui crée l'harmonie, la croissance et l'action. Comment susciter l'amour en soi ? En acceptant d'être creusé. Comment évacuer l'amour : en s'aplatissant, devant un juge, devant un chef, devant une loi par exemple.

Le but de Dieu est de nous creuser. Le but de l'Homme de nous aplatir. "Malheur à l'homme qui se confie dans l'homme" (Jér. 17, 5). Il sortira de cette confiance malencontreuse en sa propre chair aplati comme une crêpe. Sans exigence. Sans idéal. Nous voyons pourquoi l'ordre humain et l'ordre divin paraissent si souvent incompatibles. Ils ne le sont pas sur le fond, parce qu'il n'y a pas trente six manières de faire de l'ordre. Mais ils le sont sur la forme. Sur le fond, Satan et Dieu proposent le même salut à Adam et Eve : Vous serez comme des dieux. Mais pas de la même manière : l'un veut prendre et voler, l'autre donne.

C'est ainsi que l'on peut rentrer dans le mystère du mal, tel qu'il est pensé par Dieu de toute éternité. Le mal peut contribuer au bien parce qu'il creuse l'homme en lui enseignant l'humilité. Les critères comme dit Thibon ? Non pas le bien et le mal, trop simples. Mais : ce qui mène à Dieu et ce qui nous en éloigne. Ce qui nous humilie et ce qui nous gonfle, car "l'humilité c'est la vérité". Ou encore : ce qui nous permet de nous connaître tels que nous sommes et ce qui nous cache à nous-mêmes.

dimanche 8 septembre 2013

La naissance de Marie

Aujourd'hui nous fêtons non seulement le XVIème dimanche après la Pentecôte, mais, dans l'Ordo de Pie XII qui en vaut un autre, la fête de la naissance de Marie au 8 septembre. Dans sa demande de jeûne pour la Syrie, le pape lui-même a parlé de nous préparer à cette fête. Et puis nous, à l'Institut du Bon Pasteur, nous avons une raison particulière de célébrer la naissance de Marie, c'est que ce jour marque la naissance de notre Institut. Nous fêtons sa 7ème année : l'âge de raison ? Pour un petit d'homme oui, c'est ce qu'on dit. Pour notre société religieuse, Dieu le veuille ! Il y avait un beau signe : naître le même jour que la Sainte Vierge. Comme dit Hector Malot que vous avez peut-être lu comme moi avec la larme à l'oeil quand vous aviez 12 ans, il y a d'abord "les beaux langes ont menti", mais un chapitre ultérieur (de Sans famille si je ne m'abuse) s'intitule "Les beaux langes ont dit vrai". C'est le jeu de la vie ! Une seule chose est sûre : nous ne sommes pas des joueurs fous puisque nous sommes dans la main de Dieu.

Que signifie cette naissance de Marie ? Une conception nouvelle dans le monde, une conception immaculée, qui pour chacun, du moment qu'il le veut, peut être l'occasion d'une Renaissance. Oh ! Quoi qu'on en ait dit ou crié à Rio pendant les JMJ, il ne s'agit pas de penser que le monde pourra se renouveler ni que l'on soit capable de le changer. Le péché originel est trop résistant. On peut faire naître, ne serait-ce que dans nos coeurs, des oasis de vie spirituelle. Mais changer le monde...

"Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi" disait on durant un beau moi de Mai, il y a 45 ans. Ils ont couru les pauvres ! Souvent ils ont couru, ils ont formé des communautés pour un monde nouveau, ils y ont cru. Mais le vieux monde était aussi devant eux. Ils se sont rendu compte qu'on leur avait menti, qu'ils étaient encerclés. La plupart, toujours courant, se sont rendus au monde comme il ne va pas et ils s'y sentent très bien, ces soixante-huitards qui nous gouvernent, ils nagent dans le bonheur du cynisme le plus total. Nous chrétiens, ce n'est pas, cela n'a jamais été notre programme de changer le monde. Nous n'avons rien à changer du vieux monde, nous ne sommes ni ses juges ni ses fossoyeurs. Mais la Vierge est née, c'est le miracle, qui peut et doit tout changer en chacun de nous.

Trop nombreux sommes nous à attendre que le monde change pour changer. Fous que nous sommes : comme si le monde avait jamais changé. C'est à nous de changer, à nous de renaître (cf. Jean 3, 3), de naître avec et par Marie, la première chrétienne, la seule chrétienne d'avant le Christ, qui pour Dieu est comme la conception avant cette Action sublime qu'est l'Incarnation du Verbe.

mercredi 4 septembre 2013

Descartes ou pas

Je remercie ceux d'entre vous qui, profitant de quelques lignes du post précédent, ont posé le problème de Descartes. Je remercie particulièrement celui d'entre vous qui, dans un louable souci d'objectivité, oublie Trois réformateurs de Maritain, oublie Le songe de Descartes de Maritain et cite Jean Alquié insistant sur la stratégie cartésienne. Je préfère parler de la stratégie cartésienne, qui est une stratégie de l'esprit plutôt que de me pencher sur la stratégie maritainienne, qui est une stratégie éditoriale.Pour Maritain, rappelons-le, Descartes était un réformateur, comme Luther en religion et Rousseau en politique et... last but not least : Descartes était Rose croix... Comprenez : quasi-franc-maçon avant l'heure. Pourquoi Maritain a-t-il ainsi voulu nous couper, nous thomistes, de l'histoire de la philosophie (à jeter dès le début du XVIIème siècle) ? Pourquoi a-t-il enfermé le thomisme dans son formol à lui ? A-t-il cru comme son ami Berdiaev que le monde allait revenir au Moyen âge ?

Descartes, le mercenaire dans la vie, est, dans ses livres avant tout un stratège de l'esprit, et un stratège catholique, en lien, par exemple, avec le cardinal de Bérulle - excusez du peu. Hélas son carnet d'adresse, pas très politique en cela, manquait un peu de jésuites, depuis le collège de La Flèche, c'est vrai ! Les jésuites d'ailleurs avaient un autre stratège, Suarez, thomiste "rénové", qui - bon plan - leur fait faire l'économie de saint Augustin (ça c'est important, on y reviendra), déteste les veteres thomistae, les vieux thomistes, et invente une scolastique moderne dans tous les domaines, au même moment où ses confrères jésuites inventent la casuistique.

Merci pour Alquié donc. J'avoue que, personnellement, j'ai lu avec passion plutôt Jean Laporte, spécialiste de la théologie de Port-Royal et auteur d'un livre enthousiasmant sur le rationalisme de Descartes (disponible coll. Epiméthée, PUF), où il n'a pas de mal à montrer que, du point de vue métaphysique tout au moins, Descartes n'est pas rationaliste - contrairement d'ailleurs à Malebranche et à Leibniz. Malebranche, avec son idée de "gloire de Dieu" quantitativement mesurable, prétend que, pour sa gloire, Dieu était obligé, s'il créait, de créer cet univers-ci, en vertu des lois générales de la raison. Leibniz ajoute que d'ailleurs il ne pouvait pas faire autrement que de créer puisqu'il est généreux. Sa générosité l'obligeait.

Descartes dit exactement le contraire : il est encore très Renaissance en cela, fasciné par la Toute-puissance de Dieu et imaginant Dieu capable de créer des mondes où 2 + 2 feraient 5. Il ne pense pas, lui, que l'on puisse déduire le monde de Dieu parce que comme il est chrétien, il croit à l'amour, à la gratuité, à la liberté à l'Infini de Dieu. Je rappelle que Sartre l'existentialiste était fasciné par ce sens cartésien (et chrétien) de la liberté, qui naît en Dieu même. Tout ce que les Grecs et leur culte de la Nécessité éternelle, n'ont pas vu ! Bossuet aussi était cartésien et lorsqu'il écrit au Maréchal de Bellefonds "Je vois un grand combat se préparer contre l'Eglise sous le nom de philosophie cartésienne", il pense non pas à Descartes, mais à Malebranche, dont il réfutera le système.

Mais il y a autre chose : Dieu est-il la Nature parce qu'il est la Raison et que la Raison est tout ? A la Troisième Méditation, Descartes, qui a mis tout en doute et qui n'est encore que le Sujet pensant, voit cette possibilité de panlogisme, ou de paralogisme : elle lui fait horreur. Il la réfute, en soulignant qu'il y a deux types de concepts, le concept formel, tout rationnel et le concept objectif, dont le contenu ne peut pas provenir de la raison. Il reprend d'ailleurs cette distinction à la scolastique la plus classique.  Et il insistera toute sa vie sur la nécessité des deux substances, irréductibles l'une à l'autre. Ils sont deux à avoir bravé l'interdit cartésien : Berkeley et Spinoza.

Berkeley, évêque anglican, pour les besoins de son apologétique face aux matérialistes de son temps, semble pouvoir se passer de la notion même de substance, dans une sorte de phénoménologie intégrale, totalement idéaliste : l'être n'est rien d'autre qu'un être perçu.

Spinoza, quant à lui, fait de l'esprit et de la matière deux modes de la même substance qui est la Raison, la nature et Dieu tout ensemble. Juif excommunié de sa synagogue, proche des chrétiens sociniens antitrinitaires, il prétend que la Révélation, parce qu'elle ne porte en elle aucun signe de la nécessité rationnelle, est un produit de l'imagination, qui a été inventé par l'homme pour contribuer au salut des ignorants. Il appelle le Christ "la bouche de Dieu", le considérant uniquement comme un inspiré en phase avec le grand Tout. Les livres de Spinoza ont commencé à circuler à partir de 1670 sous le manteau. Vers 1690, Fénelon s'est hasardé à réfuter sa métaphysique. Avec un peu de mal, sans aller jusqu'au bout, sans parler de la liberté du Dieu infini face au fini, parce qu'au fond, il est rationaliste lui aussi, plus proche du prêtre Malebranche que du laïc Descartes.

Mais tout ça, mesdames et messieurs, c'était avant le drame, comme dit l'humoriste. Le grand inspirateur des Lumières, le grand réformateur, ce n'est pas Descartes et sa culture scolastique, c'est Spinoza. Il suffit de se rendre à l'article "spinoziste" de l'Encyclopédie, article qui est de Diderot lui-même (cf. Diderot coll. Bouquins t. 1), pour comprendre où se trouve le véritable adversaire :
"Il ne faut pas confondre les spinozistes anciens avec les spinozistes modernes. Le principe général de ceux-ci est que la matière est sensible, ce qu'ils démontrent par le développement de l'oeuf, corps inerte., qui par le seul instrument de la chaleur graduée passe à l'état d'être sentant et vivant, et par l'accroissement de tout animal qui dans son principe n'est qu'un point, et qui par l'assimilation nutritive des plantes, en un mot de toutes les substances qui servent à la nutrition, devient un grand corps sentant et vivant dans un grand espace. ; du reste, ils suivent l'ancien spinozisme dans toutes ses conséquences".
 Diderot avait fait sa thèse de Maître es arts sur Descartes. Mais il ne parle pas de Descartes pour justifier son monisme matérialiste. Et pour cause : Descartes est dualiste. Quant au monisme de Spinoza, il peut s'interpréter aussi bien comme un spiritualisme que comme un matérialisme. Qu'importe : l'âme après tout n'est que l'idée du corps. Alors pourquoi pas le corps sentant de Denis Diderot ?

Diderot est un métaphysicien passionnant de maladresse et de sincérité. Nous fêtons le 5 octobre prochain le Troisième centenaire de sa naissance. Il faudrait l'étudier d'avantage, tant, un siècle et demi avant eux, il ressemble aux créatures de Flaubert, les scientistes vieux garçons, Bouvard et Pécuchet. Son spinozisme est un délice ! Il me semble qu'il en est à son corps défendant le meilleur réfutateur.

Je vous parlerai une autre fois de Spinoza politique : par delà le bien et le mal, il écrit dans son Traité de l'autorité politique un éloge de l'obéissance absolue au Souverain. Je crois que le véritable inventeur de la banalité du mal, ce n'est pas Eichmann, c'est lui. On est quand même très loin des péchés philosophiques tout véniels que l'on peut reprocher à Descartes.

mardi 3 septembre 2013

Dieu et l'épicier

J'ai été un peu loin de Métablog ces dernières semaines, je m'en excuse. Une retraite terminée par une élection à l'IBP (sans surprise). Un travail acharné autour d'un nouveau livre intitulé Une histoire du mal. Il n'en faut pas plus pour que je paraisse oublier mes devoirs d'animateur de blog.

Je voudrais simplement vous signaler, tant que j'en suis au livres, que mon Parier avec Pascal, épuisé en six mois, vient de connaître un deuxième tirage aux éditions du Cerf. Seule petite différence : le prix. La nouvelle édition est à 27 euros, l'ancienne était à 23. Pour les dix premières commandes au Centre Saint Paul, 12 rue Saint Joseph 75 002 Paris, je peux encore fournir l'ancien prix, en vous offrant le port (chèque de 23 euros à l'ordre de ADCC).

Par ailleurs, ma thèse sur Cajétan, le personnalisme intégral, fait partie des soldes mises en place par les éditions du Cerf, en ce mois de septembre. Elle vaut 64 euros. Et elle est disponible (chez l'éditeur, mais aussi à la Procure rue de Mézière à Paris) pour le prix de 32 euros. Vous trouvez beaucoup d'autres livres en solde autour de saint Thomas d'Aquin, en particulier l'édition des oeuvres du Docteur angélique que l'on appelle vaticane, se trouve, elle aussi à moitié prix. C'est le moment d'en profiter !

Pardonnez moi ce petit côté "épicier". Mais je me dis que si vous aimez tant Métablog (j'ai rencontré cet été beaucoup d'entre vous au hasard de messes ou de mariages), vous aimerez sans doute aussi l'écriture du Pascal. Quant au Cajétan, c'est une sorte de roman métaphysique autour des prodiges de l'analogie. Au plein de la Renaissance, le grand Commentateur de Thomas d'Aquin nous montre que le thomisme n'est pas une doctrine, figée dans sa lettre, mais avant tout une méthode de réflexion, fondée sur la vision chrétienne du monde, qui a assimilé et englobé la philosophia perennis, dans une synthèse métaphysique personnaliste de plus en plus achevée.

Peut-être n'êtes vous pas au courant non plus de la publication, il y a trois semaines au monastère de Fontgombault, d'une traduction française inédite de l'ouvrage d'Etienne Gilson en langue anglaise : God and some philosophers. Titre français retenu par les traducteurs de Fontgombault : Dieu et la philosophie. Gilson, qui avait vraiment le don des langues, pratiquait paraît-il un anglais extrêmement fluide et cette traduction française est aussi de bonne qualité. Elle est accompagné d'une réface inédite de Rémi Brague. Gilson nous emmène aussi bien chez les Grecs, que chez les médiévaux, chez les modernes et chez les contemporains. En nous montrant comment se pose à chaque époque la question de Dieu et en terminant sur une critique du scientisme actuel, il met l'histoire de la philosophie au service de la ,philosophie. Il nous montre comment, pour un philosophe quel qu'il soit, "l'athéisme est difficile" et la croyance en Dieu évidente. On le voit bien au fil des différentes éditions de son gros livre Le thomisme, en particulier la quatrième édition, la cinquième et la sixième, qui présentent de notables différences entre elles, Etienne Gilson n'était pas très à l'aise avec les cinq voies de saint Thomas d'Aquin et leur rationalité discursive. Il penchait plutôt comme Descartes pour l'idée que Dieu est évident en soi pour quiconque prend une heure de réflexion. Et pourtant, lui qui a si bien travaillé sur Descartes dans sa jeunesse, se montre en son âge mûr d'une sévérité qui semble excessive ne serait-ce que dans sa forme pour le grand philosophe français. Mais "son ami" Jacques Maritain, hélas dans doute, était passé par là...

En revanche, Gilson est très rapide sur Kant (qu'il assimile à Auguste Comte et à son positivisme). Dans un livre magistral, Dieu existe, publié en juin dernier aux éditions du Cerf, Frédéric Guillaud montre au contraire qu'Emmanuel Kant reste le grand interlocuteur de ceux qui veulent poser aujourd'hui la question de l'existence de Dieu... La publication en français, sur le même sujet coup sur coup de deux livres aussi dissemblables que celui de Guillaud et celui de Gilson montre bien que l'Homme laïc qui s'était cru capable de mettre Dieu dans un corner, comme on met au piquet un élève qui ne répond pas comme vous voulez, risque fort d'aller vers toutes sortes de déboires. L'intelligence humaine n'en a pas fini avec Dieu ! Frédéric Guillaud, outre saint Thomas d'Aquin, s'appuie sur la philosophie analytique américaine la plus récente pour montrer cela.

La partie la plus courageuse de son livre est la première, dans laquelle il montre que l'agnosticisme de nos contemporains est d'origine politique. La démocratie occidentale, qui refuse tout principe sur-humain et toute règle d'or, est nécessairement une machine à produire l'agnosticisme. Et le croyant apparaît aujourd'hui de manière évidente comme un résistant., non pas d'une résistance en peau de lapin qui vole au secours de la Victoire à la dernière minute, mais d'une résistance qui sait qu'humainement le Système est trop fort et que tout semble perdu.