vendredi 29 novembre 2013

Ils ont un problème avec la culture catholique...

Voici un extrait de ce que j'ai publié dans le tout dernier numéro de Monde et Vie sur l'Exhortation Evangelii Gaudium, marquant la fin de l'année de la foi.
La grâce suppose la nature, disait Thomas d'Aquin. « La grâce suppose la culture » (115) lance François. Pour le pape, il l’écrit aussi, « le peuple de Dieu s’incarne dans tous les peuples de la terre ». Cette catégorie de « peuple » est absolument décisive chez lui. Tout se passe comme si, pour lui, la grâce ne s’adresse pas d’abord aux individus mais aux peuples. Etreinte baptismale, étreinte éternelle, il faut faire en sorte « que notre peuple vive entre ces deux étreintes » (142). 

Et notre pape d’attaquer « un christianisme monoculturel et monocorde » (117). Et de mettre en cause « la sacralisation vaniteuse de la propre culture de l’Eglise ». Cette dernière formule me pose un problème. Je voudrais y réfléchir et chercher les raisons de la soudaine condamnation que semble jeter le pape.

C'est un fait bien connu : le cardinal Bergoglio croit à la culture populaire argentine. En 2002, il a édité un long commentaire d’un poète gnomique argentin José Hernandez, intitulé Le Gaucho. Il se veut proche de son peuple, il aspire sans doute aussi à devenir le représentant des peuples contre la mondialisation libérale. Mais pourquoi ne voit-il pas (comme l'avait si bien vu Mgr Lefebvre) la fécondité mondiale d’une culture catholique, qui a été l’une des grandes institutrices des peuples à l’époque des Missions ? Je hasarde une réponse : cette culture catholique reposait sur la beauté rituelle d’une liturgie unique partout dans le monde. Cette liturgie étant aujourd'hui  réputée résiduelle, il est devenu difficile de parler d’une culture catholique universelle depuis le Concile.

A tous ceux qui croient encore en une culture catholique, capable de s’inculturer partout, mais qui est avant tout façonnée par la foi, le pape adresse le reproche de néo-pélagianisme : « Dans certaines formes de christianisme, on note un soin ostentatoire de la liturgie, de la doctrine ou du prestige de l’Église, mais sans que la réelle insertion de l’Évangile dans le Peuple de Dieu et dans les besoins concrets de l’histoire ne les préoccupe. De cette façon la vie de l’Église se transforme en une pièce de musée, ou devient la propriété d’un petit nombre » (95). Il se pourrait bien que la mission historique des traditionalistes soit aujourd’hui, face au refus institutionnel d’une culture catholique solide, de transmettre cette culture malgré l’institution qui devrait la porter.
  
GT

lundi 25 novembre 2013

Réponse à NN sur l'unité de l'Eglise. L'Eglise une selon le pape François

Le Christ est roi de nos conscience, sa vérité est un absolu qui domine et qui illumine de l'intérieur notre raison. Mais comment cela peut-il se vérifier, me demandez-vous, si l'Eglise n'est pas une, si elle se divise elle-même ?

Je crois qu'il ne faut rien dramatiser à cet égard, au moins pour l'instant. L'Eglise est une de l'unité que Dieu lui donne remarquait Charles Journet dans son premier livre chez Grasset sur l'unité des chrétiens. C'est Dieu qui nous unit. Et c'est lui qui nous a tous créés différents. La diversité des individus créés est l'image finie de l'infini divin dit saint Thomas, Ia Q44. Saint Paul de son côté insiste sur la diversité des charismes. Regardez aussi l'épitre aux Galates : "J'allais voir Pierre et lui dis qu'il ne marchait pas selon la voie droite de l'Evangile". Le charisme de Paul, c'est cette droiture que lui donne sa terrible intelligence. Ne s'est-il pas converti "rue Droite" à Damas, dans la Maison d'Ananie. Ce n'est pas pour rien que cette rue existe toujours sous ce nom... (il y avait d'ailleurs avant la guerre un pâtissier rue Droite qui confectionnait de merveilleuses petites choses, signe que l'on ne s'éloigne pas si facilement que cela de la droiture). Pourtant saint Pierre, lui, il n'habite pas rue Droite. Il est face aux humains, il négocie : peut-on manger de la nourriture qui n'est pas cacher ? Il dit "oui", puis il dit "non", selon les gens auxquels il s'adresse. Il tente de ménager les personnes. Cela rassure d'abord les intéressés, puis cela provoque une belle pagaille.

Qu'est-ce qui a changé ?

Comment est-on sûr que l'on se conforme au don de l'unité que le Seigneur nous fait en nous appelant dans son Eglise ? Le Père Congar avait beaucoup travaillé la question. Dans son article "schisme" pour le DTC, il fait appel à peu près uniquement à Cajétan, commentant l'article sur le schisme dans la IIaIIae, 38. Qu'est-ce qu'être membre de l'unité de l'Eglise ? C'est agir comme une partie [agere ut pars] dans l'Eglise, chacun selon ses moyens, ses capacités, son histoire, ses origines etc. Que signifie "agir comme une partie" ? Cela veut dire : ne jamais se prendre pour le tout. Accepter de n'être qu'une partie, de ne donner qu'une partie du témoignage du Christ. Accepter qu'à côté de soi, il y ait des chrétiens très différents, qui sont tout autant fils et filles de Dieu, même s'ils donnent à voir autre chose que ce que l'on fait soi.

Dans ce sens le radicalisme n'est pas forcément mauvais lorsqu'il s'agit de remonter aux racines de notre foi. Il est mauvais lorsque de petits groupes de purs se prennent pour l'Eglise tout entière ou pour ce qu'il en reste. Il me semble que le pape François (voir sa démarche avec Scalfari directeur de la repubblica) a compris que l'Eglise (un milliard deux cents millions de chrétiens) n'était pas un troupeau dans lequel toutes les brebis penseraient pareil sur tout et bêleraient pareil à tous moments, mais une société de personnes, la grâce travaillant différemment  dans chaque âme. Certains ont peur de cette liberté du pape. Je crois qu'elle est un don providentiel du Saint Esprit, qui, ironie vraiment divine, a mis un électron libre à la tête de plus d'un milliard d'individus. - Et ça marche ? - Regardez ! Il suffit que nous ayons à coeur d'agir comme une partie et non pas comme le tout.

Jean Sevillia, une raison française

Jean Sévillia rédacteur en chef adjoint au Figaro Magazine, a beaucoup écrit contre le terrorisme intellectuel de la gauche bien-pensante, pour démasquer ce qu’il nomme lui-même l’Historiquement correct. Son dernier livre sur l’histoire de France se présente comme une première synthèse de ses travaux. Il nous annonce une « histoire passionnée de la France ». Quant à moi, ce qui me frappe, c’est que cette histoire est encore plus raisonnée que passionnée. Dans le superbe ouvrage, publié par les éditions Perrin, nous sommes invités à une rétrospective argumentée sur chacune des grandes phases de l’aventure française. Sans nostalgie. Il n’existe pas de passé idyllique et l’on est bien obligé de constater que chaque époque a ses difficultés. Mais, avec Sévillia, on s’exerce à comprendre chaque obstacle, en rappelant avec précision les événements et les enjeux. L’histoire de la France est une succession de maelström, précédés et suivis de toutes sortes de psychodrames au cours desquels se déchaînent les haines civiles. L’auteur nous dit-il tout ? Bien sûr que non. Au moins peut-on se repérer dans ce labyrinthe typiquement français, un fil d’Ariane à la main. Plus on approche de notre temps, plus cet effort de clarification, loin de toute idéologie, s’avère passionnant. Les pages consacrées à la Deuxième Guerre mondiale ou à la Guerre d’Algérie sont des chefs d’œuvre d’objectivité et de compréhension. Alors que certains semblent prendre un malin plaisir à aviver ces blessures nationales, c’est une œuvre de justice que tente l’auteur de ce livre, aidé par le recul du temps. En lisant Sévillia, on se prend à penser à un monde où la diabolisation n’existerait pas et où la raison historique aurait eu le loisir de faire son travail d’objectivité et de paix, un monde où les Français (puisque c’est d’eux qu’il s’agit) pourraient à nouveau s’aimer eux-mêmes et s’aimer entre eux.

Ce bel ouvrage, facile de lecture, somptueusement illustré (qui fera un merveilleux cadeau de Noël), entend mettre en valeur délibérément «ce qui rassemble et ce qui réunit».
Jean Sévillia, Histoire passionnée de la France, éd. Perrin 2013, 560 pp. 25 euros
Conférence de Jean Sévillia au CSP mardi 26 novembre prochain à 20 H 15. Il vous dédicacera son livre.

samedi 23 novembre 2013

Crise : les mots pour rire de nos maux

Merci à Alain qui nous envoie ce qui suit et qui nous donne même l'occasion de faire de l'esprit sur notre dos... Ce post est un peu moins sérieux que d'habitude, mais il est très grave... Il montre à sa manière l'universalité de la crise.
C'est la crise pour tous.
Les problèmes des boulangers vont croissants...
Alors que les bouchers veulent défendre leur beefsteak,
les éleveurs de volailles se font plumer,
les éleveurs de chiens sont aux abois,
les pêcheurs haussent le ton
Et bien sûr, les éleveurs de porcs sont "dans la merde ",
tandis que les céréaliers sont "sur la paille".
Par ailleurs, alors que les brasseurs sont sous pression,
les viticulteurs trinquent.
Heureusement, les électriciens résistent.
Mais pour les couvreurs, c'est la tuile et
certains plombiers prennent carrément la fuite.
Dans l'industrie automobile, les salariés débrayent, dans l'espoir que la
direction fasse marche arrière.
Chez EDF, les électriciens sont sous tension, mais la direction ne semble
pas au courant.
Les cheminots voudraient garder leur train de vie, mais la crise est arrivée
sans crier gare,
alors... Les veilleurs de nuit, eux, vivent au jour le jour.
Pendant que les pédicures travaillent d'arrache-pied,
les croupiers jouent le tout pour le tout,
les dessinateurs font grise mine,
les militaires partent en retraite,
les imprimeurs dépriment et
les météorologues sont en dépression.
Les prostituées, se retrouvent à la rue : c'est vraiment une mauvaise passe!

Le Christ roi de nos consciences

Dimanche prochain à partir de 14H00 j'interviendrai à la salle paroissiale de la paroisse Saint François Xavier sur le thème Le Christ roi de nos consciences dans le cadre d'un Colloque sur le Christ roi organisé par l'association Ecouter avec l'Eglise qu'anime le Père Michel Viot.

Le Christ est roi de nos consciences, non pas qu’il les brutalise, ni qu’il s’impose à elles par la force. Mais il met néanmoins chacun d’entre nous devant la nécessité de faire un choix, qui sera un choix définitif, un choix sans repentance. Parce qu’il est “la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde”, parce qu’il est “aeterna lux credentium” (la lumière éternelle de tous ceux qui croient) comme on le chante durant le temps de l’Avent dans le Conditor alme siderum, il se donne à chacun d’entre nous, d’une manière ou d’une autre comme la vérité de notre condition. C’est devant Pilate, alors qu’il va être condamné à mort, alors que tout semble lui échapper, c'est à ce moment pathétique entre tous où le Messie est déféré devant les Polices juives et romaines pour être condamné à mort, qu'il revendique "sa royauté" (véritable sens de basileia dans ce contexte de Jean 18). “Ma royauté n’est pas d’ici” mais “quiconque est de la vérité entend ma voix”.

On comprend dans ce contexte biblique la condamnation des pape du XIXème siècle. Grégoire XVI traite la liberté de conscience de “folie”. Ce serait en effet une folie de penser que la vérité divine se donne à notre raison se pliant à nos démonstration (voir aussi Prop. 15 du Syllabus de Pie IX). La foi n'est pas l'objet d'une supputation même très intelligente, mais comme le dit Pascal, l'objet d'un pari, avec mise, risque et gain (à chaque fois). Ainsi la foi s'impose à nous. Elle est à prendre... ou à laisser, si nous voulons laisser la vie. Mais en même temps, cette vérité représentant une Intelligence qui nous dépasse, ne nous contraint pas, elle nous est donnée de l’intérieur. En cela, le Christ et son Eglise respectent évidemment la “liberté des consciences” (Pie XI Non abbiamo bisogno 1931). Non seulement le Christ la respecte, mais il la cherche, il la veut. Il en fait le sésame de notre vie éternelle.

Devant la montée des totalitarismes, Vatican II a souhaité insister sur ce point pour soustraire les consciences au contrôle que tous les Big Brothers du monde entendent exercer sur elles. Pour couper court à beaucoup d’incompréhension, Jean-Paul II dans Veritatis splendor (1993) a insisté sur le caractère absolu de la vérité – vérité naturelles de la morale, mais aussi, insiste Benoît XVI, vérité révélée, qui ne peut pas subir "la dictature du relativisme". 

Dans son sermon du 18 novembre dernier, le pape François insiste, quant à lui, sur la nécessité de se garder de ce qu’il nomme “la pensée unique” pour libérer nos coeurs et les laisser s’ouvrir à la lumière intérieure, "la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde".

mardi 19 novembre 2013

Un coup de griffe papal

Le pape François nous réserve toutes sortes de surprises. Il surprend en particulier les esprits chagrins qui pensent toujours que tout va mal à Rome. Pour son homélie, en la chapelle de la maison Sainte-Marthe, il s’est inspiré de la première lecture de la messe du jour (Maccabées 1,10-64), dénonçant la « racine perverse » de la mondanité quand les guides du peuple vont « négocier » pour se rapprocher d’autres traditions. Merci à Zenit de cette traduction ! Voici François dans le texte. Les coupures sont de Zenit, les Inter aussi, sauf le dernier. Très important, le coup de griffe papal à la globalisation actuelle.

On ne négocie pas la fidélité

« C’est comme s’ils disaient : "nous sommes progressistes, nous allons dans le sens du progrès, là où va tout le monde" ». Mais ils négocient « la fidélité au Dieu toujours fidèle ». « Ceci s’appelle apostasie, adultère... ils négocient exactement l’essentiel de leur être : leur fidélité au Seigneur ».
Il s’agit d’un « esprit de progressisme adolescent » qui « croit qu’avancer dans n’importe quel choix est mieux que de rester dans les habitudes de la fidélité ».
 « Et ceci est une contradiction : on ne négocie pas les valeurs mais on négocie la fidélité. Et ceci, c’est justement le fruit du démon, du prince de ce monde, qui fait entrer dans l’esprit mondain ».
Et ensuite, viennent les conséquences : « Ce n’est pas la belle mondialisation de l’unité de toutes les nations - chacune avec ses usages, mais unies – mais c’est la mondialisation de l’uniformité hégémonique, c’est la pensée unique. Et cette pensée unique est le fruit de la mondanité. »
Enfin, lorsque « toutes les nations se conforment aux prescriptions royales », « le roi construit l'abomination de la désolation sur l'autel des holocaustes ».

Non à la pensée unique

« Mais, Père, cela existe encore aujourd’hui ? Oui. Parce que l’esprit mondain existe encore aujourd’hui, et pousse, aujourd’hui encore, à cette envie d’être progressiste avec la pensée unique. Si on trouvait le Livre de l’alliance chez quelqu’un et si quelqu’un obéissait à la Loi, la sentence du roi le condamnait à mort : et cela, nous l’avons lu dans les journaux ces derniers mois. Ces gens ont négocié leur fidélité à leur Seigneur ; ces gens, poussés par l’esprit du monde, ont négocié leur identité, ont négocié leur appartenance à un peuple, un peuple que Dieu aime beaucoup, de qui Dieu veut faire son peuple ».
Aujourd’hui, a mis en garde le pape, on pense qu'il faut « être comme tout le monde, être plus normaux, faire comme tout le monde, avec ce progressisme adolescent ».

L'esprit d'enfance

« Mais ce qui console, c’est que devant ce chemin de l’esprit du monde, du prince de ce monde, ce chemin d’infidélité, le Seigneur est toujours là, il ne peut se renier lui-même, il est le Fidèle ; Lui, il nous attend toujours, il nous aime tellement et il pardonne lorsque, nous repentant des pas, des petits pas que nous avons faits dans cet esprit de mondanité, nous allons à Lui, le Dieu fidèle envers son peuple qui n’est pas fidèle ».
« Avec l’esprit des enfants de l’Église, prions le Seigneur pour que, par sa bonté, par sa fidélité, il nous sauve de cet esprit mondain qui négocie tout ; qu’il nous protège et nous fasse avancer, comme il a fait avancer son peuple dans le désert, en le prenant par la main, comme un papa qui porte son enfant. En tenant la main du Seigneur, nous avancerons en sécurité ».

vendredi 15 novembre 2013

Désobéir par devoir ?

Alors que la cote de popularité du président Hollande est tombé à 15 % et qu'il faudra sans doute inventer une mesure pour des sondages qui tomberaient en dessous du niveau de la mer - quelque chose comme une cote d'impopularité une fois qu'on a constaté que toutes les cotes de popularité sont mal taillées - il me paraît opportun de réfléchir à la vieille question de la désobéissance civile, telle que le Catéchisme de l'Eglise catholique l'envisage.

Question difficile et qui, dans notre République, semble aujourd'hui purement théorique.On lit par exemple dans le CEC : "On est moralement tenu de résister aux ordres qui commandent un génocide" (n°2313). Je pense qu'aucun de mes lecteurs (absolument aucun) ne peut contester que l'ordre de génocide doit être refusé et combattu. - En France me dira-t-on, cela ne risque pas d'arriver... - Il ne faut jamais dire jamais... La question de l'identité est aujourd'hui au coeur des débats. Demain son traitement peut devenir agressif, éruptif, meurtrier... Il faut se tenir prêt, comme chrétien, à refuser un ordre ouvertement immoral et violent. L'obéissance n'est pas toujours une vertu.

Je pense irrésistiblement à tel passage du Procès Eichmann à Jérusalem. L'un des derniers nazis, arrêté par l'Irgoun en 1961, allait être jugé en 1962. Hannah Arendt avait été envoyé par The New Yorker, un gros magazine branché de la Côte Est, pour couvrir l'événement. En méditant sur le procès de l’Obersturmbahnführer (lieutenant-colonel) Eichmann, responsable des infrastructures ferroviaires de la déportation des juifs, elle est surprise de l’insignifiance de ce bourreau. Le procès avait lieu à Jérusalem. Il fut précédé de très longs interrogatoires, auxquels Eichmann se plia de bonne grâce, comme pour se faire valoir auprès de ceux qui avaient la charge de le faire parler. Elle a dépouillés minutieusement toutes les pièces. C’est ainsi qu’elle cite ce compte-rendu des paroles d’Eichmann au moment de sa première condamnation en 1961. L’accusé proteste : « Le tribunal ne l’avait pas cru, quoi qu’il eût toujours fait de son mieux pour dire la vérité. Le tribunal ne le comprenait pas : il n’avait jamais haï les juifs, il n’avait jamais voulu que des êtres humains fussent assassinés. Il était coupable parce qu’il avait obéi, et pourtant l’obéissance était considérée comme une vertu. Les dirigeants nazis avaient abusé de sa vertu » (éd. Folio pp. 399-400). 

Ce qui frappe dans cette déposition étrange, de la part de quelqu'un qui a loyalement organisé le convoyage de centaines de milliers d'individus vers des Camps d'extermination, c’est le type de conscience qui accompagne "l’aveu", ou plus exactement la gangue d’inconscience qui l’entoure. Eichmann ne se reproche rien à lui-même. Il se réduit volontiers lui-même à une pure fonction de rouage dans une machinerie. Parce que ces crimes ont été commis dans le cadre d’un système légal, il se trouve exonéré non seulement d’en payer le prix mais d’en ressentir la moindre responsabilité personnelle. Il serait plutôt satisfait d’avoir accompli un travail important, au service de ceux qui lui ont fait confiance. Faut-il dire qu’il est victime d’une idéologie mortifère ? Sans doute, mais en précisant bien qu’Eichmann n’a rien du fanatique endoctriné, de l’idéologue bétonné ni non plus du menteur cynique. Il est même involontairement comique à cause de la naïveté ou de la fatuité de ses réponses. 

Hannah Arendt, après avoir patiemment présenté ce dossier dans tous ses détails, conclut elle-même : "Nous sommes bien obligés de noter qu’Eichmann a agi précisément selon le sens inné de la justice que l’on pouvait attendre de lui. Il a agi selon la règle, il a examiné l’ordre qui lui était donné du point de vue de sa légalité manifeste, c’est-à-dire de sa régularité". Victime du système ? Il est en tout cas purement légaliste. Il a de bonnes raisons de penser qu'il est couvert par la loi. La loi civile se substitue pour lui à la loi morale. "Selon lui, observe finement Hannah Arendt rentrant dans la peau du criminel, il n’avait pas besoin de s’en remettre à sa conscience puisqu’il n’était pas de ceux qui ignorent les lois en vigueur dans leur pays". Pas besoin de sa conscience ! La loi civile pourvoit à tout. Le drame d’Eichmann, au fond, c’est qu’il ne pense pas. Il applique la règle. Il est régulier, discipliné, obéissant et cela lui suffit. Le terme familier de “lobotomisé” semble lui convenir.Il est lobotomisé de la conscience.

Pour une fois la reductio ad Hitlerum fonctionne bien ici : elle permet de comprendre qu'il existe un problème d'obéissance ou de désobéissance civile et que ceux qui ne le voient pas, qui ne l'imaginent même pas comme Eichmann, peuvent être gravement coupables, selon le domaine d'obéissance qui est le leur et dans lequel ils se sont réfugiés. Actuellement les questions de respect de la vie humaine de la conception à la mort naturelle et de respect de l'ordre naturel [il faut un homme et une femme pour faire et pour élever un enfant] sont des questions sur lesquelles la conscience doit parler avant l'obéissance à la loi civile.

Mais le CEC nous fournit aussi un paragraphe de Gaudium et spes, la Constitution de Vatican II sur l'Eglise dans le monde de ce temps, qui élargit notablement la perspective et multiplie les cas dans lesquels on est susceptible de se résoudre à la désobéissance civile : "Si l'autorité publique, débordant sa compétence, opprime les citoyens, que ceux-ci ne refusent pas ce qui est objectivement demandé par le bien commun. Il leur est cependant permis de défendre leurs droits et ceux de leurs concitoyens contre les abus de pouvoir, en respectant les limites tracées par la loi naturelle et la loi évangélique" (GS74 §5 cit. CEC n°2243). Dans le paragraphe suivant, il est expliqué dans quelles conditions il peut être légitime de recourir aux armes. Ces conditions sont restrictives, mais même cette résistance-là l'Eglise l'envisage éventuellement comme un devoir. 

Certains esprits chagrins penseront que comme c'est Vatican II qui l'a dit, il faut se garder comme de la peste de cette doctrine "libertaire". En réalité, il s'agit bien de la doctrine de l'Eglise. Reste à travailler sur les applications concrètes. Je veux bien croire qu'elles sont fort peu nombreuses. Mais elles existent : à parler en général, disons qu'un pouvoir qui travaille habituellement pour le mal commun perd sa légitimité en démocratie. En République au contraire, il la garde, puisque ce pouvoir lui a été légalement conféré par le peuple. C'est la même chose dans une Monarchie de droit divin, mais dans ce dernier cas, le pouvoir a été conféré par le hasard de l'hérédité. Les Ligueurs catholiques qui, au XVIème siècle, refusaient que ce hasard de l'hérédité puisse conférer le pouvoir à Henri de Navarre, prince (plus ou moins) protestant... Ils étaient anti-monarchiques à tendance thomisto-démocrate : le bien commun d'une population majoritairement catholique passait avant le respect des lois de dévolution de l'autorité. 

Aujourd'hui, notre Monarchie a accouché de la République. On retrouve le même absolutisme, et donc la même absence de souplesse, l'impossibilité de remettre en cause le verdict ancien du Suffrage universel, malgré les difficultés du Pouvoir et ses 15% actuels. Ce serait anti-républicain de contester l'autorité du gouvernement nommé par le Président. Antirépublicain, nous ne le serons pas. 

Mais passerons-nous un jour, nous autres Français, de l'absolutisme républicain à la pratique démocratique ? Ce n'est pas sûr. Il faut déjà en parler et le moins que l'on puisse dire est que les circonstances sont favorables.
Au CSP, conférence de l'abbé G. de Tanoüarn, mardi 19 novembre à 20 H 15, sur La désobéissance civile (Thomas d'Aquin, Hannah Arendt et notre bel aujourd'hui).

jeudi 14 novembre 2013

La Rébellion Cachée: rencontre avec le producteur

La Rébellion Cachée, docudrame sur les Guerres de Vendée, vient d’être filmé en France en septembre. Nous profitons in extremis du passage à Paris ce weekend de Daniel Rabourdin, son producteur, que nous recevrons au Centre Saint-Paul ce dimanche (17 novembre) à 15H00.

Daniel Rabourdin, Franco-Américain catholique nous présentera le mouvement derrière la production internationale montée de toute pièce sur son fond de retraite et avec l’aide des Américains et Français de tradition:  financement international, avec nouvelles méthodes de marketing, crowd-funding, équipe commando, travail sous les radars. Des méthodes renouvelables dans bien des domaines, une initiative de qualité qui marche. Bonus: histoires drôles sur le making-off.

La bande-annonce:

mercredi 13 novembre 2013

Dix Mille Commentaires [par RF]

[par RF] Je voudrais, à l’occasion de la publication du 10.000e commentaire sur ce blog, remercier leurs auteurs. Un certain nombre d’articles ont été écrits en réponse plus ou moins directe à vos contributions. J’en profite aussi pour appeler quelques petits points sur lesquels je dois me montrer plus vigilant:

On ne peut pas, dans un commentaire, s’en prendre à une personne. On peut éventuellement s’en prendre (modérément, hein?) à l’abbé de Tanoüarn ou à moi-même qui suis le webmestre, puisque nous sommes presque les seuls à pouvoir poster directement, et donc à nous défendre efficacement. Mes excuses, bien sûr, à ceux été récemment mis en cause par des esprits grossiers.

Toutes les opinions sont les bienvenues, dans la mesure de la courtoisie, de la décence, et de notre sujet. Cela ne dispense personne de réfléchir et de faire preuve de bonne foi. Pas la peine non plus de vouloir à tout prix faire entendre raison à votre voisin, les dialogues les plus longs ne sont pas forcément les plus productifs.

Les provocateurs de tout poil (ils ne manquent pas) doivent garder à l’esprit que je ne mets à supprimer leur message qu’une petite fraction du temps qu’il leur faut pour l’écrire. Pour autant je ne suis pas toujours disponible, et si un texte n’est pas (encore) validé, c’est typiquement que je ne l’ai pas (encore) lu.

Pour terminer sur une note joviale et illustrer ce qui précède, je redis l’anecdote sans doute déjà racontée: Je trouve un jour des reproches sur des propos antisémites et négationnistes qui auraient été publiés sur le MetaBlog – on m’assurait de suites judiciaires. Bigre! je n’avais pourtant rien vu d’approchant. Les propos gratinés en question étaient en fait dans un commentaire envoyé juste un peu avant, que je n’avais pas lu donc pas encore validé. Mon censeur n’avait pu les lire qu’après les avoir lui-même écrits. Ah, le taquin!

samedi 9 novembre 2013

Une leçon de tolérance chrétienne dans l'Evangile

«Laissez les grandir ensemble jusqu’à la moisson» dit Notre Seigneur dans la fameuse parabole du Bon grain et de l’ivraie (Matthieu 13, 24-30). L’Evangile du Vème dimanche après l’Epiphanie sert ici de «bouche-trou» pour aller jusqu’à la fin de l’année liturgique. L’ivraie ? Une mauvaise herbe, qui croît plus vite que le bon grain. Mais au début de leur croissance, avant maturité, quand la plante est montée en brin, on peut toujours confondre la mauvaise et la bonne. Mieux vaut donc laisser croître ensemble le bon grain et l’ivraie.

 Il me semble que cette parabole célèbre nous donne la formule même de cette vertu oubliée et souvent déformée qu’est la tolérance chrétienne. 

Première application, que l'on trouve dans l'actualité en ce moment : la prostitution. Je ne veux pas et ne peux pas faire partie des 343 salauds, n'ayant ni la possibilité ni l'intention de devenir un client, mais puisque le sujet va bientôt faire la une des JT et des quotidiens, notre gouvernement entendant faire payer les clients, autant dire ici que c'est sur cette formule de tolérance chrétienne que saint Thomas d'Aquin et Cajétan défendent ce qu'ils appellent en leur latin : usura (la finance fondée sur le prêt à intérêt) et prostibula (les maisons dites justement de tolérance). On trouve cela, chez Thomas, dans le commentaire du psaume 118 §5, dans le traité des Lois de la Somme théologique (Lex humana non potest omnia cohibere sed tantum illa mala quae perturbare possunt pacificum statum civitatis S. th IaIIae Q 99 a1 co et aussi sur la prostitution Q 101 a3 ad 3m) et chez Cajétan dans son Commentaire de la IIaIIae Q. 10 a. 11 n. 2. A propos des meretrices (des prostituées), Cajétan renvoie à un topos, un lieu commun de l'Ecole, qui est de saint Augustin : "Enlève les prostituées des affaires humaines et tu troubleras tout par les passions (libidinibus)" (voir son De Ordine II, 12, éd. Pléiade t1 p. 152). Quant à Thomas, il précise lui que l'amélioration du sort des prostituées est typique de la loi chrétienne. Les lois anciennes les persécutaient. Mais dit le Docteur : Praevalente christiana religione, lex illa exstirpata est" (In IV Sent. d.33 q1 a3 qa1). Il précise aussi que ces dames peuvent retenir un salaire mais doivent restituer ce qu'elles auraient extorqué par fraude "superflue" (IIaIIae Q62 a5 ad2m).

Je vous garde pour un prochain post l'enjeu métaphysique de la parabole du bon grain et de l'ivraie que développe Cajétan : tout le problème du mal s'y trouve posé (comme il est posé par Augustin au début du De Ordine). 

L’Epître de la même messe insiste sur l’importance de la bonté que nous devons nous manifester les uns aux autres : « Faites-vous donc un cœur compatissant, soyez bon, modestes, doux et patient, vous supporta,nt les uns les autres et vous pardonnant mutuellement s’il surgit quelque différend ». Cette apostrophe tirée de l’Epître aux Colossiens me semble compléter parfaitement l’Evangile d’aujourd’hui. Elle dit bien quelle doit être l’atmosphère des communautés chrétiennes, des familles chrétiennes. Je pense toujours à la formule du Père Festugière, spécialiste de Platon, du platonisme et du passage au christianisme de toute une élite intellectuelle dans les trois premiers siècles de notre Ere. Il répétait : « Si l’on me demande mon avis de vieil helléniste sur les raisons du passage si rapide du monde antique au christianisme, je dirais que c’est la charité, l’extrême charité qui régnait dans les communautés primitives qui a fait le succès de l’Eglise ». Il me semble qu’une telle formule, alors qu’on parle beaucoup de nouvelle évangélisation mais qu’on ne la voit guère à l’œuvre, devrait nous pousser à faire notre examen de conscience. Sommes nous vraiment tolérants les uns envers les autres ? Sommes nous assez attentifs les uns aux autres ?

Quelles sont les limites de la tolérance ? direz-vous. Si cette tolérance exprime l’amour du prochain, il n’y en a pas d’assignables.

La seule chose qui soit requise pour que la tolérance ne soit pas une faiblesse – et parfois une faiblesse coupable – pour qu’elle ne devienne pas une marque d’indifférence envers le bien ou le mal, la seule limite pour qu’elle ne devienne pas un blanc-seing aux nuisibles, c’est le respect. A partir du moment où l’on est moralement sûr du respect des uns pour les autres, quelles que soient les pensées, les préoccupations, les idées des uns et des autres, il faut savoir faire acte de tolérance. Au contraire, lorsque le respect n’est pas présent, il est important de pouvoir faire acte d’autorité pour limiter la tolérance.

Vous me direz : dans la parabole, le Christ ne semble pas mettre de limite à la tolérance. Le seul moment où la tolérance est remplacé par la justice, c’est la Moisson, c’est-à-dire, dans la langue des paraboles, la fin du monde, où Dieu – et Dieu seul – rend son jugement. D’ici là, le Christ nous répète : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés ».

Il faut mettre des limites à a tolérance, lorsque l’on se trouve devant l’évidence du bien à faire et du mal à éviter. Il est clair par exemple que l’on doit empêcher de nuire un violeur potentiellement récidiviste ! Mais la perspective de Jésus n’est pas socio-politique. Son Royaume n’est pas de ce monde. Si Notre Seigneur ne met pas de limites, lui, c’est dans la mesure où l’ivraie peut jusqu’au bout se transformer en une bonne herbe et porter du fruit. Le plus grand pécheur est capable de se convertir. L’épisode des deux larrons, crucifiés l’un à droite et l’autre à gauche du Christ, est significatif. Au commencement de la conversion du bon larron, il y a sa lucidité sur son propre péché : « Si nous sommes là, nous, c’est justice ; mais lui, Jésus, il n’a rien fait ». Après la lucidité sur soi-même, vient l’appel à la miséricorde : « Seigneur, souviens toi de moi quand tu seras dans ton Royaume »… La tolérance du Seigneur « qui fait briller son soleil sur les bons et les méchants » l’aura accompagné jusqu’au bout, ce larron. Elle l’aura retourné et récupéré in extremis.

vendredi 8 novembre 2013

Radio Courtoisie / Voix au chapitre du 6 novembre 2013 -- “Les convertis de l'Islam : perspectives”

Lien audio

Guillaume de Tanoüarn, assisté d'Anne Le Pape, recevait Mohamed-Christophe Bilek, fondateur de l'association Notre-Dame de Kabylie, Maurice Saliba, traducteur et Mohamed-Maurice Rahouma, écrivain, pour une émission consacrée aux convertis...

mercredi 6 novembre 2013

L'ultimatum des Bonnets rouges vient d'expirer...

Ils avaient donné au Gouvernement jusqu'à midi, aujourd'hui.

Les Bonnets rouges m'intéressent beaucoup. Je suis Breton, je sais. Mais il faut bien le reconnaître : ce mouvement est unique; Ce n'est pas un hasard si nos Bretons ont adopté un emblème de jacqueries monarchiques, un emblème antérieur à la Révolution française, le bonnet rouge, non phrygien. C'est, à ma connaissance, la première fois depuis 1789, que le peuple conteste un impôt dans son principe (sans se contenter de "suspension ou d'exemption partielle). Ce faisant, il conteste donc... l'Etat républicain. Le peuple a déjà contesté des licenciements ou organisé des grèves pour obtenir de meilleurs salaires. Le socialiste Clemenceau, en 1906, faisait tirer à balles réelles sur les grévistes. Mais depuis 1789, le peuple n'avait pas contesté l'impôt. Non pas parce que cet impôt aurait été moins cher après la Révolution : au contraire. Mais on avait démontré au peuple que l'impôt... c'était pour lui en fin de compte. Il aurait eu mauvais goût à se révolter. Aujourd'hui, ce sentiment n'est plus partagé : l'impôt, c'est pour les autres, alors... y'en a marre !

Autre chose est de mettre en cause la démocratie, en expliquant que la vraie démocratie est vertueuse (Cahuzac). Autre chose est de mettre en cause les élites mondialisées, en estimant que ces élites n'en sont pas (DSK). Et autre chose encore de s'interroger sur l'Etat lui-même et sur son droit à promulguer de nouveaux impôts ou à augmenter drastiquement les impôt existants. Il n'y a qu'en Grèce que l'on a vu ça. Et nos Bretons ont la tête un peu plus dure que les Grecs. Alors il est bien possible que l'on noie la révolte sous les subventions. Mais la crise est là : où trouver l'argent ? Et puis, qu'est-ce que ça va donner dans les urnes ?

Il me semble que l'Etat qui, par Préfecture de police interposée, ment aux Français sur les chiffres de la manif pour tous en les divisant par trois, l'Etat qui refuse la clause de conscience aux maires en désaccord avec le mariage homosexuel, c'est le même Etat qui doit faire face à ceux qui contestent l'ecotaxe Et tout cela sur fond de crise économique persistante. Les crises risquent de converger, les critiques de confluer. - Ce n'est pas nouveau ? - Il y a une nouveauté : c'est l'Etat républicain représenté actuellement par M. Hollande qui est mis en cause. 2014, année politique.

samedi 2 novembre 2013

Avis de tempête

L’Evangile d’aujourd’hui nous entraîne dans la tempête avec Jésus. Il est important de souligner que la présence de Jésus ne constitue pas un préservatif à toute tempête, à tout trouble. Ils sont avec Jésus, ses douze apôtres, mais ils sont dans la tempête. Image des tempêtes que nous traversons nous-même, alors que Jésus est avec nous. Nous pouvons le quitter. Nous pouvons décider que nous avons d’autres priorités. Lui, il est là. Disponible. « Seigneur, sauvez-nous, nous périssons ». 

Il nous permet de traverser les tempêtes, il guérit nos états d’âme, il ramène à leurs véritables dimensions les psychodrames tragi-comiques de notre existence. Mais les drames véritables ? Lui seul peut leur donner un sens, lui seul peut les transformer en sources d’amour. 

« Quel est cet homme auquel même la mer et les flots obéissent ? » On a souvent fait du Christ un « loser », un perdant sublime. - Lui un perdant ? C’est nous qui ne le comprenons pas. Si nous pensons cela "quelque part", alors c’est nous qui avons perdu le mode d’emploi de notre « être avec le Christ ». Regardons-le dans cette barque, affirmant tranquillement sa maîtrise sur les éléments. Et cette maîtrise du Christ, essayons, dans la foi, de nous en saisir, pour l’exercer sur notre propre vie, non pas en cherchant à tous propos l’épreuve de force ou la partie de bras de fer, mais en songeant que l’on ne gagne jamais vraiment tous les conflits auxquels il faut faire face (à commencer par le conflit que nous entretenons avec nous-mêmes et avec notre propre faiblesse), nous ne gagnons, nous ne surmontons les conflits que par l’amour que nous puisons dans le Christ. Il nous donne son Pouvoir. Il nous donne son autorité. Il nous donne sa liberté sur et dans la vie, mais il ne nous donne tout cela qu’au nom de l’amour.

Contemplons ce pouvoir qui est le nôtre, contemplons cette royauté qui est la nôtre au nom du Christ. Et essayons, dans les épreuves que la vie nous fait traverser, de ne pas être indigne de don que le Christ nous a fait et qu’il nous a léguée en héritage. Ne dissipons pas cet héritage par notre superficialité, par notre distraction, en nous laissant dominer par nos peurs. Il faudrait que l’on puisse dire de nous comme de lui : « Quel est cet homme auquel même les vents contraires de la vie semblent obéir ? Quel est cet homme que les vagues de l’existence ne parviennent pas à submerger ? Quel est cet homme qui maîtrise le Mauvais ? Qu’a-t-il de plus que nous D’où lui vient ce savoir faire et cette science de la vie qui nous étonne ? ».

De même que l’on présente le Christ comme un loser alors que, seul au monde il a gagné la seule bataille qui vaille la peine d’être menée jusqu’au bout, la bataille contre la mort, de même on présente le chrétien comme un abandonné qui reçoit tout de Dieu et n’a à faire preuve de rien. On lui retire même toute force personnelle dans la crainte de retirer à Dieu en attribuant à l’homme… Crétinerie ! Moraline! Christianisme abâtardi! La belle préface des saints que nous avons lue le 1er novembre, nous précise que en couronnant nos vertus Dieu ne se retire rien à lui-même puisqu’il couronne ses propres dons. 

Si nous sommes dans la tempête, c’est bien que nous traversons des épreuves que Dieu permet, et qu’il nous envoie. Il s’agit de nous faire la main. Certes, ces tentations, il ne nous y soumet pas, il n’est pas sadique ! Il n’y a jamais eu de prédestination au mal que dans la tête trop scolastique de Calvin [ou dans telle formule un peu énervée de Luther, mais ce sont l’un et l’autre des intégristes]. Cependant, depuis l’arbre de la connaissance du bien et du mal au Jardin d’Eden, Dieu nous fait entrer en tentation, il nous éprouve. « Parce que tu étais agréable au Seigneur, dit l’ange Raphaël à Tobie, il était nécessaire [nécessaire !] que la tentation t’éprouve » (Tobie 12, 13). Cette citation classique des Retraites de saint Ignace devrait nous faire réfléchir sur la nécessité de la tentation dans notre propre vie chrétienne. Ne craignons pas les tempêtes, elles sont au programmes !

Pour revenir à la scène de la Tempête apaisée, cette tempête n’empêche pas le Christ de dormir (la tête sur un coussin précise saint Marc). Il ne calme les éléments que par condescendance pour la peur des apôtres. Avec lui, qu’avaient-ils donc à craindre de toutes les tempêtes du monde ? 

On sait comment près de Malte, Paul, après 14 jours de dérive, connaîtra la tempête durant trois jours jusqu’au naufrage inclusivement… Regardez son autorité (Ac. 27) : « Courage mes amis, un ange du Dieu que je sers m’a dit : Sois sans crainte Paul ! Voici que Dieu t’accorde la vie de tous ceux qui naviguent avec toi ». Nous n’avons pas de vision, nous ? Sans doute, mais nous avons reçu en héritage la même foi que Paul et c’est cette foi qui produit la force dans la tentation. "Si vous aviez la foi comme un grain de Sénevé..."