samedi 29 mars 2014

Farida Belghoul : "La politique détachée de ses enjeux spirituels a perdu toute légitimité"

Cet entretien est paru il y a un peu plus d'un mois dans la revue Monde et Vie
Farida Belghoul est cette franco-maghrébine de la deuxième génération qui a fait reculer en désordre le Pouvoir socialiste sur la question du genre à l’école et qui organise désormais chaque mois, comme une semonce, sa Journée de Retrait de l’Ecole : JRE. Dans certains quartiers, à Meaux par exemple, elle a obtenu de très bons chiffres puisque, dès le premier mois, 70 % des élèves manquaient à l’appel dans leurs classe le jour de la JRE.
Farida Belghoul, qui êtes-vous ? On dit que vous venez de la gauche ?
Je suis née en 1958 à Paris et j’ai fait des études de sciences économiques. Mon seul engagement à gauche a été les trois années que j’ai passé, entre 17 et 20 ans, aux étudiants communistes. Cela dit je me suis toujours engagée dans le collectif. Et j’insiste : pas dans le communautarisme, dans le collectif. Vous vous souvenez qu’en 1983, un faux curé moderniste (sic), Christian Delorme, avait lancé la Marche nationale des Beurs. Quant à moi, j’ai lancé, l’année suivante, comme une sorte de réponse, le mouvement Convergence 84. Il s’agissait d’un grand rallye à mobylette, avec des gens de toutes origines, venant de cinq points de départ différents en France et se retrouvant à Paris. Je voulais moi aussi poser la question de l’immigration, mais pas dans les termes communautaristes utilisés par les antiracistes. Je soulignais les soucis communs que partageaient les Français de souche et les immigrés. Au fond, c’était déjà l’idée d’une coagulation.
En même temps, vous êtes romancière et cinéaste… Pour votre roman, vous avez même reçu un prix…
Disons plus simplement que j’ai réalisé deux films, produits dans des maisons de distribution alternatives. L’un s’appelle Madame la France, l’autre Le départ du père. Il y a eu aussi en 1986 ce roman Georgette, pour lequel j’ai reçu effectivement le Prix Hermès du premier roman, un prix qui était décerné par tous les lauréats des prix de l’année précédente. J’avoue que je ne m’y attendais pas du tout, d’autant plus que je n’étais pas dans le circuit de la grande distribution du livre. Georgette, c’est l’histoire d’une petite fille à l’école qui ne sait pas d’où elle vient. Deux forces opposées se disputent son identité : d’un côté, la maîtresse, qui représente le Progrès et la force de la loi humaine. De l’autre le père qui a pour lui la légitimité et la loi de Dieu…
Après ce premier succès, il ne se passe rien jusqu’aujourd’hui… Vous avez réfléchi ?
Pas rien ! J’ai été prof de Lettres et d’histoire géo pendant vingt ans dans un lycée pro en banlieue. Et puis, en 2008, j’ai créé le RAID, Remédiation par l’aide individualisée à domicile, à l’attention des enfants en échec scolaire. C’est vrai que j’ai réfléchi. Les fées s’étaient penché sur notre berceau. C’était magnifique. Mais j’ai voulu remettre en cause toutes les « vérités » des années 80. Ces fées nous ont donné une fausse image du christianisme et de la France. Elles nous ont laissé ignorer le lien réel entre la France et le christianisme. A l’époque, nous avons cru à des choses… à des vérités relatives et manipulatoires. Voilà pourquoi cette convergence à laquelle j’aspire avec les vrais chrétiens n’a pas eu lieu plus tôt.
C’est vrai qu’il y aurait une puissance électorale dévastatrice dans cette coagulation ou dans cette convergence…
Alors là vous n’y êtes pas du tout… Les élections ne m’intéressent pas, qu’elles soient nationales ou locales ou européennes. Je ne fais pas de politique…
Mais alors qu’est-ce que vous cherchez ?
Que les gens reprennent le contrôle de leur vie.
Vous êtes libérale alors ?
Non je cherche simplement à ce que les gens ne délèguent pas ce contrôle à des personnes illégitimes. Dieu nous a confié un dépôt, ce dépôt doit être élevé selon de vrais critères. Il faut que les questions soient posées à partir des principes et non à partir de leurs applications contingentes et maçonnisées. Les catégories politiques que vous évoquez - le libéralisme par exemple - cela ne nous concerne pas. Nous sommes dans une société libérale qui nous conduit vers le chaos. La société libérale c’est la gouvernance par le chaos. Dans la société libérale, on ne s’étonne ni des catastrophes ni des courses à l’abîme. Moi si vous voulez je ne crois pas à la politique de l’époque : détachée de tout objectif spirituel, elle a perdu sa légitimité.
Farida, vous avez conscience d’être une sorte d’OVNI dans l’époque comme vous dites. Quelle est votre identité spirituelle ? Comment vous vous définissez personnellement ? Qu’est-ce que vous lisez par exemple ?
Les écrits des saints catholiques et des saints musulmans. Je ne m’imaginais pas qu’il y ait des saints en islam. Quand je l’ai compris, cela m’a libéré et j’ai pu aller vers les saints catholiques, sainte Thérèse d’Avila, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, saint Augustin bien sûr, l’Africain, dont j’ai lu les Confessions et aussi Maître Eckhart. En islam, j’ai lu, parmi les noms que vous connaissez Ibn Arabi ou aussi les écrits spirituels de l’Emir Abdel Kader. Ajoutez à cela bien sûr toute la littérature française du XIXème siècle, que j’ai appréciée et enseignée en tant que prof de français.
Où va-t-on, si l’on vous suit ?
On va… à la victoire ! Les parents vont vaincre leur peur et on va pouvoir mettre sur pied le premier réseau structuré de catholiques et de musulmans unis sur le terrain. Et les familles vont se défendre, le père et la mère vont défendre leurs enfants. Voilà mon but. C’est cette union  des catholiques et des musulmans face au socialisme qui permettra la victoire. La France… On peut dire que la République l’a mise à mal. Elle la fait disparaître. Mais l’intérêt du monde, c’est que la France revienne – en attendant Jésus-Christ, car, en tant que musulmane ma tradition m’a appris qu’à la fin des temps Jésus reviendra…

vendredi 28 mars 2014

Elections municipales : une hirondelle ?

Je ne sais pas si je vous ai manqué, chers amis lecteurs de ce Blog. Mais c'est vrai que mon absence commence à être un peu longue. Trois semaines. Le Carême. D'habitude, durant le Carême, je vous adresse quelques éléments de méditation. Cette année rien. Enfin me revoilà, plein de bonnes résolutions. Pour cette fois néanmoins, ce ne sera pas une méditation que je vous proposerais. J'aimerais simplement mettre un peu au clair les réflexions qui ont émergé durant l'émission impromptue que j'ai faite hier, jeudi, sur les ondes de Radio Courtoisie, à propos des Municipales. Nous étions quatre à nous pencher sur les résultats, mon camarade et néanmoins ami Romain Koller et deux journalistes de Monde et Vie Hubert Champrun et Jacques Cognerais. Nous avons ausculté l'élection... Au moins avons nous tenté de le faire.

Je voudrais extraire de ces réflexions diverses, souvent profondes et toujours profuses de mes invités, deux thèmes majeurs et un constat.

Le constat c'est que le chiffre  de 93 % des musulmans de France votant PS et accordant leur confiance à François Hollande pour l'élection présidentielle de Mai 2012, on n'est pas près de le revoir. Selon certains sondages, près de 45 % des musulmans de France, cette fois, ont voté... UMP voire UDI. C'est clair à Marseille où le petit score du socialiste Patrick Menucci montre la désaffection (le désamour) de  sa clientèle ordinaire (qui aurait peut-être voté plus facilement pour sa rivale Samia Ghalli). C'est clair à Bobigny où l'UDI Stéphane de Paoli est en tête au Premier tour avec 44 % des voix. Un fleuron de la couronne rouge de Paris qui tombe. On constate aussi la résistance électorale des vieux bastions communistes : le socialisme chic et choc de la Rue de Solférino ne fait pas recette dans les Banlieues.

Effet à retardement de la Manif pour Tous? Sans doute, mais pas seulement. Les complaisances bobos de Najat Belkacem ministre du droit des femmes et de Vincent Peillon ministre de l'éducation sexuelle à l'Ecole pour la théorie du genre n'ont pas eu l'heur de plaire à cette communauté. Autant le mariage homosexuel est une affaire de Roumis qui ne peut se jouer qu'entre Roumis, autant l'enseignement de la théorie du genre à l'école touche tous et chacun... aujourd'hui. Les Journées de Retrait de l'Ecole de Farida Belghoul, très suivies dans certaines banlieues (on parle de 70 % de grévistes) ont eu un effet sur les consciences. L'alliance entre les bobos athées et les musulmans apparaît aujourd'hui pour ce qu'elle est... : contre nature. Les calculs électoraux du think tank Terra nova, faisant fonds sur la "sainte alliance" des années 80 entre Banlieues et Boboland pourraient donc être à revoir, à cause de l'imprudence et de l'amateurisme idéologue de ce gouvernement.

Les deux thèmes qui émergent de notre réflexion d'hier sont tout aussi passionnants et fondamentaux que ne l'est ce constat. Il s'agit de rien moins que de l'avenir du front républicain d'une part, de l'avenir du bipartisme d'autre part.

Le Front républicain d'abord : il a du plomb dans l'aile. Pour le Deuxième tour, l'opportunisme politique l'a emporté haut la main sur les valeurs républicaines, qui sont tellement accommodées à toutes les sauces que l'on ne sait plus très bien quelles elles sont. Résultat : le Front national ne fait plus peur à l'UMP dont les ténors ont décidé, à l'unanimité cette fois derrière Jean-François Coppé, qu'il fallait se maintenir au Deuxième tour partout où cela était possible et que l'alliance avec le PS n'était pas possible, même pour faire barrage au fascisme.

Que l'UMP ne fasse pas alliance avec le Front national... rien de plus normal : entre le libéralisme de l'un et le protectionnisme de l'autre, entre l'européisme de l'un et le nationalisme de l'autre, il existe finalement assez peu de points communs... Mais que l'UMP n'ait plus peur de "la bête immonde qui monte qui monte" (ça c'est dans... Le Monde d'hier), c'est tout de même très nouveau. En tant que prêtre, je ne peux que me réjouir de cette démonétisation du front républicain : le lynchage en politique, le choix de boucs émissaires ou de "bêtes immondes" que l'on charge selon la formule consacrée de tous les péchés d'Israël, cela fait appel nécessairement à ce qu'il y a de plus archaïque, de moins chrétien dans l'homme.

Quant au bipartisme qui serait remplacé par un tripartisme, il me semble qu'il y a là un simple voeu pieux pour l'instant (je sais : c'est celui d'Eric Zemmour). Tant que le scrutin majoritaire à deux tours demeure, il n'y a place en France que pour deux coalitions. Pas trois. Mais la crise des Partis, l'uniformisation de l'offre politique qui ne fait plus que dans le techno, l'aplatissement de la fonction présidentielle, tout cela appelle certainement à une évolution de la République vers des scrutins plus démocratiques - à la proportionnelle. Faute de quoi le premier parti de France, celui des abstentionnistes, va continuer à grandir.

vendredi 7 mars 2014

Thomas d'Aquin, Chantal Delsol et la dignité de l'homme

Magnifique numéro de La Nef en ce mois de mars, avec cette Table ronde autour de deux pensées catholiques françaises d'aujourd'hui, celle de Chantal Delsol et celle de Rémi Brague.C'est une fois de plus la question de la modernité qui est posée par l'un et par l'autre débatteur, qui se plient aux questions de Christophe Geffroy et de Jacques de Guillebon. C'est une revue à se procurer de toute urgence. Le thème des deux intervenants est en substance que seul le christianisme possède le mode d'emploi de la modernité puisque c'est lui qui en est à l'origine.

Lisant Chantal Delsol je retrouve un vieux thème de ce Blog : la dignité de l'homme. Citons : "Je crois que ce qui nous caractérise en tant que civilisation occidentale, c'est d'abord notre attachement non-négociable à la dignité de l'homme, le statut de l'homme en tant qu'être sacré, parce qu'au départ nous le croyons créé à l'image et à la ressemblance de Dieu". L'homme être sacré par lui-même, dont la dignité est inamissible, quoi qu'il ait pu faire... Ce n'est pas du christianisme. C'est la mauvaise copie humaniste, qui a d'ailleurs mis longtemps à se formuler en ces termes. Tout le monde sait bien que la Révolution française a multiplié et béni (autant qu'elle pouvait le faire par l'onction du vote) toutes sortes de crimes et d'assassinats politiques. Elle est née dans "un sang impur", celui des tyrans et de leurs partisans.

Faisons une rapide marche avant : le plaidoyer de Camus contre la guillotine ne se fonde pas sur la sacralité de l'homme. L'auteur de l'Etranger ne peut pas envisager l'homme comme nécessairement sacré. Il met en cause la violence et répute impie tout usage de cette violence, ce n'est pas la même chose.

Qui donc a parlé de la sacralité de l'homme ? Les philosophes de la Renaissance, mon cher Pic de la Mirandole, certes : Magnum miraculum est homo. En parlant de miracle, il souligne que la sacralité humaine est précaire. Pour lui (comme pour Pascal plus tard) l'homme sans nature peut devenir ange ou... bête. On retrouvera cette idée... chez saint Thomas d'Aquin pour lequel le criminel caractérisé est une bête (bestia).

Mais alors qui a parlé de la sacralité inconditionnelle de l'homme ? On peut parler de la sacralité de la vie humaine : mais alors tout dépend de ce que l'on fait de cette vie. On peut parler de sacralité du corps et s'attirer la même remarque. On peut évoquer la transcendance de l'esprit comme es philosophes allemands nous en ont donné l'exemple. Tout cela est vrai. Mais la sacralité de l'homme ? Comme dit Jérémie (le Prophète) : "Malheur à qui croit en l'homme" (Jér. 17, 5). Notre foi en Dieu naît justement du fait que nous ne pouvons pas croire en l'homme, au sens où nous ne trouvons dans l'homme aucun point fixe. "L'homme est un être ondoyant et divers" (Montaigne).

Cette notion de "sacralité (inconditionnelle) de l'homme" vient tout bêtement me semble-t-il de l'hypertrophie moderne du droit subjectif, qui aboutit à réputer sacré... n'importe quel désir de l'homme, même le plus contradictoire. Il y a un droit aux vacances et un droit au travail, un droit à l'enfant et un droit à l'IVG etc. Le droit (subjectivisé à donf autant qu'absolutisé) est devenu le cache sexe du désir dans tous ses états. Rien de bien chrétien dans tout ça.

A propos de sacralité inconditionnelle de l'homme, je voudrais évoquer ce qu'explique saint Thomas d'Aquin dans la Somme théologique à propos de la peine de mort (Je donne la référence en pensant à Laurent qui me l'a demandée il y a un mois : Somme théologique IIaIIae Q64 a2, cité dans le CEC). Dans une pensée dialectique, comme celle de Thomas, on s'enquiert d'abord de l'avis des adversaires. Voici donc l'objection qu'il se fait à lui-même :
"Ce qui est mauvais en soi ne doit se faire pour aucune fin bonne, Augustin et le Philosophe [Aristote] sont d'accord là-dessus. Mais tuer un homme est mauvais en soi. Envers tous les humains nous devons avoir la charité. Nous voulons vivre entre nous en amis et être des amis comme le note le Philosophe (Eth. Nic. 9). Donc il ne faut en aucune façon tuer un homme pécheur". 
C'est l'argument que Chantal Delsol réputerait ultra-chrétien. Saint Thomas s'arrange pour montrer que l'on peut aussi mouiller Aristote dans cette affaire. La référence du saint Docteur est-elle concluante ? à vous de voir. Disons qu'aujourd'hui cela n'a pas grand chose à voir avec Aristote, mais c'est du Delsol.

Mais voici la réponse que Thomas se fait à lui-même (et qu'il fait donc à Delsol) :
"Il faut dire que l'homme par son péché s'écarte de l'ordre de la raison. Et donc il s'éloigne de la dignité humaine, selon laquelle l'homme est naturellement libre et existant pour lui-même. Il peut tomber d'une certaine manière dans la servitude des bêtes de sorte que, à son sujet, il sera ordonné selon ce qui est utile aux autres [êtres humains]. On lit dans le Psaume 48 : "L'homme constitué dans l'honneur, n'a pas exercé son intelligence. Il a été comparé aux animaux stupides et il leur a été rendu semblable". Et au chapitre 11 du Livre des Proverbes : "Le sot sera au service du sage". Et donc bien que tuer un homme demeurant dans sa dignité d'homme soit en soi mauvais, cependant tuer un homme pécheur peut être un bien, comme tuer une bête. En effet, l'homme méchant est pire qu'une bête et il est plus nuisible, comme l'indique le Philosophe en Politique I ["L'homme est le plus impie et le plus féroce quand il est sans vertu, il est le pire des animaux dans ses dérèglements sexuels et gloutons" 1253 a 31 trad. Pellegrin].
Il est clair que la seule chose qui puisse justifier une condamnation à mort, c'est le fait que l'homme, par son péché grave, puisse perdre sa dignité. Parfois, reconnaissons-le, l'homme n'est plus du tout sacré (lorsqu'il l'est cela tient du miracle affirmait Pic). Il est semblable à une bête : le mot bestia est répété dans ce texte, ce n'est pas pour rien. La puissance publique et elle seule (IIaIIae Q64 a3) peut alors le condamner à mort.

L'argument de la légitime défense du corps social (développé aussi par saint Thomas, en particulier en Contra Gentes III, 146) est intéressant, il est juste, mais il n'est pas suffisant. En se fondant sur lui, on pourrait justifier toutes sortes de meurtres politiques, qui sont des horreurs (comme le faisaient d'ailleurs Saint-Just et les autres). La peine de mort ne doit pas provenir de la décision unilatérale de l'autorité politique, mais se conformer, en quelque chose, à l'ordre divin.

Il faut encore ajouter que la société dans laquelle nous vivons est trop loin de cet ordre divin pour prétendre exercer un quelconque droit de vie ou de mort sur les citoyens, à moins peut-être - dans le cas de certains serial killers récidivistes ou non repentis - d'une évidence aveuglante.

Je dirais enfin que le problème de la peine de mort, malgré les apparences ne m'intéresse pas spécialement. Ce qui m'intéresse, c'est le statut métaphysique de l'animal humain et sa destinée théologique. Si la dignité humaine était vraiment inamissible, Dieu lui-même pourrait-il condamner à l'enfer, ou accepter que l'homme se juge lui-même et se condamne à la privation définitive de Dieu, avec toutes les souffrances épouvantables que cela signifie pour celui qui, étant passé de l'autre côté du voile, connaît la vérité et  a - enfin - aperçu la lumière ?

Addendum facultatif en trois paragraphes : Ce qui m'intéresse dans cette affaire glauque, c'est aussi une question d'ontologie fondamentale : l'essence humaine (l'image de Dieu) est magnifique en elle-même. Mais l'homme peut dégrader cette essence (en elle-même pure puissance) à travers une existence aberrante. A ce moment-là, l'essence humaine (c'est d'elle qu'il s'agit en l'occurrence) serait actualisée de manière intrinsèquement dénaturée et indigne. L'homme créé à l'image de Dieu ne lui "ressemble" plus. Il ne se ressemble d'ailleurs pas à lui-même, il est entré dirait Platon dans la région de la dissimilitude. Malus in se divisus dit Thomas quelque part. Ailleurs, à propos du péché, il parle de deformatio (IaIIae 71 6). Il est un monstre moral, indigne de son Créateur. Le damné est-il autre chose, que cet être qui éprouvera pour toujours sa division d'avec lui-même, sa déformation, qui, de temporaire sera devenue définitive, et de temporelle éternelle ?

Cette perspective est celle de l'existentialisme chrétien, formulé (n'en déplaise à Gilson) par Cajétan, qui affirme dans son Commentaire du De ente : Existentia substantiae est substantia. L'existence de la substance est la substance. L'existence n'est pas un simple"fait d'être" comme l'imaginera Suarez, ce n'est pas le croupion logique ou l'attribut de l'essence, ce n'est pas non plus le prométhéen projet de l'être comme l'imaginera Sartre, c'est tout simplement ce que devient l'essence en acte, c'est-à-dire la substance (ousia, l'étance de la chose). La force de Heidegger est d'avoir retrouvé cette intuition profondément thomiste, en particulier dans Etre et temps.

Cet existentialisme est celui de Cajétan, mais c'est d'abord celui de l'Evangile : là où est ton trésor, là aussi sera ton coeur. Nous devenons ce que nous faisons. "Heureux ceux qui sont morts dans le Seigneur car leurs oeuvres les suivent". (Apocalypse de Jean). Au fond, il y a toute l'austérité du Carême et toute la gravité de la vie chrétienne dans cet existentialisme-là.

lundi 3 mars 2014

Nous sommes "lundi gras"...

10€ - franco de port
Nous sommes "lundi gras" et le carême approche à grands pas. Un moment difficile pour ceux qui veulent vivre de leur foi ?... Un moment exaltant. Celui de l'expérience spirituelle. Celui de l'expérience que nous pouvons faire de nos limites. Mais aussi celui de toutes nos tentatives pour "faire le mur" et tenter d'échapper intérieurement à notre finitude. Nous avons d'habitude toujours toutes les raisons de remettre ce genre d'expérience à plus tard. Le Carême est une sorte de mise en demeure. L'effort, c'est maintenant. L'amour de Dieu, c'est maintenant, la pénitence c'est maintenant. En latin dans l'Epître aux Corinthiens: Ecce nunc tempus acceptabile, ecce nunc dies salutis. Ce n'est pas un slogan électoral, mais l'exigence pour nous de vivre au présent, de ne pas remettre à plus tard : c'est maintenant... le jour du salut, le temps qu'il nous faut saisir, que nous devons prendre : tempus acceptabile.

Comment saisir ce jour? Comment prendre ce temps? Chacun le fait à sa manière. Par la pénitence d'abord et là il n'y a pas de mode d'emploi. Par l'attention spirituelle ensuite. Il y a tant de chrétiens distraits, qui oublient de "reconnaître leur dignité" comme le leur demande saint Léon (pape en 450). Simple réflexe de Carême : tenter de comprendre ce que nous disons et ce que nous lisons. Comprendre pour vivre et vivre pour comprendre. Comprendre pour devenir ce que nous comprenons : "Marchez dans la lumière tant que vous avez la lumière afin de devenir des enfants de lumière". Nous devons tenter de pénétrer la Parole de Dieu pour nous laisser pénétrer par elle, "jusqu'à la jointure de l'âme et de l'esprit". Au Centre Saint Paul, nous ouvrons une petite chapelle, spécialement dédiée à l'adoration permanente, pour tous ceux qui veulent méditer librement et sans bruits.

C'est dans cette perspective d'un Carême méditatif que le Centre Saint Paul vient de publier les méditations pour chaque jour du Carême publiées sur ce blog en 2011. Je vous les signale, soit que vous vouliez les lire ici à l'écran (elles sont toujours sur metablog), soit que vous souhaitiez vous procurer le joli petit livre réalisé par David et disponible pour 10 euros (je vous fais cadeau du port. Il suffit pour le commander de m'envoyer un mot, avec votre adresse postale, en m'envoyant un message à gdetanouarn2@wanadoo.fr).