mardi 22 décembre 2015

O Clavis David : la clé

Voici la quatrième antienne O :
O Clavis David, et sceptrum domus Israël ; qui aperis et nemo claudit ; claudis et nemo aperit : veni et educ vinctum de domo carceris, sedentem in tenebris et umbra mortis. 
O Clé de David, et Sceptre de la Maison d’Israël, tu ouvres et personne ne ferme, tu fermes et personne n’ouvre : Viens et fais sortir le captif de la maison où il est en prison, lui qui est assis dans les ténèbres et l’ombre de la mort.  
C’est en récitant cette antienne qu’il avait dû répéter souvent que le philosophe Alcuin a rendu son âme à Dieu. Parler du Christ comme de la clé, cela va très bien à un philosophe, dont l’abbé Seralda naguère vanta « le personnalisme intégral » - un philosophe personnaliste qui avait conscience que, étant donné le mystère de la personne, c’est clair,  la raison ne donne pas toutes les clés.
Le Christ est la clé en un double sens : d’abord il offre des clés de compréhension, un savoir que personne avant lui n’avait développé, une science de la vie, que la raison ne soupçonne seulement pas.
En un second sens, grâce à ce savoir qui est la Vérité, il exerce une autorité royale, que personne ne peut lui contester : - « Tu es roi, demande Pilate à Jésus ». Et Jésus répond : « Tu l’as dit. Quiconque est de la vérité entend ma voix » (Jean 18). La Clé est en même temps un sceptre : O Clavis, ô sceptrum ! Cette clé qui est un sceptre apparaît comme le signe d’une liberté souveraine, ouvrant des horizons nouveaux à la méditation et à la contemplation.

Mais prenons d’abord le mot clé en son premier sens : clé pour comprendre. 

Il y a un verset de l’Evangile de Luc sur lequel on ne réfléchit pas assez et qui indique bien que le Christ lui-même se voyait comme le détenteur d’un savoir que les pharisiens s’employaient à obscurcir : « Malheur à vous les légistes, parce que vous avez enlevé la clé de la science. Vous mêmes n’êtes pas entrés et ceux qui voulaient entrer vous les en avez empêché » (Lc 11, 52). Dans le passage parallèle de saint Matthieu, il n’est plus question de cette « clé de la science ». Le Christ ne s’adresse pas nommément aux légistes mais « aux scribes et aux pharisiens hypocrites » : « Vous fermez aux homme le Royaume des cieux. Vous n’entrez certes pas vous-mêmes, mais vous ne laissez pas entrer non plus ceux qui le souhaiteraient » (Matth. 23, 13).Et le verset suivant est encore plus hostile aux spécialistes de la loi : « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui parcourez les mers et les continents pour gagner un prosélyte et quand vous l’avez gagné, vous le rendez digne de la géhenne deux fois plus que vous ». Un certain enseignement de la loi rend digne de la géhenne, et plutôt deux fois qu’une ! Même saint Paul grand connaisseur et grand contempteur de la loi devant l’Eternel, n’avait pas été aussi loin… La clé n’est pas dans les observances de la loi, qui ne font que nous rendre justes à peu de frais, en nous enseignant à nous hausser du col par rapport à ceux qui ne pratiquent pas les observances… Il ne suffit pas de ne pas manger de porc, ni non plus de se voiler la face quand on est une femme… Ceux qui le pensent sont guettés par le totalitarisme. Non seulement, dit Jésus, ils n’entrent pas, mais, précise-t-il, ils empêchent tous les autres d’entrer.

La clé qui permet d’entrer se découvre plutôt dans un savoir qui nous transforme, le savoir que l’on tient de la foi. Le prophète Isaïe a chanté ce nouveau savoir plus qu’aucun autre des prophètes. Il nous a enseigné son caractère messianique. « Je t’ai fait entendre dès maintenant des choses nouvelles, secrètes et inconnues de toi. C’est maintenant qu’elles sont créées et non depuis longtemps et jusqu’à ce jour tu n’en avais pas entendu parler (…) Non, tu n’entendais rien, tu ne savais rien » (Is. 48, 5). Et ailleurs : « Les premières choses, elles sont arrivées. Voici que je vous en annonce de nouvelles. Avant qu’elles ne paraissent, je vais vous les faire connaître » (Is. 42, 9).

Quelles sont ces choses nouvelles ? Celles que l’Evangile nous fait découvrir, qui ne sont pas les sciences qui porteraient sur tel ou tel objet, mais d’abord les sciences de la vie, nous livrant le secret de l’existence humaine, qui est tout entier dans l’existence divino-humaine de Jésus le Christ.
Pourquoi insister sur la nouveauté de cette science ? Pour comprendre la nouveauté du désir qu’elle fait naître en nous. Le désir de Dieu, s’il mobilise toute notre nature et encore autre chose qui vient d’ailleurs, n’est pas pour autant un désir naturel, quoi qu'en pensent les théologiens. Il n’a rien à voir avec l’un de ces désirs insatisfaits qui croupit au fond de notre ressentiment existentiel, en attente d’un impossible exaucement. Il offre une expérience nouvelle, un élan nouveau, un attachement qui ne vieillit pas.

Mais après la science, la clé signifie l’autorité… On pourrait dire peut-être : une science garantie par l’autorité la plus sacrée.

Immédiatement on pense à l'Evangile de Pierre : « Je te donnerai les clés du Royaume des cieux. Tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux » (Matth. 16, 17). Ainsi parle Jésus à Simon qu’il nomme Pierre, parce que, lui ayant dit cela, il en a fait la pierre sur laquelle il bâtira son Eglise. Qu’est-ce que l’Eglise ? Le Temple des définitions du devoir disait un grand poète aixois. Le premier rôle de l’Eglise est effectivement de rappeler la loi. Pour jouer à la Pharisienne, comme le pensait Mauriac ? Non. Aussi bien l’Eglise, en Pierre et aussi dans les apôtres, c’est-à-dire dans les évêques qui sont leurs successeurs, n’a pas seulement la faculté de lier c’est-à-dire  de faire peser les fardeaux sur les épaules de ses membres. Elle a aussi, divinement, la capacité de délier, le pouvoir d’alléger, le don de pardonner ou de réconcilier. Telle est l’autorité christique : essentiellement personnelle, non pas arbitraire, mais tissée dans un rapport miséricordieux, un rapport de personne à personne, de la personne divine à la personne humaine, où il ne s’agit pas de changer quoi que ce soit aux prescriptions, mais de permettre aux hommes de les observer avec humilité et profit – bref dans la charité. C’est dans la charité que l’on peut dire : « Il ouvre et personne ne ferme. Il ferme et personne n’ouvre ». C’est la charité qui est la seule loi, parce que l’amour est la seule loi dont nous ne soyons pas prisonnier. 

En revanche, tout ce beau discours n'empêche pas de devoir constater que nous sommes bel et bien prisonnier de notre nature mortelle. Nous sommes « assis dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort ». Pourquoi l'ombre ? Nous ne sommes pas encore morts dans cette maison où nous nous sommes retrouvés prisonniers, telle est notre condition d’humanoïdes. Mais nous voyons, si nous ne détournons pas les yeux, l’ombre portée de la camarde qui nous attend. Il nous faut – vite – quelqu’un pour nous faire sortir de là et aussi pour nous faire entrer. Où ? Dans le Royaume, comme dit Jésus. Mais où est-il ce Royaume ? Il n’est pas ailleurs, on y accède pas par la fuite. Jésus le déclare solennellement : il est « au milieu de nous », à portée de main. Mais comment y entrons-nous ? Non par la Loi mais par cette science nouvelle, au cœur de notre cœur et au feu de notre vie : la foi.

dimanche 20 décembre 2015

O Radix Jesse

O Radix Jesse, qui stas in signum populorum, super quem continebunt reges os suum, quem gentes deprecabuntur : veni ad liberandum nos, jam noli tardare. 
O Rejeton de Jessé, Toi qui est debout pour être comme un signe pour les peuples, devant toi les rois seront obligés de fermer la bouche tandis que les nations t’appelleront : Viens pour nous libérer, ne tarde plus.
Ce Messie que le monde attend, il est de race royale, il est « fils de David », « rejeton de Jessé » dit l'Antienne  (Jessé est lui-même père de David). Ce Messie, ce Christ hébreu tient son ascendant sur « tous les peuples » de son ascendance israélite. C’est le mystère que beaucoup dans l’histoire vont refuser, le mystère de ce petit peuple d'Israël, prédestiné à gouverner spirituellement le monde parce qu’il est le premier réceptacle de la Parole divine, mais à qui cette gouvernance échappe dans la mesure même où, spirituelle, elle transcende toutes les particularités, et cela en celui dont Pilate dira dans une prophétie involontaire : « Voici l’homme ».

Joseph, le père putatif de Jésus – c’est bien précisé – est « de la maison et de la descendance de David ». C’est lui qui, comme tous les pères de Palestine, donne son nom à ce rejeton de Jessé, qui est fils de Marie : « Certes ce qui est accompli en elle vient du Saint Esprit, mais c’est toi qui lui donnera le nom de Salut » (Matth. 1). Joseph est issu de la tribu de Juda et c’est en tant que lointain petit fils de Jessé qu’il va se faire recenser à Bethléem, son clan d’origine. Quant à Marie, elle est d’une famille de prêtres, comme en témoigne sa cousine Elisabeth, la femme de Zacharie, celui qui, lorsque commence cette histoire, a été tiré au sort pour pénétrer une fois (la seule fois de l’année) dans le Saint des saints à Jérusalem. 

Par ses deux parents humains, Jésus est donc prêtre et il est roi. Son sacerdoce est celui du Temple de Jérusalem. Sa Royauté celle de David… Sa double dignité est clairement inscrite dans le temps et dans l’espace comme une identité indissolublement ethnique et spirituelle. Jésus n’est ni un citoyen du monde, ni un homme de nulle part, ni un fils de personne : « Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la Maison d’Israël » déclare-t-il à la Syro-phénicienne.

Mais en même temps que Jésus est le Christ hébreu, en même temps qu'on l'appelle "le rejeton de Jessé", on dit qu'il « se tient debout pour être comme un signe pour les peuples ». Isaïe avait prophétisé cela : « Voici, dit Yahvé, que je lève les mains vers les nations, que je dresse un signal pour les peuples » (Is. 49, 22). Quel est ce signe ? « Le signe du Fils de l’homme » disent les Evangiles synoptiques (Matth. 24, 30). « Le signe de la Femme » renchérit Jean dans l’Apocalypse (12, 1). Le Fils de l'homme et la femme ? Je pense à Jésus et Marie indissolublement unis dans la mandorle de Sainte Marie Majeure qui est le thalamum, la chambre nuptiale spirituelle où le nouvel Adam et la nouvelle Eve recréent l’humanité - paraissant à égalité l'un avec l'autre même si le Fils couronne sa mère. 

Ce qui est très surprenant dans le texte du chapitre 49 d’Isaïe, c’est que l’objet de l'attente des nations semble être une femme avant que d’être un homme. On retrouve déjà dans Isaïe la nouvelle Eve : « Tu diras dans ton cœur : qui m’a enfanté ceux-ci ? J’étais privée d’enfant et stérile, exilée et rejetée [ainsi parle la Fille de Sion] et ceux-ci qui les a élevés ? Pendant que j’étais laissée seule, ceux-ci où étaient-ils ? » Vatican II revient à cette interprétation féminine du Signe, dans Lumen gentium, en faisant de ce signe l’Eglise, « dressée à la face des nations » (cf. LG n°48 cf. n°1. Le texte d’Isaïe n’est pas explicitement cité, mais l’idée du signe dressé à la face des nations s’y trouve).

En même temps, dans ce somptueux chapitre d’Isaïe, c’est bien un homme qui est attendu : « Un rejeton sortira de la souche de Jessé, un surjeon poussera de ses racines. Sur lui reposera l’Esprit du Seigneur ». (Isaïe 11, 1) et plus loin dans le même chapitre 11 : « Ce jour-là la racine de Jessé qui se dresse comme un signal pour les peuples sera recherchée par les nations et sa demeure sera glorieuse. (…) Le Seigneur dressera un signal pour les nations et rassemblera les bannis d’Israël. Il regroupera les dispersés de Judas des quatre coins de la terre ». Mystère de l’universalité du signe messianique ! Il faut noter que l’antisémite rejette et la généalogie juive du Messie (parce qu'il n'aime pas les juifs) et l’universalité du signe qu’il donne à voir (parce que juif il ne pourrait pas être universel). Dans cette antienne au contraire, de manière magnifique les deux dimensions sont présentes en même temps, l’identité juive du Messie et son rayonnement universel.

Est-ce moi qui fantasme en parlant, ici, d’antisémitisme ? La même antienne insiste sur la dimension politique du mystère messianique, tellement enracinée dans un peuple et tellement destinée à tous les peuples. Il faudra que les rois soient contraints au silence, « obligés de fermer leur bouche » dit notre antienne. Le salut du monde ne vient pas de la politique ni de la Puissance que se donnent les rois du monde. Hérode, ce Bédouin mal équarri, a essayé le premier de s’en prendre au Messie. Il a tué les enfants de Bethléem, croyant que ce génocide suffirait pour en finir avec cette royauté venue d’ailleurs, qu'il prenait pour une concurrente. Mais Dieu n’a pas abandonné son Fils aux pattes du monstre tueur d’enfants (Hérode, disent les chroniqueurs antiques, était tueur même de ses propres enfants, pour leur passer l'envie de lui succéder). Comment a-t-il fait ? Rien d'apparemment surnaturel dans la réaction de Joseph. Averti en songe, il  a dû fuir, il a fui  en Egypte avec l’enfant et sa mère. Mais il a ainsi préservé le Rejeton de Jessé.

Comment les rois se contraindraient-ils au silence, eux qui ont tout pouvoir en ce monde ? Ce sont les peuples qui appelant le Messie, contraignent les rois à fermer leur bouche, nous dit l’Antienne. Un désir nouveau naît dans le monde. Une espérance neuve s’affirme à la face des nations. La liberté ne vient pas de la politique ni des politiciens. On a bien vu que ces gens à programme, plans et rataplans, ne savaient que transformer en idéologie ce qui est l’aspiration la plus profonde et la plus secrète de l’homme. Seul le Messie libère vraiment. Seul il sauve de la corruption et de ce que les antiennes appellent « l’ombre de la mort ». Seul il donne aux hommes une vie libre, celle qui n’a aucun compte à rendre au temps qui passe. Les peuples sont pris d’une sainte impatience : « Viens nous libérer, ne tarde pas ». Ne laisse pas le temps entre nous. Sauve nous dans l’instantanéité de ta puissance ! C’est tout de suite ou jamais. Ainsi est le temps de l’Avent, temps du désir spirituel, qui nous fait dire à Dieu avec une audace dont nous ne nous serions pas cru capables mais que nous donne sa grâce : c’est tout de suite ou jamais.

Il ne faut pas moins que cette terrible impatience pour réduire les rois au silence.

samedi 19 décembre 2015

O Adonaï !

Voici - avec un peu de retard - la deuxième des antiennes O...
O Adonai et dux domus Israel, qui Moysi in igne flammae rubi apparuisti, et ei in Sina legem dedisti : veni ad redimendum nos in bracchio extento. 
O Adonai, Et chef de la maison d’Israël, toi qui te manifestas à Moïse dans le feu de la flamme du Roncier et qui lui a donné la Loi sur le Sinaï : Viens, Seigneur, nous racheter en étendant ton bras.
Adonai ! Le Seigneur… C’est le nom humain pour désigner la Divinité insondable dans sa réalité indicible. Chaque fois que le nom de Yahvé – ce tétragramme sacré, se trouve écrit, chaque fois l’Israélite pieux se contente de dire : Adonaï. C’est avec ce nom qu’il prie ou qu’il invoque : O Adonaï ! Et nous reprenons cette prière millénaire des juifs, célébrant en Yahvé « le chef de leur maison » : dux, celui qui conduit, celui qui guide son peuple au Désert, celui qui se fait connaître non pas en lui-même (« Si tu l’as compris ce n’est pas lui » dit saint Augustin), mais dans la conduite, dans les directives, dans la loi qu’il donne à son peuple. Non fecit taliter omni nationi : il n’agit pas ainsi avec toutes les nations, mais avec sa maison, avec ceux qu’Il appelle, qui provienne de partout, mais qui, à eux tous, forment sa maison. Avec ses domestici, avec ses familiers, quelle n’est pas la douceur du Seigneur ! Que faut-il faire pour être un membre de la maison du Seigneur ?

Il faut reconnaître son Verbe, être attentif aux deux Paroles qu’il a dites à Moïse, et d’abord celle qu’il a dite dans le Buisson ; puis celle qu’il a proférée sur la Montagne du Sinaï. 

La première parole est son Nom : « Celui qui est », un nom qui peut s’entendre de deux façons, comme désignant l’être de tous les êtres ou comme annonçant que l’on ne peut le connaître d’avantage que par ces mots : « Celui qui est », qu’on ne peut l’enfermer dans aucun qualificatif humain. C’est une parole pour dire qu’il est au dessus de toutes les Paroles, qu’il est la Parole ou le sujet de la Parole, le JE du JE SUIS. Dans le Buisson, Dieu dit JE et toutes les personnes sont à son image quand elles disent JE. « La personne est ce qu’il y a de plus parfait dans tout l’Univers » dit saint Thomas. C’est l’image la moins défaillante de ce qu’est Dieu. Ce Dieu qui est ou plutôt ce Dieu qui dit JE SUIS.

Mais Dieu n’a pas seulement donné son nom, il a donné dix Paroles, qui sont les deux tables de la loi, qui elles-mêmes se résument dans les deux commandements du Christ : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toute ta force et ton prochain comme toi-même » (Matth. 13). Ces dix paroles sont comme le mode d’emploi de cette drôle de machine qu’est l’homme. Ne pas respecter le mode d’emploi, c’est s’exposer à détruire la machine ! Dans sa première parole Dieu s’est nommé lui-même. La deuxième fois qu’il s’adresse à nous, il nomme, par antiphrase ce qui est vraiment humain.

Si nous sommes attentifs à ces deux paroles, nous devenons des Craignant Dieu, membres de l’Israël véritable, celui de l’origine et de la fin, celui de l’Esprit. Où est l’Esprit ? Dans « le feu de la flamme du Roncier », qui n’est ni le Roncier, ni même la flamme, mais qui est le feu de la flamme, sa puissance, son rougeoiement dans le roncier, rougeoiement qu’indique l’étymologie de ce mot étrange, « rubus », un mot qui n’est pas dans le Gaffiot et qu’il faut chercher dans les vieux dictionnaires.

Le nom de Dieu nous est donné, nous pouvons avoir foi en lui. La loi de Dieu nous est donné aussi, mais elle ne suffit pas. « S'il eût été donné une loi capable de procurer la vie, la justice viendrait réellement de la loi » dit saint Paul aux Galates (3, 21). « Alors pourquoi la loi ? Elle a été ajoutée en vue des transgressions » (Gal 3, 18). Par nous-mêmes, nous n’arrivons pas à l’observer. Dieu seul est notre suffisance (II Co. 3, 5), continue saint Paul ailleurs, en jouant sur le vieux nom El Shaddaï, le Suffisant. Dieu seul est notre salut. Nous ne nous sauvons pas nous-mêmes. 

Qu’est-ce que le salut ? On dit souvent que le nom de Jésus signifie « Dieu sauve » Yehoshua… C’est une erreur. D’après Jacqueline Genot Bismuth, Yeshua signifie simplement SALUT. C’est en quelque sorte déjà un nom divin car, c’est vrai, Dieu seul sauve. C’est parce que Jésus est un nom divin, que le Coran a oublié ce nom et parle de Issa. Comment Jésus nous sauve ? En étendant son bras, c’est-à-dire en payant de sa Personne. Il nous a racheté « cher » note saint Paul – encore lui. C’est ce rachat, pur don de miséricorde, que l’on nomme salut. Veni ad redimendum nos ! Venez nous racheter !

jeudi 17 décembre 2015

Réciter les Antiennes O avant Noël

A partir d’aujourd’hui, l’Eglise nous fait réciter sept antiennes dont l’origine est inconnue mais qui sont attestées à l’époque de Charlemagne puisque le philosophe Alcuin meurt en récitant l’une d’entre elles : O Clavis David.

Ces antiennes donnent sept noms différents au Seigneur que l’on attend : O Sapientia, la sagesse, le Verbe de Dieu. O Adonaï, le nom que les juifs donnent à Yahvé dont ils ont interdiction de prononcer le nom sacré. O radix Jessae, le Rejeton de Jessé : Jessé est le père de David. Le Christ vient dans cette lignée royale. O Clavis David, la clé qui décide de tout. O Oriens : l’Orient qui est l’origine de la lumière. O Rex gentium : le Roi des nations et non pas seulement le Dieu d’Israël. O Emmanuel, Dieu avec nous, dont on rappelle l’alliance lorsque le prêtre dit aux fidèles plusieurs fois pendant chaque messe : « Le Seigneur est avec vous ».

Si l’on prend les initiales de chacun des noms du Fils de Dieu attendu, on a en latin, par un savant acrostiche : ERO CRAS : Je serai là demain. C’est tout le sens de l’Avent. Ce lendemain, c’est la Noël, ce solstice qui doit illuminer notre vie, le moment où le jour commence à rallonger.

Voici la première antienne, celle d'aujourd'hui 17 décembre 
O Sapientia, quae ex ore Altissimi prodisti, attingens a fine usque ad finem, fortiter suaviter disponensque omnia : veni ad docendum nos viam prudentiae. 
O Sagesse, toi qui es sortie de la bouche du Très-Haut, remplissant l'univers d'un bout à l'autre et disposant toutes choses avec force et douceur : Viens nous enseigner le chemin de la prudence!
Ce que nous attendons d’abord c’est la SAGESSE, c’est-à-dire la connaissance de ce que signifie notre situation invraisemblable d’animaux raisonnables tombés sur cette Planète. L’homme explique Pascal est cet individu qui se réveille en sursaut dans une île déserte (notre terre) et qui ne sait ni d’où il vient ni où il va. 

Ce savoir-là, quoi qu’en disent les philosophes, nous ne pouvons pas nous le procurer nous-mêmes. Seul l’Ordre de la Création, avec sa force et sa douceur, peut nous en donner une idée et nous mettre sur le chemin de la vérité. Mais avant même la vérité que l’on contemple, si l'on reste ici bas sur le chemin qui y mène, il y a la vérité que l’on fait, ce choix du bien, ce rejet du mal, qui est l’amorce de notre liberté. Le Christ dans l’Evangile ne dit pas : celui qui possède la vérité vient à la lumière… Il dit : « Celui qui fait la vérité vient à la lumière » (Jean 3, 21). L’artisan en nous de ces œuvres vraies, qui précèdent toujours la connaissance de la vérité, s’appelle la prudence.

Mais quelle est cette prudence ? Comment choisir le Bien, que nous ne pouvons pas démontrer, comme y insistent les moralistes contemporains et tout dernièrement Ruwen Ogien ? Comment déterminer ce Bien dans lequel nous croyons mais qui échappe à notre raison ? Il faut suivre l’Emmanuel, annoncé par le Prophète Isaïe, celui que l’on appelle ainsi « parce qu’il sait choisir le bien et rejeter le mal » (Is. 7, 15).

Ainsi le Christ nous mène-t-il de la divine sagesse à l’humaine prudence, c’est tout le sens de cette antienne.

On appelle d’abord le Christ O Sapientia, la Sagesse du Père... 

Et c’est bien naturel puisque il est le Verbe du Père : LOGOS. Saint Paul déjà s’était écrié : « Les Juifs demandent des signes et les Grecs sont en quête de sagesse. Nous proclamons, nous, un Messie crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens, mais pour ceux qui ont été appelés, Juifs et Grecs, c’est le Messie Puissance de Dieu et sagesse de Dieu » (I Co. 2, 22). 

La Puissance de Dieu, c’est Dieu qui nous donne des signes, jusqu’à aujourd’hui si nous acceptons de voir les miracles qui se multiplient dès qu'on les cherche. 

La Sagesse de Dieu n’est pas comme la sagesse des hommes : « Dieu a frappé de folie la sagesse du monde » (I Co. 2, 20) ose dire Paul qui connaît et qui cite pourtant les philosophes. Qu’est-ce qui est folie dans la sagesse des hommes ? La prétention à vouloir tout expliquer par sa propre raison. Plutôt que de chercher des explications à notre monde, avouons que la seule Sagesse est celle « qui sort de la bouche du Très haut ». Au lieu de construire des sagesses qui ne sont qu'à notre image, recevons la sagesse de Dieu, son Verbe, parce que lui seul nous transforme en nous permettant de devenir ce que nous sommes.

Et à défaut de posséder immédiatement cette connaissance, cette sagesse trop élevée, acceptons d’en être encore à la Prudence. Pascal à nouveau : « Si tu veux connaître la vérité, ne cherche pas à multiplier les raisons, mais à diminuer tes passions ». C’est ce que nous demandons au Christ de nous apprendre aujourd’hui : Veni ad docendum nos viam Prudentiae. Viens nous enseigner le chemin de la Prudence. Nous sommes tellement prompts par nous-mêmes à voir le bien là où il n’est pas et à imaginer du mal là où se cache le bien qui ne fait pas de bruit. La prudence, qui nous fait discerner notre propre bien là où il est, est un long chemin, où nous marchons sur les traces de l’Emmanuel, parce que lui a su, sur notre Terre, choisir le bien et rejeter le mal. 

Ce chemin de la prudence, et lui seul, nous mène à la sagesse.

vendredi 4 décembre 2015

France, ta laïcité fout le camp, suite [par Rudy]

[par Rudy] Dans la série «n’importe quoi» voilà Nathalie Kosciusko-Morizet qui propose (sans le dire) de revenir sur la loi de 1905 de séparation de l’Etat et des Cultes. Tout bonnement, elle propose que l’Etat lève un impôt sur les musulmans pratiquants (1% du chiffre d’affaire du halal - qu'elle perçoit comme un "produit culturel") et qu’avec cet argent l’Etat finance un islam qui lui convienne. Je répète, tellement c'est énorme: Kosciusko-Morizet veut que l'Etat se charge de lever l'impôt musulman - à charge pour lui de financer ensuite un islam devenu de fait officiel.

Sur le sujet, elle n'est pas la seule à débloquer. Depuis 40 ans les autorités -qu'elles soient politiques éducatives ou médiatiques- ne savent pas bien sur quel pied danser face à l'islam. Il y a ceux qui veulent faire sympa et répètent comme pour s'en convaincre que l'islam est une religion de paix. Il y a ceux qui décident que l'islam 'doit' évoluer, sans expliquer de quelle nature est ce 'devoir', ni pourquoi cette évolution irait forcément dans le sens qu'ils désirent - qui est celui d'un humanisme républicain, vaguement orientalisant.

Il y a ceux qui choisissent quelques musulmans à leur goût, et les instituent "représentants" de leur coreligionnaires. Il y a ceux qui décrètent que "le vrai islam" ne demande ni ceci ni cela, et tranchent de leur seule autorité des débats que animent depuis des siècles la théologie musulmane... et se feraient bien grands inquisiteurs pour imposer à tous ce "vrai islam".

Il y a aussi ceux qui donnent des coups de mentons, se fâchent de croiser sur les plages des femmes trop peu découvertes, et proposent d'interdire jusqu'au simple fichu. La réalité, c'est aussi que les seconds sont souvent les premiers - avec un simple décalage dans le temps. L'islam comme variable d'ajustement du discours politique.... ou comme relance des ventes des news magazines.

La période actuelle est peu propice à l’intelligence, avec la sidération depuis les attaques du 13 novembre, et à deux jours d’une élection qui s’annonce comme un coup de pied dans les urnes pour les vieux partis. Cependant, il n’est obligatoire ni de devenir idiot, ni de penser par automatismes.

mercredi 11 novembre 2015

France, ta laïcité fout le camp! [par Rudy]

[par Rudy] L’affaire est mise en évidence par nos amis de RiposteCatholique. Qui postent le carton par lequel Madame la Préfète et Monsieur le Senateur de la Sarthe prient quelques huiles locales d’honorer de leur présence la «cérémonie interconfessionnelle et spirituelle» pour la Paix, à l’occasion du 11 Novembre. Oui, vous avez bien lu, cette cérémonie républicaine est intitulée «interconfessionnelle et spirituelle».

Spirituelle? ca ne se décrète pas. En tout cas il ne suffit pas de récupérer des lieux (une ancienne chapelle) ni des signes (tentures noires et envolées funèbres à l'orgue) pour baser une spiritualité.

Interconfessionnelle? La cérémonie le serait si intervenaient en tant que telles plusieurs confessions. Dans l'assistance il n'y avait que des gens qui, à titre personnel, ont tel ou tel dieu - ou pas. C'est au fond aussi bien le cas dans une rame de métro ou dans la file d'attente d'un cinéma ou dans toute autre assemblée... aconfessionnelle.

Ce que je crois, plus simplement, c'est que le pays divorce peu à peu du catholicisme. et que même ceux qui s'en réjouiraient peuvent ressentir une espèce de vide cérémoniel, et tenter de le combler... par un mauvais pastiche?

jeudi 5 novembre 2015

Hommage à René Girard

J'attendais cette triste nouvelle depuis quelques mois déjà : René Girard est mort le 4 novembre à Stanford en Californie, à l'âge de 91 ans, et il faut bien dire que la nouvelle a tardé à venir en France. Elle est capitale, pourtant, cette nouvelle à deux titres :

René Girard a offert la dernière pensée globale du monde humain, qui ne soit pas seulement une déconstruction, qui ne se contente pas non plus de régner sur quelques détails de la condition de l'animal humain, mais qui soit véritablement une anthropologie. Il y avait eu Marx ; il y avait eu Freud ; il y avait eu Levi Strauss... Qui d'autre ? Michel Foucault ? Il faudra demander à François Bousquet ce qu'il en pense... Y a-t-il une vision de l'homme chez Foucault ? Il s'est battu toute sa vie pour ne pas en avoir. Mais on peut sans doute concéder qu'à la fin de sa vie, dans ses Cours au Collège de France, il se rapproche du stoïcisme, du christianisme ou des deux (cf. par ex. Subjectivité et vérité). Qui d'autre ? René Girard justement, lecteur aigu de ses prédécesseurs, Freud et Lévi-Strauss, auxquels il a opposé sa vision de l'homme et du désir.

René Girard a montré que le christianisme représentait le salut historique de l'humanité, en tant qu'il venait mettre fin aux constructions sociales archaïques, issues d'un désir obstinément mimétique et qui engendrait la montée aux extrêmes et la sanctification de la violence. Le christianisme représente une inversion de ces "valeurs" issues de démonstrations violentes. "Heureux les artisans de paix car ils seront appelés fils de Dieu". Le Christ prêche cette paix, qui n'est pas issue de la stabilité d'un rapport de force, mais d'une intention humaine. Dans le Christ et dans le nouveau système de valeurs qu'il offre à l'humanité, il devient possible de rechercher la paix pour elle-même.

Je me souviendrai toute ma vie de ce jour où mon ami François et moi, nous nous sommes annoncés chez lui dans le VIIème. Il avait la gentillesse de nous recevoir alors qu'il était au milieu de sa famille. Il nous parlait. O temps suspends ton vol. Le monde familier qui l'entourait n'existait plus pour lui. Cette longue conversation qui n'était pas la première, m'a beaucoup fait réfléchir sur le mal. François, passionné de Thomas d'Aquin, trouvait Girard pessimiste. Quant à moi, j'ai décidé ce jour-là de remonter, avec Girard, de saint Thomas à saint Augustin.

Girard est-il pessimiste ? Il le serait, il serait gnostique si l'on découvrait dans son oeuvre un refus quelconque de la chair et de la condition charnelle de l'homme. C'est tout le contraire. Le désir charnel n'intéresse pas Girard comme il intéresse Freud, parce que Girard le méridional sait très bien ce que Freud ne sait pas : le désir n'est pas une production physique de l'animal humain mais une construction psychique. C'est cette construction psychique qui est mauvaise. c'est la spirale rivalitaire que s'invente l'homme (ou la femme !) d'où vient tout le mal. C'est le désir quand il devient mimétique, quand il imite le désir de l'autre.

Je pense toujours à une anecdote lue dans Milan Kundera (qui lui-même a lu non seulement Lacan mais certainement Girard) : on te donne le choix entre sortir pendant 24 H avec la plus belle femme du monde à ton bras mais sans rien faire avec elle ou bien faire tout ce que tu veux pendant 24 H avec la plus belle femme du monde sans que jamais personne ne puisse rien en savoir... L'homme psychiquement construit choisit toujours la première solution. Voilà le désir selon René Girard : non pas un pessimisme ontologique sur la chair, mais une crainte devant la facilité avec laquelle se construisent des structures de péché, jusque dans notre psychisme, et souvent sans que nous en ayons clairement conscience.

Il se trouve que ce pessimisme bien tempéré est effectivement celui de l'Eglise romaine, au moins du temps où elle croyait au péché originel. Aujourd'hui où ses membres souvent n'y croient plus, cela reste son dogme, infaillible. Et je crois que l'oeuvre de René Girard est propre à nous le faire redécouvrir.

Oh ! Ce n'est là que mon témoignage de prêtre catholique... Beaucoup ont lu Girard sans aller jusque là. Je pense, entre beaucoup d'autres, au surprenant Christophe Donner et à son beau roman sur Louis XVII, Un roi sans lendemain (Grasset). Mais parmi ceux, tellement nombreux qui se dirigent vers le christianisme, combien doivent quelque chose à la lecture de Girard, à sa quête inlassable et tellement sincère, à ses lectures aigües qui ne vous laissaient pas indemnes (car Girard fut d'abord un critique littéraire et ensuite seulement un anthropologue).

Qui a pu lui résister frontalement ? Un M. Pommier qui porte bien son nom a tenté de le brocarder : il n'a trouvé pour cela qu'un jeu de mots vaseux, dont il a fait le titre d'un minable factum. Le problème ? L'oeuvre de Girard, portant sur ce qui est premier dans la vie humaine, est simplement irréfutable ; elle revêt aujourd'hui d'ailleurs une sorte d'évidence pour quiconque s'en saisit. Elle n'est ni une idéologie ni un dogme de substitution, pourtant. Mais elle offre une claire vision sur ce qu'est le mal, sur les raisons de son avènement. Que souhaiter de plus ?

René Girard n'a pas créé un système, il propose à Ariane un fil pour sortir du labyrinthe. Il est le Petit Poucet qui a semé des cailloux et qui parvient, à la stupéfaction de ses pairs, à sortir sans une égratignure de la Forêt profonde où, jeune Rastignac inconscient et critique littéraire atypique, il était parti jadis chercher le secret de la destinée humaine entre Proust et Dostoïevski.

René Girard était un grand Monsieur. Il nous laisse bien seuls...

mercredi 4 novembre 2015

Aller aux «périphéries»? Quand le «centre» est lui-même incertain… [par Hector]

Moqués (avec tendresse) par Etienne Chatiliez
dans son film "La vie est un long fleuve tranquille",
les Le Quesnoy existent-ils encore?
[par Hector] Je ne sais pas si vous retenu le maître-mot du discours ecclésial actuel, mais ils sont intéressants sur les perspectives caressées par certains esprits. On parle ainsi de «périphéries», d’«aller aux périphéries», L’exhortation s’adresse évidemment à l’Eglise qui doit être «en sortie». Quand on parle de «périphérie», on fait nécessairement référence à un centre, faute de quoi l’expression n’aurait aucun sens.

Bref, qui dit «périphérie», dit donc «centre». Mais encore faut-il s’interroger sur ce centre. Or, il n’est pas certain que le centre soit aussi consistant qu’on le dit. Le grand hic est que nous sommes en 2015, pas en 1958 (mort de Pie XII), en 1962 (ouverture de Vatican II) ou même en 1965 (clôture de Vatican II) - je ne parle même pas des années 1980.

En 1958, en 1962 ou en 1965, il y avait une Église dont la liturgie était relativement fixe et codifiée, des enfants qui disposaient d’un bagage catéchétique, des couples qui se mariaient au terme d’une cérémonie brève à l’ Église et une hiérarchie qui adhéraient nominalement à la doctrine de l’Église ; en 1958, en 1962 ou en 1965, il y avait encore assez de fidèles à qui l’on apprenait que Jésus était bien dans l’hostie ou qu’il fallait distinguer le péché mortel du péché véniel ; en 1958, en 1962 ou en 1965, il y avait encore des prêtres en soutane, que l’on considérait, à défaut de suivre leurs «directives», dont on gardait l’idée qu’ils étaient des hommes séparés du monde, selon toute une lignée terminologique qui partait grosso modo de la réforme tridentine ; en 1958, en 1962 ou en 1965, on apprenait au petit Marcel ou à la petite Thérèse qu’il fallait éviter le mal et faire le bien sur terre si on voulait aller au Ciel ; en 1958, en 1962 ou en 1965, il y avait encore ces congrégations religieuses fleurissantes, dont les frères ou les sœurs enseignaient ou étaient cloîtrés. Enfin – et surtout -, il y avait encore des pourcentages consistants de pratique religieuse, se comptant en dizaines, non en unités. Quant à la périphérie, c’était les ouvriers, les incroyants, les cocos ou les syndiqués ; c’était aussi ceux qui ne croyaient pas au Ciel, mais qui se vouaient à un engagement militant, politique ou syndical ; c’était aussi les hommes de science qui reprochaient à l’Eglise son retard, tout en demeurant admiratifs de sa stabilité et de sa rigueur. Mais ça, comme on dit, c’était avant.

Car en 2015, le centre est aussi incertain que la périphérie, elle-même. Car l’Occident n’est pas reluisant religieusement parlant. C’est bien le problème. Le fidèle se confesse peu ou pas, et cela varie selon les profils de catholiques. Vous avez dit «profils»? Il y a justement une Eglise à plusieurs visages – pardon: vitesses… -, regroupant toutes les sensibilités. Cela prend une forme liturgique, mais avec le récent processus synodal sur la famille, on peut se demander si la pluralité ne s’étend pas aux discours moraux et aux mœurs ; après tout, il peut y avoir une forme extraordinaire de la morale, pour les cathos identitaires, traditionnels au sens très large, et une forme ordinaire pour les cathos moins immergés et plus soumis à la dilution de la transmission de la foi. Simple question. Quant à la foi, il faut ramer pour trouver le fidèle, dans la messe, qui sait ce qu’est l’état de grâce, la présence réelle dans l’hostie consacrée ou le purgatoire. S’ouvrir aux périphéries? Mais c’est faire comme si le centre, lui-même, n’avait pas été secoué par des décennies de crise: départ de prêtres et de religieux, crise catéchétique, disparition de congrégations religieuses qui se traduit forcément par leur moindre visibilité en raison des nécessités de vendre le patrimoine immobilier… Aujourd’hui, la situation de dilution du catholique est telle que l’on a même forgé l’expression de «pratiquants non croyants» pour désigner ces catholiques qui continuent à aller à la messe tout en affirmant ne plus adhérer à une partie de l’enseignement de l’Église et ne plus suivre ses prescriptions morales. Ainsi, les divorcés remariés n’ont pas attendu le luxueux et élitiste chemin pénitentiel (sorte d’avatar de l’interminable casuistique qui a trouvé une nouvelle forme), ni même un «éclaircissement» sur leur situation: ils communient tout court, peu importe ce que pense le prêtre… Enfin, les statistiques démontrent un effondrement de la pratique religieuse, au point même que les années 1980 finissent par apparaître comme des années fastes par rapport aux années 2010! On peut tout simplement se demander si le centre n’a pas tout simplement implosé – pour devenir aussi «pluriel» que les périphéries qu’il veut rejoindre…

Quant aux «périphéries» actuelles, elles perdent aussi de leur consistance : l’incroyant d’aujourd’hui n’est plus ce scientiste ou cet existentialiste qui s’affirmait fièrement face à l’Eglise: il est devenu ce touche-à-tout consumériste, qui n’a ni attirance, ni hostilité pour la religion. L’engagement militant, lui, a été broyé par le carriérisme sur fond de crise des idéologies. Les formes d’engagement profane sont, elles-mêmes, en déclin, et il faut avoir du courage pour militer quotidiennement dans un syndicat ou un parti, sauf intérêt matériel et pécuniaire évident...

À moins que les périphéries ne soient ces nouvelles terres du catholicisme qui, elles, ne goûtent guère aux innovations occidentales, qui n’ont aucune envie d’apprécier des «valeurs positives» dans les concubinages, hétéro ou homosexuels ou de voir leur pasteur se transformer en psys pour couples qui se cherchent… Mais, dans ce cas, les cartes seraient rebattues. Au fond, comme dirait Pascal, le centre est partout, et la périphérie nulle part, à moins que cela ne soit l’inverse. Il y a autant de périphéries que de centres, de centres dans les périphéries que de périphéries dans les centres… On a souvent reproché à l’Eglise de se tromper d’époque. La grosse difficulté est qu’au moment même où elle veut tenir compte de ce reproche, elle l’illustre à plein.

Un billet du Cardinal Dolan en date du 12 octobre 2015, traduit par notre ami Daoudal, complète parfaitement le texte d'Hector. Extrait:
«Puis-je suggérer aussi qu’il y a maintenant une nouvelle minorité dans le monde et même dans l’Eglise ? Je pense à ceux qui, comptant sur la grâce et la miséricorde de Dieu, font tout leur possible pour garder la vertu et la fidélité : les couples qui - compte tenu du fait que, du moins en Amérique du Nord, seulement la moitié de nos gens entrent dans le sacrement de mariage – viennent à l’Eglise pour le sacrement ; les couples qui, inspirés par l’enseignement de l’Eglise que le mariage c’est pour toujours, persévèrent à travers les difficultés ; les couples qui accueillent le don de Dieu de nombreux bébés ; un jeune homme et une jeune femme qui ont choisi de ne pas vivre ensemble avant le mariage ; un homosexuel ou une homosexuelle qui veut être chaste ; un couple qui a décidé que la femme sacrifierait une carrière professionnelle prometteuse pour rester à la maison et élever ses enfants – ces gens merveilleux, aujourd’hui, ont souvent le sentiment d’être une minorité, dans notre culture, certainement, mais même, parfois dans l’Eglise ! Je crois qu’ils sont beaucoup plus nombreux que nous ne le pensons, mais, en raison des pressions d’aujourd’hui, ils se sentent souvent exclus.»

mardi 27 octobre 2015

Le Zambèze se jette dans le Tibre [par Hector]

[par Hector] On aura tout dit sur ce Synode, en tirant les conclusions dans tous les sens : pour le cardinal Pell et les évêques polonais, la communion des divorcés dits remariés a bien été écartée, pour Mgr Pontier ou Mgr Paglia, elle demeure, au contraire, possible. La question divise tout le monde, y compris le monde « tradi ». Les plus anti-bergogliens se réjouissent qu’une telle perspective ait été écartée, tandis que des wojtyliens sont circonspects et craignent une ouverture au nom de la « conscience ». On a entendu toutes les analyses. Je laisse aux spécialistes le soin de dire ce qu’il en est réellement, même s’il faut noter un aspect important : l’absence de référence à la communion et aux sacrements dans les trois paragraphes litigieux relatifs aux divorcés remariés de la relation finale. Par-delà les ambiguïtés et les interprétations médiatiques qui forcent le sens, il n’est pas neutre que certains termes soient absents.

Il y a cependant une chose évidente : ce n’est plus le Rhin qui se jette dans le Tibre, et depuis 3 ans, son débit s’est continuellement affaibli. Malgré les offensives de l’épiscopat allemand, présidé par le cardinal Marx - dont on peut se demander s’il ne gère pas la plus grosse ONG du monde -, l’affaiblissement continu des épiscopats européens dans le processus synodal est flagrant. Les paragraphes 84, 85 et 86 pourraient être les ultimes vestiges de ces tentatives occidentales, comme le décret sur l’œcuménisme Unitatis redintegratio de 1964 faisait encore référence à l’encyclique Humani generis de 1950 en mentionnant le « faux irénisme » dans les relations avec les chrétiens séparés. La comparaison entre la relation finale du 24 octobre 2015 et l’instrumentum laboris de 2014 (je ne parle pas de l’Instrumentum laboris de juin de 2015, mais du premier Instrumentum sur lequel planait déjà des ambiguïtés avant même que le premier synode ait eu lieu…) est assez éloquente. À tire d’exemple, la disparition d’une quelconque appréciation positive des unions homosexuelles ou d’un « cheminement pénitentiel » pour l’accès des divorcés remariés à la communion sont suffisamment révélatrices. En revanche, il y a un net refus de la théorie du genre ou une affirmation, sans ambages, d’Humanae vitae. Le « cheminement pénitentiel » s’est, au mieux, transformé en « coaching », où le prêtre peut très bien dire au divorcé dit remarié sa situation réelle, en lui faisant comprendre que s’il souhaite communier, ce sera à ces risques : l’Église vous aura prévenu et si vous communiez, vous devez en subir les conséquences (l’Église ne se substitue pas à notre relation à Dieu, mais elle nous éclaire). On ne vous empêchera pas physiquement de communier (vous pouvez vous noyer dans la foule ou aller dans une autre paroisse), mais il vous appartiendra d’en subir les conséquences étant donné que vous êtes en concubinage et que le premier mariage n’a pas été reconnu nul…

On peut se demander si, en réalité, le changement d’accent ne traduit pas le nouveau rapport de forces au niveau ecclésial : nord-sud, mais aussi est-ouest, voire atlantique-outre-atlantique.

On peut dire que Vatican II avait été marqué par une certaine prédominance intellectuelle des Eglises allemande, belge, hollandaise et française. Ces Églises rayonnaient, non seulement théologiquement, mais également au niveau missionnaire. Certains se souviennent de ces prêtres ou religieux aux noms imprononçables, finissant par « ein » ou « gue »… Sauf que ça, c’était avant. Il y a belle lurette que les missionnaires ne sont plus belges, allemands ou néérlandais. Maintenant, s’ils viennent d’Europe, ils peuvent venir de Pologne, sinon ils viennent même des territoires d’évangélisation, comme l’Afrique. Certes, il y a la légitimité de l’argent et des moyens : est-elle, pour autant, tenable à long terme? Si l’Église allemande est riche, elle n’est guère rayonnante. Va-t-on imaginer qu’elle puisse, dans les décennies à venir, continuer à peser dans les débats ecclésiaux des années à venir et les prochains synodes ? Il est peu probable qu’il en soit toujours ainsi. Au dernier synode sur la famille, il en est allé un peu différemment : d’autres forces épiscopales se sont révélées.

L’épiscopat africain a pu se faire entendre au synode 2015 et s’y est même mieux préparé (en 2014, les évêques ne s’attendaient pas au raffut synodal : en 2015, ils étaient prévenus). Outre le cardinal Sarah, la figure du cardinal Napier a marqué la salle. L’Église polonaise a tranché avec l’Église allemande, révélant, en Europe, un clivage Est-Ouest, que l’on a déjà vu dans les affaires de migrants. Quant aux Églises sud-américaines, leur trop forte dépendance théologique à l’égard d’un Occident moribond atteste qu’elles sont moins rayonnantes nonobstant le fait qu’elles soient situées dans l’hémisphère sud… Enfin, les pays de vieille Chrétienté que sont la France, le Royaume-Uni et la Belgique ont pu être secoués par l’épiscopat américain, dont certaines figures (le cardinal Dolan ou Mgr Chaput) ont marqué les séances synodales : un clivage entre les deux rives de l’Atlantique. Enfin, le Canada a révélé sa faiblesse et surtout le fait de ne pas être sorti de la « Révolution tranquille » qui eut lieu, au Québec, dans les années 1960 : on a pu assister à un contraste entre l’épiscopat américain et l’épiscopat canadien. Pourtant, l’épiscopat américain semblait sinistré dans les années 1980 et Jean-Paul II dut affronter une Église délabrée. Or, à partir du débat des années 2000, on constate un relèvement dans l’Eglise américaine : preuve que la crise d’une Église peut parfaitement être surmontée.

Au concile Vatican II, un évêque africain, Mgr Zoa, avait l’impression d’assister à des querelles entre européens. Au synode de 2015, on peut se demander si la véritable marque de l’actuel pontificat n’aura pas été un déplacement flagrant du balancier en direction de pays plus rayonnants. C’est peut-être l’aspect le moins relevé qui pèsera le plus lorsque les historiens se pencheront sur ces années houleuses. La désoccidentalisation de l’Église est peut-être un aspect encore passé sous silence, mais on ne voit pas comment les décennies à venir ne pourraient pas en être marquées. Et si la véritable révolution du processus synodal avait été la perte du poids de l’Église occidentale au profit des forces vives et rayonnantes ? C’est aussi en termes de géopolitique ecclésiale qu’il faut raisonner par-delà l’accouchement de certains textes et de leurs querelles d’interprétations.

mercredi 14 octobre 2015

Patries : le plus important c'est le pluriel

Cheyenne Marie Carron continue son bonhomme de chemin avec le même naturel d'un film l'autre. Dans son dernier Opus, Patries, elle pose un regard tellement juste sur le sujet tabou des réfugiés et migrants qu'elle parvient à dire en images tout ce qu'elle pense, sans jamais forcer la note ni tomber dans une quelconque forme de répétition idéologique d'un discours standard. Avec elle, il n'y a pas de standard, il y a des gens, qu'elle regarde vivre, et puis il y a ce don qui est le sien de sympathiser profondément avec tous ses personnages.

On souffre tellement en France (je ne veux pas citer de noms, il y en a trop) de ce cinéma autocentré, à travers lequel on fait passer un ressenti pour une pensée, où un couple est toujours le centre du monde et dans lesquels, au fond, on ne VOIT littéralement  personne, et dans le meilleur des cas une bande de copains complices et tous les mêmes (Barbecue). Allez : Amélie Poulain me semble le type de ce cinéma autocentré. Ou Les Choristes si rétro, ou Bienvenu chez les Chtis (c'est le nord plein de poncifs comme vous ne le verrez plus). Et quand on nous montre la France d'aujourd'hui, dans sa diversité, c'est en grossissant le trait comme dans Intouchable, ce film paternaliste qui a dû faire vingt millions d'entrées, en reprenant  les souvenirs de M. Pozzo di Borgo (dont par ailleurs le courage est remarquable). C'est tellement rassurant de montrer que les vieux rapports de classe, au fond, n'ont pas changé la face du monde, et que les riches de toutes les couleurs continuent de faire preuve d'une espèce de bonté protectrice, qui les montre tellement supérieurs au reste du monde (voir Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu ? 12 millions d'entrées : bobos de tous les pays mariez-vous). Bref : que de la mythologie bien pensante (au sens où Libération s'est proclamé en Une un journal de bien pensants il y a trois jours).

Quand Cheyenne Marie Carron pénètre dans une Cité, c'est sans filet : foin des poncifs protecteurs, qui remontent à un autre âge. Au diable les mythologies française de Roland Barthes et cet imbécile "roman national", à vous tirer des larmes, avec le gentil petit immigré qui performe et le Français de souche tellement nécessairement compréhensif... Cheyenne, elle, dit à ses acteurs : venez comme vous êtes. Du reste les seconds rôles et les figurants jouent... leur propre rôle, ils ne sont pas des acteurs professionnels et souvent ne sont pas moins crédibles.

La caméra nous montre d'abord Sébastien sur son vélo... arrivant dans un pavillon de Banlieue pour y vivre. Il n'a pas d'arrière pensée mais ne peut se défendre du sentiment d'être devenu un étranger dans son propre pays. Il en rit et prend cela du bon côté en décrivant un monde idyllique plein de jeunes filles en fleurs à son père aveugle. Il va tenter de s'intégrer. Loyalement. On le voit par exemple acheter un boubou coloré. Ses efforts d'intégration seront-ils payés de retour ?

En tout cas, il devient ami avec Pierre, un Camerounais qui cherche à s'en sortir et qui l'introduit dans le monde très fermé des jeunes de la Cité. La deuxième partie du film se focalise sur Pierre, sa vaine recherche d'emploi, très vite sa brouille avec Sébastien et puis son isolement par rapport à sa famille, à sa mère, une femme courageuse qui a voulu le meilleur, qui a voulu la France pour ses enfants mais qui en même temps donne à ses enfants un vrai enracinement dans leur culture d'origine. On assiste par exemple à une première communion (ou à la petite fête qui va avec) avec chant de l'hymne du Cameroun : extraordinaire ! C'est une véritable nostalgie qui point le coeur de Pierre, guidé par ses conversations avec Sébastien. Il veut connaître son pays d'origine, il fera tout pour revenir au Pays en y apportant son savoir faire. C'est là-bas qu'il veut réussir !

Cheyenne Marie Carron traite ici le thème brûlant de la remigration, c'est-à-dire du retour de ces "réfugiés" ou de ces migrants dans leur pays d'origine. Elle le fait avec une grande délicatesse, montrant les positions différentes de chacun par rapport à ce "retour" possible. Elle exalte l'importance de l'enracinement, insiste sur le fait que l'on ne s'enracine pas n'importe où, que la terre nous tient toujours au coeur ou plutôt "à la semelle de nos soulier" comme disait Péguy et cela même quand on s'en est éloigné. Elle souligne que chacun a droit à sa patrie et qu'une patrie - la terre des pères - cela ne se décrète pas, mais cela se découvre.

Ce qui est admirable dans ce cinéma, c'est qu'il se passe avec les personnages mis en scène un peu ce qui se passe dans un vrai roman : c'est eux qui dirigent la caméra,  c'est eux qui font l'histoire. Trop souvent un film est un produit préparé à l'avance dans lequel on voit évoluer des personnages préfabriqués pour les besoins du scénario, chacun selon le code génétique retenu au départ par le réalisateur. Le cinéma de Cheyenne Carron est beaucoup plus proche de la vie, ce sont les personnages qui le font, comme s'ils vivaient, sous l'oeil de la caméra une sorte d'expérience de vie. Le cinéma devient une sorte de laboratoire de la vie réelle, où toutes les réactions chimiques sont possibles. Bref c'est le contraire du cinéma de moralisation ou d'édification que l'on nous propose trop souvent (en particulier quand on en vient à toucher au problème de la diversité).

vendredi 2 octobre 2015

L'Eglise et les migrants. Trois lignes de fracture

Je vous propose ici un résumé de la conférence que j'ai donnée au Centre Saint Paul mardi dernier sur l'Eglise et les migrants ou plutôt sur L'amour la politique et les migrants. Il me paraît intéressant de retenir trois conclusions montrant trois lignes de fractures entre l'enseignement de l'Eglise pérenne et l'enseignement d'un Eglise qui se veut en avance sur le troisième Millénaire.

L'Eglise s'est intéressé très tôt aux migrants. Elle a instauré chaque année une Journée des migrants. La première a eu lieu en 1914 sous Benoît XV. Il s'agissait déjà de protéger les arméniens chrétiens (mais non membres de l'Eglise catholique) des exactions islamistes. Plus tard en 1952, Pie XII promulgue une Exhortation apostolique importante Exsul Familia Nazarethana. La sainte Famille (fuyant les massacres d'Hérode à Bethléem et partant en Egypte) a été mise en position de migration, pour des raisons clairement politiques. Le statut du migrant (qu'il soit ou non un réfugié politique) est donc mis en valeur dès les premières pages de l'Evangile de Matthieu, affirme Pie XII, qui voit dans la fuite en Egypte "le type" de toutes les migrations. Ces migrations selon lui, lorsque elles se produisent sont un mal nécessaire qui doit être traité avec charité et aussi avec justice, car la justice générale nous explique que les biens terrestre ont été créés pour tous les hommes et qu'il ne serait pas juste que certains ne puissent absolument pas y avoir accès, même si l'inégalité des richesses est constitutive de chaque société humaine. La doctrine de Pie XII, sur ce point comme sur beaucoup d'autres, est à la fois ouverte et conforme à l'enseignement scolastique traditionnel.

Sous Paul VI, le ton change. Son Motu proprio Migratorum cura est devenu lyrique : "De cette mobilité des peuples découle une nouvelle et plus vaste poussée vers l'unification de tous et l'unité de l'univers entier. Les migrations en effet favorisent et promeuvent la connaissance réciproque et confirment clairement ce rapport de fraternité entre les peuples dans lequel les deux parties donnent et reçoivent à la fois". Les migrations, pour Paul VI, constituent un phénomène positif et à encourager. Pourquoi ? Elles amènent l'humanité à toujours plus d'unité. On retrouve le thème de Lumen gentium 1 : "L'Eglise est le signe et le moyen de l'union de l'homme avec Dieu et de l'unité du genre humain". J'avoue que ce thème de l'unité politique du genre humain comme objet de la quête de l'Eglise dans l'histoire m'a toujours laissé rêveur. Depuis le péché originel, l'homme sorti des mains de Dieu à partir d'un couple unique dit la Bible, donc dans une parfaite unité, peut-il retrouver cette unité malgré le péché ? L'unité spirituelle du genre humain est un thème maçonnique que l'on trouve déjà dans les Constitutions d'Anderson. J'aimerais être sûr que ce soit un thème chrétien.

La première ligne de partage est claire : d'un côté, les migrants ont été obligés de migrer. Ils ont besoin de la charité des fidèles (avec de bons aumôniers ajoute Pie XII) ; de l'autre, estime Paul VI, les migrations sont un bien qui nous approchent tous ensemble d'un accomplissement historique : l'unité du genre humain. Première ligne de fracture dans l'enseignement de l'Eglise.

Ne peut-on pas objecter que l'Eglise est "universelle" (catholique) que cela est affirmé dans la Lettre aux Smyrniotes d'Ignace d'Antioche (fin du Premier siècle) et que par conséquent cette Eglise doit être un jour absolument une ?

J'aime bien un texte du pape François dans la Lettre pour la Journée des migrants en 2015 : "L'Eglise mère de tous, sans frontières diffuse diffuse dans le monde la culture de l'accueil et de la solidarité, selon laquelle personne ne doit être considéré comme inutile ou encombrant ou à rejeter"

Quelle est l'universalité de l'Eglise ? C'est une universalité qui n'est pas univoque (comme si tous devaient absolument se trouver à l'intérieur du bateau) mais analogique, c'est-à-dire, selon Aristote, constituée d'une universalité de sujets libres. Il y a deux modèles d'universalité politique : l'universalité qui vient de l'extérieur, des jeux de la mode et de l'autocensure, du Marché et de la standardisation, que l'on peut appeler le cosmopolitisme, un mot qui nous vient de l'Antiquité et qui correspond, nous y reviendrons, aux descriptions de l'Apocalypse. Il y a un autre modèle qui respecte la liberté de chacun et ne naît pas de passions communes, de désirs communs ou de je ne sais quelle spirale mimétique (celle des modes vestimentaires, de la correctness et du conformisme intellectuel). Cette universalité analogique et catholique est libre : elle vient non du jeu des passions et du polissage social mais de l'intérieur de chacun, de l'Esprit qui "éclaire tout homme venant en ce monde".

Chacun reçoit cette lumière à l'intime de lui-même et l'Eglise a un rôle normatif, essentiellement normatif par rapport à cette réception. Elle est seule apte à proposer la loi de la foi. Aucun Etat, aucun groupe, aucun gourou n'a le droit de se prévaloir de ce rôle que le Christ a confié depuis toujours à son Epouse mystique l'Eglise. Ainsi explique-t-on l'universalité d'un Appel dont l'Eglise a pris la charge mais qui résonne d'abord à l'intérieur de chacun. Cet appel n'est pas cosmopolite parce qu'il ne se réalise dans aucune société totalisante. Il est essentiellement respectueux de la liberté de celui qui l'a entendu. L'Eglise est universelle mais elle exerce cette universalité à l'inverse du cosmopolitisme socio-politique, en révélant à chacun sa liberté de croire.

Dans la Bible on découvre ces deux modèles : l'universalité cosmopolite est celle de Babel. On la retrouve dans l'Apocalypse où grâce à la bête de la terre (idéologique) et à la bête de la mer (puissance), l'humanité réalise son unité dans le giron de la grande Prostituée de Babylone. Les analyses d'Heinrich Schlier sont très convaincantes sur ce point.J'ajoute que le chiffre de la Bête est tatoué sur la peau, parce que cette unité est extrinsèque (pour les métaphysiciens égarés sur ce Blog, je dirai que cela participe d'une diabolique analogie d'attribution extrinsèque).

L'universalité catholique est celle qui se manifeste à la Pentecôte, où "chacun entend les apôtres s'exprimer dans sa propre langue, Parthes, Mèdes, Elamites, habitants de la Judée, de la Mésopotamie de la Cappadoce etc" C'est la première inculturation. L'Esprit saint respecte tellement les personnes qu'il parle leur langue (et non le grec globish et cosmopolite qu'on aurait pu imaginer à l'époque). Et de même que l'Esprit saint respecte les personnes et s'adresse à chacun dans sa propre langue, de même il respecte les nations : "Allez enseignez toutes les nations..." dit Jésus à la fin de l'Evangile de saint Matthieu. Depuis Babel, soulignera Origène dans son Contre Celse, chaque nation constituée par la confusion des langues, a été munie, par la miséricorde de Dieu, de son ange, qui représente un peu sa personnalité mystique ou sa destinée salutaire.

C'est la deuxième ligne de fracture qui peut permettre d'opposer enseignement à enseignement : analogie de proportionnalité qui se constitue à partir des sujets libres ou analogie d'attribution extrinsèque, qui se réalise a posteriori par la fausse force d'un Discours unificateur et donc idéologique. Pour faire encore plus simple : c'est Babel [le discours idéologique] ou la Pentecôte [le Verbe dont l'incarnation continue dans chaque être humain s'il le veut].

Il y a une troisième ligne de fracture entre les discours, celle qui porte non sur la raison de l'universel mais sur la politique elle-même : faut-il admettre le multiculturalisme comme un fait acquis en Europe (ce que pensent tous ceux qui houspillent Nadine Morano en ce moment) ? Ou bien faut-il admettre que non seulement les peuples mais les nations, munies de leurs anges gardiens, ont de beaux jours devant elles ?

Pour répondre à ce dilemme, il faut savoir si l'amour a encore une puissance sociale, si l'amour est encore le creuset de la société politique à travers (au choix) le Pacte de Reims ou le Contrat de Jean-Jacques (personnellement mon choix est fait) ? Dans la société multiculturelle, on n'est pas défini comme citoyen par l'amour que l'on porte au bien commun, mais par son origine ethnique. L'amour n'est pas nié pour autant dans le multiculturalisme (une telle négation est impossible, elle serait inhumaine) mais au lieu d'être le creuset de la société, l'amour se réfugie dans chaque communauté et règne uniquement (ou disons : préférentiellement) entre les membres d'une ethnie, voire de ce que MichelMaffesoli a appelé avec éclat une tribu (la tribu existe selon la musique que l'on écoute le sport que l'on pratique comme supporter ou les vêtements que l'on porte et qui nous identifie). Pauvre amour devenu tribal quand la société a oublié son origine chrétienne ! 

Personnellement je ne crois pas au racisme engendré mécaniquement par le multiculturalisme, mais à une unité nationale qui se construit activement comme un amour commun à tous et qui unit chacun avec son prochain, dans une solidarité qui ne peut naître que de l'existence de frontières. En fera-t-on l'économie ? Verra-t-on la naissance d'un monde où les "peuples" auraient définitivement remplacé les "nations" et où la race et le racisme seraient les catégories fondamentales (même si elle est non-dite, surtout quand elle est non-dite) de toute analyse sociale ? Je crois que la France est assez bien placée parmi les nations pour garder l'ambition chrétienne qui l'a fait naître : l'idée que loin d'être un bobo égocentrique, chacun se doit, dans son domaine, comme commerçant, comme intellectuel, comme balayeur etc. de se mettre au service de tous...

mercredi 30 septembre 2015

Synode : il faut écouter le pape

Beaucoup se demandent de quoi sera fait le prochain Synode sur la famille. Dans l'avion qui le ramenait des Etats-unis, le pape, répondant à Jean-Marie Guénois, journaliste religieux au Figaro, a invité les fidèles à se référer à l'Instrumentum laboris, paru depuis le 20 juin dernier. Cet "instrument de travail" propose en effet comme un sommaire des questions qui seront discutées au Synode et indique déjà de quelle manière elles pourront trouver une solution. La Croix a fait paraître sa propre traduction du n°123 de l'Instrumentum laboris, faisant le point sur l’épineuse question des divorcés remariés. Je la cite. 

On y distingue comme deux camps : « Les uns suggère un parcours de prise de conscience de l’échec et des blessures qu’il a produites, avec repentance, une éventuelle vérification de nullité de mariage, un engagement à la communion spirituelle et la décision de vivre dans la continence. D’autres par voie pénitentielle, entendent un processus de clarification et de nouvelle orientation, après l’échec vécu, accompagné d’un prêtre ainsi délégué. Ce processus devrait conduire l’intéressé à un jugement honnête sur sa propre condition, sur laquelle le prêtre puisse aussi mûrir son évaluation, afin de faire usage de son pouvoir de lier ou de dissoudre, selon la situation ».

La première position apparaît déjà comme caricaturale, puisque l’on ne dit rien de l’accélération (nécessaire) des procédures de nullité et que l’on ne précise pas que « la décision de vivre dans la continence » permet aux époux séparés de recevoir la communion sacramentelle.

L’exposé de la deuxième position n’est pas beaucoup plus clair. L'Instrumentum insiste sur « une évaluation du prêtre », qui du coup « pourra faire usage de son pouvoir de lier ou de dissoudre ». Quel pouvoir ? Qu’on dise, comme les orthodoxes,  que l’évêque, successeur des apôtres, a le pouvoir de lier ou de délier (cf. Matth. 18, 18), passe encore ! Mais que l’on confère ce pouvoir au simple prêtre, qui aura pu « évaluer » son client… C’est dérisoire ! 

Evidemment les tenants d'une évolution nette de la pastorale du mariage diront très haut : je ne touche pas à la Loi du mariage, elle reste intangible, elle sera toujours enseignée à ceux qui veulent se marier. Mais en faisant appel au simple prêtre délégué, on donnera un droit à l’exception et, tout en paraissant ne pas y toucher, on videra la règle de sa signification… Là encore, cela se fera au mépris de ces laïcs chrétiens qui se sont efforcés quoi qu’il en coûte de vivre leur foi dans le cadre de la discipline traditionnelle de l’Eglise, issue directement et sans faux col de la Parole du Christ.

On avait beaucoup dit que la réaction forte des cardinaux conservateurs allait épargner à l’Eglise de nouveaux déchirements lors du deuxième synode sur la famille en octobre prochain. La publication précise de l’Instrumentum laboris indique tout le contraire. Ecoutez le pape et lisez-le !

(Une première version de cet article est parue dans le numéro d'été de Monde et Vie. Je n'ai malheureusement pas eu besoin de beaucoup le modifier ici)

vendredi 25 septembre 2015

Réponse à ma nièce sur Mgr Vesco et sur les divorcés remariés

Mgr Vesco évêque d'Oran s'est fait remarquer pour des positions très en pointe sur l'accueil sacramentel des divorcés remariés. Il vient de publier un petit livre sur le sujet aux éditions du Cerf, intitulé Tout amour véritable est indissoluble. J'avoue que je n'avais pas particulièrement travaillé cette question du synode. Mais ma chère nièce (elles sont toutes mes chères nièces) me demande via FB ce que je pense des thèses de cet évêque. Une occasion de réfléchir et d'essayer de parler vrai sur un sujet très passionnel. Je lui ai donc envoyé une réponse et je me suis dit que les lecteurs de ce Blog pourraient peut-être s'intéresser à la teneur de cette réponse et entrer en débat sur ce sujet comme le souhaite notre cher pape.

Le titre tout d'abord : malgré une indéniable charge affective, il m'évoque les propositions de logique formelle et les syllogismes en BARBARA, CELARENT, DARII, FERIO et BARALIPTON... Tout amour vrai est indissoluble. Or il s'est dissout. Donc il n'était pas vrai... Je crois que c'est dans ce cas de figure que veut nous emmener l'évêque d'Oran... Mais il y a une autre inférence, qui n'est pas un syllogisme : Tout amour vrai est indissoluble. Un amour vrai ne peut donc pas être dissout...

Mais qu'est-ce qui fait qu'un amour est "vrai" ? Le ressenti ? Quand on pense que Caroline de Monaco a fait annuler son mariage à Rome (le fac simile du verdict est paru dans Match à l'époque) parce qu'au moment du consentement elle souffrait d'"un complexe érotico-émotif" (comprenez : elle était vraiment amoureuse... et donc dépendante... Et donc aveugle...). Difficile de SAVOIR ce qu'est un amour vrai dans la mesure où par définition la passion amoureuse brouille toute objectivité.

J'aurais tendance à me répondre à moi même sur ce point : il n'y a que deux solutions pour être sûr d'être dans l'amour vrai avant que la passion (forcément égotique, jalouse, propriétaire, inquiète et j'en passe) ne s'en mêle : le coup de foudre d'une part, qui dévoile une mystérieuse affinité, sans qu'aucune forme d'intérêt n'ait eu le temps de brouiller le jugement. Et la lente reconnaissance mutuelle d'autre part (très belle description de cette lente évidence de l'amour dans Il était une ville de Thomas B Reverdy). "Mon amour, c'est mon poids, mon inclination" disait Augustin... Il est normal d'en prendre conscience petit à petit.

Mais avouons-le, tout cela reste encore très subjectif. Il y a donc ceux qui pensent, comme Denis de Rougemont dans ce livre sublime qu'est L'amour et l'Occident (en particulier en sa septième partie) que la vérité de l'amour est encore plus importante que l'amour. Je veux dire que l'authenticité des circonstances de l'engagement mutuel est plus importante que la loterie à laquelle il a été donné à chaque époux de participer. C'est que l'amour n'est pas seulement un état d'âme, c'est aussi une institution dans laquelle il faut prendre en considération non seulement le couple mais les enfants. Le véritable choix amoureux est donc irréversible, quelles que soient les traductions sentimentales (parfois très approximatives, bourrées de contre-sens) auxquelles il a pu donner lieu au cours de toute une vie. Cet amour-là seul est inconditionnel : il ignore les conditions - auxquelles il est soumis pourtant. Il est nécessairement unique (ce qui ne veut pas dire qu'il ne peut pas y en avoir deux dans une vie, ils resteront uniques profondément différents l'un de l'autre...) Vous en avez un magnifique exemple (non chrétien) dans Ma nuit chez Maud d'Eric Rohmer (film disponible sur you tube).

Je crois que ceux qui se marient à l'Eglise aujourd'hui comprennent parfaitement cela. C'est ce caractère inconditionnel qu'ils viennent chercher en Dieu, au pied de son autel. Il y a eu autrefois beaucoup de "mariage à l'Eglise" reposant sur un défaut de foi et une volonté de reprendre simplement des coutumes familiales. Ce n'est plus vrai aujourd'hui. Même les non-chrétiens ou les moins chrétiens qui demandent un mariage à l'Eglise le font avec - au moins - cette foi dans leur amour qui le rend inconditionnel. Le temps peut abîmer tout cela. Assueta villescunt. Mais il y aura toujours le ressort de l'unicité, qui, à moins d'un accident l'emportera. Les incompréhensions peuvent obscurcir le moment de l'engagement : il faut tout faire pour en sortir.

Maintenant, il y a encore tous ceux qui vous disent : je ne le connaissais pas, je la découvre, c'est insupportable, invivable. En principe les grâces du mariage sont là pour aider les conjoints à faire ce genre de découvertes, qui du pervers narcissique, qui du sauteur, qui du maniaque etc. Encore l'Eglise accepte-t-elle pour déclarer nul de plein droit un mariage contracté devant son ministre, de reconnaître un critère d'immaturité au moment du consentement (voilà qui doit expliquer le cas de Caroline que nous évoquions en commençant). Le pape François vient de permettre que dans les cas évidents de nullité, l'évêque du lieu puisse en 45 jours rendre une reconnaissance de nullité. C'est appréciable ! Souhaitons qu'un certain nombre d'évêques apprennent ainsi à prendre leurs responsabilités de pasteurs

Reste-t-il encore des cas que la loi ecclésiastique n'aurait pas prévu et qui peuvent souffrir (allez même injustement) de la discipline ecclésiastique. C'est fatal. Platon l'expliquait déjà : une loi, aussi précise soit-elle, ne peut jamais tout prévoir. Il suffit pour que la loi soit juste qu'elle s'applique ut in pluribus dirait Thomas d'Aquin, dans la plupart des cas.

C'est en ce point qu'intervient, péremptoire, Mgr d'Oran. Je n'ai pas lu son livre, mais dans un entretien  avec Céline Hoyeau (qui fait bien son boulot), il exprime assez clairement son état d'esprit. Ce qu'il veut dire ? Il faut adapter la loi aux personnes. "Une doctrine vraie, dit Mgr Vesco, ne peut pas entrer en contradiction avec la vérité des personnes". Doctrine ? En l'occurrence, il s'agit d'une loi... Et, encore une fois Platon le disait déjà, une loi vraie, parce qu'elle est universelle, eput entrer en collision avec la vérité de telle personne, dont les spécificités n'auront pas été prévues.

Il n'y a qu'un cas où la loi et la vérité des personnes n'entrent jamais en collision, c'est lorsque c'est Dieu qui juge. Le Jugement de l'âme devant Dieu dont parle l'évêque, jugement que la théologie appelle le jugement particulier, est un jugement dans lequel "la vérité de la personne" ne saurait s'opposer à la sentence portée par Dieu notre Juge. 

Mais l'Eglise est aussi une société humaine. Elle a une loi pour les hommes qu'elle a le devoir de faire respecter. La vérité de la personne ? La personne elle-même ne la connaîtra vraiment ("connais toi toi-même") que devant Dieu Se prévaloir d'une vérité qui est seulement un ressenti dans l'instant, ce n'est pas suffisant ! Non seulement ce n'est pas suffisant, mais c'est dangereux. Si on prend Vesco à la lettre, on fait TOUT sauter. Il n'y a plus de loi, il n'y a que "la vérité de la personne" dans toutes ses ambiguïtés. 

La discipline de l'Eglise romaine n'est pas suffisante pour faire face aux cas particuliers ? C'est vrai, mais alors qu'au moins les évêques prennent leurs responsabilité et au nom du 'Tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans les cieux" qu'ils prononcent eux-mêmes un divorce chrétien (comme le font les évêques grecs dans certains cas exceptionnels depuis des siècles), cette pastorale de l'exception (ou de la miséricorde) sera moins nocive que cette destruction de toute loi au nom de "la vérité de la personne". Autre chose est de dire : une loi a ses exceptions soigneusement notées par un juge qualifié... comme le font les Grecs... et autre chose de dire comme Vesco : il n'y a pas de loi qui tienne face à la vérité de la personne. Là on est carrément dans le refus de la loi... Dans l'anomie plus que dans l'anarchie. Mais l'Eglise peut-elle renoncer à être le temple des définitions du devoir ?

lundi 21 septembre 2015

Quelques conseils pour la Rentrée littéraire

Je n’ai pas tout lu, non pas encore. Mais je puis vous donner ma sélection, qui n’a pas grand chose à voir avec celle du Goncourt. Des livres à lire. Des livres qui racontent notre monde et le voient sous une lumière que nous n’avions pas forcément saisie, qui ne nous avait pas nécessairement impressionnés. 
Je proposerais d’abord le livre de Thomas B Reverdy, Il était une ville (éd. Flammarion). Cette ville c’est la grande capitale de l’automobile américaine, le symbole mondial du fordisme et de la révolution industrielle au XXème siècle : Detroit. Aujourd’hui, des quartiers entiers sont devenus autant de friches industrielles où s’ébattent bandes et gangs. Une image de cette catastrophe mondiale, le néo-libéralisme. Mais l’amour fleurit sous les décombres, un amour délicatement évoqué, comme un poids qui incline ceux qui se le portent… Et voici une phrase de Reverdy… sur la communion des saints : « Georgia prie souvent sainte Rita et Marie aussi ; elle est catholique, c’est une religion où l’on peut s’adresser à des gens, de vraies gens comme elle, qui ont vécu et souffert, c’est important pour Georgia : elle ne saurait pas quoi dire à Dieu… » 

Deuxième recommandation qui n’est pas un deuxième choix : c’est du grand ! Sorj Chalandon travaille au Canard enchaîné, mais son livre, Profession du père (éd. Grasset), ne fait pas dans l’humour. C’est une bombe d’émotion. Le père ? Il est sans profession mais il prend toute la place : « - C’est la guerre ! Mon père a claqué la porte d’entrée. Il a crié ces mots sans enlever son manteau. Il a répété « la guerre » sur le seuil de chaque pièce. Le salon, la salle à manger. Nous étions dans la cuisine, ma mère et moi. - C’est la guerre. Mon père, immense, occupant tout le chambranle. J’épluchais trois carottes, ma mère préparait un poireau. - Qu’est-ce que tu racontes ? Il l’a regardée, sourcils froncés. Ma mère et ses légumes. Il était mécontent. Il annonçait la guerre, et nous n’avions qu’une pauvre soupe à dire. » Le vrai sujet du livre, on l’aura compris, n’est pas cette guerre annoncée (pour l’Algérie française), mais la tyrannie d’un père fou auquel Sorj Chalandon a sûrement donné quelques traits du sien qui communique sa folie à ceux qui l’aiment. La mère en devient autiste à force de soumission… Et le fils aurait pu finir comme un petit fou, à force de ne jamais rire de rien. Un roman sur la folie où il n’y a pas un mot de trop. 

Troisième proposition : L’inconstance des démons (Robert Laffont) par Eugène Green, un livre qui touche au sublime, c’est-à-dire à la foi, par le « détour » du mal… Il s’agit d’un polar métaphysique qui a pour cadre le Pays basque, un pays où les sorcières des temps jadis sont toujours là, avec boucs et balais, car nul ne pense plus à les brûler. Un pays qui vit de la bienveillance de Mari, la déesse Mère que le christianisme n’a jamais vraiment voulu éradiquer, un pays aussi dans lequel on va rencontrer l’esprit du mal, car, pour Eugène Green, penseur baroque de la dualité, le bien lui-même ne trouve tout son prix et ne découvre sa paisible constance que lorsqu’il est mis en face de l’inconstance des démons. Satan dans les Lettres ? C’est un grand classique, que l’auteur traite ici avec cette intelligence profonde du réel qui surpasse nos monstrueuses et plates « raisons ». 

C’est tout simplement incroyable : dans La nuit de feu (Albin Michel) Eric-Emmanuel Schmitt nous fait le récit circonstancié de sa conversion. Conversion à quoi? A qui? A la foi en Dieu. Pas une demi conversion ni une demi croyance : « Je suis né deux fois, une fois à Lyon en 1960, une fois dans le Sahara en 1989 ». Ce livre est l’histoire circonstanciée de cette deuxième naissance. Imaginons au départ un improbable duo, un rédacteur (Eric Emmanuel) et un producteur débarquant à Tamanrasset pour faire un film sur Charles de Foucault, l’officier sybarite, devenu ermite dans les monts du Hoggar. Au programme du séjour une semaine de trekking dans le désert avec l’ascension du Mont Tahat, sur le toit du Sahara, à 3000 mètres d’altitude... Au retour l'agnostique prof de philo est devenu croyant. Il gère l'après : « Lorsque l’on a connu la sollicitation de l’invisible, on se débrouille avec ce cadeau. Le surprenant dans cette révélation, c’est que malgré l’évidence éprouvée, on continue d’être libre. Libre de ne pas voir ce qui s’est passé. Libre d’en produire une lecture réductrice. Libre de s’en détourner. Libre de l’oublier. Je ne me suis jamais senti si libre qu’après avoir rencontré Dieu, car je détiens encore le pouvoir de le nier. Je ne me suis jamais senti si libre qu’après avoir été manipulé par le destin, car je peux toujours me réfugier dans la superstition du hasard ». Ainsi est ce livre : franc, sans apprêt, irréfutable et pourtant absolument libre. Dieu est comme une aventure entrevue, qu’Eric-Emmanuel a accepté de vivre. 

samedi 19 septembre 2015

Qu'est-ce que la miséricorde ?

Le pape François nous offre une année jubilaire d’un nouveau genre, l’année de la Miséricorde. Occasion pour nous de réfléchir à ce que Dieu nous donne au-delà… La Miséricorde, c’est tout ce qui est au-delà… Au delà de la justice… Au-delà de nos projets et de nos revendications… Au-delà de ce que nous croyons vouloir et de ce que nous imaginons… Au-delà de ce que nous désirons…

Il y a un terrible malentendu sur la miséricorde. On en fait le fourrier du laxisme. On y voit le recours des gagne-petit et des pisse-pas-loin. On en fait un équivalent céleste du low-cost. C’est tout le contraire.

On croirait même y voir la justification d’un Dieu réputé impuissant, le Dieu sans aucune connaissance du mal cher au Père Garrigue, le Dieu qui cache son ignorance et son impuissance derrière une infinie bonasserie, sous le signe du « quand même » et qui finit par sauver tout le monde et par aimer les pires. Parce que c’est d’instinct, surtout les pires.

Erreur !

La miséricorde est intelligente. Elle a toute l’intelligence du Cœur de Dieu. Elle procède d’un cœur à cœur, le cœur de Dieu, tout contre notre cœur et sachant y faire jaillir l’ultime étincelle du bien… La miséricorde ne dit pas : « Quand même ». Elle dit : « Au moins » et elle mène à plus, toujours plus. Le Pardon, qui est le grand acte de la Miséricorde, n’est pas une manière de caler devant le mal. Celui qui pardonne passe à la vitesse supérieure. Il aime plus et il transmet son amour. Ou alors ce n’est pas la peine. Ou alors le « pardon » ressemble trop à de l’indifférence ou à de l’oubli, ces formes dérisoires, ces formes dénaturées du pardon.

La Miséricorde nous pousse à aller au-delà parce qu’elle est une Puissance de Dieu en nous, qui transforme et rectifie : « Tes péchés seraient-ils rouges comme l’écarlate, je te ferai blanc comme la neige » dit le prophète Isaïe. Il faut que nous nous mettions dans l’élan de cette puissance. Il faut que nous la laissions agir en nous, que nous nous donnions la quantité de silence nécessaire pour la sentir agir en nous… Ne méprisons pas la miséricorde comme si c’était l’alibi des minus habens. Cherchons-la, parce qu’en elle se manifeste le souffle de l’Esprit, dont nul ne sait d’où il vient ni où il va, mais que chacun peut trouver en lui-même, comme la puissance qui lui permet de se dépasser. La miséricorde ? C’est l’esprit de ce dépassement, l’esprit du sur-homme ou de la sur-femme qui dorment en nous : la miséricorde que l’on reçoit et celle que l’on donne.

Abbé G. de Tanoüarn

lundi 14 septembre 2015

Pierre Barnerias, cinéaste du surnaturel

Demain au Centre Saint Paul pour la rentrée des conférences, nous recevons à 20 H Pierre Barnérias auteur du film M et le troisième secret de Fatima. Il nous montrera des extraits de son film et répondra à toutes nos questions...

Voici ce que j'en disais sur ce Blog au moment de la sortie du film :
Cette fois pas de doute : il y a un cinéaste, Pierre Barnérias, qui a osé faire ce film sur le troisième secret. Ce n'est plus radio-bigote. Ca existe en vrai. Marc est volontaire pour aller le voir une deuxième fois, parce que, me dit-il, "je t'avoue que je n'ai pas tout compris". Rendez-vous est donc pris Rue Saint-André des arts. Deux heures. On voit à peine passer le temps au cours de ce documentaire qui nous emmène aux quatre coins de la Planète, dans une enquête un peu échevelée sur... le surnaturel chrétien, et plus précisément sur le miracle catholique. Tout y passe : les images "interdites" de la messe au cours de laquelle, Mgr Decourtray officiant, l'hostie était restée dix centimètres au dessus de la nappe d'autel pendant un quart d'heure ; les icônes qui suintent de l'huile, non seulement en Syrie mais en banlieue parisienne ; la foudre qui tombe sur le Vatican au moment de la démission de Benoît XVI. Barnerias raconte. Il accumule. A vous de juger, semble-t-il nous dire. Je me tourne vers Marc, optimiste : "D'accord à 80 % - A 60 % tu veux dire". Je ne chipoterais pas : on n'est pas à 20 % près. Je dirais même : s'il n'y avait que 10 % de dur, 10 % d'irréfutable... Cela suffirait ! Je m'abstiens pour l'instant d'expliquer cela à mon voisin : le film n'est pas fini. Ca continue, un peu genre "Des racines et des ailes" me précisera Marc. C'est vrai, c'est du gros cinéma. Mais il y a des trucs... Impossibles! 
Cette miraculée de Lourdes, d'abord, handicapée et réparée, qui ne croyait pas à son propre miracle et qui nous explique cela le plus naturellement du monde : "J'ai bien senti qu'il y avait quelque chose, mais je n'ai rien dit. J'ai eu trop peur qu'on se f... de moi. Divorcée, remariée, pourquoi moi ?" Ce miracle n'a d'ailleurs pas été reconnu par la Commission ad hoc, mais la miraculée est impressionnante. Jean-Pierre Mocky aurait dû avoir l'honnêteté de rencontrer des gens comme cela avant de faire son film idiot. 
Dans l'architecture foisonnante du film, cette femme n'est d'ailleurs qu'un exemple, une illustration devrais-je dire. Le journaliste qu'est Barnerias enquête sur le miracle de l'huile à L'Haÿ-les-roses. Ca, si j'ose dire, je connais déjà. J'ai vu, nous avons visionné il y a quelques années au Centre Saint Paul la cassette de mon ami Nicolas. Un tel miracle était arrivé dans sa famille près d'Alep. On sait ce que ce pays est devenu depuis. La Vierge demande à ces gens de ne pas avoir peur. Barnérias, huissiers à la clé, authentifie le caractère inexplicable de ce fait. 
C'est alors que notre cinéaste sans peur et sans reproche s'intéresse à Fatima. Il nous raconte la danse du soleil, devant 60.000 personnes, croyantes et incroyantes, qui ont laissé des témoignages. En fait, c'est le troisième secret qui l'intéresse : officiellement d'après le cardinal Ratzinger, à l'époque préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, ce secret consiste en la vision par les petits voyants d'un homme en blanc tué à coups de fusil. La vision est aujourd'hui publiée. Elle concerne l'attentat d'Ali Agça contre le pape Jean-Paul II en 1980, souligne le cardinal. Bref, la prophétie a eu lieu : circulez rien à voir. Barnerias ne se satisfait pas de cette explication. Il remarque d'ailleurs que lors de sa dernière visite à Fatima (visite à l'occasion de laquelle le secret avait été dévoilé), alors que le cardinal Ratzinger avait donné cette explication sensée rassurante, Jean-Paul II, lui, sur la grande esplanade du Sanctuaire, avait fait un sermon apocalyptique... Comme s'il voulait se faire l'écho, par là, du véritable message de Notre Dame. 
Qu'en est-il ? 
L'enquête devient intense. Barnérias part à Kito au Japon où le visage d'une statue de la Vierge a été marquée de taches de sang. Le Japon, nous l'avions vu au début du film, c'est le pays de Notre Dame de la bombe, cette statue mystérieusement épargnée par l'apocalypse de Nagazaki, en 1945, alors qu'elle se trouvait presque à l'épicentre du rayonnement monstrueux de la charge nucléaire. Au Japon, à Akita, la Vierge se confie à une religieuse sourde, que nous voyons au cours de ce film (pas une allumée, c'est sûr)... Et elle pleure des larmes de sang. Mais cela ne suffit pas à Barnérias. C'est à Rhode qu'il aura ce que j'appellerais sa clé de l'énigme. Une convertie, Vassula Ryden, a eu l'occasion de voir Mgr Ito, évêque de cette ville d'Akita, qui est justement le lieu des apparitions japonaises. Mgr Ito sortait de chez le cardinal Ratzinger. Il lui avait confié le secret de Notre Dame d'Akita. Le Préfet l'avait gardé pendant une nuit. Il lui avait rendu le lendemain sans commentaire : "Eminence, vous voulez envoyer un enquêteur sur place pour que l'Eglise se prononce sur les apparitions - Je n'ai pas besoin d'enquêteur. Ce secret correspond parfois mot à mot au secret de Fatima". Il s'agit donc bien d'événements terribles qui vont toucher l'humanité et d'une crise de la foi qui est sans précédent. 
La cause semble jugée. Le cardinal Ratzinger a cru devoir finasser à propos du secret, mais il ne croit pas lui-même à la version qu'il a rendue publique. Cette réserve permettait sans doute de ne pas effrayer les populations et de ne pas démoraliser ce qui reste de l'Eglise. 
Dans son film, Barnerias ne fait pas d'explication de texte. Il montre. Et il nous laisse conclure. 
Personnellement, j'avais publié dans la lettre Pacte, il y a douze ans une analyse du troisième secret tel qu'il avait été révélé par le cardinal Ratzinger. Pour moi, il est authentique. La vision est authentique. Mais "on" a enlevé le commentaire de cette vision, pour pouvoir, en toute tranquillité identifier l'homme en blanc du texte que nous possédons avec le pape Jean-Paul II en invoquant l'attentat de 1980. Oui, cette vision est probablement authentique, elle est rédigée de la main de Soeur lucie. Mais elle est incomplète. Que signifie cet homme en blanc qui défaille? Est-ce en sa vie qu'il est menacé ou dans sa fonction : il nous aurait fallu le texte. Dans les trois secrets, à chaque fois, il y a d'abord une vision, puis un commentaire. Le commentaire du dernier secret manque. Il est très probable que ce commentaire commençait par ces mots du dernier mémoire, qui ont comme échappé à Soeur Lucie : "Au Portugal se conservera le dogme de la foi". Mais ailleurs? Le dogme de la foi... Qui peut comprendre, comprenne.
Un  beau débat en perspective au CSP demain.