samedi 31 janvier 2015

La Chandeleur : cette lumière qui brille à l'intérieur

Qu'elle est belle et qu'elle est complexe en même temps cette fête du 2 février, notre Chandeleur... Fête de la lumière (chandeleur vient de chandelle) et fête des crêpes (où, en prévision du Carême qui se profile au loin, on prend le droit de faire une agréable petite orgie), fête de la légèreté spirituelle et de l'Esprit saint qui guide l'Ancien Grand prêtre Siméon jusqu'à l'Enfant, fête de la loi juive dans toutes ses complications car c'est pour obéir à la loi de Moïse que Marie et Joseph sont montés dans le Temple. Quel réconfort pour la Vierge Marie, cette présence amie de deux personnes proches de Dieu, un homme, Siméon, et une femme, Anne. Mais quelle inquiétude aussi devant cette prophétie du signe de contradiction et du glaive de douleur qui doit transpercer l'âme de Marie.

Cette dualité, qui n'est jamais duplice, voilà le trait du christianisme, qui a toujours égard et au vieux monde et au monde nouveau et qui n'imagine pas un seul instant qu'il soit donné sur la terre le pouvoir de remplacer l'un par l'autre. La lumière qu'aperçoit Siméon, "lumière pour le dévoilement des nations" - on pourrait dire : lumière pour révéler enfin les nations à  elles-mêmes et pour leur faire apparaître ainsi la gloire d'Israël, le frère aîné -, c'est une lumière dont nous nous saisissons tous. Durant la cérémonie de remise des cierges, nous chantons et rechantons : "lumière pour le dévoilement des nation et gloire de ton peuple Israël". Lumen ad revelationem genttium et gloriam plebis tuae Israël. Cette lumière brille sur le vieux monde et elle annonce le monde nouveau "où il n'y aura plus de deuils ni de larmes" comme dit l'Apocalypse. Elle correspond à la fois au dévoilement du vieux monde qui apparaît tel qu'en lui-même dans toute sa pourriture (c'est le sens d'apokalupsis en grec) et elle manifeste une vérité transcendante, une étoile comme aurait dit les Mages à l'Epiphanie, une "révélation" dit le latin, si proche et si différent du grec en cette circonstance.

Il y a toujours dans l'économie du Salut un double mouvement, d'abord celui de l'apokalupsis, du dévoilement, de la manifestation de la puissance du mal dans le monde. N'est-ce pas le thème du livre de l'Apocalypse, justement, culminant en son chapitre 13, que de dévoiler la Bête de la terre et la Bête de la Mer, procédant du Dragon, l'Antique serpent, comme s'ils formaient une Triade maléfique, face à la Trinité béatifique ?

Peut-on connaître la lumière, si l'on n'a pas observé la nuit. Peut-on découvrir la lumière si l'on n'a pas été un veilleur dans la nuit ? Custos quid de nocte. Ce que l'on appelle la nuit ou le vieux monde, ici, en ce jour de la présentation au Temple et de la Purification de Marie, c'est l'agitation de la Capitale, Jérusalem ; c'est le trafic des changeurs (on nous rappelle le prix d'une paire de tourterelles) avant que Jésus ne viennent chasser les marchands du Temple... Mais ce sera pour plus tard.

Pour l'instant, en tout cas, dans cet instant plénier et hors du temps, sans avant ni après, que nous fait vivre la liturgie, la question nous est posée, et c'est pour cela que nous avons un cierge allumé à la main : Veilleur qu'en est-il de ta nuit ?

Chaque homme est dans sa nuit et il s'entend poser cette question... Veilleur, qu'en est-il de ta nuit ?  Il ne faut pas avoir peur de la nuit. Nous sommes des oiseaux de nuit, les uns et les autres. Le plein jour de Dieu nous aveugle ou nous fait peur. Sa grâce seule nous sauve et nous rend capables de regarder sa lumière. Nous ne pouvons voir cette lumière, qui brille dans des ténèbres qui ne la reçoivent pas, que quand elle point dans une nuit qui est notre nuit... Nous ne pouvons voir sa lumière que quand notre nuit est dévoilée : apokalupsis... Nous ne pouvons voir la lumière que quand notre liberté se manifeste, comme la promesse d'un autre jour. Quel est ton désir ?

En même temps que cette lumière de la chandeleur point dans notre nuit dont elle dévoile l'obscurité, elle éclaire notre esprit qu'elle libère. Sa révélation (au sens plénier du mot latin revelatio qui traduit le grec apokalupsis), sa manifestation (épiphania) fait naître en nous un esprit nouveau, un souffle, un élan, une évidence. Et là nous sommes sur l'autre versant de l'apocalupsis ; sa deuxième signification est plus sensible peut-être dans le mot latin : revelatio. Chacun d'entre nous, nous avons une lumière intérieure, il ne dépend que de nous qu'elle s'allume en ce jour de la chandeleur, nous faisant renaître, et nous permettant de nous réestimer nous-mêmes pour ce que nous sommes, dans la vibrante image de ce Christ encore enfant, qui, présenté au Temple, dira bientôt : "Je suis le Temple" ; "Je suis la Présence" ou simplement : Je suis. "Avant qu'Abraham fut, je suis".

Cet Enfant osera dire : "Si vous ne croyez pas que Je suis, vous périrez tous" Nous ne pouvons, à notre tour, chacun et chacune, dire "Je suis" que dans sa Lumière Sans ce premier Je suis, nous ne sommes pas des Je, mais de simple "Moi" des gros "Môas". Nous nous paralysons nous-mêmes, nous nous objectivons nous-mêmes, nous nous adorons nous-mêmes. Sans Lui, nous sommes des Moi et pas des Je...

Un autre que cet Enfant aurait pu dire justement : "Si vous ne croyez pas en moa", mais cet Enfant, et lui seul, nous fait entendre autre chose : Si vous ne croyez pas que Je suis... vous périrez". Jésus ne nous demande pas de croire en lui comme objet de croyance. "Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi" : vous ne croyez pas en mon moi humain objectivé. Vous croyez en moi comme vous croyez en Dieu et dans la mesure où vous croyez en Dieu, vous croyez en Moi comme au Mystère même de Dieu.

Autre formule : "Celui qui croit en moi, même s'il est mort, vivra et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais". VIT ET CROIT EN MOI : croire en Jésus, ce n'est pas s'absorber en lui, s'annihiler en lui comme en une idole. C'est vivre. Vivre de quoi ? Vivre comment ? La dernière formule, que je vous propose, lue selon le consensus actuel des théologiens, répond à ces questions...

"Qu'il boive, celui qui croit en moi, car il est écrit : de son sein couleront des fleuves d'eau vive. Il parlait de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui avaient cru en lui".

Nous comprenons pourquoi Jésus est si discret sur son propre moi humain : parce que s'approcher de lui, s'approcher de son corps, de son coeur, de son sein (comme Jean, le soir de sa Passion), c'est recevoir l'Esprit. Non pas l'imiter servilement, lui Jésus, mais recevoir son Esprit, vivant en nous, Esprit dont nous sommes dignes seulement par sa mort et sa résurrection.
D'où la phrase suivante, expliquant le futur : "couleront" : "Car il n'y avait pas encore l'Esprit saint, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié". Les disciples ne pourront vraiment croire en Jésus et vivre de sa vie que lorsque l'Esprit saint se sera saisi d'eux.
"Il n'y avait pas encore d'Esprit..." traduit la BJ.Combien la Vulgate est plus sûre, ajoutant sur la foi de plusieurs versions grecques, qui ont le participe dedemenon : "Nondum erat Spiritus datus". L'Esprit saint n'avait pas encore été donné.

Pour que l'Esprit saint soit donné, pour que l'Esprit saint s'incarne en nous (en un sens large, mais profond), il faut que le Verbe fait chair soit allé au bout de son identification à la condition humaine, jusqu'à mourir et à ressusciter. Il faut d'abord que Dieu se soit fait chair... jusqu'au bout, pour que la chair puisse prétendre à être, elle-même, divinisée dans l'Esprit saint...

Il y a une très belle formule de Tertullien dans l'admirable De carne Christi : "Voilà pourquoi le Fils de Dieu est descendu et a pris une âme, non pas afin que l'âme se connût en Jésus-Christ, mais afin qu'elle connût Jésus-Christ en elle-même". Que l'âme puisse connaître Jésus-Christ en elle-même, c'est l'oeuvre propre du Saint Esprit, qui n'est possible que quand Jésus est allé au bout de sa Mission.

On comprend mieux à cette lumière le mot de Jésus en Lc 12, 10 : "Quiconque dira une parole contre le Fils de l'homme elle lui sera enlevé, mais qui aura blasphémé contre le Saint-Esprit, cela ne lui sera pas enlevé". Les paroles contre le Fils de l'homme sont extérieures. Elles ne l'atteignent pas. N'a-t-il pas été crucifié déjà, les membres traversés de clou, les chairs lacérées de fouets ? Le blasphème contre le Saint-Esprit détruisent l'homme intérieur et vient un moment où cette destruction est irréversible. Parce que, en se détruisant soi-même, on a détruit, avec ce que Tertullien appelle le témoignage de l'âme, tout ce que l'Esprit saint avait mis de Christ en elle.

Je me suis laissé aller, ce post est bien trop long. Mais revenez y, en vous y prenant à deux fois pour le lire jusqu'au bout. Je crois que Tertullien nous dévoile vraiment le mode d'action christique du Saint Esprit en nous.

mercredi 21 janvier 2015

Blasphème : islam et christianisme

Il y a dans la tradition culturelle islamique (je ne dis pas l'islam religion parce que je ne prétends pas descendre dans le coeur de tous les musulmans, chacun ayant son islam, et je ne dis pas l'islamisme parce que ce serait trop marginal) un certain nombre de textes contre le blasphème et contre les "mécréants", et cela tant dans le Coran que dans les hadîths, textes qui sont extrêmement forts et qui créent, à eux seuls, les conditions d'un choc de civilisation inédit dans l'histoire de l'humanité.

Exemple de ces textes, dans la collection Bukkari (qui est la plus importante collection de 'dits du Prophète) : "Aucun musulman ne pourra être tué pour avoir tué un infidèle" (52, 283). Et encore, dans le Coran : "Sourate 33 : Ceux qui offensent Allah et son messager, Allah les maudit ici bas et dans l'au-delà et leur prépare un châtiment avilissant" (v. 57) et ensuite : "Ce sont des maudits, ils seront pris et tués impitoyablement" (v. 61). J'utilise une traduction du Coran bilingue distribuée par les Frères musulmans. Je ne dis pas que l'on ne peut pas traduire autrement ou interpréter autrement, comme me le disait Tarek Oubrou, recteur de la Mosquée de Bordeaux. Je dis que cette lecture et cette traduction sont aujourd'hui culturellement majoritaires. Par ailleurs le blasphème n'est pas compris au sens chrétien de "ce qui ne convient pas par rapport à Dieu ou aux choses de Dieu" (IIaIIae Q. 13 a1). Dans son Encyclopédie de l'islam, Malek Chebel propose cette définition, intrinsèquement polémique du blasphème : "Le fait d'associer un autre dieu à Allah [par exemple de croire à la Trinité] ou d'alimenter une telle éventualité par l'écrit ou par l'oral". Très vite, on en vient à l'idée que les mécréants (ceux qui ne croient pas comme il faut) sont des blasphèmes vivants. Takfir (le blasphème) rend kafir (mécréant)...

Il y a aussi une tradition chrétienne foncièrement intolérante, remontant en particulier au XIIIème siècle et symbolisée par l'inquisition (même si elle n'a fait que deux ou trois mille morts) qui a durement sanctionné ceux qui déclaraient s'écarter de l'orthodoxie chrétienne. Mais cette tradition, à la fois sociale et religieuse (l'Eglise codifiant l'indignation populaire), n'est fondée sur aucun texte. Ce sont les textes qui importent, parce qu'ils représentent la seule matrice sûre des comportements à venir...

Je reviendrai à la tolérance dans l'Evangile. Je donne ici rapidement trois pistes : 1 Le jugement définitif n'appartient qu'à Dieu seul. "Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés" 2  La parabole du bon grain et de l'ivraie prescrit de ne pas enlever la mauvaise herbe mais d'attendre la moisson et le moissonneur divin. 3 Luc 12, 10 : les paroles contre le Fils de l'homme sont pardonnées. Seul le péché contre l'Esprit saint (intérieur donc et dont Dieu seul est juge) ne peut être remis.

Les textes de l'Evangile contiennent une doctrine de la tolérance religieuse. Les prescriptions de l'islam immuable forment une doctrine de l'intolérance religieuse.

Ce propos naguère inaudible commence à sortir ici ou là. Ainsi André Guérin, maire de Vénissieux, dans le dernier numéro du Point, n'hésite pas à parler d'une guerre culturelle. : "On se trompe en considérant que ces événements n'ont pour origine que des problèmes économiques et sociaux. Il s'agit aussi d'une guerre culturelle. Il y a vraiment des gens qui mènent une guerre culturelle contre la République, contre un art de vivre, contre ce qu'il y a de meilleur dans les valeurs occidentales. Le fond du problème est là".Beaucoup voulaient voir dans l'islam une pure doctrine différentialiste ou communautariste. On est bien obligé aujourd'hui d'ajouter avec André Guérin qu'il y a aussi dans cette religion une tendance hégémonique, qui implique une guerre culturelle non seulement sur ce qu'il faut manger et pas, non seulement sur une manière de s'habiller, mais aussi sur une manière de penser le passé colonial et le présent, toujours colonial, mais culturellement conçu comme colonial à l'envers. Egalement - et cela me semble un des grands enjeux culturels de demain - sur une manière de penser l'islam en l'enfermant dans une cotte de maille antiblasphème qui est d'un autre temps ou en acceptant - "Sapere aude disait Kant, Ose savoir - le jeu de la critique.

C'est sur ce point que les dessinateurs orduriers de Charlie Hebdo, qui ne comprennent certes rien à l'islam et mettent aussi en danger la vie d'autrui, ont néanmoins rendu témoignage - à leur manière certes - mais jusqu'à la mort, sachant ce qu'ils risquaient... à la civilisation européenne et à son ambition critique. Cette ambition critique est au fond l'enjeu ultime de la guerre culturelle qui commence, comme l'avait génialement vu Benoît XVI à Ratisbonne (cf. ses pages sur les Lumières dans Foi, vérité tolérance).

samedi 17 janvier 2015

Nous sommes un peuple

Si elle avait du avoir un slogan,
la foule du 11 janvier 2015
aurait plutôt scandé "CRS-SOS".
Qu'en penserait le grand Duduche?
Trois millions et quelque ont défilé en France. "Nous sommes un peuple" titre Libération. "Nous sommes la France" titre l'Express. Comment interpréter ces mots, beaux comme l'antique : nous sommes un peuple.

Le peuple de France n'est pas une nouveauté. C'est même, avec le peuple anglais seul dans son île, le plus ancien des peuples de l'Europe à prendre conscience de son unité et à la traduire à travers des formes politiques. Pourquoi écrire ainsi, après la manif : nous sommes un peuple ? Le "nous" est inquiétant parce qu'il n'est pas défini. Qui, nous ? Et on retrouve la mécanique du Contrat social : nous, c'est l'unanimité présumée du peuple français, la France s'identifiant à la classe dirigeante et aux idéaux révolutionnaires : Marianne tous seins dehors, la Marianne de Delacroix, est encore sur la Une de l'Express. C'est elle qui "guide nos pas".

Ce n'est pas forcément comme cela dans l'esprit des manifestants qui ont scandé "Nous sommes Charlie". La manifestation incluait vraiment tous ceux qui avaient peur, tous ceux qui étaient scandalisé que l'on puisse mourir pour un coup de crayon, dont quelques paroissiens du Centre Saint Paul, qui nous ont représenté, dimanche dernier, dans ce "tous". Un peuple est légitimement fier quand il parvient à se lever contre un danger. Le peuple français est ce vieux peuple auquel on a dit qu'il était mort ou qu'il était en train de se suicider et qui brusquement se sent vivre. C'est admirable de la part du pays réel. C'est un sursaut qui fait croire en l'avenir de la France. Je suis d'accord avec Michel Houellebecq sur ce point : dans la grande lessiveuse bruxelloise, où toutes les identités nationales sont délavées, le peuple français est l'un de ceux qui, ne serait-ce que démographiquement, a envie de vivre. Il ne faut pas désespérer de ce peuple versatile et fantasque. Il a encore les moyens d'épater le monde !

Ce qui est inquiétant, c'est la mécanique politique qui s'empare de ce sursaut vital. Ce qui est inquiétant c'est de ne pas savoir qui dit : nous. J'ai écrit plus haut : la France s'identifiant à la classe dirigeante. J'ai peur de me tromper. Il me semble que ce "nous", employé aussi bien par Libé que, avec retard par l'Express, c'est un "nous" médiatique. La caste médiatique, celle qui, au Point, a viré le pauvre Philippe Tesson, disant "le problème c'est l'islam", est vraiment celle qui s'est approprié la "manifestation que l'on ne compte pas" parce que tout le monde y était. Elle se l'est appropriée, puisqu'elle est la seule à en parler et à... la faire parler. Cette classe, marquée à gauche, est au fond ce qui reste d'un Mai 68 petit-bourgeois. Ceux-là, la tuerie de Charlie ne les a pas fait réfléchir sur la liberté d'expression, comme le montre le sort sans appel du chroniqueur Tesson. Plus que jamais, cette classe médiatique a l'impression de "nous" représenter. Elle est "nous", prenant occasion de l'unanimité civique pour s'autocensurer toujours d'avantage et pour mettre de côté, avec une morgue inentamable, les questions fondamentales, les questions religieuses, les questions de vérité religieuse, les questions civiques, les questions d'opportunité civique que posent la vague de ces attentats bricolés d'abord puis minutieusement organisés qui sévit du 21 décembre (souvenez vous l'attaque à l'arme blanche d'un commissariat à Joué les Tours et les voitures conduites par des déséquilibrés qui foncent sur la foule) au 9 janvier (quatre juifs dans une grande épicerie cacher).

mercredi 14 janvier 2015

Le réflexe l’emporte sur la réflexion [par RF] [MàJ 17/01/2015]

[par RF] Une vidéo tourne actuellement sur le web, qui montre une conférence du lobby américain ‘Heritage’ (on appelle aussi cela une ‘fondation’). Une conférencière répond à une étudiante musulmane, avec vivacité et même véhémence. Bien sûr, dit-elle, que tous les musulmans ne sont pas des radicaux. Mais si les radicaux ne sont que 15 à 25% d’entre eux, cela représente tout de même 180 à 300 millions de personnes, etc etc.

Ce qui m’impressionne, c’est la réception de cette vidéo par ‘nos milieux’. Il s’agirait d’une ‘musulmane remise à sa place’ (Youtube). Il s’agirait d’une réponse au mantra ‘pas d’amalgame’ (Le Forum Catholique). Il s’agirait de répondre ‘Oui, mais…’ (Le Salon Beige) à ceux qui invoquent la masse des musulmans paisibles.

Pourtant, la question de l’étudiante musulmane est en substance: «Le djihadisme est une idéologie. Comment pouvons-nous gagner une guerre contre le djihadisme avec des armes? Comment le combattre, si on le lui répond pas sur le plan idéologique?» Voilà sa question, et… rien de plus.

Dans cette affaire, ni la conférencière ni la grande majorité des internautes qui réagissent ne prennent en compte la question pourtant fondamentale de l’étudiante. Tout se passe comme si habitués à des arguments-types, ‘nous’ sortions une contre-tirade, et peu importe si elle tombe à côté de la plaque. Il s’agit de moucher le type d’en face, et peu importe si on se trompe de nez. Bref –et cette vidéo n’est qu’une illustration plus criante du phénomène– tout se passe comme si le réflexe tenait lieu de réflexion.

Je complète [le 17 janvier] ce post par un très beau cas de cette confusion qui fait que chacun voit (ou entend)… ce qu’il veut voir (ou entendre): 
Sur le Forum Catholique, Jean Kinzler cite un article de La Dépêche, qui rend compte des obsèques de Bernard Maris, qui écrivait dans Charlie Hebdo sous le nom d’«Oncle Bernard» :
"La chapelle de Roqueville est décorée de fresques modernes, naïves, colorées, représentant des épisodes de la Bible à la façon d'une bande dessinée. La cène y est revisitée, avec Jésus et ses apôtres qui se marrent, autour d'une table. Nul doute qu'«Oncle Bernard» connaissait ce décor atypique, qui devait l'amuser, lui qui avait la réputation d'être un pince-sans-rire."
Donc le journaliste a ‘vu’ une fresque de la Cène, revisitée, et des apôtres 'qui se marrent'. Jean Kinzler a vu l’article, et dans son titre souligne par des guillemets sa réprobation de cette fresque. 
Heureusement arrive Daoudal qui seul a pris la peine de vérifier l’image. Il ne s’agit pas de la Cène mais de la Pentecôte (c’est d’ailleurs écrit dessous en assez grosses lettres)… le personnage centrale n’est pas Jésus, mais la Sainte Vierge. Et objectivement, dans cette image, personne ne rit ni ne se marre. 
Dans cette affaire, je résume, nous avons un journaliste qui voit un clin d’œil qui n’existe pas, à la faveur de son manque de culture chrétienne… et qui brode un peu à partir de là. Nous avons un forumeur prompt à croire le journaliste sur parole. Et heureusement, sur ce coup-ci, nous avons un Daoudal – ce n’est pas toujours le cas.

dimanche 11 janvier 2015

Charb ou Cabu, des martyrs ?

En 39, le gouvernement britannique lance
cette affiche: «Restez calme et continuez».
J'ai employé l'expression "martyrs de la civilisation européenne" à propos de tous ceux qui ont été tué dans le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo. Beaucoup me le reprochent. Au hasard, un texto signé :
"Cher Guillaume, tu es en pleine dérive intellectuelle.Faire des dessinateurs de Charlie des "martyrs par position" en est l'un des nombreux signes. La première fois que je t'ai vu, voici dix ou quinze ans, j'ai été saisi d'une sorte d'effroi intérieur et je me suis dit : "Cet homme a le destin de Lamennais". J'ai longtemps espéré me tromper. Reprends toi. Que Dieu te garde de toi-même".
Je précise que je connais et que j'estime cette personne, qui n'est pas un intime même si le tutoiement peut le laisser croire.

Abasourdi par la violence de cette attaque et par d'autres que vous retrouverez dans les commentaires, j'ai été heureux de recevoir ce message de Conomore, que je ne saurais malheureusement pas remercier en breton :
"Martyrs? Eh bien le qualificatif ne me choque pas loin de là. 
Entendons nous bien. Je n'ai jamais aimé (c'est un euphémisme) l'humour de Charlie Hebdo, et pas seulement à cause de sa prédilection pour l'anticléricalisme le plus fangeux. Le successeur d'"Hara Kiri" a symbolisé un certain laïco-jacobinisme parisien dans ce qu'il avait de plus ignoble et de plus haineux. 
Je ne suis pas Charlie et je ne l'ai jamais été. Mais, journaliste, moi-même, je ressens aujourd'hui la ténue solidarité qui m'unit à ses journalistes et ses dessinateurs lâchement assassinés. Après tout, lors des sanctions contre Hara Kiri, dans les années 70, l'Association de la Presse Monarchique et Catholique a elle aussi manifesté sa solidarité avec un journal qui était à mille lieues de sa sensibilité. Aujourd'hui, ceux qui s'insurgent contre les condamnations de Minute feraient bien d'y réfléchir à deux fois avant de se lancer dans des réflexions du style "ils l'ont bien cherché". Non, il n'ont rien cherché, surtout pas des balles de kalachnikov. 
Je ne suis pas Charlie, mais je dois aussi reconnaître qu'il y avait à Charlie Hebdo de vrais talents, à commencer par Cabu et cette bonne vieille crapule stalinienne de Wolinski (j'ai bien plus de mal avec Charb). Réduire l'homme à son œuvre publiée est une sotttise de pion de collège. Pire encore, s'il y avait dans la rédaction de Charlie Hebdo une proportion raisonnable de sectaires, il y avait aussi, parmi les victimes une forte dose d'hommes estimables dont tous ceux qui les ont approchés (j'en ai eu maint témoignage) connaissaient la générosité, la culture et (ce qui n'est pas anodin) le goût des bonnes choses. Ils n'étaient pas chrétiens? C'est vrai, mais alors la vraie question est de savoir pourquoi. Pour ceux qui trouveraient la question oiseuse, je renvoie à ce texte peu connu de Maurras sur la militante anarchiste Paule Minck, qu'il concluait en ces termes : "ce n'est pas seulement sa vie particulière qu'elle a voulu suspendre à l'autel du fragile dieu, c'est la vie même des cités, des nations, des sociétés. Il n'y a pas d'erreur plus fausse. Il n'y en a pas de moins belle. Cependant elle est d'un grand cœur." (voici le lien: http://maurras.net/textes/123.html
Des martyrs? Oui, indubitablement, mais certainement pas des martyrs de la République ou de quelque gloubi-boulga droitdel'hommisto-laïc. Je pense même que, là où ils sont, nos lascars doivent trouver l'actuel tohubohu politicien autour de leur mort passablement grotesque. Qu'un antimilitariste viscéral comme Cabu voie les drapeaux mis en berne en son honneur ne peut lui inspirer qu'une intense rigolade ponctuée d'un sonore "Ah les c..s!". 
Alors oui, les morts de Charlie Hebdo sont des martyrs, au sens précis qu'a donné l'abbé de Tanouarn. 
Raison de plus pour ne pas s'associer à l'hommage foireux qu'on prétend leur rendre. Ils méritent mieux que cela".
Merci Conomore, vieux camarade !

Je n'ai jamais prétendu que les dessinateurs de Charlie (auxquels je me permets d'adjoindre avec sympathie Bernard Maris, tué comme eux, auteur récent et talentueux d'un Houellebecq économiste) sont des martyrs de la sainte Eglise romaine ! J'ai parlé de "martyrs de la civilisation européenne" et je suis revenu, dans le post précédent sur ce terme de civilisation et sur son importance antirépublicaine.

Les mots sont toujours pris plus au sérieux que les idées : attention, l'Eglise romaine ne possède pas le monopole du martyre (c'est-à-dire du dévouement à une cause jusqu'à la mort). En revanche les martyrs, qui le sont pour le Christ, dans l'amour du Christ, reçoivent par là un nouveau baptême, qui les sanctifie, car "il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l'on aime". Je n'ai jamais imaginé que ce martyre là ait pu concerner les têtes de pioche de Charlie.

Je dis simplement que massacrer la rédaction de Charlie Hebdo à cause de Charia-Hebdo et des caricatures de Mahomet, c'est massacrer potentiellement tous ceux qui utiliseront la dérision contre l'islam, et tous ceux qui oseront représenter le Prophète : le fait que, connaissant les risques, après la mort en pleine rue de Théo van Gogh, Charlie ait tenu à publier non une nième crèche blasphématoire ou un Jésus encore une fois moqué et tourné en dérision, mais ces caricatures, ce fait est en lui-même courageux. Il dénote une liberté qui va objectivement dans le sens de la civilisation et dont il est possible - vu ce qui s'est passé - que nous ne jouissions plus pour très longtemps. De cette liberté, ils resteront tous comme des témoins.

Mais que leur mort soit aujourd'hui récupérée par une République qui s'est tellement trompée depuis cinquante ans sur l'Afrique du nord et sur l'islam, que leur mort soit récupéré par une République qui n'a pas su mettre fin à la guerre d'Algérie, Cherif, Saïd et Houari en sont témoins, que cette mort soit récupérée par une République qui ne veut rien comprendre à l'islam, cela donne envie de hurler. Au lieu de vous conforter et de vous autocongratuler avec la Upper class international qui veut être de la partie, messieurs les politiciens, essayez de faire votre examen de conscience ! Vous mettez sur le dos des extrémistes religieux ce que vous ne voulez pas analyser, à savoir trois choses :

Votre propre ignorance superbe de l'islam, votre ignorance de l'autre que vous croyez et que vous voulez comme vous: "Je ne veux pas que ce soit comme ça", disait Eric Nauleau dans la dernière édition de ZEN. Personne ne veut que les attentats suicides soient dans le monde entier (au Nigéria, en Irak, en Afghanistan et en France) en provenance du monde islamique. Personne ne le veut. Mais tout le monde est obligé de le constater. Ecoutez la chanson Nous sommes Charlie, qui court le Net en ce moment. Le mot "croisé" et le mot "messe" s'y trouvent. Le mot "islam", le mot "Prophète" ne s'y trouvent pas : cherchez l'erreur. Tant que l'on entretient officiellement l'illusion que l'islam n'a rien à voir avec ce qui s'est passé... on est dans le déni, c'est-à-dire dans une sorte de névrose.

On prétend qu'il ne faut pas faire l'amalgame entre "les fascistes" (sic) Cherif et Saïd et le monde musulman. Mais pour parler de ces fascistes qui ne seraient donc pas musulmans, on emploie le mot "croisé" et le mot "messe" : où est l'amalgame ?

Deuxième chose que vous ne voulez pas analyser : votre ignorance superbe de la religion. Là, c'est Michel Houellebecq qui a tout compris. Voyez avec quel calme il l'explique à Patrick Cohen sur France-Inter : nous en avons fini avec le rationalisme des Lumières. La guerre de civilisation qui s'ouvre (quoi qu'en pense M. Valls) n'a plus rien à voir avec les catégories mises en oeuvre par les philosophes des Lumières. "Ose savoir" disait Kant pour résumer l'esprit des Lumières. Mais tous les savoirs et toutes les raisons sont en échec devant les kalachnikovs et les lance-roquettes de Cherif, de Saïd, d'Amehdi et de tous les autres djihadistes en aller-retour. La question n'est pas d'opposer un savoir à ces candidats au suicide : ce faisant on les laisse maîtres du terrain et les jeunes ne veulent pas observer la minute de silence prescrite dans les écoles en l'honneur des victimes. A une foi délirante, il faut opposer une foi saine ; Devant la foi destructrice qu'ils ont montré et qu'ils montreront, il faut faire montre d'une foi qui construit et qui grandit celui qui la professe. La raison pure est impuissante face au Mal radical, comme Kant lui-même l'avait compris...

Troisième chose que vous ne voulez pas avouer : vous, oui, vous la upper class mondiale, vous n'avez pas eu un Mea culpa, mais vous êtes déjà dans la récupération politique de ce drame qui fait époque. Et ça c'est juste... Oui, vous m'avez compris : à gerber.

samedi 10 janvier 2015

A propos d'une phrase de Manuel Valls - Charlie Hebdo... à froid

L'une des lectrice de ce blog me demande de revoir l'attentat de Charlie Hebdo "à froid". Je n'ai pas beaucoup changé d'avis, quelles que soient les insultes sans risque que cela a pu me valoir et que d'accord avec notre cher Webmestre, nous publions (je dirais comme des symptômes). Je maintiens que les morts de Charlie Hebdo sont par position des martyrs de la civilisation européenne, fondée sur trois piliers chrétiens : la liberté, la reconnaissance de la dignité de la personne et la valeur unique de l'amour. Je le dis parce que c'est cette civilisation européenne et chrétienne qui est menacée et qu'il n'y a que deux camps - ceux qui luttent pour la civilisation et ceux qui revendiquent le droit absolu d'une loi.

Notre cher Manuel Gaz, jamais en retard d'une boulette, a expliqué clairement tout à l'heure que certes c'était la guerre, mais qu'il ne s'agissait pas d'une "guerre de civilisation", que c'était seulement un combat pour ou contre les valeurs républicaines.

Il y a là un affreux malentendu! Ni Koulibali, ni les frères Kouachi n'ont consciemment attaqué les valeurs républicaines. Comme dit la fatwa de leur commanditaire Yéménite, ils ont juste voulu tuer "ceux qui s'opposaient à Allah". Ils ont cherché à rendre "interdite" toute critique d'Allah et de son Prophète. Ils rêvent d'un monde où, soit par la persuasion douce de la Soumission (dont parle Houellebecq dans son roman, sorti le... 7 janvier en librairie cela ne s'invente pas) soit pas la dure loi des kalachnikovs, toute attaque contre l'islam serait rendue impossible. C'est cette loi qui règne déjà dans les pays musulmans, avec, en particulier, l'interdiction de la conversion de l'islam, interdiction explicitement contraire à l'article 17 de la Déclaration des droits de la personne en 1948. C'est cette loi que des Djihadistes subventionnés par des organisations politiques étrangères, veulent faire régner dans notre Pays. C'est ce type de communauté, fondée sur la Loi, qu'ils veulent exporter de chez eux à chez nous. Mon ami copte qui tient une petite pizzéria où j'ai mes habitudes me disait : ce que vous voyez depuis deux jours chez vous, c'est ce qui se passe depuis toujours chez nous. Dans les pays musulmans, dans la culture musulmane, à cause de certains versets du Coran (Sourate 9 par exemple), la violence est endémiques contre les mécréants. Contre les chrétiens. Contre les athées.

Pour répondre à cette guerre à la civilisation, la République, même si elle a une bonne police, n'est pas armée. Elle ne veut pas l'être. Elle ne voudra jamais défendre aucune civilisation. Elle en est constitutivement incapable.

Pourquoi? J'énonce ici une hypothèse de travail, mais je crois que la République et l'islam ont la même culture absolutiste et partant le même mépris pour la civilisation, mépris que Manuel n'a pas caché. Depuis Jean-Jacques Rousseau, la République [je ne parle pas de démocratie] est fascinée par l'islam et plus précisément dans le Contrat social, par Mahomet et les Califes : "Mahomet eut des vues très saines, il lia bien son système politique et tant que son gouvernement subsista chez les Califes ce gouvernement fut exactement un et bon en cela" (4, 8). Qu'est-ce qu'apprécie Rousseau chez Mahomet ? Sa politique. Il n'y a pas en islam deux pouvoirs, un pouvoir politique et un pouvoir religieux. Il y en a un seul, le Pouvoir politique. Il est absolu. De la même façon la République rousseauiste et française, ne voulut pas entendre parler de deux pouvoirs, l'un politique, l'autre religieux. Elle est "une et indivisible", elle est absolue. C'est pourquoi elle élabora la constitution civile du clergé, qui réduisait les prêtres à être des fonctionnaires de l'Etat. Et c'est pourquoi elle tua férocement (dans une sorte de péché originel dont elle n'a jamais été absoute, parce qu'elle n'a jamais reconnu une instance supérieure à elle qui puisse l'absoudre) tous ceux qui s'opposait à cette constitution civile (c'est l'histoire des massacres de septembre, où on laissa entrer dans les prisons politiques des fous de la Républiques agissant en dehors de toute loi, comme on peut parler aujourd'hui de fous d'Allah). Elle tua ensuite (dans un deuxième temps) tous ceux qui s'opposaient ou semblaient s'opposer à sa folie unaire, allant jusqu'à proclamer que les suspects étaient déjà coupables. Il suffit d'aller voir Timbuktu, ce film admirable, pour comprendre que lorsque l'islam règne, il y a aussi une loi des suspects. Toute l'histoire du film, autour de cette famille de nomades outlaw raconte quelque chose comme la mise en place d'une loi des suspectes... en Maurétanie! Le film se termine comme vous pensez, par un jugement sommaire et... deux exécutions... Au nom de la Loi.

Parler de civilisation, c'est admettre qu'il existe un ordre social, éthique et religieux (et je dirais dans l'ordre : qu'il existe un ordre religieux, éthique et sociétal) que l'Etat doit défendre et face auquel il n'a pas tous les droits, mais d'abord tous les devoirs. Alors ? Eh bien ! si l'Etat est au service de la civilisation (comme nous chrétiens nous le croyons tous spontanément), que devient son absolutisme? Il faudrait donc que des décisions de l'Etat (républicain ou islamiste, c'est tout un en l'espèce) puissent être jugés à l'aulne de la défense et du rayonnement de ce patrimoine historique et spirituel qui ne vient pas de lui, qui n'est pas à lui : impossible!

Nous ne sommes pas loin du fascisme, direz vous, avec cette théorie absolutiste et socialiste de l'Etat. Et je ne veux pas toucher au point Godwin en évoquant le fascisme. Je veux simplement expliquer une connivence, au lieu de la subir sans la comprendre. Le fascisme est définie dans l'Encyclopédie italienne de l'époque : "Tout pour l'Etat, tout par l'Etat, rien en dehors de l'Etat". Ce beau programme socialiste italien a immédiatement séduit les jeunes radicaux socialistes français, ceux que l'on appelait les jeunes Turcs, Gaston Bergery mais aussi Pierre Mendès France et les autres... Cette séduction mènera certains radicaux-socialistes à la Collaboration...

Réfléchissant à cet absolutisme originel (il suffit de lire Rousseau une heure pour le comprendre), je suis devenu de plus en plus démocrate et je crois que la démocratie, ce système qui envisage d'abord le bien du peuple, comme l'explique Léon XIII, est le système politique le plus proche du christianisme. Je ne parle pas (comme Platon au Livre 9 de la République) de la mise aux voix des vérités éternelles : si c'est cela, la démocratie est inepte. Je parle, comme les Ligueurs le firent d'instinct au XVIème siècle, sans être compris, de la défense nécessaire (et encore mieux de l'autodéfense nécessaire) du peuple. L'autodéfense, suite à une conscientisation politique profonde, est la vraie démocratie. La défense du peuple peut aussi être assurée par un Monarque. C'est ainsi qu'elle a été assurée le plus couramment au cours de l'histoire. Le Roi est un personnage sacré, non pas que ce sacré lui donne licence de faire n'importe quoi, mais parce que son corps est devenu le corps du peuple, dans une sublime mystique démocratique et spirituelle. Il est le gardien du peuple, la sacralité de son pouvoir renvoie -en christianisme - à l'infinie relativité de son exercice.

mercredi 7 janvier 2015

L'attentat à Charlie hebdo... à chaud

...le dernier dessin de Charb...
Nous, chrétiens, n'aimons pas Charlie hebdo, qui a suffisamment joué - sans risque - avec la foi des cathos. Mais il faut bien reconnaître qu'ils sont, aujourd'hui, du côté de la liberté et que ce bien est le plus précieux de tous - celui qui nous rend responsable, celui qui nous rend capables de mérites, celui qui nous sauve.

Les onze personnes (flics, journalistes antiflics, dessinateurs- Cabu, Charb, Tignous et Wolinski - mais aussi petites mains ou passants mélangés - terrible ironie du destin) qui ont payé de leur vie la publication de charia hebdo et des caricatures de Mahomet, sont des martyrs de la civilisation européenne. Les cinq blessés graves ne peuvent pas être oubliés. Les tueurs (deux ou cinq personnes selon les témoins) courent toujours : le bilan risque de s'alourdir."Il faut venger le Prophète" ont entendu des passants. Le crime était en tout cas parfaitement préparé, les terroristes connaissaient les lieux (ils en avaient eu une description) et ils sont arrivés à l'heure du Conseil de rédaction, ce que l'on ne peut attribuer au hasard qu'avec précaution...

On nous parle d'armes automatiques ; on nous parle même de lance-roquette... Cela évoque le contexte du djihad, que ce soit celui d'entraînement djihadistes en France ou de retour du djihad syrien ou irakien. On n'a plus affaire à des amateurs, mais à des gars surentraînés, qui ont devant eux des policiers, autant dire, ceux-là, des amateurs, pour la plupart. Le spectre de la guerre urbaine est en train sous nos yeux de devenir une réalité. L'Etat est-il armé pour faire face à cette Terreur ? Les hommes d'Etat sont-ils armés pour faire face à la Terreur islamiste ? Pendant la Révolution française, c'est l'Etat qui était terroriste. Aujourd'hui l'Etat est terrorisé. Sa grande force était sa capacité de renseignement. Cette fois, pour une opération de cette envergure, qui n'est pas le fait d'un loup solitaire comme Merah, la Police n'a rien vu venir. Le roi est nu. La parole risque d'être enchaînée. Pour être un homme politique, il faudra se sentir capable de perdre la vie, ou bien se condamner au mensonge...

Quel rapport avec l'islam, religion de liberté et de tolérance direz-vous ? Pourquoi est-ce du monde islamique que viennent ces violences ? Kamel Daoud, dans son très beau Meursault, Contre-enquête chez Actes sud, prête ce mot à Haroun, son tueur à lui. Nous sommes à la seconde du meurtre : "J'ai pensé aussi, même si ça peut paraître incongru pour un gars comme moi [non pratiquant] qu'il n'était pas musulman et que sa mort n'était pas interdite. Mais c'était une pensée de lâche" (p. 86). Attention : Haroun dit, c'était une pensée de lâche, qui se réfugie dans des considérations religieuses, parce que lui n'est pas un religieux et que non seulement il est non pratiquant mais en plus vaguement agnostique. Mais même à lui de telles pensées lui survienne. On pourrait dire : c'est culturel...

Le problème est effectivement culturel : comme dit Hubert Champrun, dans le prochain numéro de Monde et Vie, il nous faut un Ratisbonne II. Ce que le pape Benoît a dit sur la violence en matière religieuse, il faut le redire ensemble et que les hommes de religion (ceux que Pascal appelle "les spirituels") s'unissent pour condamner avec horreur cette culture de la violence que l'islam instille même chez des non-pratiquants. Je ne vois pas que l'on puisse éviter de dire que, sous ce rapport, cette culture est dangereuse. Si nous ne le faisons pas, ce danger se matérialisera toujours d'avantage et il y aura d'autres Charlie Hebdo. On finira par traiter en fait divers ce qui est un fait de civilisation.

dimanche 4 janvier 2015

Le pape s’affranchit de toutes les règles [par Ernesto]

[par Ernesto] Des diocèses n’avaient jamais eu de cardinaux dans toute leur histoire. C’est le cas de Rangoon, David, Morelia, Tonga ou Santiago de Cap Vert dont les presses locales se disent elles-mêmes surprises du choix papal. En même temps, elles témoignent de l’importance de l’Église sur ces diocèses où évoluent de jeunes chrétientés. Cependant, les presses de ces pays qualifient généralement leurs nouveaux cardinaux de « François » local ou de « modérés », ce qui de la part des médias actuels est déjà un enseignement. C’est le cas du cardinal Sturla, de Montevideo (archevêque depuis un an seulement).

Dans les pays plus anciennement catholiques, l’effet est plus ravageur. En Espagne, le primat, qualifié de conservateur et poulain du cardinal Rouco Varela, voit la barrette lui échapper au profit de l’archevêque de Valladolid, jugé plus ouvert, sa ville n’ayant pas eu de cardinal depuis plus de 100 ans. C’est le cas aussi d’Ancône en Italie tandis qu’Agrigente n’en n’a pas eu depuis le XVIIIe siècle. En revanche, Venise qui avait depuis cette époque une lignée ininterrompue de cardinaux et fourni les papes Pie X, Jean XXIII et Jean-Paul Ier au cours du XXe siècle devra encore attendre (un prochain pontificat ?). Le patriarche, seul non-cardinal estimé comme papabile par certains journaux, a le lourd handicap sous ce pontificat d’avoir été formé chez le cardinal Siri tandis que l’archevêque d’Agrigente, que l’on dit proche du pape, est l’un des artisans de la fameuse visite à Lampedusa. Et aux États-Unis, est-ce une conséquence du Synode, toujours est-il qu’il n’y a aucun cardinal américain cette fois pour la plus grande catholicité au monde. En même temps, les Allemands n’ont qu’un cardinal non électeur, Mgr Rauber, qui a 80 ans passés.

Le pape a cependant veillé à prendre des prélats peu connus et assez cosmopolites. Il tire les conclusions de la fronde au Synode et évite les noms trop évocateurs. Il ne refait pas deux fois l’erreur de se dresser contre l’épiscopat comme il l’a fait à la Curie, même s’il froisse plus d’un siège, surtout en Europe, et qu’il dédaigne cette même Curie. Il a pour l’instant évité de promouvoir l’archevêque de Boston ou celui de Madrid, évêques de tendance plutôt progressiste récemment nommés. En même temps, leurs émérites sont toujours de ce monde. Le pape s’est sans doute également soumis à une certaine logique pour honorer de la pourpre le président de la Signature apostolique seul français électeur nommé depuis huit ans ainsi que les archevêques de Lisbonne, Adis Abeba, Wellington ou Ha Noï.

Parmi les non-électeurs devenant princes de l’Église de façon honorifique, on note la présence d’un cardinal quasi-centenaire, Mgr José de Jesús Pimiento Rodríguez qui est l’un des vétérans du Concile. Cela ressemble un peu aux derniers poilus de 14 que l’on distinguait tous de la Légion d’honneur lorsqu’ils n’étaient plus qu’une poignée. A travers eux, c’est l’œuvre qui s’éloigne dans le temps qu’on semble gratifier. Est-ce un lot de consolation pour les conservateurs, on note cependant le nom de Mgr de Magistris, qui a été sous tout le pontificat de Jean-Paul II un ferme opposant à Mgr Piero Marini. Il devient cardinal, à l’âge de 88 ans. Il a ordonné à plusieurs reprises à la Fraternité Saint Pierre ou à l’Institut du Bon Pasteur. Signalons aussi que Mgr Alberto Suárez Inda, archevêque de Morelia au Mexique, célèbre régulièrement selon l’usus antiquior ainsi que l’a relevé Paix Liturgique (photo).

Enfin, on relèvera que, à l’heure où on parle du départ de Mgr André Léonard de l’archevêché de Malines-Bruxelles, il semble qu’il va être le premier primat de Belgique qui n’aura jamais été nommé cardinal. Or il avait été nommé par Benoît XVI pour relever une Église qui subit de plein fouet depuis cinquante ans les tendances les plus avancées du progressisme.