dimanche 20 décembre 2015

O Radix Jesse

O Radix Jesse, qui stas in signum populorum, super quem continebunt reges os suum, quem gentes deprecabuntur : veni ad liberandum nos, jam noli tardare. 
O Rejeton de Jessé, Toi qui est debout pour être comme un signe pour les peuples, devant toi les rois seront obligés de fermer la bouche tandis que les nations t’appelleront : Viens pour nous libérer, ne tarde plus.
Ce Messie que le monde attend, il est de race royale, il est « fils de David », « rejeton de Jessé » dit l'Antienne  (Jessé est lui-même père de David). Ce Messie, ce Christ hébreu tient son ascendant sur « tous les peuples » de son ascendance israélite. C’est le mystère que beaucoup dans l’histoire vont refuser, le mystère de ce petit peuple d'Israël, prédestiné à gouverner spirituellement le monde parce qu’il est le premier réceptacle de la Parole divine, mais à qui cette gouvernance échappe dans la mesure même où, spirituelle, elle transcende toutes les particularités, et cela en celui dont Pilate dira dans une prophétie involontaire : « Voici l’homme ».

Joseph, le père putatif de Jésus – c’est bien précisé – est « de la maison et de la descendance de David ». C’est lui qui, comme tous les pères de Palestine, donne son nom à ce rejeton de Jessé, qui est fils de Marie : « Certes ce qui est accompli en elle vient du Saint Esprit, mais c’est toi qui lui donnera le nom de Salut » (Matth. 1). Joseph est issu de la tribu de Juda et c’est en tant que lointain petit fils de Jessé qu’il va se faire recenser à Bethléem, son clan d’origine. Quant à Marie, elle est d’une famille de prêtres, comme en témoigne sa cousine Elisabeth, la femme de Zacharie, celui qui, lorsque commence cette histoire, a été tiré au sort pour pénétrer une fois (la seule fois de l’année) dans le Saint des saints à Jérusalem. 

Par ses deux parents humains, Jésus est donc prêtre et il est roi. Son sacerdoce est celui du Temple de Jérusalem. Sa Royauté celle de David… Sa double dignité est clairement inscrite dans le temps et dans l’espace comme une identité indissolublement ethnique et spirituelle. Jésus n’est ni un citoyen du monde, ni un homme de nulle part, ni un fils de personne : « Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la Maison d’Israël » déclare-t-il à la Syro-phénicienne.

Mais en même temps que Jésus est le Christ hébreu, en même temps qu'on l'appelle "le rejeton de Jessé", on dit qu'il « se tient debout pour être comme un signe pour les peuples ». Isaïe avait prophétisé cela : « Voici, dit Yahvé, que je lève les mains vers les nations, que je dresse un signal pour les peuples » (Is. 49, 22). Quel est ce signe ? « Le signe du Fils de l’homme » disent les Evangiles synoptiques (Matth. 24, 30). « Le signe de la Femme » renchérit Jean dans l’Apocalypse (12, 1). Le Fils de l'homme et la femme ? Je pense à Jésus et Marie indissolublement unis dans la mandorle de Sainte Marie Majeure qui est le thalamum, la chambre nuptiale spirituelle où le nouvel Adam et la nouvelle Eve recréent l’humanité - paraissant à égalité l'un avec l'autre même si le Fils couronne sa mère. 

Ce qui est très surprenant dans le texte du chapitre 49 d’Isaïe, c’est que l’objet de l'attente des nations semble être une femme avant que d’être un homme. On retrouve déjà dans Isaïe la nouvelle Eve : « Tu diras dans ton cœur : qui m’a enfanté ceux-ci ? J’étais privée d’enfant et stérile, exilée et rejetée [ainsi parle la Fille de Sion] et ceux-ci qui les a élevés ? Pendant que j’étais laissée seule, ceux-ci où étaient-ils ? » Vatican II revient à cette interprétation féminine du Signe, dans Lumen gentium, en faisant de ce signe l’Eglise, « dressée à la face des nations » (cf. LG n°48 cf. n°1. Le texte d’Isaïe n’est pas explicitement cité, mais l’idée du signe dressé à la face des nations s’y trouve).

En même temps, dans ce somptueux chapitre d’Isaïe, c’est bien un homme qui est attendu : « Un rejeton sortira de la souche de Jessé, un surjeon poussera de ses racines. Sur lui reposera l’Esprit du Seigneur ». (Isaïe 11, 1) et plus loin dans le même chapitre 11 : « Ce jour-là la racine de Jessé qui se dresse comme un signal pour les peuples sera recherchée par les nations et sa demeure sera glorieuse. (…) Le Seigneur dressera un signal pour les nations et rassemblera les bannis d’Israël. Il regroupera les dispersés de Judas des quatre coins de la terre ». Mystère de l’universalité du signe messianique ! Il faut noter que l’antisémite rejette et la généalogie juive du Messie (parce qu'il n'aime pas les juifs) et l’universalité du signe qu’il donne à voir (parce que juif il ne pourrait pas être universel). Dans cette antienne au contraire, de manière magnifique les deux dimensions sont présentes en même temps, l’identité juive du Messie et son rayonnement universel.

Est-ce moi qui fantasme en parlant, ici, d’antisémitisme ? La même antienne insiste sur la dimension politique du mystère messianique, tellement enracinée dans un peuple et tellement destinée à tous les peuples. Il faudra que les rois soient contraints au silence, « obligés de fermer leur bouche » dit notre antienne. Le salut du monde ne vient pas de la politique ni de la Puissance que se donnent les rois du monde. Hérode, ce Bédouin mal équarri, a essayé le premier de s’en prendre au Messie. Il a tué les enfants de Bethléem, croyant que ce génocide suffirait pour en finir avec cette royauté venue d’ailleurs, qu'il prenait pour une concurrente. Mais Dieu n’a pas abandonné son Fils aux pattes du monstre tueur d’enfants (Hérode, disent les chroniqueurs antiques, était tueur même de ses propres enfants, pour leur passer l'envie de lui succéder). Comment a-t-il fait ? Rien d'apparemment surnaturel dans la réaction de Joseph. Averti en songe, il  a dû fuir, il a fui  en Egypte avec l’enfant et sa mère. Mais il a ainsi préservé le Rejeton de Jessé.

Comment les rois se contraindraient-ils au silence, eux qui ont tout pouvoir en ce monde ? Ce sont les peuples qui appelant le Messie, contraignent les rois à fermer leur bouche, nous dit l’Antienne. Un désir nouveau naît dans le monde. Une espérance neuve s’affirme à la face des nations. La liberté ne vient pas de la politique ni des politiciens. On a bien vu que ces gens à programme, plans et rataplans, ne savaient que transformer en idéologie ce qui est l’aspiration la plus profonde et la plus secrète de l’homme. Seul le Messie libère vraiment. Seul il sauve de la corruption et de ce que les antiennes appellent « l’ombre de la mort ». Seul il donne aux hommes une vie libre, celle qui n’a aucun compte à rendre au temps qui passe. Les peuples sont pris d’une sainte impatience : « Viens nous libérer, ne tarde pas ». Ne laisse pas le temps entre nous. Sauve nous dans l’instantanéité de ta puissance ! C’est tout de suite ou jamais. Ainsi est le temps de l’Avent, temps du désir spirituel, qui nous fait dire à Dieu avec une audace dont nous ne nous serions pas cru capables mais que nous donne sa grâce : c’est tout de suite ou jamais.

Il ne faut pas moins que cette terrible impatience pour réduire les rois au silence.

3 commentaires:

  1. Dieu, Monsieur l'abbé, que votre texte est romain, et peu sémite, et peu orthodoxe !

    J'y reviendrai. Mais puisque vous aimez le "minuit, chrétiens", je commence par le citer pour faire écho à votre dernier paragraphe :
    "Puissants du jour, […] courbez le front devant le Rédempteur."

    Je ne sais pas pourquoi ce chant, qui aurait été écrit par un franc-maçon notoire, respire une théologie du péché originel que l'Eglise d'aujourd'hui nepeut plus souffrir. On y développe certes une théologie de la satisfaction, on y parle, il est vrai, d'"apaiser le courroux" du Père par le rachat du fils, mais je ne sais pas d'exemple où la liberté cosmique et la fraternité universelle ne soient poussées plus loin :
    "Le rédempteur a brisé toute entrave,
    La terre est libre et le ciel est ouvert.
    Il voit un frère où n'était qu'un esclave,
    L'amour unit ceux qu'enchaînait le fer."

    Votre texte, vous apostrophais-je, a l'immaturité romainne des "fils à maman Eglise" qui, au nom d'une inflation mariale qui voudrait pousser jusqu'à désigner Marie comme co-rédemptrice, donnent dans un esthétisme où ce seraient les cœurs immmaculés de Jésus et de Marie, la nouvelle Eve et le nouvel Adam couronnant sa mère (bien qu'Adam ne soit pas Abel et encore moins Caïn, le fils n'a pas acquis sa mère…), qui relèveraient l'humanité. Or cette romanité n'est vraiment pas très orthodoxe, d'abord parce qu'elle ne situe pas la nuptialité au bon endroit : Jésus deviendrait l'Epoux de sa mère la couronnant et comme la fétichisant alors que, si Marie est, comme le pense l'Eglise orthodoxe, tellement l'épouse de l'Esprit qu'il s'en faut d'un cheveu qu'elle ne soit la quatrième personne de la Trinité, tout est à sa place, et en particulier la violation de l'interdit sacré ne se fait pas de façon immature, dans un Œdipe à peine déguisé, du fils à sa mère. Dans son livre LE CHEMIN DE L'HOMME SELON LA BIBLE, le Prêtre orthodoxe Philippe dautey explique bien que la véritable relation sacrée est celle de la fille Création enceinte de son Père – et non pas celle du Fils qui épouserait sa mère -. Notre amie Benoîte aurait encore le temps d'intervenirdans ces colonnes qu'elle développerait cela beaucoup mieux que moi.

    Dans sa romanité, votre texte rate aussi le coche du sémitisme. Vous relevez justement que l'attente messianique des nations était caractérisée par Isaïe comme étant celle d'une femme. Je me suis toujours demandé comment les Pères de l'Église, qui ont glosé à l'infini sur les deux natures du fils en tenant à ce qu'Il soit le pair du Père, n'ont pas vu que, dans ses propres litanies où le prophète ne glosait pas la tradition comme ces belles litanies romaines, mais titularisait au gré de ses propres fulgurances le serviteur de dieu, il l'appelait "Père éternel". Le serviteur qui vient tromper l'attente messianique que les nations ont d'une femme, ce "prince de la paix", le prophète le désigne comme "le Père éternel". C'est à peine si Dieu Lui-même n'était pas venu s'incarner et descendre sur terre. La belle hérésie que ç'aurait été là ! Je n'imagine pas que l'imagination fertile des premiers siècles de l'ère chrétienne ne l'ait pas fait sortir des Écritures. Un métablogueur plus érudit que moi (ce n'est pas difficile) pourra nous renseigner là-dessus.

    Mais nous ne sommes pas là pour suggérer des hérésies. De la synthèse des deux attentes que vous décrivez, il me semble que l'on peut tirer ceci : l'identité du "Fils de l'Homme Jésus", c'est d'être "Fils de Dieu" "né de la femme". Jésus n'est homme que par la femme. Et il devient enfant par une Vierge qui sublime la prostitution, dont le sacré est comme le revers. Le sacré est l'envers de la sainteté.

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  2. (Suite).

    Il y a trace de la prostitution dans la généalogie féminine de Jésus, cela est suffisamment noté. Mais j'ai entendu émettre une hypothèse, la seule fois où j'ai assisté à un culte à la "mega church" de Mulhouse, "la porte ouverte chrétienne". Le pasteur, Samuel Peterschmitt, se demandait pourquoi, lorsque son homonyme, le prophète Samuel, arrive chez Jessé, celui-ci lui présente tous ses fils sans penser à faire chercher David, comme s'il avait un doute sur sa paternité, doute qui se serait transmis au plan naturel dans l'enfant david qui, lorsqu'il se désole : "J'étais pécheur dès le sein de ma mère", ne fait pas que pressentir le péché originel, mais se demande, risquait le pasteur, s'il est bien le fils de son père… Du coup, il n'y a pas que Jésus qui est fils de David par son père putatif. Il y aurait David qui, déjà, se demandait s'il était bien de la souche de Jessé.

    Cela rebat les cartes du "Jésus identitaire" que vous nous présentez dans une romanité toute maurrassienne. Jésus n'est certainement pas un "citoyen du monde", Lui qui a donné naissance à un peuple qui n'est pas du monde. Il est encore moins "le fils de personne", puisqu'Il est Fils de l'homme en étant Fils de Dieu né de la femme. Mais il n'y a que dans vos extrapolations identitaires que l'Identité de Jésus est "indissolublement ethnique et spirituelle". Jésus n'est pas l'homme d'un clan. Il n'est pas l'enfant d'une légitimité, les "sages du Talmud" en ont assez fait de gorges chaudes pour scandaliser le chrétien et tenter de le déstabiliser. Fils de l'homme né de la femme, Jésus, roi des nations, est de la matrice nationale. Il est de la matrice par laquelle les nations naturalisent, et chez Lui naturaliser s'appelle faire grâce. Cette matrice nationale se ressent jusque dans la formation de son esprit humain. Certes, au début de sa mission, Jésus S'éprouve comme étant venu pour rechercher les brebis perdues d'Israël. Mais sous l'influence de la siro-phénicienne qui voudrait être un petit chien pour entrer dans la maison d'Israël, Il évolue au point, dans la charte du Jugement dernier, de devenir l'étranger que son disciple doit naturaliser et en qui Il doit reconnaître son maître, s'il veut s'acquitter de sa mission de baptiser toutes les nations.

    Jésus n'est pas un patriotard clanique. Il n'est pas un mondialiste à l'universalisme aux petits pieds et beaucoup trop facile pour Celui qui acceptera de monter sur la Croix. La matrice nationale de la naturalisation adoptive n'a rien de facile. Il s'agit pour l'adoptée de vouloir être un petit chien pour être admise à la table familiale. Et il s'agit pour l'adoptant de passer du clanique à l'universel. Ce qui permet ce passage, c'est la sublimation de la prostitution par la virginité. Mais cette sublimation commence par nommer la prostitution et opérer le renversement d'après lequel, à cause d'une généalogie où la légitimité est souvent mise en doute, la prostituée précède dans le Royaume des cieux, elle et son enfant le publicain, celui qui se croit né. Si "noblesse oblige", elle exige d'être renversée. Elle oblige le noble à accepter le renversement, le renversement des "puissants du jour" pour mettre sur leurs trônes le "roi d'humilité", le Fils de Dieu né de la femme, le Fils de l'homme, viril en ce que la reconnaissance de paternité ne se fait pas sans résistance… de la part du "Père éternel".

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  3. APENDICES OU CODISCILES


    - L'abolition de l'inceste marquerait le passage de l'homme de la barbarie à la civilisation. Notre juridisme très civilisé ne s'en est aperçu qu'il y a quelques années en prohibant la licéité tacite des relations entre frère et soeur. Mais les religions plus andogames avec l'hôte intérieur n'ont pas versé dans cette hypocrisie. D'abord le monogénisme a fait de l'inceste la condition de la croissance de l'espèce. Et puis la religion a voulu chercher quel était, de tous les incestes soumis comme Œdipe à l'exposition, le plus sacré. Elle a jugé immature et malsain que le fils épouse et couronne sa mère, qui veut l'empêcher de se crever les yeux quand il s'aperçoit de sa méprise.Ainsi plaide Jocaste contre Œdipe qui veut la quitter. Mais la religion sublime le geste des filles de Lot et déclare que la relation des filles au Père est sacrée. Comme les filles de Lot, la Création doit être enceinte duCréateur.

    - La France se croit universelle d'avoir répandu depuis la Révolution un discours qui se voulait humain. Les cités unies de l'Achéie, précurseurs de vingt-cinq siècles des Etats-Unis d'Amérique, ont lancé dans le monde une sagesse universelle et rationnelle, un peu négatrice des enchantements divins. Cette sagesse était sans lumière. Les juifs ont réalisé l'universel en amalgamant des Russes, des germains et des Arabes, dans une même nation à promesse territoriale lointaine et sous condition éthique. Ils ont corrigé leur torah dans l'islam et fait advenir un messianisme spirituel dans le christianisme et un messianisme temporel dans les utopies égalitaires. Les juifs se croient supérieurs pour que l'humanité le devienne. Ou l'humanité leur trouve un complexe de supériorité, car sa médiocrité ne se croit pas biein représentée par eux. L'universalisme grec ou français est un accident de l'histoire, l'universalisme juif se répète dans l'histoire comme une constante génétique. La genèse en revient à l'auteur de la promesse au peuple représentant. Cet universalisme est d'autant plus paradoxal qu'il a un fond territorial. Nul ne sait vraiment dire coment cet universalisme fonctione et de quoi il est fait. Nul ne sait de quoi ou de qui, dans sa persistance, l'universalisme juif est le nom.

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