mardi 28 février 2017

Un Carême sur l'Identité

Chers amis, je me permets de donner les heures des cérémonies d'entrée en Carême, ainsi que le programme des Sermons de Carême que je propose cette année.
  
Mercredi 1er mars les messes sont à 8H00 (messe basse) et à 19H00 (messe chantée). Les cendres seront distribuées avant (et même après) chaque messe.. J'assurerai les confessions entre 17H00 et 19H00.

Les messes des dimanches de Carême ont lieu comme d'habitude à 9H00, 10H00, 11H00, 12H30 et 19H00.

Chaque dimanche à partir de dimanche prochain, je prêcherai, à 18H00, un Carême, intitulé cette année Identité et christianisme.

En voici le programme. Le sujet est rebattu c'est vrai, mais il n'a jamais été abordé formellement du point de vue spirituel, où nous allons nous placer. Pour ceux qui le souhaitent, une messe est célébrée immédiatement après, à 19H00.
  • Dimanche 5 mars, 18H00 : Je crois donc je suis : la foi, notre identité à tous
  • Dimanche 12 mars, 18H00 : La charité nous presse : au-delà du compassionnel, la lumière
  • Dimanche 19 mars, 18H : L'Eglise, mère et maîtresse des peuples, significations du christianisme culturel
  • Dimanche 26 mars, 18H00 : Le spirituel et le charnel, création et recréation
  • Dimanche 2 avril, 18H00 : Notre Dieu en chair et en os, de l'incarnation à l'inculturation
  • Dimanche 9 avril, 18H00 : Jean-Paul, Benoît et François, trois théologiens de l'identité

CENTRE SAINT PAUL
12 rue Saint-Joseph
75002 PARIS
Tél.: 09 52 21 77 89
M°: ligne 3 (Bourse / Sentier), lignes 8 et 9 (Grands Boulevards)

samedi 25 février 2017

Païen et chrétien

Un film par an sans subvention d’Etat, sur les sujets les plus difficiles. Une telle fécondité est exceptionnelle. Une telle habileté pour se contenter de budgets microscopiques et faire au mieux avec, cela relève du miracle. Quel miracle ? Celui d’une volonté en acte, qui se sait mystérieusement plus forte que tous les obstacles. Voilà Cheyenne-Marie Carron, une réalisatrice atypique, qui nous offre un monde dans chaque film, avec une générosité sans cesse renouvelée, une sorte de jubilation créatrice, qui dépasse les scénarios attendus et nous propose hardiment une vérité cachée, une vérité à laquelle nous n’avions pas osé penser. C’est l’Apôtre, ce musulman qui se convertit au christianisme parce qu’il a compris la Paternité de Dieu. C’est Patries, avec ce jeune Camerounais qui ayant appris beaucoup de choses en France, ne se satisfait pas de la vie médiocre qu’offre la Banlieue et envisage de revenir au Pays comme entrepreneur. C’est La chute des hommes, dans lequel Cheyenne montre des djihadistes au désert, qui exécutent des otages et se battent entre eux pour la gloire d’Allah ; et puis l’un d’eux qui, devant l’horreur, retrouve sa foi chrétienne, au milieu des cadavres, non pas malgré ce qu’il a fait mais à cause de la brutalité d’un engagement, qu’il finira par renier.

Et voici en 2017 La morsure des dieux. Nous ne sommes plus au Désert, mais en plein Pays Basque, cette terre de caractère, dans laquelle les dieux des morts continuent leur sarabande à l’insu de la plupart des vivants, qui ne veulent rien entendre. Il y a bien – on les aperçoit dans le film – quelques hommes-brebis qui continuent à danser, mais ces démonstrations relèverait du pur folklore si certains êtres ne continuaient pas à vibrer à l’intime d’eux-mêmes pour le vieux Pays, qui persiste dans sa vie cachée tant que certains de ses rejetons perçoivent sa musique, et mettent leur musique intérieure au diapason des Tradition du monde dont ils sont issus. 

En regardant ce film, j’ai pensé au très beau roman d’Eugène Green, La bataille de Roncevaux, qui met en scène, lui aussi, ce pays qui refuse de mourir. Pour tenter de découvrir l’énigme qui constitue le Pays basque, Eugène Green a écrit une sorte de roman policier. Ne s’agit-il pas d’un secret à trouver? Le genre «policier» semble éminemment adapté pour poser cette énigme. Cheyenne Carron a fait l’option inverse. Rien à voir avec un roman policier ! Cette énigme est déjà donnée, comme l’énigme antique proposée par la Sphinge de Thèbes, la solution est dans la question qu’il suffit de bien lire, de bien voir. Elle est à portée de main ? Disons à portée d’objectif. Ce que propose la réalisatrice, à l’inverse d’Eugène Green, ce n’est pas un secret caché. Il suffit de percer la magie des images : que nous acceptions de voir ce que l’on ne sait que regarder… La beauté des images, dans ce film, invite avant tout à abandonner le Moi, pour une vérité hors de moi, une vérité qui n’est pas cachée mais trop apparente, trop offerte pour être vue, vérité dans laquelle Sébastien s’est cherché et croit s’être trouvé ; vérité dans laquelle Juliette est déjà de plain-pied, vérité cosmique, essentiellement féminine, vérité qu’il ne faut pas chercher si l’on veut la trouver, car elle est toujours déjà là.

Sébastien, ce jeune agriculteur, qui a repris des terres ancestrales pour y élever des chèvres, a compris la beauté de cette quête païenne de l’Origine du monde. Mais c’est un homme, il lui faut intellectualiser sa recherche. Il s’est donc constitué un petit autel, avec Cernunos, le dieu Cerf et Mari, la déesse mère vénérée par les Basques. Il connaît le chemin de la source sacrée, qui guérit ceux qui y ont recours. Il prie à l’Eglise aussi, où il retrouve l’ombre de sa mère. Il lui arrive de lire, Henry Miller : il s’identifie à la quête hellénique de l’auteur du Colosse de Maroussi. Mais surtout il milite et tente de constituer, avec les paysans, une Amap, qui soit comme un clan des paysans et leur permette d’échapper aux tarifs léonins pratiqués par le Supermarché voisin. Si la terre se meurt, il est en quelque sorte payé pour le savoir, c’est avant tout parce qu’elle ne permet plus aux hommes qui la cultivent d’en vivre, ou plutôt parce que le Système financier, qui broie les hommes faibles, quelque bienveillants qu’ils soient, ne permet plus une commercialisation normale de ses produits.

Quant à Juliette, elle a compris qu’elle était sa parèdre, que telle était sa place ou son destin, que l’Ordre cosmique ou le Fatum en avait décidé ainsi. Sans doute émue par la pureté de Sébastien, de son enthousiasme et de son engagement, elle choisit d’être à ses côtés, avec une tranquille assurance, sans se laisser impressionner plus que cela par les rebuffades qu’elle subit d’abord, avec, je dirais cette infaillibilité qui caractérise la femme amoureuse. La croix qu’elle arbore tranquillement sur sa poitrine ne laisse aucun doute : elle est chrétienne. Apparemment donc, elle vit à des années lumières de Sébastien, qui se met en tête de l’initier aux Puissances de la nature qu’il révère. Drôle d’entrée en matière ! Elle se laisse faire, souriante, mais au fond n’est-ce pas elle, n’est-ce pas son amour si supérieur à toutes les amourettes de rencontre, programmées sur Internet, n’est-ce pas sa sérénité tranquille qui leur permettra, à tous deux, de communier avec le cosmos?

Sébastien est inquiet, mental et militant. Au fond il n’a pas trouvé, parce qu’il n’a pas vu, pas encore, que Juliette est tout ce qu’il cherche, et que son christianisme semble la renforcer encore dans son éloquence muette, en l’ancrant inconditionnellement dans l’Amour, comme elle le lui expliquera.

Cette histoire d’amour entre Juliette et Sébastien aurait pu être une pochade. En réalité, c’est une sorte de parabole, qui permet de comprendre les rapports entre le paganisme et le christianisme, rapports que d’aucuns dans les années 70 avaient voulu rendre conflictuels, en les badigeonnant d’un nietzschéisme de bazar, rapports que Cheyenne Carron pressent comme absolument complémentaires, et je dois dire que sur ce point je ne saurais lui donner tort. Il y a une étroite symbiose, mais elle est à redécouvrir aujourd’hui, entre l’arbre de la nature et l’arbre de la grâce, comme parle Péguy. Quand l’arbre de la grâce est raciné profond » il est plein d’une sève naturelle, qui le fait vivre.  A ce moment, on peut dire avec saint Thomas d’Aquin que « la grâce agit selon le mode de la nature ». 

Je ne veux pas transformer cette critique agréable en un article de théologie, mais il faudra le faire, cet article, et y venir : l’actuelle faiblesse du christianisme en Europe n’a-t-elle pas son origine dans le divorce entre la nature et la grâce, opéré fort légèrement par de soi-disant spécialistes de la Pastorale, soucieux de faire des petits chrétiens propres sur eux, comme on fait les cornichons : en bocaux ? Marcel De Corte, Gustave Thibon, Charles Péguy, Gilbert Keith Chesterton l’ont pensé très fort… Cheyenne-Marie Carron nous le montre en images. Son héros, Sébastien, part en moto à travers l’Europe pour digérer son échec. Mais il sait bien que son équilibre, il le retrouvera, pour l’épouser lui-même, dans ce que j’aimerais appeler le catholicisme médiéval de Juliette.

mercredi 15 février 2017

Silence!

Le dernier film de Martin Scorsese impose silence à la critique dès son titre. C'est pourquoi d'ailleurs ceci n'est pas une critique, mais une méditation sur ce film, sur la foi donc, et sur la trahison, telles qu'elles apparaissent à ce grand artiste, en quête de vérité.

Cette oeuvre grandiose que le cinéaste aurait médité pendant vingt ans, est évidemment scandaleuse, elle est un objet de scandale pour qui la prend dans la figure : 2 H 40 sur une histoire de martyrs qui s'offrent ou se dérobent au sabre de l'Inquisiteur, ce n'est pas folichon comme intrigue ; 2 H 40 d'un terrible pilpoul dont l'enjeu est la vie ou la mort, la mort du martyre qui donne la vie ou la vie du pékin moyen qui se termine toujours par la mort : le film se termine d'ailleurs... dans un cercueil ! 2 H 40 d'images sur le Japon du XVIIème siècle, où les visages sont "impénétrables" et les tempéraments de feu, où les chrétiens japonais sont persécutés et menacés à tout moment de supplices qu'en français courant nous qualifions de chinois, mais où les communautés créées par saint François Xavier au Pays du Soleil levant n'ont pas vu de prêtres depuis des décennies.

Toute la première partie du film s'engage sur le quiproquo que crée cette situation : deux jésuites portugais, le Père Garupe et le Père Rodrigues, débarquent clandestinement dans l'Archipel pour avoir des nouvelles de leur ancien Père maître le Père Ferreira, un personnage qu'ils admirent et dont ils ont fait leur idéal religieux. On pourrait presque dire qu'ils le vénèrent comme un saint. Mais très vite, leur mission prend une autre dimension : les deux hommes sont littéralement happés par les communautés chrétiennes clandestines qui vivent dans des villages au bord de l'eau. Leur foi d'écolier enthousiaste va mûrir, plus vite d'ailleurs chez l'un que chez l'autre, au contact des héros que sont les chrétiens japonais sans nom et leurs porte parole, Ichizo et Mokichi.

La première partie du film est un hommage à cette foi des laïcs japonais, naguère évangélisés par saint François-Xavier, et qui sont restés des années sans prêtres, dans une ferveur que la perspective du martyre venait encore stimuler. Certains trouveront sans doute que la seule promesse du paradis ("paradison", "paradise" reprend le Père Rodrigues en anglais) n'est pas suffisante pour justifier leur résistance au grand inquisiteur et leur mort. Mais n'est-ce pas l'élan du martyr, cette volonté d'une vie heureuse que le fidèle n'a pas découverte sur la terre ? Je ne suis pas sûr qu'il faille se choquer de cette attitude simple, fruste sans doute mais profondément vraie, qui correspond trop à l'instabilité de la condition humaine pour être écartée d'un revers de main... L'un des deux prêtres, le Père Garupe, cherchant de façon désespérée à venir en aide aux martyrs et devenu martyr lui-même, entendra cette leçon du peuple japonais chrétien, cette leçon qui par sa simplicité dépasse bien sûr les études compliquées des deux jeunes prêtres, mais qui aurait dû les confirmer tous deux dans leur foi. Il y a dans ce film, curieusement, une réflexion sur la religion populaire et sur le décalage des clercs par rapport à la piété des laïcs, décalage que certains parviennent à surmonter (le Père Garupe) d'autres non (le Père Rodrigues). Que se passe-t-il lorsque la religion savante l'emporte sur cet instinct de la foi et le fait oublier ? La foi disparaît, c'est sans doute l'un des aspects de la crise actuelle de l'Eglise, issue non seulement du concile Vatican II mais d'une tentation d'intellectualisme née dès les années 30 dans l'Eglise et qui, comme l'expliquait le Père Serge Bonnet dans les années 70, a fini par détruire l'authenticité (évidemment sacrificielle) de la religion populaire.

Cette explication n'est pas inutile pour nous faire comprendre le personnage de l'autre prêtre, le Père Rodriguès, à la personnalité certainement plus complexe que celle de son confrère Garupe. Rodriguès est certainement le principal porte-parole de Scorsese, il est notre contemporain : un bobo débarquant (volontairement me semble-t-il) dans cette histoire d'un autre âge, un enthousiaste, auquel sa longue attente dans les prisons d'Inoué "l'inquisiteur", donne l'occasion d'affirmer sa foi, mais aussi un personnage "arrogant", occupé de lui-même, qui dès le  début du film exhorte les futurs martyrs à "piétiner la croix" pour "rester vivants". Il a conscience, à tel ou tel moment du film, que les circonstances extrêmes dans lesquelles il se débat, surimposent à sa propre destinée celle du Christ et du Christ crucifié. La scène où, se regardant dans l'eau, parce qu'il aime sa propre image, il découvre en surimposition celle du Christ qu'il a vénéré durant son noviciat, du Christ crucifié, martyrisé, lui paraît insupportable. Il part dans un rire nerveux qui présage de la suite. Comme le dit sentencieusement Inoué, l'inquisiteur : "Il est arrogant, il trahira". Il est notre contemporain, il aime son image, il se chérit lui-même, admire son propre courage... Il ne peut pas terminer comme un martyr banal. Il voit le martyre de son confrère le Père Garupe. Caché dans la forêt, il voit les martyrs du village chrétien qui les avait accueillis. Ces images, dans leur inutilité, lui sont insupportables. Même la scène christique de la crucifixion de Mokichi et d'Ichizo, dans la marée montante qui finalement les submergera, ne suffit pas à lui montrer l'identification au Christ que suppose toute foi... Il pose à haute voix, plusieurs fois, la question du silence de Dieu. Ce silence lui semble insupportable.

Le Christ manquerait-il de compassion ? Le Père Rodrigues, lui, éprouve immédiatement une immense compassion pour le personnage de leur guide, celui qui les introduit dans le village chrétien, celui qui a déjà trahi le Christ en refusant le martyre et qui le trahira plusieurs fois au cours de cette histoire. Cette compassion, c'est celle de la morale contemporaine, qui n'a au fond rien à voir avec la charité. Après chaque trahison Kichigiro (c'est son nom), littéralement habité par sa peur, vient demander à Rodriguès de le confesser et Rodriguès, saisi par l'inutilité apparente du sacrement, s'exécute : il le confesse, encore et encore et jette le manteau de Noé sur ses trahisons successives, quel qu'en puisse être le coût humain. Kichigiro reconnaît "sa faiblesse", implore la miséricorde, ce que n'avait pas su faire Judas, mais, comme Judas, il ne touche pas à l'argent qui récompense sa lâcheté. Kichigiro restera toute sa vie avec Rodriguès, comme son double monstrueux, mais lui finira par mourir martyr après que les agents d'Inoué ait découvert une image du Christ qu'il portait sur lui. On a envie de dire : mais où va se nicher la fidélité ? C'est peut-être cela d'ailleurs le vrai sujet du film : l'omniprésence de la foi dans chaque personnage, sous la forme d'une fidélité.

Il y a deux manières de comprendre la deuxième partie de ce film, entièrement consacrée à un martyre, celui du Père Rodrigues, qui n'aura pas lieu. Rationellement on sera attentif à cette expérience du silence de Dieu, à cet apparent manque de compassion du Christ pour ses disciples victimes du martyre, à l'inutilité de leur souffrance, au discours de l'Inquisiteur sur la stérilité de l'Eglise au Japon, sur le "marécage japonais" dans lequel rien ne pousse, sur la vanité des missions étrangères, qui répandent une religion qui n'a rien à voir avec la population (la première partie du film dément pourtant ces raisonnement captieux, le film lui-même est dédié aux fidèles japonais). Il est permis de voir dans le film de Scorsese un Christ nihiliste, dont la dernière tentation au Ciel, est de préférer la compassion à la charité, l'interdit moderne de la souffrance à sa divinisation chrétienne. C'est ce qu'a bien vu Hubert Champrun dans sa critique de Monde et vie.

Le noeud de l'interprétation est aussi le moment clé du film, où le Père Rodrigues va finir par marcher sur la croix comme le lui demande son bourreau. Il le fait pour sauver d'une mort horrible quatre fidèles japonais dont le sang s'écoule goutte à goutte dans une fosse dans laquelle ils sont suspendus la tête en bas. La charité peut-elle tenir devant l'impératif de la compassion ? Qui saurait le dire ?  Dans la conscience embrouillée du Père Rodriguès résonne une voix off, lui demandant de piétiner la croix. Qui se cache derrière cette voix off ? Le Christ, comme l'affirme Champrun ? La conscience tourmentée du Pere Rodrigues, comme le pense François Huguenin ?  Le diable propose Laurent Dandrieu. Rodrigues lui-même ne sait plus et il craque. Peut-être, en cet instant décisif, est-ce la voix doucereuse du Père Ferreira, retrouvé in extremis par l'intervention expresse d'Inoué le grand Inquisiteur, qui sera décisive ?

Cette grande figure jésuite a tout trahi. Ferreira s'est converti au bouddhisme. Il se livre en toute tranquillité à des études d'astronomie, avec la bénédiction inquisitrice d'Inoué. Oui c'est cette voix sans doute, la voix de celui que  Rodrigues était venu chercher sans vouloir croire à la rumeur de sa trahison, c'est la voix du mentor, la voix du maître si longtemps respecté qui l'emporte au dernier moment et qui  décidera de la destinée du jeune "Padre".. Ferreira est le seul traître parfait dans le film. Il a perdu la foi. Il semble parfaitement heureux dans sa nouvelle vie. Rodrigues, marié à une Japonaise, aura sans doute tenté de suivre ce maître sur la voie du parfait reniement. Il exauce ainsi le voeu le plus profond d'Inoué le vieux samouraï défenseur des traditions japonaises, qui continue à le surveiller pour qu'il ne revienne pas à sa foi chrétienne.

Le persécuteur ira jusqu'à organiser les funérailles bouddhistes du Padre, dont la caméra nous découvre in extremis qu'il porte au creux de sa main une petite croix. Pas n'importe laquelle : celle que lui avait donnée Ichizo, le vieux chrétien martyr. Rodrigues, avec son orgueil, sa fatuité, son arrogance, a officiellement perdu la foi, il semble "perdu pour Dieu". Mais on n'en finit pas si facilement que cela avec son identité spirituelle. La foi se cache ? Elle est bien là, c'est l'autre compréhension que l'on peut avoir de ce film : quand même on voudrait quitter la foi, on n'échappe pas à une forme de fidélité cachée, qui au dernier moment intercède pour l'homme. On peut observer qu'à travers cet humble petit objet, qui aura longtemps été le seul signe chrétien autour duquel se réunissait la communauté japonaise, ce n'est pas la foi jésuite acquise au noviciat qui sauve Rodrigues. C'est la foi populaire des laïcs martyrisés qui aura finalement évangélisé son Pasteur autoproclamé, en lui offrant, à travers cette petite croix, l'ultime médiation à travers laquelle s'affirme, indéracinable, son Credo, c'est-à-dire - et ce n'est absolument pas étranger à Scorsese - son salut.