mercredi 27 septembre 2017

Bienheureux Paul VI ?

Faut-il fêter Paul VI, ce 26 septembre, date anniversaire de sa naissance? Faut-il célébrer l'anniversaire de sa béatification le 19 octobre? La question est particulièrement difficile pour un traditionaliste. Grand ami de Jacques Maritain auquel il proposa même le chapeau de cardinal que l'intéressé refusa, Jean-Baptiste Montini est assurément un grand ami de la France et il se mêle à la bagarre entre "intégristes" et partisans du pape Pie XI, celui qui condamna, sans motifs affichés, l'Action Française en 1926. Sur ce point, Montini a dû approuver de tout coeur son ami Maritain, proche de Maurras, écrivant dans la Revue universelle d'Henri Massis, et théorisant en 1936, face au "nationalisme intégral" de Maurras, ce qu'il appela l'humanisme intégral. J'ai lu de près très récemment cet ouvrage. S'il y a un livre qui a influencé le pontificat de Paul VI, c'est celui-là. L'idée est devenu banale aujourd'hui. A l'époque elle fit l'effet d'un coup de tonnerre : l'Eglise, critiquant les humanismes purement modain, s'empare pourtant de ce thème philosophique et, s'inspirant de Jacques Maritain, les hommes d'Eglise revendiqueront désormais pour l'Eglise la charge d'un humanisme que l'on appela intégral, non seulement en souvenir vengeur du nationalisme intégral de Maurras, mais pour signifier que l'homme sans Dieu n'était pas l'homme intégral. Méditant sur le livre de Maritain, le futur cardinal de Lubac écrira à la fin de la guerre, le Drame de l'humanisme athée (1944), qui envisageait trois grands protagoniste de la "querelle de l'athéisme", Nietzsche, Auguste Comte et Dostoïevski, dont on connaît le fameux "Si Dieu n'existe pas tout est permis". 

Le pape Paul VI devait reprendre ces deux théologiens. Son discours de clôture au Concile est clair, mais faible hélas: "Le culte du Dieu qui s'est fait homme est allé à la rencontre du culte de l'homme qui se fait Dieu. Qu'est-il arrivé? Une lutte? Non !Un immense mouvement d'admiration a débordé du concile sur le monde". C'était le 8 décembre 1965. L'Eglise avait fait son aggiornamento! Et pourtant tout restait à faire, c'est le drame du pontificat de Paul VI. Au lieu de faire comme Jean XXIII le sentait, un concile bref et identitaire, soucieux de rappeler les fondamentaux de la foi chrétienne à un monde qui les oubliait, Paul VI, ce grand intellectuel, a essayé de faire droit à toutes les questions sur lesquelles se dégageait un consensus suffisant (c'était sa grande préoccupation, le consensus!). Résultat? Le concile n'en finit plus de finir. De grandes questions comme le dialogue interreligieux ou l'oecuménisme ont été abordé en quelques lignes, parsemées de formules vachardes... Je pense au début de Nostra aetate : "Chercher plutôt ce qui nous unit que ce qui nous divise". Cela veut tout dire et rien dire... On en discute encore aujourd'hui. Il était important de permettre le dialogue interreligieux, mais comment et dans quel but ? Aucune précision à ce sujet, pour des textes adoptés à la va vite en 1965, parce que l'Eglise ne voulait pas se payer une année conciliaire supplémentaire (malgré l'enthousiasme d'un Roger Schutz, qui au nom de sa communauté protestante de Taizé, envisageait un "concile permanent").

Paul VI va devoir gérer le bricolage du Concile. Le concile de Trente s'était étendu sur quelque trente ans. Vatican II a duré quatre ans. C'était trop peu. Le pontificat de Paul VI fut une sorte de continuation du concile par d'autres moyens, envisageant d'une part une réforme de la liturgie qui n'était pas dans la lettre de Sacrosanctum concilium et d'autre part un enseignement sur l'avortement et la pilule, produit en urgence : le pape François essaie encore de trouver une interprétation à Humanae vitae. C'est une encyclique inachevée, comme la liturgie dite de Paul VI est une liturgie qui ne cesse pas de connaître des mises à jour.

Concrètement, le pontificat de Paul VI se partagea entre une lutte contre les déviances trop marquées de l'épiscopat hollandais d'une part. A cette occasion, le pape lui même déclara l'Eglise "en état de schisme", car il n'arrivait pas à se faire obéir du cardinal Alfrink (grande personnalité du concile) et de ses héritiers bataves. Heureusement, en 1975, commence l'affaire Lefebvre. C'est providentiel ! Une unité provisoire de l'Eglise peut se manifester... au moins contre... oui contre les "intégristes". Paul VI n'hésita pas à consacrer un consistoire à l'ancien archevêque de Dakar. L'affaire Lefebvre commençait.

Alors Paul VI ? Il a tenté de rester sur une ligne de crête, condamnant l'avortement et la pilule d'une part, méditant aussi sur le célibat des prêtre auquel il consacre un document en 1971, mais imposant d'autre part par la force de son autorité un changement liturgique sans précédent, qui épousait largement les aspirations de son époque, en mettant de l'ordre dans les initiatives intempestives de tel ou tel "révolutionnaire". Il lui arriva ce qui arrive souvent aux conservateurs. Il voulut épouser son temps, sans pour autant rien changer au message de l'Eglise et, ainsi, ne satisfit personne, ni à droite ni à gauche. Un peu comme le premier pape, Pierre, qui ne condamna jamais saint Paul, tout en demeurant fidèle aux observances judaïques. Est-ce là l'ADN de l'Eglise romaine ? Serait-ce sa force ?

Correctio filialis: en réalité, on juge un silence

Au micro de Boulevard Voltaire
Je crois qu’il y a un quiproquo sur cette affaire de la correction filiale intentée. On peut dire qu’il s’agit d’une sorte de procès intenté par une soixantaine d’intellectuels et de responsables catholiques qui s’adressent au pape François en lui demandant sa bénédiction apostolique in fine. Il y a un quiproquo parce que la forme semble très lourde par rapport au fond.
   
Je m’en expliquerais en citant le lapsus [corrigé depuis] que l’on trouve sur le site de la Porte latine. La Porte latine est le site de la Fraternité Saint Pie X en France. Sur ce site, il n’est pas question de «correction filiale», mais de «correction finale» comme solution finale. C’est l’idée d’en finir peut-être pas de façon physique, mais intellectuelle. Lorsqu’on compare le pape à Luther dans la dernière partie du texte, on a vraiment l’impression qu’on veut en finir avec ce pape et qu’on ne s’est jamais remis de la renonciation de Benoît XVI, à laquelle il est fait mention comme pour indiquer que la légitimité du pape actuel serait douteuse. Tout cela me semble disproportionné et déplacé. Le pape est pape.

Il faut évidemment une expression plus claire pour pouvoir dire qu’il remet en question toute la morale catholique. Certains textes du pape peuvent faire peur à certains catholiques. C’est incontestable et ils peuvent avoir des raisons sérieuses d’avoir peur. Entre ces raisons sérieuses d’avoir peur et la dénonciation d’un pape qui tiendrait un discours qui ne serait plus catholique, mais luthérien pour reprendre ce texte de la correction filiale, la marge est énorme.
   
J’ai beaucoup lu le pape François. J’apprécie la dimension personnaliste qu’il donne à sa prédication. Mais je n’ai jamais vu sous sa plume, ou entendu dans sa prédication, la moindre chose qui puisse ressembler à une hérésie. En réalité, on juge un silence.
  
Il est déjà difficile de juger des mots. Les mots peuvent avoir plusieurs sens. Les mots peuvent ne pas tout dire. On peut préjuger de leur sens et juger du préjugé plutôt que des mots eux-mêmes. Quand le pape fait dire au Cardinal Burke, qui le met en demeure de répondre à quatre dubia, qu’il ne répondra pas et qu’il gardera le silence, cela veut dire que la position du pape sur les dubia n’est ni la position qu’attend le Cardinal Burke ni son contraire, mais le silence.
"Le pape François déroute tout de même les Européens. Il a un certain art de la nuance. Est-ce que cette tentative de « correction filiale » ne naît pas d’une certaine ambiguïté possible du pape François sur énormément de sujets ?"
On peut penser par exemple que les positions du pape François sur les migrants sont contestables du point de vue politique. Quand on sait que le pape François écrit un livre qui s’intitule « politique et société« , on peut penser aussi que dans tous ces domaines, la parole du pape François et la parole de Jorge Bergoglio ne sont pas forcément une parole pontificale infaillible. On doit la prendre en considération comme venant du plus haut dignitaire de l’Eglise, mais qui n’est pas dans le domaine de définition de son infaillibilité.
   
J’ai par exemple moi-même écrit un texte dans lequel je conteste l’usage que le pape François fait du Lévitique, ou de ce que dit le Lévitique sur l’étranger, ou le converti, « ger » en hébreux. Le pape François traduit étranger ou converti par migrants ou immigrés. On comprend que ce n’est pas la même chose. On est en droit de dire respectueusement au pape que l’usage qu’il fait de tel texte sacré n’est pas incontestable. Mais quant à manœuvrer cette idée d’hérésie du pape en faisant un rapprochement explicite avec Martin Luther, cela me semble excessif. On peut contester les raisons pour lesquelles le pape garde le silence, mais on ne peut pas de ce silence tirer une hérésie. Cela ne me semble pas logique.

mercredi 20 septembre 2017

Lettre au pape

Chère Sainteté, 

Votre dernière lettre à l’occasion de la journée des migrants prévue le 14 janvier 2018, a été publiée dès la fête du 15 août… Une occasion avant la rentrée de revenir sur votre politique en faveur des migrants, une politique que vous n’hésitez pas à tirer des propres paroles de l’Ecriture sainte, en citant dès les premières lignes l’un des cinq premiers livres de la Bible, le Lévitique : « L’immigré qui réside avec vous sera parmi vous comme un compatriote, et tu l’aimeras comme toi-même, car vous-mêmes avez été immigrés au pays d’Égypte. Je suis le Seigneur votre Dieu » (Lv 19, 34). Je crois que l’on peut employer, plutôt que le mot « immigré » qui sent très fort notre ultra-modernité, le mot « étranger ». Toute la Bible insiste sur l’accueil de l’étranger, la civilisation hébraïque est en symbiose sur ce point avec toutes les plus vieilles civilisations de l’humanité, dans lesquelles l’hospitalité est un devoir sacré. 

Il ne vous aura pas échappé néanmoins, qu’il existe une petite nuance entre « hospitalité » et « immigration ». L’hôte ne s’installe pas ; l’immigré si. L’accueil de l’étranger, tel qu’il est recommandé dans la Bible et dans ce passage du Lévitique en particulier, relève du devoir d’hospitalité, qui est sacré. Il ne s’agit pas, pour les juifs de faire de la place aux étrangers dans la Terre promise, sinon sous certaines modalités bien précises et vraiment drastiques, qui sont définies dans la Torah et sur lesquelles nous allons revenir. 

Disons tout de suite que ce qu’on lit dans l’Ancien Testament, c’est exactement l’inverse de l’accueil de l’immigré, c’est plutôt le nettoyage ethnique. Notre gloire nationale, l’abbé Pierre, malgré ou à cause de sa piété réelle, s’en était scandalisé, avouant d’ailleurs n’avoir découvert ces passages de l’Ecriture que tardivement dans sa vie de prêtre. Des exemples ? Yahvé donne l’ordre à Moïse d’exterminer les Madianites au chapitre 31 du livre des Nombres. Madian est une terre au sud de la Mer Morte, les femmes madianites sont coupables d’avoir tenté de séduire les Hébreux, pour les détourner du culte de Yahvé. La vengeance de Yahvé a été terrible : « Les Hébreux tuèrent tous les mâles ». Et Moïse insiste : « Tuez toutes les femmes qui ont connu un homme en partageant sa couche. Ne laissez la vie qu’aux petites filles qui n’ont pas partagé la couche d’un homme et qu’elles soient à vous » (sic). Comme compréhension de l’étranger, avouons qu’on fait mieux. Dans le Deutéronome, cinquième des Livres de la Torah, ce sont les Cananéens qui doivent être exterminés. Moïse l’ordonne. C’est Josué qui passera à l’acte pour conquérir la Terre promise, en exterminant ses anciens habitants, hommes et femmes : « Josué battit tout le pays (…) il ne laissa aucun survivant. Il frappa d’anathème tout ce qui respirait, comme l’avait ordonné le Seigneur, le Dieu d’Israël » (Juges 10, 40). On pourrait continuer cette funèbre énumération… Une chose est sûre : les Hébreux arrivant dans la Terre promise, ne sont pas invités par Yahvé au vivre ensemble, mais à l’extermination.

Quant à l’accueil de l’étranger, dont il est question dans le Lévitique, si l’on va au-delà de la simple hospitalité à l’occasion d’une visite, je crois qu’il faut interpréter les passages « accueillants » à travers cette formule au chapitre 12 du Livre de l’Exode : « Si un étranger en résidence chez toi veut faire la Pâque pour Yahvé, tous les mâles de sa maison devront être circoncis, il sera alors admis à le faire, il sera comme un citoyen du pays. Mais aucun incirconcis ne sera admis à le faire ; la loi sera la même pour le citoyen et pour l’étranger en résidence chez vous… » (12, 48). Nous tenons là le sens réel du passage cité par vous, sainteté : les étrangers en Israël seront traités comme les souchiens, du moment qu’ils se convertissent, s’étant fait circoncire. Loin de respirer la largeur d’esprit et l’accueil de ceux qui n’ont pas la même culture, ces vieux textes exhortent tous à une assimilation, qui, si elle est impossible doit céder la place à l’extermination.

Ce sont les chrétiens qui ont modifié le message de haine au nom duquel Israël a pris racine en Terre promise. Je citerai un seul texte, antique : la biographie de l’évêque Cyprien, pape de Carthage, mort martyr (exterminé non exterminateur) en 258. C’est son propre diacre Pontien qui écrit et il souligne ce fait qu’il trouve admirable et sans antécédent dans l’histoire : Cyprien au risque de sa vie intervint lors d’une épidémie de peste et plus fort que les saints de l’Ancien Testament souligne Pontien, plus fort que Tobie, il soignait au péril de sa vie non seulement les chrétiens, ses coreligionnaires, mais tous ceux qui en avaient besoin. Albert Camus se souviendra d’ailleurs de cette histoire carthaginoise, lorsqu’il écrira La Peste. C’est le Christ qui ne fait pas acception de personne, pas le Vieux Testament… Ce qui ne signifie pas qu’un chrétien doit accueillir les immigrés pour qu’ils habitent sa terre, en en modifiant l’équilibre culturel, mais qu’il doit secourir celui qui est dans la difficulté, en s’investissant personnellement. De même que l’on ne doit pas confondre l’hospitalité et l’immigrationisme, de même il ne faut pas confondre l’universalisme chrétien respectueux de chaque identité et le mondialisme qui les détruit.

Avec mon respect le plus filial pour votre œuvre si nécessaire de réhabilitation de l’Eglise catholique.

Post scriptum : Après avoir publié ce texte dans Minute, j'ai reçu un courrier, qui, venant d'un hébraïsant donne plus de poids encore à ma critique, me certifiant que le mot "ger" en hébreu signifie à la fois étranger, hôte et converti"

mardi 12 septembre 2017

René Laurentin face à Marie

Il était né le 19 octobre 1917 à Tours. Il vient de s'éteindre, à l'approche de son centième anniversaire, ayant publié son centième livre. René Laurentin aura beaucoup
travaillé pour le Royaume de Dieu. C'est ce grand travailleur que je voudrais saluer.

En 40, il fait la guerre comme officier d'infanterie. Il est fait prisonnier et passe toute la guerre en captivité. Cet élément de sa biographie m'a frappé : on est tellement seul quand on est prisonnier ! C'est sans doute au cours de ces cinq longues années que sa dévotion à Marie se fortifie, au point de devenir toute sa vie. Ordonné prêtre le 8 décembre 1946, pour la fête de l'Immaculée conception, il entreprend trois doctorats, qui portent tous sur la Vierge Marie, en particulier sur son sacerdoce.

Le rôle du  prêtre n'est-il pas d'offrir le Christ au monde, d'insérer l'éternelle offrande du Fils à son Père dans l'espace-temps ? N'est-ce pas Marie, la première, qui offre le Christ au monde ? N'est-ce pas par la liberté de son OUI que l'humanité a pu se racheter du premier péché ? Toute grâce de Dieu implique une liberté de l'homme. Au moment de l'Annonciation, lorsqu'elle dit à l'ange Gabriel, "voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole", elle représente la liberté de toute l'humanité, dont elle est en quelque sorte la marraine pour toujours. Notre liberté d'enfants de Dieu, méritant l'éternité divine par la grâce, cette liberté est issue de la sienne. Elle a été la première.

A Saint-Nicolas du Chardonnet, il existait une confrérie de Marie reine du clergé. L'autel est au fond de l'église sous la petite coupole érigée par Gustave Eiffel. Marie est reine des prêtres, parce qu'elle est prêtre elle-même, la première offrante, au Temple, 40 jours après la naissance de son fils. C'est en tant que prêtre qu'elle est reine des apôtres, recevant avec les Onze l'Esprit qui leur avait été promis.

J'entends certains d'entre vous me dire : mais si Marie est prêtre, on peut donc ordonner des femmes prêtres... C'est ignorer la différence entre le sacerdoce ministériel, qui a toujours été réservé aux hommes, et le sacerdoce royal, dont nous faisons tous et toutes partie. Mon cher Cajétan parle à ce sujet du sacerdoce comme officium, comme charge, c'est celui que j'ai l'honneur de porter. Mais il y a un autre sacerdoce, le sacerdoce comme excellence, le sacerdoce comme vertu, dit Cajétan. Par ce sacerdoce, nous sommes chacun prêtres, offrant notre sacrifice intérieur et réalisant "ce qui manque à la Passion du Christ". Ce sacrifice, personne ne peut l'offrir à notre place, il en va de notre salut, nous sommes bien le "royaume de prêtres" prophétisé par le livre de l'Exode et aperçu par le Voyant de l'Apocalypse (1, 9). Et dans ce peuple de prêtres, qui s'élance vers son Sauveur, Marie est la première. Elle offre son sacrifice, nous allons le 15 septembre fêter Notre Dame des 7 douleurs : qui connaît les douleurs de Marie ? Qui a vu "le glaive qui lui a transpercé le coeur ? Elle s'offre, comme chacun d'entre nous, elle offre son Fils... Elle l'a présenté au Temple. Il s'est laissé offrir par elle en une divine condescendance.

J'ai toujours aimé cette idée du sacerdoce de Marie, qui est le modèle du nôtre et le sacerdoce par excellence. Marie a cultivé à un haut degré la vertu d'offrande, nous devons l'imiter en cela et vivre de la Passion du Christ, transformer le mal qui nous atteint en un bien éternel par l'acceptation : FIAT.

Au Cénacle Marie n'est pas lors de la dernière Cène alors que Jésus donne à ses apôtres le pouvoir de consacrer le pain et le vin, en redisant ses propres paroles : ceci est mon corps, ceci est mon sang. Mais, à la Pentecôte, quand les apôtres reçoivent l'Esprit saint qui leur donne une puissance divine, Marie est avec eux, elle partage leur joie, après tant de tristesse, elle a dû en ce moment retrouver les accents de son Magnificat. Marie est notre initiatrice au festin de l'Esprit, comme ele fut celle des apôtres.

Je suis sûr que le Père Laurentin acceptera cet hommage que je lui rend en saluant Marie. Il a été son chantre infatigable, cherchant ses traces partout dans le monde, allant à la fin de sa vie jusqu'à rédiger un dictionnaire des apparitions mariales, après avoir signé cinq gros volumes de documents authentiques des apparitions de Lourdes. Il n'était jamais fermé au souffle de l'Esprit dont Marie a éternellement épousé le feu. Il avait un a priori favorable pour toute apparition sérieuse. On a pu lui reprocher d'avoir pris parti pour Medjugorjé, et voilà qu'aujourd'hui la hiérarchie catholique est obligée (après moult tergiversations) de reconnaître l'authenticité des premières apparitions bosniaques.

Il a pris aussi vigoureusement partie pour Mère Yvonne Aimée de Malestroit, une mystique bretonne dont Rome ne voulait plus entendre parler. Il a rouvert le dossier qui avait été fermé de manière autoritaire. Aujourd'hui personne ne peut nier le caractère surnaturel de cette destinée hors norme, avec bilocations, prédictions vérifiées et autres miracles étonnants, qui font penser à ceux du Padre Pio. Je ne résiste pas à citer une phrase de Jésus à la jeune Yvonne Beauvais, qui touchera profondément le coeur de Julien Green (cf. Le Bel aujourd'hui p. 241) : "Je ne fais aucune distinction entre un coeur innocent et un coeur coupable. C'est celui qui m'aime davantage qui m'est le plus cher".

Le Père Laurentin fut expert et journaliste au concile Vatican II, écrivant parfois chaque jour pour le Figaro. Mais ce n'est pas le grand espoir conciliaire qu'il a gardé au coeur. Ses gros bouquins sur le Concile, ses fameux "bilans", publiés aux éditions du Seuil, ne sont plus lus par personne. En revanche, son oeuvre de bibliste, traquant les traces de la Vierge Marie dans la Bible, ne cesse pas d'intéresser un vaste public. La synthèse sur les Evangiles de Noël, je ne manque jamais de l'ouvrir chaque année pour Noël, justement. C'est lui qui m'a fait comprendre l'importance de la Fuite en Egypte, première confrontation entre le Christ enfant et un pouvoir totalitaire. Quant à son oeuvre de mariologue, elle est tout simplement sans équivalent dans le monde... Il aura donné le goût de prier Marie à plusieurs générations de lecteurs.

dimanche 10 septembre 2017

Réponse à Albert 76 sur François

"Mon Père, je m'interroge, mieux: j'ai interrogé des prêtres. Ils ne m'ont pas donné de réponse. Peut-être trouvaient-ils ma question oiseuse? impertinente? Ce n'était pas mon intention. Alors je réessaye, peut-être aurai-je une réponse avec vous. Je schématise, et voila la question: COMMENT SE FIER AU JUGEMENT D'UN PAPE QUI RÉPOND NE PAS ÊTRE LA POUR JUGER ?"
Cher Albert 76, votre question est très importante, parce qu'en disant "Qui suis-je pour juger ?" le pape François a donné l'impression à certains de ne pas vouloir faire le pape, de s'abstenir de tout discours normatif, en se contentant, comme il le répète souvent, "d'accompagner", c'est-à-dire au fond d'approuver. L'objection est de taille et l'on ne s'en débarrasserait pas d'un revers de main.

Il y a une deuxième objection, celle au fond que vous formulez : le pape pose des jugements sur des personnes. Je pense aux pauvres Franciscains de l'Immaculée. Cette congrégation parfaitement reconnue, il l'a persécutée et c'est bien au nom d'un jugement personnel qu'il portait sur une manière d'être religieux qui ne lui plaisait pas. On ne sache pas, par exemple, que le pape blanc s'en soit pris au pape noir, quand ce dernier a dit que le diable n'existait pas. Cette affirmation d'un homme qu'il a fait nommer à la tête des jésuites, manifestement... il ne la juge pas. Il est donc très clair que le jugement du pape sur telle ou telle personne est obéré par des présupposés, au point qu'on peut penser qu'il a raison de dire : "Qui suis-je pour juger ?" et que cette question, il devrait parfois se l'appliquer à lui-même.

Le pape, dans sa fonction de pape, doit pourtant, en nom Dieu, juger des personnes. Mais la plupart du temps, cela doit passer par une procédure canonique. La distinction des trois pouvoirs n'étant pas théologique, le jugement du pape peut en droit se porter sur des personnes, non seulement celles qu'il nomme à tel ou tel poste, mais surtout celles qu'il condamne. Voilà pour ce que j'ai appelé ici la deuxième objection.

Revenons à la première: le pape s'abstient-il volontairement de tout discours normatif? Il est clair que par tempérament il fuit de tels discours, mais par fonction, il doit en assumer quelques uns. Ces discours ne portent pas sur des personnes, mais sont supposés refléter un discernement, en départageant la vérité et l'erreur. Dans ces circonstances, non seulement le pape peut juger, mais il doit juger.

Au fond la formule: Qui suis-je pour juger? est profondément juste si l'on en définit correctement l'objet. "Seul Dieu sonde les reins et les coeurs" répètent les prophètes de l'Ancien Testament. "Le jugement a été remis au Messie" lit-on en Jean V. Seul le Christ possède le droit de juger les personnes, parce que seul, en tant que Dieu, il les pénètre et les connaît vraiment. C'est ce que l'on voit sur le porche de nos cathédrales: le jugement rendu par le Christ, seul juste juge. Comme je le propose plus haut, il faut distinguer ici : juger les personnes et discerner leurs actions. "L'homme spirituel juge de tout" dit saint Paul. Cela ne signifie pas qu'il juge les gens en pénétrant les recès de leur cœur. Seul Dieu peut le faire. Mais cela signifie qu'il juge de toutes les situations, qu'il possède une intelligence particulière des situations, celle que donne la sagesse.

Dernier point: il nous faut donc nous abstenir de juger les autres, puisque nous ne les connaissons pas vraiment. Mais pas seulement les autres : nous-mêmes. Nous avons le plus grand mal à nous juger nous mêmes, nous avons toujours tendance à exagérer nos qualités, parfois aussi à exagérer nos défaut. Laissons nous juger par le Christ, ne nous laissons pas impressionner par les jugements que nous portons sur nous-mêmes et enfin, d'un autre côté, n'hésitons pas à discerner à juger des situations dans lesquelles nous nous trouvons. C'est à cela que le Saint Esprit lui-même nous pousse.

vendredi 8 septembre 2017

Un pape fabuleux

Non je ne fais pas une crise de gatisme précoce ; je viens seulement de terminer le dernier livre du pape (avec Dominique Wolton) : Politique et société. Près de 400 pages. Un pavé. Bien sûr il y a des redites, mais ce n'est pas gênant, cela contribue au contraire me semble-t-il à montrer qu'il y a une pensée claire du pape et que les "petites phrases" dont il a le secret ne sont pas des piques gratuites mais comme des stalactites tombés de la paroi rocheuse et qui en proviennent. Il y a effectivement - c'est la première fois que cela m'apparaît avec tant de clarté - une pensée du pape, que l'on retrouve sur tous les sujets. Un regret ? Que la théologie soit trop discrètement évoquée pour que l'on puisse vraiment saisir le système théologique du pape, comme on comprend ici son approche politique.

Avec François, l'Eglise a un pape qui est en avance sur son temps, un pape qui a saisi l'aspect particulier que doit prendre une pastorale soucieuse de réussir dans la société matérialisée dans laquelle nous vivons, je dirais : un pape authentiquement personnaliste. Il ne me semble pas exagéré de considérer qu'il fait sienne la distinction que propose Laberthonnière entre les êtres et les choses. Les humains, quels qu'ils soient, sont tous des êtres, à l'image de Dieu. Chaque être vaut infiniment plus que toutes les choses. Preuve ? Chaque être se détermine librement par rapport à Dieu, en ce sens chaque être possède une destinée. "Le christianisme n'est pas une science. Ce n'est pas une idéologie. Ce n'est pas une ONG. C'est une rencontre (...) Comment élargir les conditions pour l'écoute des autres, c'est la mutation que l'Eglise doit faire". Comment ne pas souscrire à ces formules ? Comment ne pas voir se profiler l'image de Pascal et la réalité trop souvent tue de la grâce efficace dans cette exaltation de la "rencontre" ? L'Eglise de François est augustinienne et en ce sens "janséniste". Elle met la grâce avant la science et se garde de toute idéologisation d'un contenu de pensée chrétien. Elle met la grâce au-dessus de toutes les bienfaisances purement humaines, et c'est pour cela qu'elle n'est pas une ONG, malgré tant d'apparences contraires.

L'Eglise doit muter : ce qu'elle doit perdre en route, ce n'est ni sa liturgie (à Dieu ne plaise), ni ses dogmes (qui sauvent notre esprit de l'ignorance), ni sa morale (à condition, note le pape, que l'on considère la morale non pas comme un monde en soi mais comme une conséquence de la rencontre avec le Seigneur)... Ce qu'elle doit perdre en route, c'est ce qui l'empêche d'écouter les hommes, le cléricalisme et la rigidité, j'emprunte ces deux mots au langage du Saint-Père. J'en ajouterai un troisième ! l'idéologie.

Le pape emploie ce dernier terme très souvent. Il ne faut pas voir dans ce qu'il stigmatise comme idéologique ce que Marx appelait ainsi : la pensée qui se serait d'elle-même mise au service du Grand Capital (ou au service de l'Or, comme dit Maurras dans L'avenir de l'intelligence). Non ! Le mot "idéologie", employé par François, c'est de manière générale toute forme de pensée close sur elle-même et menacée de la fameuse maladie du perroquet que l'on nomme psittacisme : cette maladie, vous savez, qui apparaît quand la répétition dispense de la compréhension.

J'imagine quelque grave théologien me lisant d'aventure, je le vois plissant les yeux avec un air sceptique. L'objectant dirait sans doute sans s'occuper du pape : "ce christianisme là est un christianisme sans doctrine, une pure mystique, c'est-à-dire un état d'âme"...

A quoi je répondrais qu'il ne faut pas confondre "état d'âme" et "état de l'âme" et qu'il reste absolument vrai que le christianisme est un état de l'âme augmentée, sur-naturalisée, divinisée...

 Mais je voudrais souligner encore autre chose dans ce beau livre du pape François, qui a le don des petites phrases aux grands effets. Pour lui, la foi n'est pas seulement cet acte de vital, auquel notre objectant reprochait de n'être qu'un état d'âme. C'est une réalité objective, une réalité qui s'objective dans les cultures chrétiennes : "Une foi qui ne devient pas une culture n'est pas une vraie foi. Le voilà le rapport entre foi et culture : l'inculturation de la foi et l'évangélisation de la culture". Dans cet éloge de l'inculturation, on voit se profiler le risque du morcèlement de chrétientés inculturées que leur éloignement géographique contribue à rendre incompatibles les unes avec les autres.. Mais ce risque est un beau risque car la culture chrétienne agrandit toujours l'humanité, comme l'avait bien vu l'anthropologue René Girard. Et les cultures chrétiennes convergent toujours finalement, comme aujourd'hui fonctionnent ensemble les deux poumons, Orient et Occident de la sainte Eglise de Dieu. Moscou, Rome : des cultures différentes qui finissent par se rencontrer, non pas dans une synthèse artificielle, mais dans une sur-thèse différenciée, si l'on reprend le vocabulaire du pape.

Cette culture chrétienne, liturgique, théologique, artistique, les vandales post-conciliaires avaient espéré nous en priver. Nous en jouissons aujourd'hui en sécurité grâce à Benoît XVI. Cette culture chrétienne traditionnelle est la plus riche au monde, la plus diverse, la plus longue et la plus convergente en même temps.  Elle est comme un biotope favorable au développement de notre foi, pas seulement une contre-culture, dans notre monde matérialisé, mais un accomplissement humain intégral (pour reprendre un adjectif cher au pape) et qui ne peut nous être ôté.

Deux remarques pour finir : nulle part je n'ai vu le pape prétendre être responsable du développement humain intégral que par ailleurs il appelle de ses voeux. Le Père Stalla Bourdillon en fait un Boniface VIII des temps modernes. Mais sa lecture nous emmène à mille lieu de cela. François se veut seulement serviteur des serviteurs de Dieu. Son impérialisme est celui de la charité.
  
Deuxième remarque : je traiterai dans un prochain post ce qui concerne les relations entre le pape et les migrants.